Je poussais un soupire en voyant deux enfants courir au bord du bassin, combien de fois faudrait-il répéter qu'il ne fallait pas courir ? J'avais récemment été embauchée comme maître-nageuse dans une piscine du quartier de Shinjuku. Mais ce boulot était usant, j'avais bêtement pensé que travaillé à la piscine serai sympa. J'avais eu tout faux, autant j'adorais venir ici pour nager, autant venir y travailler pouvait être pénible. Pourtant, j'avais besoin de ce boulot pour l'instant. Il me permettait de payer mon loyer et de vivre par moi même. Je n'avais nullement l'intention de retourner chez mes parents. C'était hors de question. Pourtant ma mère me l'avait proposé. J'étais allé rendre une petite visite à mes parents il y a quelques jours. Je n'avais pas trouvé mon père, seule ma mère était à la maison, il devait être en déplacement. Pourtant, c'était surtout à lui que j'avais envie de parler. C'était lui qui avait balancé toutes ses horreurs ce jour là. Ma mère n'avait pas dit un mot, ce qui au final pour moi ne valait pas mieux. Mais peut être n'étais-je pas resté assez longtemps pour le savoir ? Je ne lui avait pas laissé le temps de s'expliquer, ni à elle, ni à personne. C'était une habitude avec moi. J'avais en effet cette tendance à fuir les discutions importantes avec les membres de ma famille. Il n'y avait qu'à voir ma relation avec Shôji, si l'on pouvait encore parler de relation. Je ne l'avait pas revu depuis des années, avant qu'il parte pour l'étranger. Et je n'étais pas certaine de le revoir un jour, ni  même d'en avoir envie d'ailleurs. Parce qu'au fond de moi, je savais que face à lui, je serai toujours cette petite fille apeurée enfermée dans un placard. Et je détestais ressentir ça.

Toujours est-il que quand j'avais revu ma mère, j'avais eu l'impression qu'elle avait prit dix ans, alors que ça n'en faisait même pas trois que j'étais partie. Il faut croire que toute cette histoire avait eu des effets dévastateurs sur elle. Elle me faisait pitié. Pas au point de lui pardonner. Surtout pas après ces excuses, elle était désolée, c'est ce qu'elle avait dit. Rien de plus. Décevant mais pas étonnant. C'est pour ça que j'aurai voulu parler avec mon père. Mais ça viendrai bien assez tôt je le savais. Pour l'heure, il fallait que je fasse mon boulot. Et il consistait a aller m'assurer que l'idiot qui venait de glisser ne s’était rien cassé. Nouveau soupire, j'étais supposée surveiller les gens qui nageaient, mais j'avais vite compris que la plupart des accidents se passaient hors de l'eau, ce que les gens pouvaient être imprudents. Heureusement, j'approchais de la fin de ma journée, je laisserai bien volontiers ma place à mon collègue. D'ordinaire, je ne m'attardais pas après le boulot. Je nageais beaucoup moins qu'avant, parce que même si j'aimais toujours ça, ça me rappelait également les choix que j'avais fait, j'aurai pu, si j'étais restée devenir une professionnelle en natation, j'en avais les capacités et mes résultats étaient bons. Mais au moment où j'avais pris la décision de partir, j'avais fais une croix là-dessus.

J'étais en train de quitter de mon poste quand mon regard c'est posé sur une jeune fille en train de nager, je ne sais pas pourquoi elle avait capté mon attention, sans doute me rappelait-elle mes séances d’entraînement à enchaîner les longueurs comme elle le faisait. Elle ne m'avait pas remarquée, du moins pas encore. Mais à sa place je me serai posé des questions à voir une fille debout au bord de la piscine en train de me fixer alors que je nageais. Pourtant, j'étais loin de penser à ça, je l'observait et l'enviait, j'aurai voulu moi aussi retrouver ce plaisir de nager, comme avant, mais je ne savais pas si se serai possible un jour.

Voilà quatre mois et demi que j’étais au Japon. Je vivais vraiment ma meilleure vie, faut le dire ! Non mais vraiment, la vie à Tokyo n’avait rien à voir avec ma vie toulousaine. Après on va pas se mentir, ma vie et mes habitudes me manquent parfois, mais je vis mon expérience à fond. Bon, j’ai eu mon lot de tuiles avec notamment le typhon dévastateur qui m’avait contrainte à plier bagage et changer de résidence alors que je commençais à peine à me repérer dans mon quartier. D’ailleurs je ne manquais pas d’y retourner car d’une, ce n’était pas loin, et de deux, c’était beaucoup trop mignon. Moins urbain qu’Hachioji. Mais vivre sur le campus avait ses avantages : pas de trajet pour aller en cours, donc plus de temps pour dormir ou pour les loisirs ! Par contre c’était hyper strict, t’invites personne et t’es vraiment là pour manger, dormir et étudier. La grosse ambiance. Puis il avait aussi fallu que je m’adapte à la vie en coloc’, j’étais pas du tout prête pour ça moi. Heureusement que mes colocs étaient mignonnes : Mitsue, Hanami si je me souvenais bien. Je n’avais pas encore trop cherché à approfondir plus que ça mes liens avec elles mais j’aimais bien flâner dans les pièces communes avec elles le soir, et on discutait. Ca me permettait d’améliorer mon japonais. Je faisais des efforts car j’ai toujours eu du mal avec les filles japonaises, trop effacées, mièvres et insipides, mais j’étais chanceuse dans mon malheur : Mitsue et Hanami était sociables et loin des clichés.

Aujourd’hui, c’était jour de week-end, je n’avais pas cours, et j’avais bien bossé mes rédactions pour le cours d’écriture, même si la prof était une tortionnaire psychopathe. J’avais vraiment la flemme de rester enfermée et j’en avais aussi un peu marre de voir le campus. J’avais besoin de m’aérer la tête. Et j’avais aussi envie de nager. Oui, en plein hiver, non je n’avais pas la flemme ! J’adorais nager et ce n’étaient pas les saisons qui allaient me freiner. Mais la piscine de l’université, je l’avais vue et revue et je m’étais dit que ça pourrait être fun d’en tester une municipale pour une fois. Bon, j’aurais sans doute plus de liberté dans celle de Chûô et l’autre risquait d’être bondée, mais qui ne tente rien n’a rien, non ? Puis c’était la période équivalente aux soldes, d’après ce que j’avais compris. J’irais sans doute dévaliser Uniqlo pour me récompenser d’avoir bien nagé.

Ayant repéré une piscine dans le quartier de Shinjuku – ça tombait bien, c’était quasiment direct depuis la fac, je m’étais dit que j’allais y jeter mon dévolu. Mon sac de natation prêt, ma tenue enfilée, je fermais ma chambre à double tour et quittai l’unité 1 en direction de la gare. En bonne clocharde que j’étais, j’avais pris l’habitude de passer par la gare près du zoo : les trajets étaient moins chers, la balade était cool et ça me faisait marcher dans la forêt. Le monorail c’était rapide mais hors de prix, même si j’aimais bien la vue aérienne qu’il procurait.
Le temps dans passait assez vite quand, comme moi, on admirait sans relâche le paysage qui défilait par la fenêtre. Moi qui étais encore novice dans ce pays, tout m’intéressait et m’inspirait, il suffisait de voir mon compte Insta’.

Me voilà arrivée à bon port ! Google Maps était mon ami et je le suivais fidèlement pour atterrir à la piscine publique. Dans mon Japonais bancal, je commandais un ticket d’entrée puis accédais aux vestiaires pour me changer. Maillot une pièce, plus rassurant pour nager et confortable, mais joli maillot, pas le maillot du collège trop moche ! Les cheveux relevés en chignon, le bonnet de bain qui te fait une tête de b*te et c’était parti.
Par chance, malgré le fait qu’on soit dimanche, la piscine n’était pas trop bondée, et je pus rapidement m’installer dans l’eau et commencer mes longueurs. Une fois concentrée, je ne faisais plus vraiment attention à ce qui m’entourait. Je prenais juste soin de ne pas entrer en collision avec un autre nageur.

Alors que je faisais une petite pause après un enchaînement assez coriace de longueurs dans différentes nages, je m’adossais contre un rebord de la piscine moins profond que les autres et me mis à observer autour de moi : c’était pas si différent des piscines françaises au final. Souriant, je balayais mon regard un peu partout quand j’aperçus la maître-nageur qui me fixait. Ah, j’avais fait quelque chose de culturellement incorrect ? il ne fallait pas s’adosser au rebord ? Pourtant d’autres le faisaient …
D’un coup de brasse agile, je me rapprochai d’elle pour ne pas hurler, et lui demandai poliment en Japonais avec mon accent franco-british, qui ressortait depuis que j’étais au Japon :

« Excusez-moi, j’ai fait quelque chose d’interdit ? Je ne connais pas trop les règles des piscines japonaises, faut pas hésiter à me dire s’il y a un souci. »

J’espérais ainsi me la mettre dans la poche et ne pas me faire gronder.

Oups. J'avais attiré son attention. C'est malin, en plus elle croit que je la regardait pour lui faire une remarque. Je n'ai rien à lui reprocher, au contraire, elle nage parfaitement. C'est rare ici de voir quelqu'un d'aussi doué d'ailleurs. C'est sans doute pour ça qu'elle a attiré mon attention. Mais comment lui dire ? Elle va me prendre pour une folle. Ceci dit, je lui dois bien une explication. Je tente de lui rendre son sourire, histoire de lui montrer que je n'ai pas l'intention de lui faire le moindre reproche. « Ne vous en faites pas, vous n'avez rien fait de mal. Et de toute façon, je ne suis plus en service. » Je lui désignais alors d'un signe de tête mon collègue qui venait d'arriver pour prendre la relève. « Je me demandais, vous pratiquez la natation à haut niveau ? » Il était évident qu'elle n'était pas japonaise, peut être était-elle là pour une compétition. Encore que si c'était le cas, je ne voyais pas bien pourquoi elle serai venue s’entraîner seule ici. Ma curiosité  l'avait  emporté sur le reste. J'avais beau faire comme si ça ne m'atteignait pas, comme si ça ne me manquait pas, mais la natation était encrée en mois bien plus que je ne voulais bien l'admettre. Peut être que j'aurai du trouver un autre boulot, ça m'éviterai d'avoir à y penser en permanence. Mais que pouvais-je faire d'autre ?

Je laissais échapper un soupire. « Quoi qu'il en soit, je suis désolée si je vous ai laissé penser que vous faisiez quelque chose de travers, vous n'avez rien à vous reprocher. » J'entendis alors des cris derrière moi. Je me retournais pour tomber sur ses mêmes enfants, cette fois en train de se battre. Quand allaient-ils s'arrêter ? Et que faisaient les parents bon sang. Je jetais un rapide coup d’œil à mon collègue, occupé à l'autre bout de la piscine. Hum, bon,  je ne suis plus sur mes heures de travail, mais je ne peux pas laisser passer ça. « Excusez-moi un instant. » Je me dirigeais vers ces horribles gamins, bien décidée cette fois à les remettre à leur place. « Bon maintenant ça suffit ! Vous vous calmer et tout de suite ! Où sont vos parents ? » à m'entendre crier ils s'étaient figé d'un seul coup, l'un d'eux me désigna un homme un peu plus loin comme étant leur père. Il nous tournait le dos. Est-ce que c'est un critère d'être con pour devenir père dans ce pays ? Je me dirigeais alors vers lui. « Monsieur, on est pas dans un jardin d'enfant ici, c'est à vous de surveiller vos enfants et permettez moi de vous dire que les vôtres sont très turbulents. Ça fait déjà plusieurs fois que je les reprends aujourd'hui et j'en ai marre de perdre mon temps, vous n'êtes pas seuls ici. Si ça continue, je serai dans l'obligation de vous mettre dehors, vous et vos enfants. » A vrai dire, je n'étais pas certaine d'avoir le droit de faire ça, mais il n'était pas obligé de le savoir. Il bégaya des excuses avant d'aller récupérer ses gosses et de s'en aller de lui même, sans doute gêné par la situation. Je soufflais, exaspérée, j'allais devenir dingue. Je croisais le regarde mon collègue qui n'avait pas l'air de savoir s'il devait être soulagé ou angoissé par mon soudain excès de colère. Je retournais alors vers la jeune fille avec qui j'avais entamé une conversation. Après tout, elle n'avait pas encore eu le temps de me répondre. « Ce n'est pas aussi agité d'habitude. » C'était faux, mais je n'allais tout de même pas le lui dire. Ça lui passerai certainement l'envie de revenir.

Bon, apparemment je n’avais rien fait de mal, me voilà soulagée. Je n’étais pas encore hyper familière avec les règlements au Japon et faire des bourdes étant ma spécialité, je ne savais jamais si j’étais dans le droit chemin ou non. Bien sûr, je baignais dans la culture nippone depuis le lycée, mais entre écouter les théories et les récits d’aventure de mes profs et le vivre en vrai, il y avait quand même un sacré fossé. Toujours est-il que j’étais bien contente qu’il n’y ait aucun souci avec la maître nageuse, ça aurait bien été ma veine … ! Bon et visiblement elle n’était plus en service donc encore moins de soucis. Mais elle était Japonaise, je n’étais pas certaine qu’elle aurait fermé les yeux si j’avais été en tort, en service ou non. Après tout c’était le pays des heures supp’ non ? Mais bon, sa question attira rapidement mon attention. Je n’étais pas sûre du vocabulaire qu’elle venait d’employer mais il me semble qu’elle me demandait si je pratiquais la natation de manière intensive. Dans le doute, j’allais faire comme si c’était bien ça, histoire d’avoir l’air assurée en Japonais.

« Je fais de la natation depuis le collège, très régulièrement, donc on peut dire ça comme ça, oui. C’est un peu mon moyen de me défouler, de faire redescendre la pression. »

C’était toujours un peu difficile d’aligner de longues phrases, mais je sentais que je m’améliorais pas mal. J’avais été placée dans le niveau D en cours de Japonais à Chûô, le meilleur parmi les cours standards, et avec un peu de chance je serais dans les KO-A ou B en avril prochain, vu mes progrès. J’espérais y arriver en tout cas. En ce moment c’était la période des examens et je révisais d’arrache-pied les cours de japonais -même si je bâclais un peu le reste parce que ce n’était pas si dur de rédiger des rapports. C’était en partie pour cela que j’avais eu besoin de me défouler à la piscine. Bref, je pensais trop. La jeune femme venait de s’excuser d’avoir causé une mauvaise interprétation de la situation, et je secouai la tête à la façon nippone avant de la rassurer :

« Ah non, pas de soucis, c’est juste que ça fait seulement cinq mois que je suis ici et j’ai tendance à mal comprendre certaines règles du Japon, j’avais peur d’avoir encore gaffé … »

Être honnête, c’était quelque chose sur laquelle j’étais intransigeante. Je n’aimais vraiment pas le mensonge, sauf si c’était une bonne cause comme une surprise par exemple. On aurait pu continuer notre conversation qui me permettait en plus de pratiquer en contexte naturel, mais des cris d’enfants surgirent non loin de nous et l’employée dut s’éclipser un moment pour aller régler situation, alors qu’elle avait fini de bosser. Bon, j’avais raison : si j’avais fait une bourde, service ou pas, elle serait sans doute intervenue. Ah, le zèle des Japonais ! J’observais l’altercation de loin entre la jeune femme et les sales gosses que j’avais envie d’envoyer valser contre un mur, puis la vis s’éloigner vers ce qui semblait être le père desdits sales gosses. Elle était trop loin pour que je distingue le contenu de la conversation mais en revanche sa colère était palpable et le ton de sa voix semblait agacé. Le père, tout penaud, rassembla aussitôt ses affaires et embarqua ses progénitures avant de s’éclipser en direction des vestiaires. Eh ben, j’étais impressionnée, je ne savais pas que les Japonais se mettaient en colère comme ça. Avant que j’aie pu réfléchir davantage sur la situation, la nippone était de nouveau face à moi, me disant que ce n’était pas si agité d’ordinaire.

« Oh, ce n’est rien comparé aux piscines françaises. Là-bas, des enfants comme ceux-là, il y en a 20 en même temps … ! »

Je ris face à ma remarque qui risquait de choquer mon interlocutrice et poursuivis :

« En revanche, quelle autorité ! Il n’a pas demandé son reste le papa ! Bien joué, je suis impressionnée. »

J’étais sincère, j’avais beaucoup entendu dire que les Japonais, surtout les femmes, étaient assez effacés en public et ne se faisaient pas trop remarquer. Mais cette femme avait du caractère et c’était stimulant. Bon, et comme on était parties pour discuter, j’allais être polie et décidai de me présenter :

« Au fait, je m’appelle Remy, enchantée ! »

Moi, une athlète ? Ouah, un sacré compliment qu’on ne m’avait pas souvent fait. J’étais flattée de ce dernier, mais malheureusement pour elle j’étais encore loin d’avoir un niveau suffisant pour faire de la compétition, même si le challenge m’intéresserait peut-être.

« C’est gentil de le penser, mais j’ai encore du chemin à faire avant de prétendre à une quelconque compétition … »

Cette fille m’avait l’air sympathique. J’avais le don de faire des rencontres atypiques en ce moment, ça changeait de mon quotidien assez millimétré à l’université, c’était rafraîchissant. La surveillante de baignade me demanda de quel pays je venais, mais avant que je puisse m’exprimer, elle avait dû s’éclipser pour aller réprimander des gosses bruyants et leur père. J’avais regardé la situation amusée, et l’avait vue revenir vers moi juste après. Autoritaire et efficace, je n’avais pas l’habitude de voir des Japonaises comme cela. J’avais inconsciemment répondu à sa question sur mon pays d’origine en évoquant les piscines françaises lorsqu’elle s’était excusée pour le désagrément. Mais vraiment, je trouvais les piscines nippones bien plus calmes et propres que les piscines françaises qui me décourageaient parfois d’aller nager. Ici c’était quand même un véritable plaisir. D’habitude je préférais nager à Chûô car il y avait la piscine chauffée pour l’hiver. J’avais hâte que les beaux jours reviennent pour tester la piscine en plein air d’ailleurs. Peut-être d’ici le mois de mai ou juin.

J’hochai la tête pour signifier mon approbation lorsque la demoiselle évoqua le fait que parfois, il fallait être ferme pour arriver à ses fins et obtenir le calme. C’était bien vrai, rester dans son coin n’aidait pas forcément à se faire respecter. Puisque je m’étais ensuite présentée, elle avait fait de même. Comme tout bon Japonais qui se respecte, elle avait utilisé son nom et son prénom. Mizushiro, j’avais rarement entendu ce nom de famille et j’aimais bien sa sonorité. Je ne savais pas quels étaient les kanji, peut-être l’eau et le château. Un château d’eau ? Oui, ma petite manie était d’essayer d’interpréter les kanji des noms ou des mots que je découvrais. Mais je me gardai bien de lui faire part de ma réflexion de peur d’être impolie.

« Enchantée, Yûna-san. Je vous appelle Yûna-san ou Mizushiro-san ? »

Je n’étais vraiment pas au moins avec les formalités nippones, j’avais toujours peur de me rater au niveau de la hiérarchie, du respect des aînés et des inconnus, et le keigo (langage poli) était quelque chose que je n’arrivais pas à assimiler, malgré mes cours à l’université.
La dénommée Yûna me demanda ce que je faisais au Japon, semblant naturellement curieuse.

« Oh, je suis en échange universitaire pour un an ici, à l’université Chûô. Je me plais bien au Japon donc je suis en train de réfléchir à ce que je pourrais faire à la fin de l’année. J’aimerais bien travailler ici mais c’est difficile de trouver un visa de travail, je pense. »

Voilà, du Remy tout craché, je commençais à raconter ma vie. Mais bon, c’était comme ça qu’on faisait connaissance après tout, non ?

Ainsi je faisais fausse route, pourtant elle avait du potentiel. Ayant failli devenir pro moi-même, j'étais plutôt bien placée pour le savoir. Mais là n'était pas le sujet. « Et bien, en tout cas, vous avez déjà un bon niveau. » Pourrais-je la battre ? A l'époque, la réponse à cette question m'aurai semblé évidente, mais je ne m'étais plus entraînée sérieusement depuis très longtemps, j'avais probablement perdu pas mal de niveau. Nager me manquait.

J'avais ensuite dut m'éclipser un petit moment pour ramener l'ordre. Pourquoi fallait-il que je fasse du zèle en dehors de mes heures de travail ? Certainement parce que j'avais bien vu que mon collègue était débordé aujourd'hui et que je suis pas du genre à laisser tomber les gens qui comptent sur moi. Enfin, si on met de côté ma fuite de 3 ans. Encore qu'à l'époque, je ne suis pas certaine que grand monde m'aurait retenue. J'étais donc revenue vers la jeune femme qui s'était présentée sous le nom de Remy. Lorsque je me présentais à mon tour, je ne pu m’empêcher de sourire amusée à sa réaction. « Yûna, ça sera très bien. » Inutile de s'encombrer de trop de formules de politesse. En plus, nous semblions avoir plus ou moins le même âge elle et moi. Et puis, elle même ne m'avait donné que son prénom, alors autant se mettre sur un pied d'égalité.

Elle m'expliqua ensuite être ici en échange étudiant à l'université de Chûô pour un an. Avant que j'ai pu exprimer une quelconque réaction, elle enchaîna en disant qu'elle se plaisait ici et qu'elle réfléchissait à un moyen de peut être rester une fois son année d'échange terminée. Si je ne me trompe pas Chûô est l'université dans laquelle mon père avait envoyé Shôji. J'avais refusé d'y aller, préférant éviter de fréquenter les mêmes endroits que lui. C'était stupide, mais j'avais voulu éviter tout ce qui aurai pu me rapprocher de lui de quelque manière que se soit. « Ça doit être une super expérience en effet. J'aurai aimé pouvoir faire la même chose. » Mais partir à l'étranger n'avait jamais été prévu pour moi. Non, mon père avait déjà envoyé l'aîné à l'autre bout du monde, il entendait bien garder sa fille prêt de lui. Malgré mes efforts, il avait toujours fait en sorte de diriger nos vies. « Mais en effet, ce n'est pas facile pour les étrangers de s'établir ici, j'espère que vous trouverez une solution qui vous permettra de rester si c'est ce que vous souhaitez. »

La jeune surveillante de baignade semblait penser que mon niveau actuel me permettait d’être pro. C’était flatteur et gentil de sa part, cependant il n’en était rien, j’avais donc vite dissipé cette hypothèse. Mais la jeune femme avait insisté sur mon bon niveau, je la gratifiai donc d’un sourire aimable et chaleureux. Peut-être que mon interlocutrice était professionnelle elle-même ?

« Et vous ? Êtes-vous pro ou ancienne pro ? »

Après tout, comme elle semblait travailler ici, peut-être avait-elle interrompu sa carrière mais souhaitait garder un pied dans l’eau disons. Je ne connaissais rien de la natation professionnelle nippone alors j’aurais pu être en face d’une nageuse émérite sans le savoir. Mais peut-être que les gens auraient eu des regards plus inquisiteurs ? Ou alors les Japonais étaient vraiment toujours très polis et respectueux. C’était aussi possible.

Les présentations faites, j’appris que la demoiselle se prénommait Yûna et souhaitait être appelée comme telle. Parfait, cela me simplifierait les choses, surtout que c’était un prénom facile à prononcer : pas de « h », pas de son bizarre. Peut-être que mon « u » sonnait un peu trop français en revanche. Yûna semblait envieuse de mon parcours, notamment de mon échange universitaire, ici au Japon. Elle énonça le fait qu’elle aurait aimé pouvoir faire de même. Elle n’avait donc jamais quitté son pays natal, ou alors seulement pour des vacances. Elle fut compatissante vis-à-vis de mon histoire de visa de travail, confirmant qu’il n’était pas une mince affaire que de s’installer définitivement ici en tant qu’étranger, mais il ne fallait pas que je baisse les bras.

« Peut-être aurez-vous encore l’occasion de vivre à l’étranger pour votre travail ou par passion, qui sait ! Rien n’est arrêté dans la vie. Quant à mon travail, j’espère que je trouverai quelque chose, je vais me battre pour en tout cas ! »

Je lui souris franchement, tout en réalisant que je commençais à avoir froid. Je consultai ma montre waterproof rapidement, qui me permettait aussi d’enregistrer mes performances en nage, et écarquillai les yeux en voyant l’heure. Mince, si je ne me bougeais pas, j’allais être en retard à mon cours particulier que je dispensais, pas très loin de l’université.

« Je suis vraiment désolée de partir comme une voleuse, mais j’ai un cours à donner bientôt et je dois repasser par le campus pour me changer … On peut échanger nos LINE si vous voulez ? Ce serait sympa de se revoir dans un contexte plus tranquille ! »

Le contact avait été plutôt bon avec Yûna et j’étais assez spontanée comme fille, donner mon pseudo LINE ne m’engageait de toute façon à rien du tout. Mais comme il fallait que je me sauve, j’aurais été un peu déçue de ne pas pouvoir en apprendre plus sur une comparse de natation. En plus on devait avoir sensiblement le même âge donc ça m’aurait peut-être fait une amie sur Tôkyô. Au final, à part mes petites coucheries avec Kannon, je ne m’étais pas fait de véritables amis depuis mon arrivée, pourtant c’était pas faute d’être sociable, mais je dirais plus que j’avais des camarades de résidence ou de cours. Pas quelqu’un avec qui aller m’éclater sans réfléchir, et je dois avouer que ça me manquait un peu.

J'aurai du m'attendre à ce que la question me soit retournée. J'imagine que pendant quelques instants les regrets et une part de tristesse avait du passer sur mon visage. Quelques années plus tôt, je n'aurai jamais pensé avoir ce genre de conversation, pourtant les choses ne tournent pas toujours comme on l'aurai souhaité, j'étais bien placée pour le savoir. « Eh bien, disons que ça a été mon rêve un jour. » Je n'avais pas vraiment envie d'entrer dans les détails sur le sujet pour le moment. Je ne la connaissait que depuis quelques minutes et même si Remy me paraissait être une jeune femme très bien, elle n'avait pas besoin de connaître toute l'histoire. Pour une fois que je faisais la connaissance de quelqu'un à qui mon nom de famille ne disait rien, je ne voulais pas gâcher ça dès le départ. Je haussais donc les épaules. « Il faut croire que certains rêves ne sont pas destiné à se réaliser, mais la natation reste ma plus grande passion. »

Elle enchaîna ensuite en me disant que j'aurai peut être l'occasion plus tard de partir vivre à l'étranger. Je laissais alors échapper un soupire. J'avais bien trop de chose à régler ici pour penser à partir. D'autant que j'avais déjà quitté la ville pendant plusieurs années. Il était plus que temps pour moi de faire face à tout ce que j'avais fuit. Mais elle avait raison, qui pouvait dire où je serai dans quelques années. C'est juste que pour le moment, je n'avais pas vraiment le temps d'y penser. « Peut être, mais ce n'est certainement pas pour tout de suite. »

Je venais à peine de terminer ma phrase que je pu l'observer jeter un coup d’œil à sa montre. Elle devait avoir un rendez-vous ou quelque chose dans le genre. Pour confirmer ma pensée, elle me confia qu'elle devait partir donner un cours. Je ne voulais pas la retenir plus que nécessaire alors je hochais simplement la tête et lui donnait mon speudo LINE. « Pas de problème, on se contacte prochainement alors. » Je rejoignais alors moi-même la sortie, après tout, je n'avais plus rien à faire ici pour le moment. J'avais une bonne impression à propos de Remy, peut être qu'elle et moi allions devenir de bonnes amies, l'avenir nous le dirait...