“le goût chloré de ses lèvres” & L'eau. Il se sentait dans son élément quand elle transportait son corps à sa surface sinon dans ses profondeurs. Faire la planche était reposant, c'était une position qui lui permettait de se laisser porter par ses mouvements paisibles tout en faisant le vide dans sa boîte crânienne ou en s'abandonnant à ses songes multiples. Rien d'autre ne pouvait procurer une sensation comme celle-ci. S'il ne risquait pas de boire la tasse, de se noyer ou même d'attraper froid, son âme de surfeur choisirait de dormir sur ce lit liquide plutôt que sur un matelas. Ce qu'il aimait le plus, cependant, c'était de nager sous son ciel transparent. Toute l'anatomie immergée dans ses entrailles limpides et c'était précisément ce qu'il était descendu faire, en cette matinée de 21 décembre. Depuis un bon quart d'heure il avait entamé des figures de crawl, de brasse et de nage profonde, prenant tantôt une pause en se prélassant sur l'espèce de transat avec sa serviette ou en restant le dos appuyé contre le bord de la piscine, les bras étendus à l'horizontal. Il terminait une nouvelle longueur lorsqu'il s'aperçut qu'il n'était plus seul. Et ce n'était pas n'importe qui, qui l'avait rejoint sans se douter qu'ils se croiseraient... Shit.

Le chocolatier s'était arrêté pour lever les yeux vers le mannequin, une main ruisselante d'eau sur le rebord. La vision d'Hoseok en maillot de bain, à demi-nu avec pour seule partie couverte de son corps son bassin et ses cuisses, lui rappela la vue imprenable qu'il avait eu sur son tatouage dorsale, ce matin d'octobre où le cadet avait eu le malheur de se brûler avec son café et de lui laisser le soin de tout nettoyer. Une pure attitude de fils de riche, ça, ou de mec égoïste qui ne se souci que de sa pomme. Wu Jo ça l'avait énervé d'être limite traité comme un domestique, évidemment, même s'il n'avait rien répliqué et s'était levé pour se dépêcher de nettoyer les dégâts avant de se mettre lui-même en retard parce que, lui, en revanche, n'était pas de ces têtes à claque qui partaient de la maison en laissant toutes ses saletés à l'arrière. Le cadet n'avait pas compris les principes de la colocation, semblait-il, ou s'en fichait comme d'une guigne. Ce qui était très probable. Wu Jo détestait ce genre d'attitude qui lui donnait envie de remettre ces personnes qui se croyaient tout permis à leur place. Pourtant, il avait fait des efforts les premières semaines, espérant une amélioration de la part de ce prétentieux confrère coréen, lui donnant une chance pour... se calmer ? Mais non. Leur relation n'était allée qu'en se dégradant chaque fois un peu plus. Si bien que Wu Jo s'évertuait désormais à l'ignorer et à ne plus prêter attention à son irritante désobligeance. Chose qu'il n'arrivait pas à faire à tous les coups car, certains jours, il ne pouvait s'empêcher de hausser durement le ton à son encontre tant ses vacheries lui portaient sur les nerfs. Sauf que Hoseok ne se laissait guère impressionné par son aîné.

- Apparemment. se contenta-t-il de dire avec détachement.

Puis il s'écarta. Hoseok ayant décidé de rentrer dans l'eau pile en face de lui. Wu Jo n'eut pas d'autre choix que de le laisser venir, cédant sa place à reculons mais ne s'éloignant que très peu. Bien trop peu... Le plus jeune était si près de lui qu'ils auraient presque pu... Cette attirance irrationnelle qui revenait au galop. Bordel. Elle avait mal choisie sa cible. Pendant les quelques courtes secondes que dura leur proximité, il se sentit résister à une attraction qui le tirait vers son colocataire à la manière d'un aimant. Wu Jo ne ressentait pas ça pour Juria, ça n'avait rien à voir et pourtant il s'entendait bien mieux avec elle. Il n'y avait qu'Hoseok qui lui faisait cet effet au sein de cette maison. Désir conscient, traître et coupable... qu'il ne laissa pas s'exprimer. Le mannequin rompit le contact visuel et se propulsa dans l'eau sous les yeux du chocolatier qui suivit sa silhouette du regard avant de se détourner. Lui aussi était partagé. Devait-il le laisser seul ? Ce qui éviterait une potentielle altercation entre leurs deux fortes têtes... ou pouvait-il se permettre de rester et profiter de la piscine encore un moment, comme il l'avait prévu à l'origine ? En réalité, partir juste parce qu'Hoseok était apparu lui semblait stupide. Alors il resta. Sans avoir l'intention de faire la conversation, seulement celle de profiter du bassin plein d'eau délicieusement chauffée.

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“le goût chloré de ses lèvres” & Il ne fallut pas très longtemps avant que Hoseok ne lui barre le passage... l'obligeant à s'arrêter et à émerger le haut de son corps de la piscine. Il ne pouvait pas le laisser faire ses brasses tranquille, non ? Wu Jo s'apprêtait à demander ce qu'il se passe avec une note d'impatience dans la voix mais quelque chose dans l'expression fermée du mannequin le fit instantanément taire. Les deux jeunes hommes se fixèrent, leur visage parcouru de multiples gouttes d'eau chlorée, échangeant un regard empreint d'une tension... où perçait du magnétisme -et de la confusion pour Jo-. Qu'est-ce qu'il lui arrivait encore ? Pourquoi il le regardait comme ça ? Et pourquoi fallait-il qu'il se positionne toujours aussi près ? Le chocolatier se mit à observer son colocataire avec un air d'autant plus interrogateur et méfiant alors qu'il se sentait frémir malgré lui lorsque celui-ci demanda à ce que les caméras soient coupées.... Depuis quand il faisait ça sans le lâcher des yeux ? Alors qu'ils étaient seul à seul ? Dans une piscine, un samedi matin, par-dessus le marché ! Qu'est-ce que c'était que ce plan ? Certes, a aucun moment Wu Jo n'eut réellement le temps de réagir ou de réfléchir car tout n'était espacé que de quelques trop courtes secondes pour son cerveau embrumé. En revanche, il eut le temps de ressentir le flot d'émotions chaotiques qui le firent frissonner, lui donnèrent des sueurs froides d’appréhension tout en augmentant sa température corporelle sous l'effet de l'anticipation. Au fond, il soupçonnait plus ou moins ce qui allait venir... Hoseok aurait très bien pu vouloir lui mettre son poing dans le nez, au vue de la relation assez houleuse qu'ils avaient développée entre eux. Mais son humeur ne semblait pas y être.

Et, en effet, elle n'y était pas du tout.

Le mannequin lui posa une main sur l'épaule et le chocolatier eut partiellement le réflexe de tenter de s'extirper de cette emprise pour mettre cette partie de son anatomie hors de portée de l'étudiant coréen dont il n'avait pas l'habitude de sentir le touché direct sur sa peau mais Hoseok le retenait avec plus de fermeté qu'il n'avait lui-même envie de s'éloigner. Fatalement, Wu Jo perdit. Et ce qui se produisit ensuite lui coupa le souffle. L'eau s'agitait autour de leur taille sous les mouvements que l'un avait dû faire pour essayer de s'échapper et que l'autre avait du suivre pour l'en interdire. Figé, délicieusement conscient de la proximité de ce corps tentateur qui effleurait le sien, tous ses sens avaient, en une fraction de seconde, convergé vers un seul point. Un point qui lui procurait des frissons électriques dont il pouvait suivre les anarchiques courses le long de son organisme. Wu Jo oublia où ils étaient, oublia qu'ils s’exécraient mutuellement. Ne gardant en mémoire que l'identité de l'homme qui avait eu ce geste osé. Leurs lèvres liées et chaudes avaient le goût du chlore... et ça lui allait bien à lui. Baiser hésitant qui devint plus assuré, plus enivrant de ces émotions contradictoires qui communiquèrent entre elles. Baiser immersif, enivrant d'envie, de désir refoulé muté en frustration, le tout saupoudré de pincées de reproche en arrière-goût. Il en avait des tas des reproches à lui faire... mais il avait zappé d'où ça lui venait et lorsque Hoseok posa une main contre sa nuque pour caresser la ligne de sa mâchoire du pouce, Jo cru bien échapper un souffle appréciateur.

Ce fut au dernier moment qu'il fit sans doute une erreur... au dernier assaut qu'il eut le manque de contrôle de lui retourner cet échange intime en prenant l'initiative de capturer sa bouche pulpeuse entre ses lèvres envieuses. Est-ce ce qui provoqua les prémisses de leur réveil ? Toutes les plus intenses sensations disparurent peu après.

Wu Jo resta immobile. Pas le temps d'imprimer. Pas le temps de tout réaliser. Une nouvelle phrase fut prononcée et un "splash" s'éleva dans la pièce. Bouche légèrement entrouverte de stupéfaction, le bras droit suspendu en l'air, à l'endroit où deux secondes plus tôt se tenait la hanche de son partenaire -à quel moment sa main s'y était posée ?-, le chocolatier commençait enfin à assembler les rouages dans le bon ordre. Toutes les faiblesses qu'il venait d'avoir... Il ne l'avait pas repoussé parce qu'il avait voulu que ça arrive et ça ne datait pas d'aujourd'hui... Il lui avait même renvoyé la balle sans pouvoir se maîtriser mieux que ça... mais avait-ce été une bonne idée de s'être laissé aller ainsi ? Et ici ? Non. Wu Jo commençait a avoir la présence d'esprit de s'inquiéter que les caméras n'aient pas pu s'éteindre à temps mais il n'eut pas celle de vérifier qu'aucun colocataire ne les avait surpris. Effaré, lèvres pincées sur les traces d'un baiser dont il s'était un peu trop délecté, il posa les yeux sur la silhouette de Hoseok qui se mouvait sous l'eau comme si de rien n'était. Sérieusement ? Il fuyait, là ? Il assumait pas ou il avait juste fait ça pour voir et s'en battait les châtaignes ? S'il avait fui, il se serait carrément barré, non ? C'était quoi ce cirque, alors ?!

- Oh ! Hoseok ! Hoseok, tu... Ne rallumez pas les caméras, s'il-vous-plaît !!

Il avait dû se forcer à la politesse avant de plonger vers l'étudiant en science-po pour aller le rattraper. On ne se défile pas de ce genre d'acte avec tant d'aisance, il allait devoir se justifier. Wu Jo vint à sa hauteur, l’attrapa par le bras et l'incita à remonter à la surface avec lui sans le relâcher. C'était de la colère, de l'incompréhension, qui perçaient dans ses timbres vocaux... pas rageuses, loin de là, mais sèches. On aurait pu percevoir ça comme l'odieuse répugnance d'un homme hétérosexuel qui venait de se faire embrasser par un homo' mais... il n'y avait pas une once de dégoût dans les iris chocolat de Wu Jo. Pas une seule.

- Pourquoi tu as fait ça ? D'où est-ce que... Qu'est-ce qui t'a pris ?!

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“le goût chloré de ses lèvres” & Ne tique pas. Ne tique surtout pas. Le retour de ce sourire arrogant sur le visage du mannequin le crispa. Ce sourire maudit qui ne présageait jamais rien de bon. Il n'avait pas du tout cet air-là, tantôt... Wu Jo aurait limite préféré qu'il reprenne son expression fermée, neutre et impassible. Parce que l'arrogance sur ses traits charismatiques était pire et elle lui fit imperceptiblement inspirer une bouffée d'oxygène qui se bloqua dans sa gorge dans l'attente désagréable de ce qui allait suivre. A quoi devait-il encore se préparer avec des yeux comme ceux-là ? Après ce qu'il venait de faire, il allait oser... Eh ouais. Il avait osé. Était-ce bien une surprise, après tout ? La main de Wu Jo, elle, ne pu pas ressentir le froid délaissé par le bras de Hoseok puisqu'elle était retombée dans l'eau comme pour se réfugier dans un lit de chaleur préservatrice mais, au même titre que son cou, sa mâchoire ou son abdomen, elle était crispée et ses doigts s'étaient enroulés en un poing compact. Moui, ça y ressemblait bien, à un test... vu la vitesse à laquelle il s'était détourné pour repartir nager comme si.... comme si ça n'avait pas eu d'impact. Comme si, tel qu'il le disait, ce n'était rien. Si ce qu'il lui affirmait était vrai, Hoseok pouvait s'estimer veinard de se sentir simplement déçu mais c'en était que plus révoltant pour Wu Jo qui avait dû subir -et profiter de...- cette Expérience.

Sa voix était très grave et rauque d'un énervement vibrant lorsqu'il lui répondit :

- Ah, tu veux que j'oublie ? Il eut un petit sourire en coin, très jaune et ironique. Tu veux que j'oublie que tu viens de m'embrasser sans raison particulière ? "Juste pour expérimenter" ? Tu ne te rends pas compte de la portée de ce que tu viens de faire ? Quand tu poses tes lèvres -des lèvres tellement tendres sous les siennes qu'il avait eu l'envie pressante de les manger toute entière, d'où la suave morsure incontrôlable qu'il lui avait donnée, et cette envie insatiable n'avait guère disparue- sur celles de quelqu'un d'autre, ne lui sors pas juste après que c'était pour rien. Ton manque de respect à cinq yen, là, tu le pousses trop loin, Hoseok.

Il avait réussi. Réussi à mettre Wu Jo hors de lui comme jamais il n'avait pu le faire auparavant depuis qu'ils avaient intégré Terrace House, depuis qu'ils s'étaient rencontrés. Le chocolatier ne saurait dire s'il le haïssait sincèrement, maintenant... Il était incapable de démêler tous les sentiments négatifs qui l'assaillaient face aux mots prononcés par le mannequin, d'autant plus blessants qu'ils étaient détachés. Ça ne devrait pas lui faire mal, il devrait y rester imperméable et intouché mais, inexplicablement, ça semblait le saigner d'après l'impression de multiples taillades servies en toute gratuité qu'il sentait s'ouvrir dans sa poitrine. De quelle porte indétectable sortait-elle cette souffrance parasite qui faisait éclore en son coeur une rancune amère ? Nom de dieu, calme-toi un peu, il faut que tu modères tes flammes ! Ce n'était qu'un baiser volé par un égoïste qui n'agit qu'au gré de ses coups de tête ! Ça ne vaut pas la peine de te retourner autant les nerfs, espèce d'idiot. Mais rester de marbre, face à lui ? Comment ? Et puis le problème n'était pas tant son acte que ce qu'il venait de lui déballer avec son inflexible indifférence. A sa façon froide, Hoseok se moquait de lui. En un sens, Wu Jo s'en sentait humilié.

- Non, je n'oublierai pas. Je vais le garder en mémoire. Tout comme je garde en mémoire chacune de tes vacheries les plus récentes parce que tes coups bas, tes piques, j'en ai franchement ras le bol. Et ça, c'était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. La piscine, plutôt. Une expérience... et qu'est-ce qui lui avait mis cette idée dans la tête, d'ailleurs ? Qu'est-ce qui l'avait mené à vouloir la faire cette expérience ? D'où elle te sort, cette impulsion ? Tu pensais que le ressentiment avait un goût ?

Le ressentiment de se faire inlassablement tacler depuis deux mois, jour pour jour. Wu Jo n'attendait pas de réponse à ces sarcastiques questions. Si cela avait été utile, il aurait produit une vague d'éclaboussure assez forte pour le tremper de la tête aux pieds. En représailles à absolument tout. Et ça aurait été épique s'il était alors prêt à partir pour son shooting, vêtu avec classe, sa tenue n'aurait pas survécu et il lui aurait fallu se changer à la dernière minute. AHAHAH ! Il l'aurait eu dans les dents, là ! Sauf que le mannequin avait le bol d'être déjà mouillé jusqu'à la pointe de ses cheveux repoussés en arrière... La part de suggestivité de ce mouvement-là allait pas décoller de ses rétines avant la Saint-glinglin. Qu'aurait-il pu faire pour lui renvoyer la monnaie de sa pièce ? Le chocolatier était peut-être trop hors de ses gonds -plus que de raison... ?- pour espérer trouver une inspiration de secours immédiate. Détournant la tête pour se mordre ouvertement la lèvre et regarder ailleurs lorsque le cadet en rajoute une couche pour lui signifier à l'aide de sous-entendu qu'il le dérange, il dût se contenir pour ne pas exploser. Finalement, se forçant par un effort titanesque à se calmer un minimum, Wu Jo capta de nouveau les prunelles distantes de Hoseok.

- Ne t'avise plus de me rechercher des poux, après ça. Je te jure que si tu me cherches encore, après ce que tu viens de faire, ça va mal se passer. Le pas que le mannequin avait pris pour s'écarter, Wu Jo l'effaça pour se retrouver à quelques centimètres de son visage. Je pense que tu t'es permis de faire ça parce que tu te doutais que je ne te collerais pas mon poing dans la figure. Mais j'aurais pu être de ce bord-là sans que tu le saches. De ces mecs pourris, assez cons et violents pour t'envoyer à l'hôpital dans un sale état, sans remord. Tu prends des risques inconsidérés, si je peux me permettre de tirer ta sonnette d'alarme, Hoseok.

Ce qu'il pouvait être inconscient de s'exposer à de telles remontrances ou même à pire sans même y réfléchir à deux fois... Wu Jo se recula sans tarder, histoire de ne pas céder à ses propres pulsions qui se faisaient très persistantes lorsque Hoseok se tenait à un cheveu de lui. C'était à devenir fou ce qu'il pouvait mourir d'envie de lui montrer sa véhémence actuelle par un baiser très différent de celui qu'ils venaient de s'échanger. Furieux mais prenant aussi prestement la fuite contre ce désir insidieux, il se tourna vers le rebord le plus proche, se hissa à la force de ses biceps et sorti de l'eau chlorée pour aller chercher sa serviette. Lui aussi, il mentait, en prétendant que c'était ce qu'il avait fait qu'il prenait mal. Mais ça l'arrangeait de ne pas revenir sur ce que Hoseok lui avait balancé à la tronche parce que c'était suffisamment douloureux pour qu'il n'ait besoin de déjà se le rappeler.

- Je t'en prie, nage. La piscine est tout à toi.

Son envie de rester était tombée au zéro degré Celsius de toute façon.

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