“RAP ON THE FLAVOR FLOOR” & Mercredi 8 janvier 2020. Roppongi. Unruly Flavor. Le concert avait commencé. Les raies de lumières bleues, violettes, vertes, oranges ou rouges clignotaient, changeaient de teinte, se déplaçaient sur la scène et dans la salle, éclairant des visages curieux, emballés ou stoïques. Plongeant les spectateurs venus prendre un repas animé dans l'ambiance de la fête. Les enceintes vibraient, les clients poussaient des exclamations enthousiastes et les rappeurs jouaient leurs rimes avec talent chacun leur tour. Serveurs et serveuses circulaient entre les tables en hochant de la tête en rythme. Derrière le comptoir de la partie restaurant d'Unruly Flavor, barmen et barmaids s'affairaient dans leurs tâches. Au bout de ce même comptoir, se trouvait un des chefs du projet qui avait créé et mis en place la mission U.F. Il s'appelait Kho Wu Jo, il portait une épingle de cravate en forme de guitare électrique... et ne semblait guère dans le mood festif de la soirée. Appuyé sur ses avant-bras au-dessus du comptoir, les mains jointes, il fixait le sol d'un air errant et semblait même sourd à la musique qui déferlait ses notes entre les murs. Oh, il avait été attentif au début ! Écoutant le DJ qui avait ouvert une nouvelle fois le bal et les premiers artistes qui l'avaient suivi. Il se croyait en boîte de nuit... et c'était indéniablement ce qui avait émoussée sa concentration. Un visage lui était apparu, matérialisé par un fichu cerveau qui ne pouvait se faire mentalement flouer. Un cerveau qui savait interpréter les envies pécheresses du corps auquel il était rattaché. Wu Jo inspira une profonde bouffée d'air et l'expira avec la lourdeur d'une ancre de paquebot aussi imposant que le Titanic. C'est dire le poids que devait avoir cette ancre balancée dans l'océan de son désarroi... Hoseok lui retournait la tête. Il lui retournait les tripes. Il lui retournait les nerfs. Il lui retournait... tout. Le chocolatier était toujours en colère contre lui. Deux -voire trois ?- fois plus depuis qu'il sortait avec Moana. Troublé, Wu Jo s'était laissé prendre par des visions qui ne lui rappelaient qu'avec trop de fidélité et d'exactitude ce baiser aux saveurs chlorées que le mannequin lui avait volé. Deux semaines, quatre jours... et il se trouvait là à s'imaginer glisser ses doigts sur ses clavicules, son torse, ses hanches, ses reins... Tout ça sous un éclairage tamisé… Woh ! Woh ! Woh ! Ok, Jo, tu te calmes, maintenant ! Émettant un grognement, le chocolatier se passa les mains sur le visage en se massant tempes et paupières d'un air mi-las mi-éprouvé.

- Allez, il faut que tu prennes du recul, tu le sais bien... Reviens sur la terre ferme, Wu Jo.
- Ouais, mec, reviens sur la terre ferme, ça va être ton tour ! Je ne sais pas à quoi ou à qui tu pensais mais faut que tu te tiennes prêt à grimper sur scène, alors go !
- Hein ?! Ah oui... Ok,, je fonce !
- C'est ça, fonce !

Cette œillade, ce sous-entendu... Il était pas dupe ce hyung mais, au moins, Wu Jo pouvait être sûr que son collègue ne se doutait pas une seconde de qui avait le pouvoir de lui voiler le regard à ce point. "Fonce"... ce qu'il pouvait être ignorant de lui sortir ça, s'il savait.

- Ah ! Et si jamais tu repères Ji Ho, tu me fais signe !
- Ça marche !

Ils s’échangèrent un pouce en l’air alors que Wu Jo était déjà passé de l’autre côté du comptoir pour se diriger vers la scène d’un pas pressé, rasant le mur. Il faisait bon dans la salle, même un peu chaud, tout le personnel avait retirée leur veste pour se mettre plus à l'aise. Arrivé au pied de la scène, Wu Jo serra la main du rappeur qui venait d'en descendre et lui donna une tape cordiale sur l'omoplate. Puis après quelques paroles échangées, Wu Jo monta sur l'estrade, s'empara du micro sur son trépied pour lancer avec énergie : ' Alors comment ça va, ce soir, les Hot Flavooooors ? ' Des acclamations à ondes positives s'élevèrent du public, il y eut même un ou deux sifflements. Jo fit l'animation pendant près d'une bonne minute pour capter l'attention des clients et se ré-échauffer la voix au passage avant de s'élancer. Trois titres covers successifs interprétés à sa propre sauce épicée. Puisqu'il est sur scène, Wu Jo ne se contente pas de rapper pour le plaisir, son but est de faire passer des émotions, de faire vibrer ceux qui sont là pour ressentir du frisson. Et dieu que c'est dur de bien s'y prendre... Le premier titre traite sur l'amour. Thème universel. Pas fraternel. Pas filial. L'amour qui brûle comme de la poudre à canon, qui nous étourdit comme sous l'emprise d'un alcool au degré élevé, qui nous électrocute sous une périlleuse énergie à haut voltage. Le brasier de passion meurtrière qui rend crazy of jealousy. ' I need to possess you. Totally. ' Le second titre parle de liberté et de ténacité. La liberté d'être soi-même. La force d'affronter les regards de ceux qui nous jugent avec irrespect et inconsidération. Un combat à mener contre l'adversité et l'injustice. Le harcèlement et l'oppression. La fierté de pouvoir clamer haut et fort 'Je suis moi ' sans s'effrayer des répercussions engendrées. Furtivement... cette dernière phrase lui fit penser à un certain séoulite à tête blonde et l'image lui arracha un vague sourire dont le regard se faufilait au-delà de l'endroit présent. Qu'est-ce qu'il faisait le Min-Ho, à cette heure-là, ce soir-même ? Il lui enverrait un petit sms plus tard pour lui écrire une phrase du style "J'ai pensé à toi ce soir ;)" avec une photo marrante en pièce jointe. Quant au dernier titre, il parlait de voyage. A travers le monde, les pays, les continents au-delà des océans. Il parlait des cultures qui différaient et des hommes qui se ressemblaient. Unification d'une humanité aux innombrables caractéristiques qui donnent soif de découverte et de nouveaux horizons.

Ce fut en état de légère sueur qu'il quitta la scène, allant se boire un modeste verre d'eau pour se revigorer, après avoir lavées ses mains moites de stress. Wu Jo avait capté Ji Ho pendant qu'il était sur l'estrade et le chocolatier venait checker auprès des serveurs où le talentueux photographe en était dans son repas avec l'intention d'aller lui porter le dessert lui-même si ce n'était pas trop tard. Ça lui avait remonté le moral de constater la présence du hyung à ce concert. En l'invitant à cette soirée, Wu Jo l'avait prévenu qu'il y aurait les caméras de Terrace House qui seraient présentes et, connaissant sa grande timidité, il avait redouté que ça ne le paralyse au point de ne pas voir apparaître le bout de son nez réservé à Unruly Flavor. Une crainte totalement effacée car Ji Ho était bel et bien là. Wu Jo en était ravi et comptait bien aller s'assurer que son repas s'était bien passé avant que le photographe ne rentre chez lui. Pour se faire, il attendit patiemment que l'autre coréen en arrive au dessert, histoire de le laisser dîner à son aise. Aidant les barmens à préparer quelques cocktails pendant ce temps-là. Ji Ho était très doué dans sa profession. En regardant une photographie, Wu Jo aimait avoir l'impression qu'il suffirait de tendre la main pour passer à travers cette fenêtre et changer d'endroit ou avoir la sensation que l'on pourrait sentir l'odeur des mets gastronomiques immortalisés sur pellicule. Il ressentait ça avec les clichés de Ji Ho et même plus encore. Un petit coup de baguette magique et hop ! ils pourraient prendre vie. D'accord, il l'avait payé pour mettre ses talents aux services d'U.F. Normal, c'était son gagne-pain, il fallait bien qu'il remplisse son compte en banque ! Mais justement, Wu Jo aimait tellement les photos qu'il avait prises pour leur faire de la pub qu'à ses yeux ça méritait largement un repas offert par la maison en remerciement.  Et puis il l'aimait bien donc raison de plus pour lui faire ce petit cadeau.

Le moment venu, Wu Jo prit la commande de Ji Ho avec lui et l'emporta à sa table avec un grand sourire à son adresse.

- Bonsoir, Ji Ho ! Comment vas-tu ?

Il posa l'assiette sur la table devant le photographe, avec couvert et serviette en papier.

- Et un dessert pour Mr Ahn Ji Ho, photographe de génie qui aide Unruly Flavor avec brio à gravir les marches du podium grâce à ses clichés à tomber par terre qui hypnotisent quiconque y pose ses yeux. Bon appétit, bien sûr ! Nous espérons que vous allez vous régaler. Après une petite pause il ajouta : Tu-

Arf, il avait encore un petit peu de mal à le tutoyer naturellement, bien qu'ils n'aient que très peu d'années d'écart. Mais c'était aussi parce qu'il le respectait pour son professionnalisme et ses capacités à mettre en valeur ce qui passait devant son objectif. Son bref blocage lui fit faire une vague grimace furtive avant qu'il ne se reprenne.

Tu m'autorises à rester cinq minutes ? Cela ne t'ennuie pas ?

Même si ça l'ennuyait, il le soupçonnait de ne pas s'oser à le lui faire savoir. Wu Jo en avait peut-être fait un peu beaucoup avec sa pluie de compliments et ça risquait de gêner son interlocuteur mais on ne pourrait pas lui reprocher de ne pas être convivial ni accueillant.

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“RAP ON THE FLAVOR FLOOR” & Mercredi 8 janvier 2020. Roppongi. Unruly Flavor. Ce n'est pas si rare qu'on l'invite pour le boulot, pour aller se boire un verre dans un bar ou pour manger un morceau dans l'un de ces restaurants traditionnels de Tokyo. Ne sachant comment dire non, Ji Ho se retrouve souvent embarqué par des collègues de l'agence à droite ou à gauche. S'il peut l'éviter, il trouvera une bonne excuse pour rentrer chez lui et ne pas devoir tenir la chandelle lors d'un rassemblement de Japonais terminant à moitié ivre en fin de soirée. Les Coréens ont leur réputation de fêtard, peut-être pas la meilleure qui soit au monde, mais Ji Ho est un cas à part. Ce n'est pas un homme de fête, d'alcool ou de délire nocturne dans ce style-là. Lui, il préfère se balader en ville avec son appareil photo et prendre la magie de certains coins dans un cliché éternel. Un souvenir qui pourrait traverser les âges, raviver les mémoires ou tout simplement rendre le sourire à ceux qui l'observent. Généralement quand on lui propose de sortir, il prétexte la fatigue ou du boulot à côté. Il fait des promesses d'une prochaine fois avec une esquisse gênée et les doigts discrètement croisés dans son dos pour ne pas s'attirer les foudres du karma. Si seulement ils pouvaient comprendre le message et lâcher l'affaire, plutôt que forcer encore et encore jusqu'à obtenir l'aval du photographe en détresse. Mais non, tant que ce n'est pas clairement dit en face à face, ils ne relèvent rien et Ji Ho n'est pas du genre à se faire entendre.

Cette fois-ci est différente. L'invitation vient d'une personne avec qui il a travaillé, mais qu'il ne voit pas tous les jours de la semaine, ni toutes les semaines d'ailleurs. Un homme sympathique, qui dégage une bonne aura et ne donne pas particulièrement envie au plus vieux de s'échapper en toute hâte. Quand il lui a proposé de venir à l'une de ses soirées, le pauvre ne savait pas quoi répondre. ça l'embête car il sait d'avance comment la soirée va se dérouler. Trop timide pour l'ouvrir, trop introverti pour se faire remarquer, trop transparent pour se faire rappeler au souvenir des autres ou pas assez bavard pour se donner la sensation d'être de la partie. Il déteste ça, cette impression de ne pas y arriver, d'échouer dans une tâche aussi simple que la communication humaine. S'il s'écoutait, sa vie se résumerait à prendre des photos, sans avoir besoin de s'approcher de sa propre espèce dans l'intention de se civiliser correctement. Le détail qui l'a fait tilter est d'entendre Wu Jo parler d'une soirée sur le thème du rap et des rappeurs. Cette évocation a allumé une ampoule dans le crâne du jeune photographe, curieux et intéressé à la fois par ce spectacle. Lui qui adore le rap et écrire des paroles, il aimerait sincèrement participer à cette soirée. ça n'a pas été si simple, un coup de « ok c'est bon j'y vais » mais plutôt un moment d'hésitation intense entre ce qu'il souhaite vraiment ou ce qu'il pense vouloir souhaiter. Un truc à la Ji Ho, à ne pas douter.

C'est accompagné de sa sacoche contenant son précieux appareil qu'il s'est présenté sur les lieux du rendez-vous. Au final, il voulait vraiment venir assister à ce concert de rappeur, voir ce qu'ils ont en eux et profiter d'un rare moment d'extravagance. Installé à une table, Ji Ho se fait largement bien accueillir par le personnel de Wu Jo, sûrement que la plupart l'ont reconnu, pour ceux l'ayant croisé par le passé. Si le repas est très bon, l'attention du garçon s'est surtout focalisé sur la scène ou sur le petit écran de son appareil photo... Car il n'a pas pu s'en empêcher, de photographier la scène, la foule, les employés, chaque petite chose qui capte son regard. Quand le tour du chocolatier arrive, l'excitation chez le Coréen est à son comble. Un sentiment inhabituel, qu'il éprouve surtout à travers des prises de clichés ou l'écoute d'un flow percutant. Pas une seule seconde il n'a détaché les yeux du rappeur, si ce n'est pour l'immortaliser et conserver ainsi un souvenir de cet instant. Les trois thèmes sont différents les uns des autres, mais chacun possède ses émotions, son public visé, son impact. Ji Ho a songé à son passé durant les premières paroles, à ce qu'était l'amour à ses yeux et le résultat qu'il a eu sur sa personnalité. L'amour l'a rendu plus fermé que dans sa jeunesse, plus sur ses gardes, plus sensible. Il a aimé d'une manière intense, peut-être trop, pour finalement se faire piétiner. L'amour ne le rassure pas, l'amour lui fait peur dans un sens. Le second son est comme un écho dans sa tête, un conseil à conserver pour l'avenir. Il devrait être lui, oser, ne plus avoir la crainte du jugement ou d'être ennuyant, se rebeller contre lui-même pour sortir la tête de sous la surface. Quant au dernier titre, il l'a écouté avec le coeur, avec un sourire, appréciant sa magie et sa douceur.

Le repas a été plus long que prévu, entre les photos et le concert, c'est à peine s'il a pris deux minutes pour manger. Des plats délicieux ceci dit, qu'il se regrette à terminer froid mais c'est entièrement de sa faute pour traîner entre deux services. La commande du dessert passé, il profite de cette pause pour examiner les photos prises depuis le début de cette soirée. La voix familière de Wu Jo lui tire le nez de son écran, relevant son visage avec étonnement.

« ▬ ça va très bien, merci. »

Dit-il en déposant son appareil sur ses genoux, le temps de capter les caméras dans la salle. Il l'avait prévenu pour cette émission, mais voilà qu'il réalise que celles-ci vont se braquer sur lui et précisément sur le chocolatier. Les compliments font toujours plaisir, autant ne pas mentir, mais ceux-ci donnent l'impression à Ji Ho d'être subitement devenu le centre d'intérêt de toute la salle de concert. Malgré la pénombre, il craint que ses joues se colorant vivement de rouge soient aperçu ou pire encore, enregistré. Bon sang qu'il se sent stupide à prendre feu aussi facilement, juste avec quelques mots appréciables envers sa personne. La question de Wu Jo prend son temps pour remonter jusqu'à son cerveau et il en faut deux fois plus pour que la réponse parvienne à ses lèvres.

« ▬ O-oui, bien sûr. »

C'est tout ce qu'il parvient à dire, en espérant que le chocolatier ne prenne pas cette courte réponse comme une façon de lui dire que c'est gênant. ça l'est pour Ji Ho, mais il ne désire en aucun cas que son ami soit touché ou vexé, ni qu'il s'en aille.

« ▬ Je me suis permis... »

Commence-t-il en soulevant son appareil caché sous la table, pour le montrer à Wu Jo. C'est son vice à lui, il ne pouvait pas venir sans l'amener et surtout, sans prendre des photos. Son aveu et son action sans permission n'arrangent rien à son état de stresse, ni aux rougeurs de son visage. Normalement il demande avant d'agir, mais c'était assez difficile de déranger quelqu'un juste pour ça... Peut-être n'avait-il pas le droit.

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