Il y a cette étrange impression de se perdre lorsque sa main s’est dressée et que les poissons sont en train de chanter. Alors Min-Ho, il relève un peu plus la tête et de ces cheveux d’un blond nouveau qui détonne dans ce décor noyé. Ses pas l’ont amené dans cet espace aéré, loin de ses confrères et ses habitudes guindées. Le jeune chef de projet observe chaque mouvement et chaque réaction, en attendant la venue d’une personne pour quelques questions. Coulant un regard en biais de son œil chocolaté, il scrute les émotions qui suintent, qui ne sont pas si différent du sien. Min-Ho a toujours un esprit bousculé, lui qui est suffisamment futé. Mais Ji Ho est une autre perception, loin des siennes et de sa propre vision. Il apprécie grandement cet endroit qu’il ne peut pas autant arpenter. Cela lui paraît évident, mais pour d’autres moins électrisants. Mais Min-Ho, il avait souvent les pupilles dressés vers la terre et les idées éparpillés loin dans les airs. Cette place grouille d’être incarnés qui venaient discuter, s’amuser, s’oublier. En se retournant, il plissa les yeux semblant voir un visage familier avant de laisser entrevoir une exclamation chaleureuse devant la connaissance bienheureuse. Son sourire tantôt effacé avait été remplacé.

— Ji Ho. Merci d’être venu.

Il y a une certaine sympathie véridique, une fierté emblématique. Il octroyait à ce jeune homme un intérêt ficelé pour quelqu’un qui est sont exact opposé. Mais les silences n’étaient jamais gênants, mais davantage reposant. Il n’y avait pas ses paroles futiles et ses gestes inutiles. C’était doux et aérien, tout ce dont il avait en vérité besoin. Son sourire fut plus allégé devant le regard timide qu’on lui offrait.

—  J’espère que tu vas bien ? Je venais un peu aux nouvelles concernant les photos et ta rencontre avec Yoonie. Tout se passe bien ? C’est un peu surprenant la première fois, mais tu n’as aucune inquiétude avec lui.

Il se voulait rassurant, car il savait que son ami était compétant. Puis, au vu de sa personnalité introvertie et l’innocence de Yonnie, il n’avait pas de déraison de l’avoir introduit, pas plus de peur ou de confusion dans cette folie. D’un geste volatile de la paume, il invite son compagnon à le suivre dans cet air aquatique loin d’être monochrome. Cela le mettrait peut-être plus à l’aise d’arpenter cet espace infini pour pouvoir lâcher quelques mots inédits, il n’y avait rien d’interdit, ici.  

L'appréhension parcourt son corps quand ses yeux se posent sur l'heure affichée à l'écran de son téléphone portable. Il est anxieux d'un éventuel retard qui pousserait le garçon à l'attendre, mais aussi à l'idée d'engager une conversation avec lui et de ne pas avoir les mots pour se dépêtrer de sa gêne habituelle quand il est en présence de quelqu'un d'autre. Ji Ho n'a jamais eu de soucis à parler avec son reflet dans le miroir, ni même avec sa famille, alors pourquoi se sent-il aussi inférieur en dehors de ce cocon chaleureux que représentent ses parents? Il s'est toujours demandé à quel moment dans son existence sa personnalité s'est autant cassée la figure. A-t-il toujours été ainsi? Ou l'est-il devenu? Difficile de répondre à une question dont il n'a pas vraiment de souvenir exact. à ses yeux, il a toujours eu peur des autres, de leurs jugements comme de leurs regards. à aucun moment dans son passé il ne se souvient avoir été à l'aise avec son entourage, à part son père et sa mère. Tout ceci lui vient en tête dès qu'il doit faire l'effort de sortir de sa bulle, d'aller vers quelqu'un et de ne pas attendre qu'on vienne systématiquement à lui. Min-Ho l'a invité, mais il aurait pu refuser, sauf qu'il a décidé de se lancer et de ne pas broyer du noir à nouveau.

Les pieds dans l'aquarium, ceux-ci le mènent rapidement à la raison de sa venue en ce lieu particulier mais magique pour le Coréen. Il n'a jamais pris le temps de se perdre parmi des poissons et autres sortes d'espèces marines dont il ignore parfois le nom. Ce n'est pas pour observer qu'il est là, mais bel et bien pour discuter avec Min-Ho. Le brun n'a encore prononcé aucun mot, il s'est contenté d'un salut du menton en arrivant à sa hauteur, puis d'une esquisse timide et maladroite. C'est toujours ainsi avec lui, le son de sa voix est rare et sûrement précieux pour ceux qui ont la chance de l'entendre. Face aux questions du jeune homme, Ji Ho s'encourage mentalement à répondre et à ne pas dire n'importe quoi. Dans ces moments-là, il prend toujours quelques secondes avant d'ouvrir sa bouche.

« ▬ Je vais bien, merci. »

Un murmure, une voix à peine audible se perdant dans la foule alentour. Ji Ho a arrêté de retourner les questions après les nombreux échecs et les réponses passées sous silence. Toutes les fois où il a été courtois en ajoutant un « et toi? », ses interlocuteurs l'ont comme ignoré ou peut-être ne l'ont-ils pas entendu. Dans tous les cas, il n'ose plus demander en retour.

« ▬ Tout se passe bien. Jaeyoon est gentil. »

Sa lèvre inférieure se retrouve prisonnière de ses dents, comme s'il venait de dire un truc dérangeant. Ce n'est qu'un compliment envers le jeune hackeur, pourtant il a la sensation de faire un faux pas. L'invitant à le suivre, Ji Ho hoche sa tête et avance en gardant une légère distance avec son homonyme. C'est inhabituel pour lui de marcher à côté de quelqu'un, comme d'égal à égal. C'est surtout plus simple d'observer son dos qu'essayer de regarder son visage du coin de l'oeil. Quant à l'éventualité qu'il soit devant et scruté à son tour le dérange autant que faire face à quelqu'un.
 

Une timidité dont il avait du mal à en comprendre tout les secrets, lui qui vivait auprès des autres depuis tant d’années et qui ne pouvait se permettre de ne pas bavarder avec des personnes qui ne faisaient que le quémander. La parole était un des pires fléaux jamais créé, qui pouvait nuire et détruire avec quelques piques acérées, Min-Ho le savait lui qui en faisait régulièrement les frais. Même si aujourd’hui encore, il en était parfois accablé, il finissait toujours par se relever. De ce fait, il pouvait comprendre le mutisme de certains à devoir ajouter quelques questions avant de se rétracter de peur de blesser ou d’être oublié. Ainsi, il hoche la tête un geste entendu et le jeune chef de projet pouvait aisément constater à quel point cela était compliqué pour son invité de communiquer, même pour de simples banalités. Il ne l’accusait aucunement et allait prendre ce qui lui donnerait l’espace de cet instant pour Ji Ho qui essayait si vaillamment.

— Tant mieux. Je ne t’ai pas dérangé durant une séance ou ton jour de repos, je l’espère ? J’ai pensé que l’aquarium serait adapté pour qu’on soit plus tranquille.

Et ainsi éviter toutes les personnalités guindées qu’il côtoyait. Il pouvait déambuler sans s’arrêter et se poser pour une éternité. Coulant un regard vers les animaux aquatiques et profité de la beauté, il laisse un léger silence s’installer avant de reposer parfois ses pupilles sur un Ji Ho empli de timidité. Min-Ho ne souhaite pas tellement bousculer son ami qui avait répondu en se sentant, comme, dérangé ? Ses cils avaient papillonné. Il n’avait pourtant rien dit de mal pour qu’il arbore cet air peu jovial. Le blond continue d’avancer sans être particulièrement vexé par la distance installée.

— Trop même. Mais c’est pour cela que je te l’ai présenté. J’ai laissé des bonbons et d’autres chocolateries, je te les donnerai tout à l’heure. Tu aimes tous types de chocolats ?

Min-Ho commandait toujours plus afin de palier aux personnes qui s’invitaient lors des mariages ou soirées. Mais depuis qu’il passait plus de temps avec Yoonie et revoyait son chocolatier, il a tendance à plus en acheter. C’est une occasion de faire goûter à des nouveaux palets et être paré à de nouvelles opportunités pour son ami retrouvé. En général, le chef de projet ne parlait pas spécifiquement du travail dont chacun s’occupait, mais avec Ji Ho et son manque d’assurance en société, il était préférable pour le moment d’opter pour cette éventualité et ne pas l’effrayer.

— Tu arrives à trouver tes masques à la SK, il me semble que tu y travailles ?

Ne pas tant se précipiter pour qu’il puisse s’y accommoder. Cela était assez particulier, mais était tout de même un bon exercice pour Min-Ho qui sentait qu’il pouvait parler en toute tranquillité tout en faisant attention à rester dans un cercle privé au sein de l’aquarium si peu bondé.

C'était un combat de tout instant avec Ji Ho. Il a peur d'en dire trop et de blesser les gens, d'être inintéressant ou de se sentir ignoré. à contrario, il craint que s'il n'alimente pas assez la conversation, son interlocuteur se détache rapidement de lui. Quoi qu'il fasse, il pense que ça mènera à rien de bon pour lui ou pour les autres. Alors quand il rencontre quelqu'un de compréhensible comme Min-Ho, le photographe se sent soulagé. Certes, il garde ce doute permanent de perdre l'organiseur au détour d'un long couloir en sa présence. S'il ne dit rien, il pourrait se laisser. S'il en dit trop, il pourrait le vexer. à quel moment doit-il choisir et que doit-il choisir? C'est dans ces instants-là qu'il préfère ne pas se mêler au commun des mortels.

« ▬ Non, pas du tout. C'est parfait. »

L'aquarium est un endroit parfait, c'est ce qu'il voulait dire en faisant court. Min-Ho ne l'aurait pas dérangé si c'était un jour de repos, faut bien qu'il ait du temps libre pour le rencontrer. L'atmosphère de l'aquarium est reposante, tout comme ce silence qui s'impose rapidement entre eux. Ji Ho a l'habitude de ce calme, il vit dedans la plupart du temps et l'affectionne particulièrement quand il n'a pas besoin de s'interroger sur son entourage. Ce n'est pas Min-Ho qui cause la gêne chez son aîné, mais lui-même. Il n'a besoin de personne pour se refermer ou pour hésiter, juste de sa propre conscience.

« ▬ Euh, oui. »

Question bien étrange, il ne s'est jamais demandé s'il aimait toutes sortes de chocolat ou non. Cette question le fait autant réfléchir qu'elle apaise son mal-être. Où a-t-il laissé tout ça? Deux secondes plus tôt, ils parlaient de Jae Yoon et là, de bonbons et chocolateries? Le fil de cette conversation le rend perplexe, mais au moins il arrête de penser à ce qu'il devrait ou ne devrait pas faire avec lui.

« ▬ Tout doucement. ça fait déjà quelques mois que je travaille là-bas. »

Depuis le temps, il devrait se sentir à sa place et c'est le cas. Quand il travaille, quand il est à fond dans un projet, il se sent vraiment bien. Le hic, c'est qu'il a parfois ou bien trop souvent du mal avec les autres employés.

« ▬ Dis-moi ... Pourquoi l'aquarium? Aimes-tu les poissons? »

C'est la première question qu'il ose demander à Min-Ho, tout en songeant à la sienne sur le chocolat. C'était une question banale, comme celle qu'il vient de poser à l'instant. Maintenant qu'il regarde bien l'endroit, il le trouve magnifique au point de se demander pourquoi n'est-il pas venu visiter plus tôt? Il pourrait prendre des photos, immortaliser le lieu tel qu'il a l'habitude de le faire.
 

Il n'a pas pour habitude qu'on l'interroge sur son boulot ou sur sa vie en général, surtout quand il ne sait pas quoi dire pour argumenter une réponse assez vaste à la base. Avec Ji Ho, c'est des oui et des non, mais beaucoup plus de oui qui devient des fardeaux à la longue, quand il ne sait pas dire non ou refuser si ça ne lui plaît pas. Malgré tout, il aime son métier et ne voudrait le changer pour rien au monde. Ce n'est pas tous les jours facile, il n'y a pas que des personnes gentilles ou attentionnées comme Min-Ho. Certains lui donnent du fil à retordre et autant de stresse que de crainte pour ses travaux. Pourtant il n'a pas le droit d'abandonner, ni de ralentir sa cadence en réfléchissant trop.

« ▬ Oui, ce n'est pas toujours évident, mais... Je m'y plais assez bien. »

Autant ne pas mentir ou dissimuler la vérité. Il y a des jours avec, des jours sans, ça n'a rien d'exceptionnel. Le staff de l'agence est sympathique, mais quand ils ont du boulot, peu de temps, de la pression, tout devient plus compliqué pour le photographe qui ne sait pas vraiment gérer les gens sous tension. Lui-même ressent cette sensation de panique, d'étouffement, de perdition et ce serait mentir s'il disait bien le vivre. Quant aux idoles ou aux trainees, elles ne sont pas toutes pareilles et n'ont pas forcément en tête la connaissance du savoir-vivre. Ce qui désespère Ji Ho, incapable de se faire entendre face à quelques cas bien téméraire, aussi borné que des mules. Il ne tient pas tellement à débattre sur ce sujet, préférant interroger Min-Ho sur la raison de cet endroit.

« ▬ Oui, c'est vrai. »

Il ne l'avait pas remarqué avant que Min-Ho ne le souligne, mais l'aquarium est presque vide de monde. Ils croisent très peu de personnes et ils ont la chance de pouvoir observer les poissons en toute tranquillité, mais le plus important reste le fait que l'organisateur se soucie de l'autre en choisissant un endroit idéal pour son tempérament introverti. Ji Ho se sent aussi embarrassé que conquis, sentant le coin de ses lèvres s'étirer malgré lui pour former une légère esquisse. C'est difficile pour lui de savoir pourquoi son cadet est si gentil, si attentif. Est-il ainsi avec tout le monde ou seulement avec lui? Une question à laquelle il n'aurait aucune réponse s'il ne venait pas à la poser directement.

Le geste de Min-Ho surprend le brun, qui capte la forme évidente de ses doigts. Un objectif, comme celui d'un appareil photo. Est-ce un message qu'il tente de lui faire passer à travers ce simple geste? Décidément, il devine assez facilement la trame de ses pensées quand il n'ose rien dire. Ji Ho sourit davantage, hochant lentement son visage. Il a totalement raison.

« ▬ Tu as raison. J'y pensais à l'instant. ça ne te dérange pas? »

Demander la permission avant d'agir, c'est du Ji Ho tout craché. Le garçon a toujours son appareil sous le bras, bien au chaud dans sa sacoche qui, elle-même, est dans un sac. Tirant cette dernière hors de sa place, il dévoile l'un de ses appareils ne le quittant jamais. Ce n'est pas le plus gros modèle, ni le plus performant, mais c'est celui qu'il peut amener partout avec lui. La qualité est bonne, le zoom permet de voir des détails assez loin et il est léger à porter.

« ▬ Je le prends toujours avec moi ... »

Il ne sait pas pourquoi cette information quitte le fil de ses pensées, formant une phrase audible et distincte. Min-Ho se doutait-il de la présence de son matériel dans son sac à bandoulière? Ou a-t-il dit ça comme ça, sans fondement? Dans tous les cas, il se sent l'âme d'un photographe dans cet endroit. Les lumières, l'ambiance, les poissons, même Min-Ho, chaque élément est parfait aux yeux du Coréen qui sent déjà son attention se dissiper un peu partout sans parvenir à la focaliser sur un point précis.


 

Quand on parvient à cerner Ji Ho, les choses deviennent moins compliquées. Il faut savoir le prendre par les sentiments mais sans exagération, sinon il prendra peur. C'est comme un chaton sauvage, il faut attendre qu'il s'habitue à la personne et lui laisser le temps de comprendre que celle-ci n'est pas méchante, le nourrir tout en étant patient et un jour il viendra naturellement vers vous. Ji Ho, c'est pareil. Il est méfiant et distant aux premières rencontres, puis il ose répondre brièvement à vos questions avant de savoir comment les poser à son tour. C'est ce qui arrive avec Min-Ho, au début il était très silencieux, puis il a trouvé comment répondre sans se confondre avec une borne à incendie et tout doucement, il cherche à rendre les interrogations. La photo aide beaucoup aussi, Min Ho lui donne une prise de vues magnifiques et l'autorisation de se faire plaisir tel un enfant avec un jouet de Noël fraîchement déballé. Le doute fait partie de sa vie, il ne le quitte presque jamais. Min Ho lui demande de ne pas l'écouter, de faire confiance à son coeur et de se lancer dans ce qu'il sait faire de mieux.

Poussé par Min Ho, le jeune photographe sert son trésor contre lui avant d'inspirer un bon coup et de remercier le blond d'un mouvement du menton, ainsi qu'une esquisse. Il n'a pas besoin d'hésiter, ni de se poser autant de questions, mais juste d'agir comme il a l'habitude de le faire quand il se sent emporté par ce désir, cette passion. Portant son appareil à son visage, Ji Ho se sert surtout de son objectif pour imprimer les images dans la mémoire, observant chaque prise sur l'écran pour s'assurer qu'elle soit fidèle à son regard. Son sourire ne cesse de s'agrandir tandis qu'il photographie les poissons, le décor des aquariums, les différentes espèces vivantes paisiblement dans ce cadre fantastique. Parfois il dérive, s'arrêtant sur les quelques rares âmes errantes parmi eux, puis il dirige son objectif sur un autre point et continue ainsi quelques minutes avant d'en finir. Min Ho à ses côtés, il le laisse regarder ce qu'il a capturé jusqu'à maintenant.

« ▬ Merci. ça me touche vraiment ce que tu me dis. »

Il est heureux, même s'il ne sait comment le montrer et l'exprimer, il se sent apaisé et en sécurité dans cet endroit, à côté de Min Ho. C'est une sensation qu'il n'a pas éprouvé depuis bien longtemps, qu'il a souvent négligé par crainte d'être à nouveau déçu ou ébranlé. Le sujet se concentre peu à peu sur la photographie, un domaine dans lequel il s'y connaît suffisamment pour répondre.

« ▬ Chacun voit le monde à sa façon, c'est pareil pour la photographie. »

Assure-t-il, d'un regard doux. Il ne peut pas affirmer que sa vision du monde est meilleure qu'une autre, seulement que c'est la sienne et qu'elle est forcément unique en son genre. La visite continue et le brun ne se lasse pas d'admirer les habitants aquatiques, ni de sortir son appareil à la moindre occasion. Les méduses sont sublimes, c'est ce qu'il préfère dans un aquarium. Elles ressemblent à des fantômes, toute en transparence. Ji Ho n'a pas attendu la requête de son ami pour s'autoriser à photographier la suite, braquant son objectif sur la silhouette du jeune homme l'accompagnant et se permet de presser le bouton déclenchant la prise de photo. Il y a eu deux clichés, l'un d'eux est de dos, alors que le second tombe pile sur l'instant où il se retourne et le regarde.

« ▬ Désolé. C'était vraiment tentant de ne pas le faire. »

Peut-il lui affirmer qu'il est photogénique ou qu'il ferait un excellent modèle? Aucune chance qu'il le formule ainsi, pourtant la photo parle d'elle-même. Pour se faire pardonner, il tend l'objet à l'autre dans l'intention de lui montrer l'image, tout se mordillant la lèvre d'embarras.
 

Les éloges de Min-Ho sont similaires à des images données aux enfants quand ils font du bon travail à l'école. Plus ils en ont, plus ils se sentent fiers. Dans le cas de Ji Ho, plus ils reçoivent de compliments sincères, plus il réalise à quel point ils ont très certainement raison et que son boulot faut le coup. Il est heureux le photographe, ça ne doit pas facilement se voir avec son air intimidé et son mordillement de lèvre, mais il l'est réellement. Min-Ho ne pouvait pas lui dire mieux pour créer ce sentiment de joie, de paix. Dans un sens, cela redonne peu à peu confiance en ses propres capacités, tandis qu'il le suit plus en amont dans l'aquarium. L'espèce change, de poissons, ils se trouvent devant des méduses et une ambiance plus sombre. L'endroit est sublime, le préféré du jeune Coréen qui s'éternise un peu sur ses clichés jusqu'à prendre l'autre en photo. Sans son autorisation, Ji Ho se sent en faute, donc il s'excuse pour cette action automatique. Heureusement qu'il rit, en disant que ce n'est rien.

« ▬ Tu veux voir? »

Hasarde le brun, son appareil entre ses mains. Pour être photogénique, il l'est carrément. Ce n'est pas une chose qu'il pourrait aisément dire à l'autre, mais il le pense vraiment. S'approchant de lui, Min-Ho récupère l'appareil pour examiner les images prises durant les dernières minutes. Le sourire du plus jeune apaise toutes les craintes de l'artiste, balayant doucement sa panique qui venait de le saisir en cet instant. Il avait peur d'être mal noté, mais ce n'est pas le cas. Juste? Si son sourire l'a rassuré, ses paroles ont l'effet inverse. Ji Ho sent à nouveau le monstre s'éveiller en lui, guettant dans l'ombre une brèche où s'infiltrer pour venir le terroriser.

« ▬ Que veux-tu dire? »

Il n'est pas sûr de comprendre et c'est étonnant qu'il pose la question. Reprenant son précieux avec délicatesse, il ne s'attendait pas à ce que Min-Ho prenne son portable et utilise l'outil photo sur eux. L'espace d'une seconde, le coeur du plus vieux s'est étrangement agité. Surprise et incompréhension se mêlant dans une valse synchronisée. Ce n'est peut-être pas la première fois qu'on le prend en photo, généralement sans son accord et de loin, mais là... Min-Ho l'a prise en face à face avec l'objectif, comme des amis prendraient un selfie. Et c'est le ressenti de Ji Ho quand il admire ce simple cliché.

« ▬ Je- »

Les mots ne viennent pas, il est encore saisi par la stupeur et le sentiment d'avoir franchi une nouvelle étape à laquelle il n'a jamais songé auparavant. Prendre une photo avec un ami. Cette dernière n'avait pas besoin d'être parfaite ou prise avec expertise pour transmettre une émotion à ceux qui l'observent. Une photographie est bien plus belle et saisissante quand le contexte se prête au jeu. L'un ou l'autre pourra repenser à ce qu'il s'est passé à ce moment-là quand ils regarderont l'image. La proposition suivante ne le laisse pas insensible. Ji Ho calme les battements de son coeur pour se concentrer sur l'offre de son cadet.

« ▬ J'ai un compte instagram pour mes photos, sinon ce sont les photobook de l'agence pour la plus part. »

Quand il ne trouve pas des petites offres par-ci, par-là, mais qui n'appartiennent pas vraiment à lui.

« ▬ ça ne me dérange pas, si tu veux les montrer. »

Ji Ho se prononce par point, répondant lentement aux interrogations de son ami. Il a besoin de réfléchir avant de dire un truc, par peur d'être trop pressé ou imprécis. Quand il parvient à se décider lui-même sur quels mots employés ou quelles phrases formulées, alors il ne se retient pas plus.

« ▬ ça me ferait très plaisir d'avoir d'autres contrats. »

C'est sûrement la meilleure chose qu'il puisse répondre, se convainquant lui-même de ses propres paroles mais aussi de son choix. Si les gens pouvaient penser comme Min-Ho, mais aussi s'intéresser à la personne derrière l'objectif qui ne demande qu'à grandir et à évoluer, dans ce cas tout serait beaucoup plus simple pour lui. C'est vrai que Ji Ho n'est pas le plus audacieux, ni le plus sociable de tous, mais ce n'est pas une décision qu'il a prise avec joie ou en étant pleinement d'accord avec lui-même. C'est plus par frayeur, guidé par ses incertitudes et ses vieux démons. Qu'on se moque encore de lui, qu'on le prenne pour le dernier des idiots, qu'on le manipule pour mieux le jeter, qu'on le critique ou l'attaque personnellement sur ce qu'il est. Sa passion le maintient en équilibre, la photographie lui donne une chance de ne pas être rangé de côté et oublié.