Je me sens mal, je me sens si petit, quand je deviens seul si tu es témoin de mes larmes, trace ta route.

— 17 AOÛT.
☾☾☾

J’ai rencontré Miran fin de l’année dernière et depuis notre première rencontre au temple, nous avons gardé contact et elle est devenue à mes yeux, une amie. Plusieurs fois, elle est sortie avec Jiyeong et moi, parfois juste tous les deux. Nous parlons sur Line et d’autres réseaux et avec les nombreux échanges et moments partagés, elle est devenue quelqu’un que je veux protéger et que j’apprécie beaucoup. Cette jolie jeune femme m’a fait sourire et rire et elle le fait encore aujourd’hui. De ce que j’ai pu constater chez elle, c’est son côté assez froid avec les autres, renfermé et tout de suite sur la défensive. Et quand je lui parlais, elle était plus douce, aimable et souriante. Mon estime s’élevait en voyant cela, pensant que j’étais peut-être un peu différent des autres dans son cœur, de manière positive. Qu’elle soit distante avec les autres, je m’en fichais dès qu’elle était proche de moi. Parfois, j’étais égoïste et je dois avouer, qu’à ce moment, penser qu’à moi ne me dérangeait pas une seule seconde.

Hier matin, une personne anonyme m’a envoyé un message sur Line, avec des screen. Une fille m’informa qu’elle était une ancienne camarade de classe de Miran et qu’elle avait été harcelée par cette dernière pendant ses années scolaires. Elle ajouta d’autres informations, comme le fait qu’elle n’était pas la seule à avoir subi les actes violents de Miran et que je devais me méfier d’elle.

L’horreur s'agrippa la gorge, je ne m’attendais pas à lire ce genre d’information et surtout apprendre cette facette d’une personne que j’appelais “Amie”. Le fait d’y penser, me projeta quelques années en arrière. Au lycée, je subissais aussi des coups et des humiliations de la part d’une bande. J’ai dû supporter ce harcèlement toute une année jusqu’à la fin de l’école, après avoir obtenu mon diplôme. J’en vomissais encore des mois plus tard. J’en faisais des cauchemars et je m’étais davantage renfermé sur moi-même.

Imaginer que Miran soit pareil que Kannon, l’un des mecs qui m’a le plus traumatisé était impossible. Je devais l’entendre de sa bouche, connaître la vérité.

Hier soir, je lui avais envoyé un message pour l’inviter à me retrouver vers quatorze heures au temple Ohno. Dernièrement, nous étions en vacances scolaires, donc nous avions moins de contraintes horaires pour les sorties que d’habitude. Ne travaillant pas l’après-midi, je réservais du temps pour la rencontrer, le cœur serré.

Pile à l’heure, j’arrivais à l’intérieur du temple. Stressé, j’ai le visage baissé, peur de voir son visage, effrayé de lui faire face et d’apprendre quelque chose qui me rendrait très triste.

Je me sens mal, je me sens si petit, quand je deviens seul si tu es témoin de mes larmes, trace ta route.

— 17 AOÛT.
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Jun est le premier ami que je me suis fait au Japon… que je me suis fait tout court… Les autres n’étaient pas de vrais amis. C’était des gens que je fréquentais parce que j’y étais obligée. Je ne les aimais pas et ils ne m’aimaient pas mais en Corée je devais garder une certaine image et être à la hauteur des espérances de ma mère. Pour ça, j’ai fait des choses dont je ne suis pas très fière et que je regrette aujourd’hui. Mais qu’est-ce que j’y peux ? Ce n’est pas comme si je pouvais changer le passé ni ce que j’ai fait. C’est pour ça que je vais de l’avant et que je veille à devenir une meilleure personne. Pour ça, l’amitié de Jun m’y aide beaucoup même si ce n’est pas tous les jours faciles de ne pas être une peste. Après tout, chassez le naturel, il revient au galop. Alors on ne peut pas dire que mon cercle d’amis soit très grand, ni que je suis très appréciée dans autres mais ce n’est pas grave. Je me dis que ce n’est pas en un an que je vais devenir parfaite. Tant que je fais de mon mieux, ça compte non ? En plus je n’ai harcelé personne depuis que ma sœur a quitté le Japon et je n’ai pas été délibérément méchante avec qui que ce soit. Si j’ai blessé quelqu’un, c’était toujours involontaire… quoique… laissez moi y réfléchir…

Bref, j’ai rendez-vous avec Jun au temple Ohno aujourd’hui. Rien de bien extraordinaire. Nous sommes amis et nous nous voyons régulièrement. Il n’y a qu’avec lui que j’arrive à être réellement douce, sans la moindre arrière-pensée ni once d’hypocrisie. Je ne sais pas trop pourquoi… peut-être parce qu’il a été la première personne à avoir été réellement gentil avec moi ?

Sans vraiment me poser plus de question sur ce rendez-vous, je me dépêche de l’y rejoindre. J’ai quelques minutes de retard, alors je cours un peu et c’est essoufflée que je me présente devant lui. Essoufflée mais souriant :
« Bonjour Jun ! J’espère que je ne t’ai pas fait trop attendre ! »

Je me sens mal, je me sens si petit, quand je deviens seul si tu es témoin de mes larmes, trace ta route.

— 17 AOÛT.
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J’entends sa voix me parler, mais j’ai toujours le visage baissé. Je ne parle pas durant quelques secondes. Je sens mon estomac se tordre dans tous les sens. Mes mains tremblent, car je ne sais pas comment agir face à cette situation. Clairement, je ne me sens pas dans mon assiette. La pensée de Miran comme une harceleuse me fend le cœur et me replonge dans mes anciens démons. Je ne peux pas m’empêcher de l’imaginer dans la bande de Kannon et de mon côté, être à la place d’une de ses victimes. Imaginer mon amie faire ce genre de choses me fait très mal et m’angoisse.
Il faut que j’en sois certain. Peut-être que la fille a spéculé et que Miran n’est pas ce genre de personne. Elle m’a peut-être dupé en racontant des histoires au sujet de mon amie juste pour faire du mal à Miran ou à moi ?

Le souffle coupé, je tente de parler enfin. “Miran… je dois te parler de quelque chose.” Je ne l’ai même pas salué, ce qui n’est pas commun chez moi. Toujours, je salue autrui. Je suis de nature gentille et polie. Alors, il est facile de comprendre rien qu’à cette action que quelque chose cloche.

Hésitant au début, je me décide quand même de poser ma main un peu plus bas de son poignet et lentement, je l'emmène avec moi pour qu’on puisse s'asseoir sur un banc.

Assis, je la lâche et me recroqueville légèrement. Je pense à comment je devrais aborder le sujet. Sauf que même si j’essaye plusieurs choses, dans ma tête, rien ne fonctionne. C’est le bazar.

Oui, rien ne va.
J’ai trop de tracas.
Elle est là, juste à côté de moi.
Je dois faire le premier pas.
*N’aie plus peur et déclare-toi.*

“Miran.” Je sors mon portable de ma poche et lui montre le fameux message avec les screens que m’avait envoyé la fille. “Es-tu vraiment la personne dont-elle parle ?” La bouche entrouverte, j’attends avec suspens sa réponse, le cœur battant la chamade par peur.

Je me sens mal, je me sens si petit, quand je deviens seul si tu es témoin de mes larmes, trace ta route.

— 17 AOÛT.
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Trop occupée à reprendre mon souffle, je ne remarque pas immédiatement que quelque chose cloche. Ce n’est qu’au bout d’un moment que ses mains tremblantes attirent mon attention. Surprise, je le dévisage longuement tout en fronçant légèrement les sourcils. On dirait que ça ne va pas. Est-ce qu’il se sentirait mal ? Il aurait attrapé froid ? Nous sommes en été et bien qu’il fasse chaud en ce moment, on se laisse facilement avoir par la climatisation et le changement de température mais en l’observant de plus près j’ai l’impression que c’est autre chose. Est-ce qu’il se serait passé quelque chose de grave ?
« Jun ? Tout va bien ? »
Sans répondre à ma question il me dit qu’il doit me parler. J’acquiesce, terriblement inquiète de le voir ainsi. Il faut dire que Jun est mon seul ami. Il est le premier que je me suis fait ici et sa gentillesse m’a tellement touchée à notre rencontre que c’est ce qui m’a poussé à devenir meilleur. Oui, c’est pour ça que je tiens autant à lui. Il est cette influence positive dans ma vie qui m’aide à garder le cap et à poursuivre mes efforts pour être une bonne personne ou plutôt pour le devenir réellement. Alors le voir ainsi me fend le cœur. J’aimerais pouvoir l’aider mais j’imagine qu’il ne va pas tarder à m’expliquer ce qui le tourmente.

Jun n’est pas dans son assiette mais je préfère ne pas le harceler de question et j’attends de savoir ce qui se passe. Il me guide d’abord vers un banc sur lequel je m’assois avec, avouons-le, une boule au ventre. Cette attente est insupportable mais je veille à ne pas le brusquer. Après un silence qui m’a semblé être une éternité, il sort son téléphone portable et me montre quelque chose qui me laisse sans voix. Refermant mes doigts tremblants sur l’appareille qu’il me tend, je parcours les screens tout en sentant mes yeux commencer à me piquer alors que mes entrailles se nouent encore plus douloureusement que précédemment.
« Mais qui t’a envoyé ces horreurs Jun ? »
Je ne réponds pas à sa question. Je ne peux pas. D’ailleurs c’est avec beaucoup de difficulté que j’ai pu articuler ces quelques mots. L’expression de mon visage me trahis certainement et je devrais me défendre ou lui expliquer que ce n’est pas ce qu’il croit mais je n’y arrive pas. Ou plutôt rien d’autres que ces quelques mots ne sortent de ma bouche :
« Jun je suis désolée. »
Des larmes coulent à présent le long de mes joues alors que je suis totalement paniquée. Qu’est-ce que je peux bien lui répondre ? Tout est vrai et pourtant je ne suis plus comme ça. J’ai commencé à changer depuis que je l’ai rencontré ! Je ne suis plus la même et je ne me comporterais plus jamais de cette façon.

Je me sens mal, je me sens si petit, quand je deviens seul si tu es témoin de mes larmes, trace ta route.

— 17 AOÛT.
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Non, franchement, ça n’allait pas. Je stressais et je ne savais pas comment réagir face à elle. Pourtant, avant cette annonce, tout allait bien. Miran et moi, on parlait facilement, même si je restais toujours courtois avec elle ; peut-être des instincts de chevalier servant. À mes yeux, Miran était une princesse, quelqu’un de noble et d’éblouissant pour qui je devais être gentil, à l’écoute et choyer. Elle était très belle presque comme une poupée de cire que n’importe quelle personne voudrait avoir près de soi.
Mais cette poupée, délicate à mes yeux, n’était peut-être pas aussi douce que je le pensais.

Le portable qui lui est tendu, elle l’attrapa pour y jeter un œil. Silence anxieux. Des secondes affligeantes jusqu’à sa réponse. Celle qui ne disait ni “Non” ni “Oui”. Mais même si cette réponse n’était pas directe, je compris le sens de ces mots.
Le visage aussitôt baissé, la lèvre inférieure mordue, les boyaux tordus, j’étais chamboulé.

Les souvenirs et le traumatisme m’empêchaient d’avoir les idées claires et je ne pouvais pas désaccorder Miran avec la bande du lycée qui s'était amusé de moi.

Alors, ma vision devint trouble jusqu’à ce qu’elle se libère d’une larme.
La gorge serrée, le corps tout entier se tendait à cause des mauvaises pensées qui traversaient mon esprit. Sentant d’autres larmes prêtes à couler, je récupérais mon portable en gardant le visage caché.

La tension n’étant plus supportable, je raclais la gorge et d'une voix tremblente je lui disais avant de me lever : “Je dois y aller.” Sans attendre une seconde de plus, je commençais à marcher d’un pas plus ou moins rapide vers la sortie et une fois hors du champ de vision de Miran, je me suis mis à courir. J’avais un besoin d’extérioriser cette douleur du passé qui était revenue me hanter.

Peut-être que Miran avait changé, peut-être qu’elle était toujours cette personne sauf avec moi ou peut-être qu’elle se jouait aussi de moi. J’étais paumé et pour l’instant, j’avais besoin de prendre du recul pour retrouver toute ma tête.

Pendant plusieurs jours, je n’ai pas donné ou pris des nouvelles à Miran.
Six jours après, je lui avais laissé une peluche de 65 cm au bas de sa porte de la résidence. C’était un lapin tout blanc, avec un mot.

Jun a écrit:

Je devais te l’offrir.

J’en avais une pour elle et Jiyeong, deux personnes que j’aimais et estimais beaucoup.

Pour l’instant, je préférais garder mes distances avec elle, pour être prêt à l’écouter si un jour, elle souhaitait davantage s’expliquer. Je ne voulais pas la haïr, la détester ou penser de mauvaises choses vis-à-vis de cette jolie fille, qui était pour moi, une poupée de cire.

Je me sens mal, je me sens si petit, quand je deviens seul si tu es témoin de mes larmes, trace ta route.

— 17 AOÛT.
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Il ne dit rien et moi non plus. Je suis incapable de dire quoi que ce soit et à cet instant j’aimerais juste qu’il comprenne. Quoi ? Je n’en sais rien. Peut-être que si je lui expliquais tout il ne me jugerait pas aussi sévèrement mais pour ça il faudrait que je puisse parler et je m’en sens juste incapable. Jun récupère son téléphone portable et je n’oppose aucune résistance. J’aimerais le retenir mais je ne fais rien lorsqu’il me dit qu’il doit partir. Je me contente d’acquiescer d’un signe de la tête sans vraiment savoir s’il l’a vu puisque je garde moi-même la tête baissée. J’ai peur de voir l’expression de son visage mais également de croiser son regard. Alors je reste là, bêtement assise et je me retiens de pleurer alors que j’ai certainement perdu mon seul ami.

Après ça, nous ne nous sommes pas revus ni envoyé de message. Plusieurs fois j’ai commencé un mail ou un sms sans oser le terminer, ni l’envoyer. Comme au temple, les mots ne veulent ni sortir de ma bouche, ni s’écrire. Alors j’attends tout simplement qu’il revienne vers moi ou qu’on se croise fortuitement parce que je n’ose pas frapper à sa porte.

Cela fait six jours depuis que j’ai parlé à Jun pour la dernière fois. Je compte les jours et un peu les heures comme pour une rupture amoureuse. Je ne pensais pas que perdre un ami faisait si mal mais lorsque je trouve cette peluche devant ma porte, je sens mon cœur battre soudain plus fort et l’espoir m’envahir. Je n’ai pas besoin de lire le mot pour savoir que c’est lui. Ça lui ressemble bien. Je prends délicatement la peluche et entre dans mon petit appartement. Une fois installée à mon bureau, je lis et relis la petite phrase griffonnée par Jun et qui me donne le courage de lui écrire une lettre que je vais glisser sous sa porte.
« Jun, tout d’abord je tenais à m’excuser pour mon long silence. Tu attendais des explications et je n’ai pas été capable de t’en fournir. J’aimerais te dire que tout ça est faux mais je ne veux pas te mentir, pas à toi qui est mon seul et unique ami. Quand je vivais en Corée, j’ai fait des choses impardonnables et terribles. Je n’ai aucune excuse pour ce que j’ai fait et je ne m’en chercherais pas. J’ai toujours cru que si on ne voulait pas être écrasé par les autres, il fallait les écraser les premiers mais en te rencontrant je me suis rendu compte que c’était faux mais également que l’amitié excitait réellement et tu m’as donné envie d’être une meilleure personne. Je ne suis pas parfaite et je suis loin d’être une gentille fille mais j’essaie sincèrement de changer et jamais je ne te ferais de mal, je te le promets. Alors si tu veux bien me laisser une chance, je te promets de ne pas la gâcher et je ferais de mon mieux pour être celle que tu as toujours cru que j’étais. Quand tu seras prêt et si tu veux bien me laisser cette unique chance, j’aimerais beaucoup qu’on puisse recommencer à passer du temps ensemble. En attendant, prends le temps qu’il te faut, je t’attendrais. »
Je signe ma lettre un peu fébrilement sans savoir s’il la lira, ni s’il voudra bien rester mon ami. A ce stade, je ne peux rien faire de plus qu’attendre et espérer.