Ren & Taeyang

Assis derrière son piano préféré, Taetae rejouait pour la cinquième fois le même morceau, espérant que, cette fois, l'idiot qui l'accompagnait à la guitare garde le tempo. Il accélérait toujours au mauvais moment, que ça soit un temps trop tôt ou trop tard, et gâchait tout à cause de son oreille bouchée. Taetae, lui, jouait à la perfection, faisant courir ses doigts sur le clavier et ses yeux sur la partition. Leur professeur avait même cessé de le complimenter, ayant épuisé tout son registre lors des trois premières tentatives.

Concentré, Taetae tendit l'oreille quand approcha le moment fatidique. Le cours allait se terminer et il refusait de finir sur un échec à cause d'un abruti. Un sourire satisfait étira ses lèvres quand il entendit son camarade accélérer en même temps que lui, pile quand il fallait. Enfin ! Retenant un soupir de soulagement, il alla au bout de la partition et fit résonner la dernière note juste avant la fin du cours. Content de lui, il écouta les cobsignes du professeur pour le prochain cours - travailler la seconde partie du morceau -puis passa son sac à dos sur une épaule et sorti.

Il était midi. Taetae se dirigeait d'un pas assuré vers le bâtiment qu'il surnommait le B-bouffe, ayant prévu d'y retrouver Lucas pour le déjeuner. Il savait qu'il se montrait trop collant avec son frère, qu'il devait le laisser tranquille avec ses amis et s'en faire de son côté, mais il était resté loin de sob aîné si longtemps qu'une journée sans le voir était une torture pour lui. En fait, il ne réalisait pas vraiment qu'ils vivaient ensemble et devait vérifier sans cesse que ce n'était pas un rêve. Parfois par un texto, mais le plus souvent en le gardant dans son champ de vision.

Alors qu'il marchait tranquillement parmi les étudiants de l'université, le regard de Taetae accrocha brièvement celui d'un autre gars qui allait en sens inverse. Ses traits lui parurent familiers, mais le jeune homme était tellement peu physionomiste qu'il ne le reconnu pas et détourna les yeux pour poursuive sa route. Il se dit que c'était peut-être simplement un camarade de classe à qui il n'avait pas encore parlé ou quelqu'un qu'il avait croisé une autre fois depuis la rentrée. Et puis, si c'était plus que ça, le garçon n'avait qu'à venir l'aborder, Taetae n'avait pas envie d'aller parler à un type qu'il n'était même pas sûr de connaître ; il aurait l'air bien trop con.

Intrigué, pourtant, il lui jeta un nouveau coup d'oeil quand ils se dépassèrent, leurs épaules se frôlant presque à cause des mouvements de foule. Le connaissait-il ? Oui, Taetae l'avait connu à New York, lors d'une soirée où il avait voulu l'embrouiller à cause d'une bière renversée sur ses chaussures, un accident, un prétexte pour se défouler en déclenchant une bagarre. Mais le reconnaissait-il ? Pas le moins du monde. Il se détourna donc une nouvelle fois en se sortant ce visage de l'esprit. Il avait faim, il avait envie de parler à Lucas, et il n'allait certainement pas s'attarder sur un inconnu aux airs vaguement familiers.

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Ren & Taeyang

Cette voix... Taetae l'avait déjà entendue quelque part. Il n'était pas physionomiste, n'avait pas une bonne mémoire visuelle, mais il n'oubliait jamais une voix. Il lui fallait parfois quelques instants pour la resituer, mais il y arrivait toujours, et celle-là ne faisait pas exception. Associée au visage qu'il avait remarqué plus tôt, elle ramena le jeune étudiant à une soirée qui avait "mal" fini. Des flashs lui revinrent en mémoire, de la bière, de la musique, un visage impassible.

Il cessa de marcher et se retourna à moitié vers le garçon qui l'avait interpellé. C'était lui, Taetae s'en rappelait maintenant. Il avait été grossier ce soir-là avec ce garçon qui n'avait pas fait exprès de tacher ses chaussures. Il l'avait insulté et provoqué, tentant de déclencher une bagarre pour oublier que son frère était parti, que son père était absent et que sa mère était morte. Et l'autre ne s'était pas pris au jeu, se contentant de l'ignorer et d'éviter les coups que tentait de lui porter Taetae.

Heu... À ce propos...

Mal à l'aise, Taetae se gratta l'arrière du crâne. Il n'avait pas été correct à l'époque, il le savait bien. Et l'autre ne l'avait pas oublié non plus visiblement. Il s'en voulait un peu de son comportement de quand il était à New York, avait décidé que Tokyo serait pour lui un nouveau départ. Le début d'une vie plus heureuse, d'un Taeyang plus calme. Et voilà que les fantômes du passé revenaient le hanter...

Je suis désolé, mec. J'ai pas été cool.

Il ne savait même pas comment l'autre s'appelait, ne lui avait pas demandé pendant cette fameuse soirée et ne l'avait jamais revu après. Heureusement, d'un côté, car le Taetae d'avant aurait été capable de lui chercher des noises une nouvelle fois et serait peut-être parvenu à ses fins. Qui des deux aurait gagné, c'était facile à deviner : l'un était déjà adulte et l'autre n'était alors toujours qu'un adolescent maigrichon. Taetae n'aurait pas fait le poids, mais c'était justement ce qu'il recherchait. De la douleur. Pour oublier. Pour avoir une bonne raison de souffrir. Pour engourdir ses pensées mieux que l'alcool qui imprégnait son corps.

Tu m'en veux ?

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Ren & Taeyang

La haussement d'épaules du gars laissa Taetae perplexe. Pourquoi venir lui rappeler cette histoire si c'était pour se montrer indifférent après ? Clairement, il ne l'avait pas oublié, donc il devait avoir une petite rancoeur envers lui. Ou bien il voulait l'embêter, auquel cas ce fourbe avait bien caché son jeu lors de la fameuse soirée. Car il fallait être vicieux que pour embarrasser quelqu'un à propos de quelque chose dont on se fiche, non ? Sa réponse fit lever un sourcil à Taetae.

Et pourtant tu me l'as rappelé...

Il glissa les mains dans les poches de son jeans usé, puis baissa les yeux vers ses chaussures, passant sa langue sur ses lèvres. Voilà qu'il recommençait, il se montrait froid envers ce garçon qui a peut-être simplement voulu le taquiner, sans arrière pensée ni mauvais fond. Mais il était susceptible le Taetae, et il n'aimait pas qu'on rie de lui. Il releva la tête quand l'autre constata qu'ils avaient tous les deux quitté New York. Perspicace.

Ouaip, les études sont bien ici.

Il parcouru la cour du regard, passant en revue les batiments dans lesquels il se perdait toujours. C'était beau, c'était grand, c'était réputé. Et il y avait son frère, là quelque part, en train de l'attendre. C'était le paradis pour Taetae, un endroit où il pourrait effacer son passé et se créer un avenir. Loin de tout. Loin des larmes et des colères. Enfin... Si des fantômes du passé venaient le hanter ici, il aurait peut-être plus de mal que prévu pour tourner la page...

Et sinon... ça va ?

Ouais, nan. Faire la conversation c'était pas le fort de Taetae, surtout avec des inconnus qu'il avait tenté d'embrouiller par le passé. Il ne savait pas s'il devait abréger et continuer son chemin ou parler un peu, être poli, échanger des mondanités style météo et politique avant d'enfin pouvoir rejoindre son aîné. Dans le doute, il ancra un peu plus ses pieds au sol, laissant l'autre - merde il lui avait pas encore demandé son nom - décider de la suite des événements.

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Okay, un point pour le japonais. Mais même si Taetae ne lui avait laissé qu'un souvenir fort peu glorieux, il avait l'impression que l'autre le lui rappelait pour l'embarrasser, le faire culpabiliser. Si ça avait été devant ses proches, devant Lucas, il aurait même ajouté l'humiliation à la liste, mais heureusement son aîné n'était pas là pour voir ça.

Ils parlèrent ensuite du fait qu'ils étaient tous les deux partis de New York et se retrouvaient ici à Chûô. Taetae donna les études pour excuse, arguant ridiculement qu'elles étaient mieux qu'à New York. C'était faux bien sûr, il aurait très bien pu intégrer une université prestigieuse en Amérique, peut-être même dans un autre État pour être loin de son père, mais il avait choisi un autre pays. L'autre n'était pas dupe et le montra.

En effet.

Taetae n'avait pas franchement envie de lui donner des détails, ne voulant pas étaler sa vie devant lui. Lui raconter qu'il partait loin de son père et se rapprochait de son frère le conduirait à expliquer pourquoi il voulait s'éloigner, et donc que leur paternel était sans cesse absent et que leur mère était morte. C'était hors de question. Ca ne le regardait pas. Il préféra changer de sujet et demander à l'autre comment il allait.

Sa réponse arracha un sourire gêné à Taetae qui, en effet, avait mieux à faire que de taper la causette avec le japonais. Il ne lui répondit pas, n'ayant pas le temps d'ouvrir la bouche avant qu'il n'enchaîne pour lui demander quelles études il avait choisies.

Je suis en art, option musique. Et toi ?

Pitié pas en art ; pitié pas en art ; pitié pas en art. Taetae se répéta ces phrases comme un mantra, espérant réellement ne pas avoir à croiser le jeune homme trop souvent. Non pas qu'il ne l'aimait pas, mais la réciproque ne devait pas être vraie. Et c'était tellement embarrassant...

Et je m'appelle Baek Taeyang, au fait.

Ouais il en avait marre d'appeler l'autre l'autre ou le japonais. Un prénom à coller sur son visage ne serait pas une mauvaise idée, ne serait-ce que pour pouvoir le reconnaître plus facilement et l'éviter.

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Commerce. Taetae relâcha son souffle, essayant de masquer son soulagement pour ne pas vexer le japonais. Sauf qu'il était un livre ouvert, bien sûr, et rien de ses émotions n'échappaient à ses interlocuteurs. L'autre s'amusa de ses traits détendus, affirmant qu'ils ne se croiseraient pas souvent. Ouf.

Ah heu... ça ne m'aurait pas dérangé tu sais.

Ouh le vilain mensonge pas beau ! Taetae se tordit un peu les mains, mal à l'aise. Au moins l'autre ne semblait-il pas trop lui en vouloir, ou alors il était simplement plus doué pour cacher ses émotions et sentiments. Mais il ne semblait pas du genre rancunier, ni même colérique ; il suffisait de se rappeler sa réaction lors de la fameuse soirée pour se douter qu'il ne chercherait pas les emmerdes...

Ren se présenta enfin, et Taetae nota son nom dans un coin de son esprit, sur une liste noire imaginaire. À éviter. Il était tellement calme que c'en était un peu agaçant en fait, et le jeune pianiste n'était pas sûr de pouvoir supporter des longues conversations avec lui. Parler deux minutes, il pouvait faire, mais devoir se retenir de lui effacer son sourire suffisant pendant plus longtemps serait impossible.

Ouais, à plus !

Il leva une main pour le saluer et s'éloigna à grandes enjambées, fuyant ce champ de bataille silencieux. Un coup d'oeil à sa montre lui appris qu'il était en retard, mais son frère ne lui en voudrait pas, surtout après qu'il lui aurait raconté pourquoi il l'avait fait attendre.

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