Ayame aimait beaucoup se rendre à la librairie du centre commercial The Square. A l’origine, elle pensait que ce serait un endroit peu chaleureux puisque se trouvant dans un centre commercial, mais sa passion pour les livres l’avait emporté et elle avait décidé d’y mettre le bout de son nez une fois, par curiosité. Il s’était avéré que le gérant, Kurushima-san, était une personne charmante et serviable. Il avait rapidement remarqué son mutisme et ne s’était pas offusqué de cela, alors que dans certains commerces, les vendeurs ne sachant comment réagir, l’ignoraient totalement. Ayame avait apprécié l’amabilité dont il avait faire preuve à son égard, le fait qu’il soit allé lui chercher les livres qu’elle avait notés sur sa liste, et malgré une absence d’échange verbal, le courant était bien passé. Depuis, elle se rendait régulièrement à la librairie ne serait-ce que pour l’ambiance et aller se poser dans le coin lecture.

Ces derniers temps, la jeune fille avait été pas mal occupée entre son baito comme assistante de mangaka, ses révisions pour les examens, Noël et le Nouvel An. Pour Noël, elle n’avait rien fait de spécial puisqu’elle n’était pas en couple et n’avait pas spécialement l’intention de l’être. Mais pour la nouvelle année, elle était retournée dans la maison familiale pour quelques jours, laissant sa petite studette à Seiseki, pour fêter le tout en famille. Elle avait regardé le countdown de la Johnny’s à la télé comme chaque année, mangé les plats traditionnels, et ils étaient allés voir le premier lever de soleil de l’année au temple. Janvier était arrivé bien plus vite que ce qu’elle pensait. Et elle avait décidé de retourner un peu à la librairie, où elle n’avait pas mis les pieds depuis au moins début décembre, soit un bon mois et demi.

Il faisait froid, donc elle s’était vêtue plutôt chaudement. Même si le trajet entre la résidence et le centre commercial n’était pas bien loin, le froid était piquant et elle n’avait aucune envie d’attraper un rhume juste avant ses examens de fin d’année, déterminants pour son passage en troisième année.
La librairie était dans les étages. Ayame commençait à connaître le chemin par cœur. Elle était atypique au milieu de toute cette modernité car elle avait une petite touche personnelle qui la rendait assez cocooning.
En revanche, quelle ne fut pas sa surprise quand elle aperçut Yamada Jun dans la librairie. Au début, elle pensait qu’il était client ici et ce ne serait pas surprenant puisqu’elle avait entendu dire qu’ils habitaient tous deux la même résidence, mais elle remarqua qu’il portait l’uniforme du magasin. Ah … Il bossait ici. Ayame rasa les murs pour ne pas qu’il la voie, encore beaucoup trop perturbée par les événements du mois de novembre, en quête de Kurushima-san. Au final, maintenant que Yamada savait aussi son souci de voix, il aurait pu l’aider aussi mais elle ne voulait pas se retrouver en face de lui dans sa zone de confort.

Elle finit par apercevoir le gérant entre deux rayons de romans, et trottina jusqu’à sa hauteur, intimidée. Comme d’habitude, inutile de lui écrire des tonnes de choses sur son téléphone comme elle le faisait pour communiquer avec la majorité des personnes. Il la connaissait bien, devinait ses goûts et lui proposait parfois ses propres suggestions et elle aimait cette spontanéité. Elle avait d’ailleurs fini de lire un livre qu’il lui avait conseillé et elle n’avait plus rien pour l’occuper le soir avant de dormir. Elle avait noté ses idées et envies du moment sur un bout de papier au cas où, et elle attira son attention d’un petit geste sur l’épaule, avant de lui tendre le papier à deux mains, comme le voulait la culture nippone, en s’inclinant légèrement.

Kurushima-san était toujours aussi formel, ce qu’Ayame appréciait. Ca lui donnait un côté sage et éloquent quand il s’adressait aux gens de manière si polie. C’était sa petite spécificité, et une part de sa personnalité qui avait su attirer l’attention de la jeune fille. Et visiblement, il s’était habitué à la présence régulière de la jeune femme dans sa librairie et même à connaître ses goûts puisque, lorsqu’elle lui avait communiqué sa liste, il l’informa aussitôt qu’il avait déjà mis certains ouvrages de côté pour elle, comme s’il savait qu’elle viendrait lui demander ceux-là. A cette réponse, Ayame avait souri avec sincérité, ravie de voir qu’il la comprenait si bien. C’était toujours agréable quand on était client régulier dans un lieu quand les employés se souvenaient de votre profil et vos préférences. C’était plus difficile dans les salons de thé ou les cafés car Ayame n’allait pas toujours dans les mêmes établissements. Mais Kurushima-san avait bonne mémoire. Elle ne savait en revanche pas qu’il était aussi éditeur dans sa propre maison d’éditions en plus d’être libraire, sinon elle aurait été encore plus impressionnée par sa capacité à tout mémoriser ainsi. Après, le profil d’Aya était un peu atypique, ce qui pouvait l’aider à mémoriser son cas.

Ayame avait patienté pendant que le gérant finissait ses tâches, puis lorsqu’il l’avait invitée à le suivre pour aller chercher les fameux livres mis de côté, elle lui avait aussitôt emboîté le pas, d’une allure dynamique. Elle avait hâte de dévorer ces livres pendant les vacances de février, pour se récompenser d’avoir bossé dur pour les examens. Même si elle ne connaissait pas encore les résultats et qu’il lui restait encore quelques épreuves à passer dans les jours à suivre.
Kurushima-san lui tendit les livres sélectionnés des deux mains, et la jeune femme les récupéra de la même manière avant de les enfourner dans son tote bag, apporté spécialement pour l’occasion.

Alors qu’il repartait dans une autre direction de la boutique pour chercher les autres livres, Ayame en profita pour rédiger la réponse à sa question sur son téléphone, plus pratique quand elle était en ville qu’un carnet qui était moins stable pour écrire. Une fois que le libraire s’arrêta pour effectuer sa recherche, elle lui tendit le smartphone afin qu’il puisse lire le mot suivant :

Je vous remercie pour les livres, c’est vraiment gentil de les avoir mis de côté. Mais comment saviez-vous que j’allais vous demander ceux-là ?
Sinon, je vais bien, merci. Je suis en pleine période d’examens, la 2ème année de littérature s’avère plus difficile que ce que je pensais. Il me reste encore quelques examens et je serai en vacances.

C’était toujours une réelle frustration pour elle de ne pas pouvoir s’exprimer librement, mais depuis qu’elle avait réussi à crier en octobre dernier lors de l’agression au gymnase, elle gardait bon espoir de la retrouver un jour. Peut-être lui faudrait-il un véritable déclic, vu qu’elle s’était complètement habituée à s’exprimer à l’écrit depuis cinq ans et bientôt six.