Téléphone vissé à l’oreille, je l’écoutais me raconter d’une voix enthousiaste les nombreux projets qu’elle mettait en place dans sa vie. Une bonne humeur presque contagieuse et qui, à cet instant, me manquait. Mais c’est distrait que je répondais sans même chercher à étoffer mes réponses. Si sa voix résonnait de manière familière, je peinais à me rappeler exactement la finesse des traits de son visage tant notre dernier tête à tête me paraissait loin. Aussi je l’écoutais, ponctuais ses phrases de quelques onomatopées avant que la discussion ne s’achève sur le bip familier de la tonalité. J’expirais alors cette petite frustration qui me rendait visite régulièrement avant d’enfin pousser la porte en verre du café dans lequel j’avais élu mon QG. Un lieu calme bien que grouillant d’étudiants, dans lequel j’aimais siroter un chocolat chaud devant l’écran de mon ordinateur. Comme à chaque fois une fois ma commande passée, j’allais m’installer dans l’un des coins de la pièce, près de la baie vitrée, et je me laissais porter par l’inspiration du moment. Réviser, étudier, ou tout simplement voyager dans le tréfonds de mes pensées, grisé par la chaleur du liquide sucré qui embaumait mes narines.

Mais si je ne l’avouais pas, je ne pouvais pas nier, en mon for intérieur, l’une des raisons qui me poussaient à franchir le seuil de la porte vitrée. Peu importait que je lutte contre moi-même, mon regard finissait toujours par partir à la dérive, et survolait une silhouette familière et ô combien plaisante. Et si mes yeux cherchaient à se gorger de cette vue, je muselais fermement le reste de mes sens, de sorte que rien ne puisse jamais échapper à mon contrôle. Celui que j’avais mis de longues années à façonner, et qui menaçait de voler en éclat dès lors que je capitulerais. Non, c’était impossible. Tu ne regardes que parce qu’il est bel homme, comme tu regarderais une belle femme de la même manière… tentais-je de me convaincre. Mais qui pouvais-je ainsi leurrer alors que même ma conscience me raillait ?



@Imai Akihito

Le service avait commencé depuis un moment, jamais sans une réelle pression, les premiers clients étaient des habitués pour la plupart et savaient pertinemment l'ambiance de ton café. Tu n'avais donc pas pressé le pas en enfilant ton tablier, moulant les premiers grains pour donner cette odeur particulière à ce lieu de détente. Tu avais même des creux dans l'après midi , te permettant de prendre quelques photos, de venir retoucher certaines et combiner ces deux passions que tu avais. Ton sourire était toujours doux lorsque tu accueillais une nouvelle personne, et ton humeur ne se détériorait que rarement. Parfois l'afflux de monde ne te permettait pas de relaxer ces muscles une seule seconde, mais ça t'allait également. Enchaînant les commandes ta voix résonnant quelque peu dans une tonalité grave lorsqu'une personne franchissait le pas de la porte, jusqu'à cette personne. Le processus fut le même. Le "bienvenu" qui finissait par mourir dans ta gorge tandis que tu regardais la silhouette connue de cet habitué. Tes lippes s'étirant doucement c'était comme revoir cette même scène encore et encore, mais jamais tu ne t'en lassais. Les commandes finies tu profitais pour observer ce visage familier s'installer tout en finissant sa boisson, un soin particulier apporter à cette tasse pourtant hors de ton domaine de prédilection. Le chocolat chaud sur la table, tu t'inclinais respectueusement non sans détailler la table de travail du jeune homme. "Bonne dégustation. "

Revenant derrière ton atelier ,comme tu aimais l'appeler, tu profitais de ce petit moment d'accalmie pour nettoyer, les yeux se baladant sans gêne vers ce client particulier. Tu l'avais remarqué la première fois qu'il était entré, une silhouette allongée, musclée mais un regard doux, un peu perdu. Tu aurais pu t'amuser à deviner qui il était, comment, mais l'envie de l'entendre parler de lui s'était alors fait plus forte. Son regard coulant une nouvelle fois sur toi tu te mis à sourire amusé, rien qu'en prenant le jeune homme à te détailler une nouvelle fois. Armé d'un verre d'eau tu venais alors t'installer en face de lui. " Vous venez ici souvent n'est ce pas ? Le chocolat est bon? " Tes lèvres étirées en un sourire que tu ne pouvais caché tu attendais ta réponse après une gorgée d'eau, rapidement interrompu par l'arrivée de nouveaux clients. " J'arrive de suite. " L'informais tu avant d'aller servir les derniers arrivés. Après tout c'était ton rôle. Même si l'homme que tu gardais au coin de l'oeil retenait ton attention.


@Ahn Min Kyung

C’était devenu une habitude, comme un repère dans cette nouvelle vie que j’avais voulu et au fond… j’y trouvais un certain plaisir. Passer les ports vitrées régulièrement, commander encore et toujours la même boisson, jeter un regard désintéressé vers celui qui dominait les lieux de son statut de gérant… Mes yeux balayèrent la salle sans grand intérêt tandis qu’il déposait la tasse fumante devant moi. Sans même m’en rendre compte, ma respiration s’était interrompu, le flot de mes pensées s’était figé, et mon corps entier s’était immobilisé, j’étais comme paralysé alors qu’il repartait en offrant son dos à ma vue non sans que son timbre suave ne résonne encore dans mes oreilles. Il venait de voler mon attention, et désormais les quelques feuilles éparpillées sur la table ne parvenaient plus à l’obtenir. Elles pouvaient bien s’envoler, emporter par un vent fictif que je n’en remarquerais pas plus leur disparition. Trop ébahi, trop abasourdi par cette simple apparition, je tentais alors de faire revenir mon esprit dans le monde commun des mortels… sans y parvenir totalement. C’est simplement parce que tu ne le connais pas… tu es dans un pays étranger, loin des tiens et la moindre rencontre a donc un effet surdimensionné… tentais-je à nouveau de me convaincre. Mais l’autopersuasion n’avait d’impressionnant que son nom. Une barrière s’était dressée dans mon subconscient, et l’empêchait ainsi d’étendre son pouvoir factice et pourtant ô combien rassurant.

Mes yeux glissèrent subrepticement vers lui, une fois… deux fois… trois fois… jusqu’à ce que j’arrête ainsi le décompte qui affligeait un peu plus mes pensées. Je ne pouvais voir que sa silhouette élancée, ce sourire qu’il affichait avec une aisance presque surnaturelle, ses épaules larges qui se balançaient à chaque fois qu’il se tournait et l’éclat de ses piercings qui jouaient avec le soleil… autant de détails que j’aurais voulu ne jamais relever. Aussi je me forçais subitement à replonger le nez dans les cours qui n’attendaient plus que leur traduction. Des caractères que je transposais dans ma langue natale pour en faire un monceau de notes que mon cerveau enregistrerait sans mal. Une tâche qui semblait facile mais s’avérait parfois quelque peu hasardeuse, surtout lorsque l’objet de mes fantasmes récents et récurrents vint s’asseoir face à moi, armé d’un verre d’eau. Sa voix résonna à nouveau, une mélodie aux accents graves et chauds agrémentée d’un sourire qui aurait pu me faire fondre si je ne m’étais pas à nouveau figé. Les questions qu’il posait restèrent sans réponses, le flot de mes mots ne semblait pas trouver le chemin de mes lèvres et se retrouvait ainsi bloqué en travers de ma gorge nouée. Alors d’un simple hochement de tête, je répondais comme si je n’étais plus capable de le faire autrement. Puis comme il était venu… il s’évapora. Happé par son travail, je pu finalement reprendre une respiration plus régulière, encore sous le choc de cette rencontrer que j’avais malgré tout imaginé de nombreuses fois. Pourquoi n’étais-je pas capable de simplement m’exprimer ? Qu’y avait-il chez lui pour que je me retrouve si soudainement dénué de toute pensée et toute réaction normale ? Je l’ignorais… ou du moins je faisais mine de l’ignorer.

Du coin de l’œil, je l’observais sourire avec bienveillance, répondre avec courtoisie et servir avec plaisir ceux qui venaient de passer la porte. Et je me surprenais à me demander… est-ce qu’il va revenir finir son verre d’eau ? Posé devant moi, il ressemblait désormais à une relique que j’étais incapable de toucher.


@Imai Akihito

Un havre de paix, un endroit où les regards accusateurs n'existaient pas, voilà ce que tu voulais. Un moment de détente, un miment de pause comme si la pression de l'extérieur, de la société n'avait été qu'un cauchemar. Tu avais mis tous tes pires cauchemars et tes plus doux rêves dans ce café. Finalement pour toi ou pour les autres, on ignorait complètement la présence de ce café, un moyen pour toi de te détendre, de croire qu'ici tout irait bien? que personne ne te jugerait? Pouvoir glisser ton regard sur cet étudiant aux traits légèrement différents. Détaillant sa manière distraite de regarder cet espace pensé et créé par toi. Finalement qui était il ? Tu connaissais néanmoins sa boisson préférée, et peut être même pouvais tu connaître son cursus en lorgnant sur les pages éparpillées sur la table. Un échange à sens unique où sa voix restait muette, mais où tu avais su capter son attention, sentant un regard bruler ta peau, dans ton dos, puis sur ta joue. Les lippes s'étirant tu venais chercher confirmation tes pupilles croisant les siennes l'espace d'un moment, un instant, court, mais suffisant pour te donner un sourire plus grand.

Le dos légèrement courbé pour changer la playlist qui passait tu restais sur ces musiques douces dont l'ambiance transportait comme une barque sur une rivière calme. T'accorder quelques minutes voilà ce que tu avais besoin, surtout qu'il était là. Habitué qui prenait des airs de personne qu'on voulait voir, et revoir. Se fut une fois en face de lui que tu confirmais ta première vue: une peau lisse, des lèvres pulpeuse , un regard perdu mais incroyablement expressif et ce petit quelque chose qui changeait des japonais ici. Les écritures sur ses feuilles confirmant ton idée première : il était étranger. Il devait cependant comprendre ta question n'est ce pas ? Pourtant tes quelques mots restèrent en suspens, entre-coupé de clients plus bavards qui t'éloignaient alors de ton but numéro un.

Un coup de main appris par coeur par des doigts habituellement fait pour capturer des souvenirs, ici ils en créaient. Ils dessinaient un coeur ou une feuille sur un café aux saveurs amer mais sucrées. Ils servaient des sourires polis et ravis pour ravir des gens fatigués. Ici tes talents étaient différents mais comprenaient les autres. Notamment ce bel ébène que tu rejoignais pour reprendre quelques gorgées. "Alors ? le chocolat est à ton goût ? Je peux te tutoyer hm ? " Les coudes reposant sur la table pour te donner un équilibre tu montrais les feuilles devant lui. " Tu es étudiant c'est ça ? " Peut être arrivera t il à se souvenir comment parler, pendant que tu profitais de ta pause et de ton eau.


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@Ahn Min Kyung