Q :  Tu es en quelle année et tu étudies quoi à Chûô ?

R : Haneki est actuellement en deuxième année de communication après un an en psychologie dans une autre université. Il prévoit de se lancer dans la pub mais n’est pas encore certain de ce qu’il fera plus tard. Pas même certain de s’il aura droit à un « plus tard ». On verra. Son niveau de japonais est excellent, étant natif du pays.

Q : Et à côté des études, tu as un baito ?

R : Non, il aimerait bien, histoire de prendre un peu d’indépendance et de pourvoir couper un peu le cordon, mais sa mère ne le lui permet pas… tout en lui reprochant de vivre à ses crochets depuis sa naissance.

Q : Quel est l’endroit où on risque le plus souvent de te trouver sur le campus ?

R : Dans les salles de classes, les couloirs, les toilettes… Il ne s’attarde pas après les cours et ne se rend pas particulièrement à la bibliothèque. Il aime bien s’asseoir sur un banc dehors pour écouter de la musique en étudiant, plus particulièrement quand il est en avance pour un cours ou qu’il a des temps libres.

Q : A Chûô, est-ce que tu participes à des clubs ou des cercles ?

R : Non, Haneki n’a jamais osé s’inscrire dans ce genre de choses. Il regrette parfois de ne jamais avoir appris à jouer d’un instrument de musique quand il était jeune, mais maintenant c’est trop tard et il ne trouve sa place nulle part.

Q : Tu vis à la résidence Seiseki ou par tes propres moyens ?

R : Vivre à la résidence serait son rêve, mais sa mère ne le lui permet pas. Il vit donc avec elle dans leur appartement de Sekido. Les weekends et les vacances, il va chez son père dans sa ferme en périphérie de Tokyo, l’endroit où il se sent vraiment le mieux.

Q : Tu te décrirais comment en quelques mots ?

R : Haneki a toujours été très réservé à cause de son éducation. Sans cesse rabaissé par sa mère, méprisé et humilié, il en est venu à penser que son avis ne comptait pas et que personne ne pourrait avoir envie de l’entendre. Il a appris à s’adapter aux gens autour de lui, à dire ce qu’ils voulaient entendre pour être accepté et aimé. Mais il ne garde jamais ses amis bien longtemps, tellement persuadé qu’il ne vaut pas la peine qu’il finit toujours par couper les ponts et s’éloigner avant que les autres ne l’abandonnent.

Peu bavard, il ne se confie pas sur lui-même, bien que sachant que ça lui ferait du bien. Il a juste l’impression que personne ne s’en soucie, que personne ne l’écoutera. Il lui arrive même tellement souvent de parler et qu’on l’interrompe qu’il préfère se taire et oublier ce qu’il voulait dire. Il garde le regard baissé quand il marche dans la rue, fronce les sourcils quand quelqu’un le regarde trop longtemps, se demandant ce qu’on peut penser de lui.

Vu de l’extérieur, il est normal, un garçon propre sur lui et bien habillé, étudiant parmi tant d’autres qui bavarde avec des amis entre deux cours. Il fait semblant, il sourit, il dit qu’il va bien et que rien ne cloche dans sa vie. Personne ne sait combien il souffre, personne ne sait que, chaque soir, il pense à sa mort, prie pour ne pas se réveiller le lendemain. Il n’envisage pas son futur, étant persuadé depuis tout petit qu’il ne deviendrait même jamais un adulte. Il ne fait que subir sa vie en attendant la fin.

Il a des bons jours, bien sûr, des moments de joie où il se sent bien et où il parvient à rire sincèrement. Mais la chute est toujours tellement douloureuse qu’elle vient assombrir ces moments heureux. Dépressif depuis bien longtemps, il enchaîne les périodes sombres et les moins sombres, oscillant entre les envies suicidaires et les « peut-être que je peux tenir un peu plus longtemps ». Il attend simplement, espérant qu’un jour il lui arriverait quelque chose de bien, quelque chose qui pourrait le sauver…

Q : Et finalement, dis-nous en un peu plus sur ton parcours jusqu’à aujourd’hui.

R : Haneki est fils unique. Son père est agriculteur, sa mère est kiné dans un hôpital proche de Seiseki. Il aurait pu être heureux, avoir une belle vie dans sa famille, mais ses parents ont divorcé quand il avait trois ans et il ne s’en est jamais remis. Sa mère a eu la garde et son père est reparti vivre chez ses parents, dans leur ferme à plusieurs kilomètres de là. Il s’y rendait chaque week-end, mais ça ne lui suffisait pas, lui qui aimait mille fois mieux son père que sa mère. Chaque dimanche, il rentrait en pleurant et s’attirait la colère de sa mère, lui donnant encore plus envie de retourner à la ferme. Cercle vicieux qui dura plusieurs années.

La vie avec sa mère était dure et pénible. Il était sans cesse rabroué, rabaissé, humilié. Elle lui disait de se taire quand il lui parlait, jetait les dessins qu’elle lui faisait sans même attendre qu’il ait quitté la pièce, criait à la moindre maladresse ou bêtise. Il vivait dans la peur, et ses seuls instants de répit étaient les weekends avec son père. Lui était doux, gentil, calme. Il le prenait sur ses genoux pour regarder des dessins animés, jouait avec lui dans la cour de la ferme, le laissait parler et affichait ses dessins sur le frigo.

Ce fut pire encore quand Haneki entra à l’école. Il détestait cet endroit, ses camarades, les cours. Il n’était pas harcelé ni rien, mais il changeait souvent d’amis, se disputait toujours avec eux, ne pouvait jamais venir aux anniversaires à cause de sa mère. Il ne pouvait jamais inviter personne non plus, parce que ça la dérangeait, qu’elle n’avait pas le temps d’organiser des soirées pyjamas ou des goûters. Il se sentait seul, et en même temps ne faisait rien pour que ça change vraiment. Déjà à cette époque, l’attitude de sa mère lui donnait à croire que sa vie n’avait pas d’importance, qu’il n’avait que le droit d’obéir et d’étudier. Il jouait en silence, mangeait ce qu’on lui donnait, ne regardait les dessins animés que quand il en avait l’autorisation. Il tremblait même quand, le ventre gargouillant, il devait interrompre sa mère dans une quelconque activité pour demander l’autorisation de prendre un biscuit.

Son père savait tout ça, il était au courant de tout, mais il était d’un caractère doux et conciliant, pas du genre à affronter son ex-femme pour le bien de son fils. C’était le seul reproche que Haneki pouvait lui faire : il n’avait pas su le sauver tant qu’il en était temps. Il avait laissé faire, se contentant de le réconforter le weekend et allant dans le sens de la mère quand elle critiquait leur fils et lui brisait un peu plus le cœur.

Haneki avait environ onze ans quand il a été confronté à la mort pour la première fois. Son grand-père maternel était mort, suicidé suite au départ de sa femme. Le petit garçon n’a pas beaucoup pleuré sur le moment, mais un déclic s’était produit en lui. Peut-être que c’était ça, la solution… Mettre un terme à ses souffrances, lui-même, quand il en aurait trop subi. C’était une belle façon de partir, ce serait sa décision, sa responsabilité. Mais c’était un enfant et il n’avait aucune idée de comment faire, ni même le courage pour essayer de mourir.

Alors il continua à vivre.

Il entra au collège, puis au lycée, et il détesta tout autant que les primaires. Il restait le même gamin réservé, effrayé et seul. Il changeait d’amis environ tous les deux ans, souffrant des disputes autant que des rumeurs qui se répandaient sur lui. Il pensa de plus en plus au suicide à mesure que les années passaient, ne se voyait pas dépasser les dix-huit ans. Car que ferait-il après le lycée ? Quelles études tenterait-il ? Il n’avait aucune envie de vivre, de se trouver un job, une maison, une famille. L’idée d’avoir des enfants l’horripilait, car il sentait qu’il serait un père désastreux. Même un chien serait certainement malheureux avec lui…

Sans trop savoir comment, il parvint jusqu’à la fin du lycée et reçu son diplôme. Puis il entra à l’université dans une fac de psychologie. Il était toujours perturbé par le suicide de son grand-père, y pensait constamment et se sentait attiré par cette filière. Sans s’en douter, il n’y entra que pour faire son deuil ; dès que les cours parlant des personnes dépressives sont passés, il a décidé d’arrêter ces études et de se réorienter. Sa mère accueilli cette nouvelle avec un sourire moqueur. « Toi ? Psychologue ? Je n’y avais jamais cru. »

Ce fut elle qui l’envoya en communication à Chûô. Elle trouvait qu’il écrivait bien, mais pas assez pour des études de lettres. Alors il y entra. De toute façon, il ne tiendrait peut-être pas jusqu’à la fin des études alors bon…

Puis il fut de nouveau confronté à la mort. Ses grands-parents paternels partirent l’un après l’autre, d’abord l’époux, suivi de sa femme quelques mois plus tard. Haneki se rendit aux enterrements, reçu les condoléances de personnes qu’il ne connaissait pas et qui disaient connaître les défunts. Mais avaient-ils passé chaque weekend de leurs vies chez eux ? Avaient-ils joué aux cartes avec eux et mangé des biscuits sur leurs genoux ? Ils avaient été comme des seconds parents pour lui, et leur mort lui était insupportable. Cette fois, il pleura beaucoup, mais il alla en cours sans rien montrer. Personne n’en aurait rien à faire, de toute façon, et personne ne remarqua qu’il était mal.

Puis, un jour, il craqua.

C’était le 5 avril 2021, à peine une semaine avant la rentrée scolaire. Il s’était disputé avec sa mère dès le réveil, une engueulade violente dans laquelle quelque chose céda en lui. Il lui balança tout ce qu’il avait sur le cœur, lui adressa tous les reproches qu’il gardait en lui depuis des années et s’en alla chez son père. La ferme était vide quand il arriva, et il monta directement dans sa chambre. Là, il avala des médicaments pour essayer de mourir, n’ayant plus aucune envie de continuer à vivre cette vie.

Il se sentait faiblir, avait froid, mal au ventre, mais c’était ce qu’il voulait. Puis il commit une erreur. Il avait bu trop d’eau pour avaler les cachets et se leva pour aller aux toilettes, geste qui remua le contenu de son estomac. Il vomit tout sur ses chaussures et son pantalon, puis se mit à pleurer en réalisant ce qu’il avait fait. Il ne regrettait pas son geste, mais son échec, et à présent il n’avait plus assez de cachets pour recommencer.

Son père le trouva assis dans son vomi et compris ce qu’il avait tenté de faire. Il appela son ex-femme et garda Haneki une semaine chez lui. Le jeune homme serait resté plus longtemps si sa mère ne lui avait pas fait de chantage affectif, menaçant à son tour de se suicider maintenant qu’il l’avait laissée seule et qu’elle n’avait plus de raison de vivre. Il rentra chez elle pour la rentrée, après un détour par chez le médecin qui lui donna des calmants.

Et maintenant il se contente de survivre. Il attend de finir ses études, de trouver un job et de partir, persuadé que la seule solution pour aller mieux est de s’éloigner de sa mère. Définitivement.