Q :  Tu es en quelle année et tu étudies quoi à Chûô ?

R : Je suis étudiant en troisième année à la faculté des lettres, orientation "langues étrangères". Japonais d'origine, j'ai appris l'anglais quand j'étais enfant et ai voulu apprendre d'autres langues au fil des années. Je suis donc des cours d'anglais (pour perfectionner mon bilinguisme), de mandarin, de coréen et d'espagnol (pour l'exotisme de la langue).

Q : Et à côté des études, tu as un baito ?

R : Oui, mes parents n'avaient pas les moyens de payer la résidence et mes études et je n'ai pas reçu de bourse couvrant la totalité des frais. Je suis donc assistant dans une bibliothèque de Ichinomiya, près de Seiseki. En gros, je range les bouquins quand les lecteurs les ramènent et je leur sers de guide quand ils cherchent un titre particulier.

Q : Quel est l’endroit où on risque le plus souvent de te trouver sur le campus ?

R :  Quand je ne suis pas en cours, je traîne souvent à la bibliothèque (B3) pour étudier ou simplement lire un livre au calme. Je suis aussi un grand adepte du fast-food Tom-Boy, ça permet de manger rapidement entre deux chapitres.

Q : A Chûô, est-ce que tu participes à des clubs ou des cercles ?

R : J'ai intégré le cercle de discussion en anglais dès le premier semestre de ma première année et y suis toujours. Par contre, j'ai été forcé de quitter le cercle de cuisine après quelques semaines ; j'ai failli faire cramer le bâtiment au troisième rassemblement et ai décidé que je ne cuisinerai plus jamais de ma vie. Après tout, faut bien faire vivre les restaurants et les livreurs, non ?..

Q : Tu vis à la résidence Seiseki ou par tes propres moyens ?

R : Je suis à Seiseki depuis ma première année, ce qui signifie que je devrai déménager à la fin de celle-ci. C'est pour ça aussi que j'ai pris un job à côté, histoire d'avoir des économies pour me payer un petit appart pour la fin de mes études.

Q : Tu te décrirais comment en quelques mots ?

R : Je suis un gars assez calme et facile à vivre. J'écoute les gens quand ils parlent, je suis poli (bonjour, s'il-vous-plait, merci, la base quoi), et je fais en sorte de respecter les gens et de toujours leur donner une chance. Malgré tout, je suis assez solitaire et je n'ai que quelques amis, plus attiré par les livres que par les relations humaines. Déjà enfant, je préférais étudier l'anglais dans ma chambre plutôt qu'aller jouer dehors avec mes camarades. J'étais le petit intello de la classe, de la bande, de la famille... L'incompris en gros.

Et pourtant, même si les gens ne me comprennent pas toujours, je suis du genre perspicace, du genre à lire en eux avec facilité. Peut-être parce que j'observe beaucoup, que j'écoute ce qu'ils disent et que je retiens les choses avec facilité. Je sais additionner deux et deux et cerner les problèmes des gens, comme cette fois où j'ai deviné que mon meilleur pote s'était fait larguer alors qu'il était à vingt mètres de moi et parlait avec d'autres gars.

Enfin, vous l'aurez deviné, je ne suis pas du genre "fun" ou "fêtard", je ne sors jamais et n'ai même jamais mis les pieds dans une boîte de nuit. Les gens me trouvent souvent ennuyeux mais je sais plaisanter et rigoler, il faut juste que je me sente en confiance et que les gens se montrent très convaincants pour me tirer de mes bouquins. Ah, et je n'ai jamais eu de petite copine, non plus... Sauf si le bisou que Yuna Mamisu m'a volé à la maternelle compte, mais j'en doute.

Q : Et finalement, dis-nous en un peu plus sur ton parcours jusqu’à aujourd’hui.

R : Je suis le troisième enfant des Noguchi. Mes frères aînés, des jumeaux, ont deux ans de plus que moi, tandis que ma petite soeur, la dernière, est née quand j'avais déjà sept ans. Mes parents ont toujours eu des moyens... plutôt modestes. Avec une mère vendeuse dans une boulangerie et un père facteur, on peut dire qu'on n'avait pas les consoles dernier cri ou le smartphone de luxe, mais, moi, ça me convenait bien. J'avais un toit sur la tête, une famille, et c'était déjà plus que ce que certaines personnes avaient.

Déjà enfant, j'étais plus calme que la moyenne. Mes frères étaient des véritables tornades, du genre à prendre les rouleaux à pâtisserie de maman pour se battre comme des pirates dans la maison. Parfois, ils faisaient tellement de dégâts qu'on pouvait les suivre à la trace rien qu'en regardant les plantes renversées, les bibelots tombés et les chaises déplacées. De mon côté, je préférais jouer en silence dans mon coin ou rester près de mes parents pour qu'ils me lisent des histoires.

J'aime les livres depuis toujours. En fait, quand j'étais bébé, je voulais les manger, puis j'ai admiré les images quand j'ai commencé à fixer mon attention, et une fois la parole et l'écoute acquises, j'ai voulu apprendre à les lire moi-même. Je suis donc devenu un gamin précoce en terme de lecture ; je savais lire des textes simples avant même de quitter la maternelle.

En parlant d'école, j'avais vraiment peur avant d'entrer en primaires. Mes frères m'avaient raconté que les instituteurs criaient sans cesse, qu'on n'avait plus le droit de faire des siestes et que tous les jours on nous refilait des devoirs monstrueux. Autant dire que, le premier jour, je suis rentré dans la classe avec les genoux tremblants... Et puis j'ai réalisé qu'ils avaient tort. Bon, pas pour les siestes, mais ça ne me dérangeait pas. Pour les cris des instits, il s'est avéré que j'étais assez calme pour être épargné, et les devoirs n'étaient que de finir les exercices commencés en classe. Puisque j'étais rapide, il était donc rare que j'aie des devoirs à faire à la maison...

Le plus compliqué pour moi était les récréations. Puisque j'étais un peu précoce, j'ai été considéré comme l'intello de la classe, et comme je préférais lire plutôt que jouer au ballon ou aux billes, j'ai été mis à l'écart. Enfin... je n'ai pas non plus fait grand chose pour m'intégrer. À part Yuna Mamisu, ma voisine de banc, avec qui je déjeunais tous les jours, je n'avais que deux ou trois amis, des garçons qui ne me jugeaient pas et me demandaient parfois de l'aide pour les cours (sans que je devienne leur larbin-faiseur-de-devoirs pour autant).

Les temps de midi, dès que j'avais fini mon bento, je filais au CDI pour lire un livre au calme et apprendre des choses. C'est là que j'ai rencontré Madame Saito, qui a vu que je m'ennuyais après avoir fait le tour de tous les livres de la bibliothèque. Après un an et demi à m'observer avec un sourire attendri, elle m'a proposé des cours d'anglais pour m'occuper. Je n'en ai pas vu l'intérêt sur le moment, encore trop jeune pour comprendre l'utilité du bilinguisme, mais j'avais besoin d'une occupation, alors j'ai accepté.

Rapidement, il s'est avéré que j'étais plutôt doué. La prononciation des mots me venait facilement et je retenais sans difficulté les mots de vocabulaire que Mme Saito m'apprenait. Malheureusement, ces cours me portèrent également préjudice, attisant la jalousie des autres, et notamment de mes frères. J'avais pris l'habitude de regarder des dessins animés en anglais pour m'exercer, puisque je n'avais personne avec qui le parler en-dehors du CDI, et mes frères me reprochaient toujours de "me la jouer snob". La vérité était qu'ils ne comprenaient pas ce que disait Bob l'Éponge à son ami Patrick, et ça les agaçait.

Mes parents, eux, étaient fiers de moi, mais ils se sentaient un peu dépassés, n'ayant pas les capacités pour m'aider à exercer mon anglais. En fait, la seule qui ne me regardait pas avec irritation ou avec une tendresse coupable, c'était ma soeur. Encore bébé, elle me souriait en me voyant arriver et elle rigolait quand je lui parlais anglais. Alors j'ai pris l'habitude de lui raconter des histoires le soir, parfois en japonais, parfois en anglais. Ainsi, elle apprendrait aussi et j'aurais quelqu'un avec qui pratiquer, quelqu'un qui me comprendrait.

Puis les années ont passé et je suis entré au collège, puis au lycée. Ma vie était banale, avec mes deux ou trois amis, mes livres et mon anglais avancé. Quand mes frères ont quitté l'école, ils n'ont pas cherché à poursuivre leurs études et ont directement trouvé du travail, l'un comme maçon et l'autre comme serveur dans un pub. Ils ont quitté la maison après quelques mois, allégeant ainsi nos parents de quelques frais. De moi côté, je prévoyais d'aller à la fac, à Chûô, et d'étudier les langues. Ca faisait peur à mes parents, car ils ne savaient pas s'ils auraient les moyens de me payer la fac et un logement. Ils avaient même envisagé que je reste à la maison et fasse les trajets tous les jours, mais j'ai refusé, ne voulant pas perdre trop de temps dans les trains.

En fait, je voulais moi aussi prendre mon indépendance, mais mes parents avaient peur pour moi. J'étais leur enfant, et mon visage juvénile me donnait à 18 ans l'air d'un gamin d'à peine 13 ans. Ils craignaient que je me fasse agresser en rentrant chez moi, un truc du genre. Alors ils ont accepté que je parte à condition que je réside à Seiseki. Puisque le compromis me semblait juste, j'ai accepté. Cependant, le problème d'argent était toujours là et je ne voulais pas forcer mes parents à tout payer pour moi. J'ai donc cherché un travail un peu avant la rentrée et ai été engagé comme assistant dans une bibliothèque pas loin de la résidence. Ils voulaient un étudiant pour bosser six heures par weekend, ce qui me laissait largement le temps de travailler mes cours.

À la rentrée, j'ai choisi de suivre des cours de plusieurs langues (anglais, mandarin, coréen et espagnol). J'aurais bien voulu prendre plus de langues, notamment le français ou l'allemand, mais j'aurais eu trop de cours et n'aurais pas pu tous les suivre avec assiduité. J'ai aussi décidé d'intégrer des cercles pour rencontrer des gens comme moi, qui aimaient les langues et me comprendraient. C'est ainsi que je me suis retrouvé dans le cercle de discussions en anglais. J'ai aussi fait une tentative dans le cercle de cuisine, parce que je voulais apprendre à me nourrir seul et économiser en livreurs et plats à réchauffer, mais j'ai vite abandonné. Lors d'une réunion du cercle, on devait apprendre à préparer des brownies et, sans savoir comment, mon four s'est enflammé, littéralement. Je n'ai plus jamais mis les pieds dans ce cercle après ça.

Depuis plus de deux ans, maintenant, j'enchaîne donc les cours, les réunion du cercle, le job le weekend et les devoirs le soir. Lors du peu de temps libre que je m'accorde, je lis souvent des livres ou je regarde des séries et films dans des langues étrangères. Parfois, je sortais boire un café avec un ami ou l'autre, mais il fallait vraiment qu'il se montre convaincant, et que je ne sois pas au milieu d'un chapitre.

Tant que maintenant, je ne sais pas encore quoi faire après la fac. Devenir traducteur ? Partir à l'étranger ? Devenir vendeur dans un konbini ? Tout était possible, et tout me conviendrait, tant que je peux me nourrir et me loger.