Décidément, Joey comprenait toutes les intentions de Juria de travers. S’il avait envie d’aller en Ecosse, s’il avait besoin de ces vacances, il fallait qu’il y aille sans l’attendre elle en retour. Il avait planifié ses projets dans son coin, Juria n’était pas un élément essentiel au bon déroulement de ces derniers, mais davantage une sorte de bonus, car c’était toujours sympathique de partager un moment ou deux avec des amis. Mais pourquoi décidait-il subitement de tout annuler et de rester à Londres pour travailler pour l’entreprise de son père, elle ne le comprenait pas. Puis Joey qui parlait d’économies alors qu’il faisait partie des personnes les plus riches que la jeune femme connaissait était tout de même assez ironique. Elle décida de ne pas relever cette remarque, et se contenta de lui répondre :

« Tu sais Joey, si tu as envie de prendre des vacances en Ecosse, tu as le droit, surtout si tu reprends les cours en Septembre. Si tu ne prends pas de vraie pause, tu risques de faire un burn-out à force de travailler comme un forcené. Je sais que tu veux toujours bien faire aux yeux de tous, mais parfois il faut aussi que tu penses à toi. Ce que j’ai dit avant n’était pas pour te faire annuler tous tes plans, mais juste pour que tu comprennes que je ne vis pas au même rythme que toi. Donc vraiment, si ce voyage te tenait à cœur, fais-le, je t’y rejoindrai, et la vie continue ! Et je suis sûre qu’on s’amusera tout autant. »

Juria était sincère et franche comme à son habitude, mais en présence de Joey, elle avait tendance à devoir réfléchir à la tournure de ses phrases car c’était un peu un monsieur premier degré. Il était capable de tout planter pour elle, et même si elle appréciait sa gentillesse et sa générosité, parfois elle était un peu mal à l’aise face à autant de sacrifices et d’investissement de sa part.

« Pour ce qui est des vacances de Noël, c’est encore trop loin pour moi, Joey. Je serai peut-être dans l’Europe de l’Est en plus d’ici là. Je ne compte pas m’éterniser à Londres, j’y resterai trois mois grand maximum, peut-être moins tu sais. »

Ils pénétrèrent dans le restaurant tout en continuant à discuter de leurs projets de voyages et de vie, et au vu du luxe des lieux -encore le type d’endroit où elle n’aurait jamais les pieds si ce n’était pas pour le jeune homme-, elle ne put s’empêcher de ne pas se sentir à sa place. Les paroles de Joey la réconfortèrent, il avait raison après tout.

« Tu as raison, l’image est secondaire ! » sourit-elle.

Elle n’avait même pas eu le temps de consulter le menu que le serveur était déjà là, et que Joey savait déjà ce qu’il comptait prendre. Pas friande des fruits de mer, elle grimaça en l’entendant parler de coquilles St Jacques. Il lui conseillait la pintade, mais elle avait entendu lors de ses voyages en France 3 ans plus tôt qu’une des viandes les plus prisées des français était le canard.

« Pour ma part je prendrai un plat à base de canard, par exemple … »

Elle parcourut le menu rapidement et s’arrêta sur un plat qui attira son attention.

« Le magret de canard avec la sauce à l’orange et aux épices, c’est parfait. »

Juria pouvait, d’ordinaire, passer des heures à arpenter le menu d’un restaurant de long en large afin de faire le meilleur choix du monde, mais avec le serveur qui attendait devant elle, elle s’était sentie obligée de se hâter un peu.

New York. C’était une destination à laquelle Juria n’avait pas encore songé, trop concentrée sur l’Europe pour le moment. Mais elle comptait bien se rendre au Canada un jour ou l’autre, ce serait l’opportunité de faire un crochet à New York, la fameuse grande pomme.

« C’est comme tu préfères, Joey. »

La suite se déroula assez rapidement. Les deux amis avaient commandé leurs plats respectifs, et le serveur était reparti. Le téléphone de Joey avait sonné, celui-ci avait froncé les sourcils en voyant le numéro s’afficher. Si elle se souvenait bien, il détestait être dérangé pendant qu’il mangeait, d’où son ton renfrogné. Elle entendit qu’il communiquait avec Satoshi le chauffeur. Y avait-il un problème avec la chambre qu’elle allait occuper ce soir ? Mais visiblement, cela ressemblait plutôt à une conversation d’affaires. Il s’excusa en lui expliquant qu’il devait passer cet appel, que ce serait court. Juria lui fit signe qu’il n’y avait aucun problème et sortir elle-même son téléphone, profitant de l’interlude pour donner quelques nouvelles à ceux qui en attendaient. Après tout, elle n’avait pas vraiment eu le temps de consulter sa messagerie depuis son arrivée, Joey était d’un naturel bavard et il aurait été impoli de pianoter sur son téléphone en pleine conversation.

Tout en consultant ses réseaux sociaux, Juria écoutait d’une oreille distraite la conversation qui se déroulait sous ses yeux. Elle était un peu gênée d’assister à un règlement de comptes avec une entreprise, il aurait pu sortir pour téléphoner. D’ailleurs, lorsqu’il s’occupait de ses affaires, on aurait dit un autre homme. Ce n’était pas la première fois que la jeune femme remarquait cela, et quand il était ainsi, elle aurait presque peur de lui. Elle le trouvait terrifiant ; autoritaire, sec et à la limite du sarcasme. Mais elle imaginait que c’était ça le monde des affaires. Peu importe. Son ami finit par raccrocher, et après s’être excusé de cet incident, reprit leur conversation comme s’il ne s’était rien passé. Qu’allait-elle faire à Londres ? Elle n’y avait même pas pensé.

« Je ne sais pas encore, je vais sans doute essayer d’aller voir une pièce de théâtre au Shakespeare Globe maintenant que mon anglais est acceptable. Il y a 3 ans, je n’aurais sans doute pas compris le sens de la pièce. Et puis j’irai à Camden très certainement ! »

Son portable reposé dans son sac à main, Julia jouait avec la serviette de table, une attitude peu appropriée aux lieux mais elle n’en avait que faire, personne ne les regardait de toute manière. Deux asiatiques à Londres ; c’étaient forcément des touristes, devaient penser les locaux.

« Tu es toujours aussi sec quand tu communiques au travail ? » demanda-t-elle subitement, empreinte d’une curiosité peut-être mal placée.