Ce n’était pas censé se reproduire. C’était exceptionnel. Un petit service entre bons amis comme il aime si bien le dire. Un échange en nature avec un petit bonus. Je l’ai fait une fois. Puis deux. Trois et ensuite j’ai perdu le compte. Je n’ai pas l’impression de le faire depuis longtemps mais il faut dire que ces derniers temps je n’ai absolument pas la notion du temps. Surtout quand je suis seul à l’appartement comme en ce moment…

Mais comment j’en suis arrivé là ?

Au début j’ai commencé par ennuie. C’était nouveau et ça n’avait pas l’air dangereux. Qu’est-ce que c’est qu’un petit shoot ? Un rail de coke ou un bonbon coloré comme on aime le dire ? C’était aussi amusant que fumer un peu d’herbe. C’était divertissant et récréatif. Aujourd’hui, j’en ai besoin pour me sentir bien. Je ne suis pas accro. Je vis juste des moments difficiles surtout quand je suis seul.

Je n’ai pas toujours l’argent pour payer alors avec mon dealer – quoique je trouve que le mot est exagéré – on a fini par conclure un petit arrangement. Je l’aide à écouler un peu de son stock et en échange, je peux avoir de quoi me faire plaisir. Le marché est honnête et ce n’est au final pas très compliqué. Je vends toujours aux mêmes personnes. Des gens qu’il m’a lui-même présenter. Je ne fais que jouer les intermédiaires, j’aide un ami et en même temps j’y trouve mon compte.

Kabukichou me faisait peur au début, mais c’est justement pour ressentir le frisson du danger que j’ai commencé à fréquenter ce quartier. Ce mélange de peur et de liberté m’a toujours plu. J’y ai également rencontré pas mal de mes amis mais surtout celui avec qui je vis. Il n’est pas souvent là. Il travaille beaucoup. Je ne sais pas très bien ce qu’il fait exactement et dans le fond je ne suis pas certain d’avoir envie de le savoir.

Depuis le temps que je traine ici, je commence à bien m’y sentir, on peut même dire que j’y suis presque comme chez moi. Je n’ai plus peur et de toute façon je ne vois pas ce qui pourrait m’arriver. Les flics ne viennent jamais ici. Je suis tranquille en plus je n’ai plus beaucoup de sachet à écouler. Trois. D’ici deux heures maximum je l’aurais fait et je pourrais rentrer chez moi pour profiter de ma petite récompense. Cette idée me motive et me met de bonne humeur jusqu’à ce que je vois ce type arriver droit vers moi. Je ne l’avais encore jamais vu et l’expression de son visage ne me dit rien qui vaille. Je déglutis tout en reculant d’un pas mais n’ai pas la présence d’esprit de prendre mes jambes à mon cou… Ce n’est pourtant pas l’envie qui me manque. Je suis simplement trop terrifié par son regard…

• • • Dans la salle d'arcade miteuse, clairement datée et respirant encore les années 80, un grand homme se tient près du comptoir. Un nuage de fumée autour de lui, son visage blafard éclairé par les vieux néons au plafond. L'endroit qui se devait rempli d'enfant et de rire, était remplie uniquement d'hommes en costard ou en jogging, chacun un verre ou une cigarette à la main. Sur les vieilles banquettes, quatre hommes, minimum la trentaine, le silence était écrasant. Le plus jeune de tous, débout près du fameux comptoir n'osait ouvrir sa bouche. Et même si il essayait, aucun son ne sortirait de sa gorge. Il était tétanisé de peur. Pourquoi? Le jeune chinois était dans un tel état? Pour comprendre, il suffirait de suivre la direction de son regard. Ce dernier est rivé vers un homme, l'air plus mûr que les autres gros bras l'entourant. Un costume flashy et une montre de luxe au poignet. Il a l'air agacé. Il lâcha sèchement: " Li-kun. " Ce dernier se redressa automatiquement au son de cette voix. " Rends toi utile et dégage de là ! " Le jeunot bégaya " Mais... Aniki... " Le regard qui lui fut lancé le força à se taire. " J'ai pas été assez clair c'est ça? Va me nettoyer les rues aux alentours. Et reviens pas tant que chacun de ces putains de dealers se sont pas vidés de leur sang. "

Le petit délinquant, maintenant élevé au titre de yakuza, déglutit difficilement. Il s'inclina devant son aîné et sortit en silence de la salle d'arcade. Les marches le ramenèrent jusqu'à la rue de ce quartier qu'il connaissait bien maintenant. Kabukicho. Quartier rouge. Evité par une bonne partie des japonais, laissant de la place aux yakuzas, hosts, membres de gang et autres téméraires. Le jeune Jun, du haut de sa vingtaine d'années était un membre d'un clan respecté de yakuza depuis maintenant 3 ans. Il n'avait pas froid aux yeux, et les avait rapidement rejoint pour s'assurer une certaine sécurité dans ces rues tâchées de crimes. Il avait commencé comme tous les adolescents rebelles. Un petit yanki, il était passé rapidement des vols de belles fringues à bien plus gros, du crime organisé.  Port d'arme, agression, escroquerie, trafic en tout genre et bien d'autres délits. Il avait soif de pouvoir, et plus il vieillissait plus il se faisait gourmand. Il sortit la main de son pantalon cintré pour s'allumer une cigarette et replacer sa chemise claire laissant deviner un bon nombre de ses tatouages. Certains signant son appartenance aux yakuzas et aux crimes de Kabukicho.

Fumant clope sur clope, il laissa ses pas le guider à travers les ruelles crades des alentours. Les ordres du vieux n'avaient pas été oublié. C'était devenu le train-train quotidien. Il avait l'habitude que son aîné lui donne chaque soir cette tâche. Ce dernier avait développé une haine irrationnelle de ce genre de déchet qu'était les dealers. Jun ne cherchait plus à comprendre, il se contentait d'appliquer les ordres. De plus il avait compris l'idée derrière ces manigances. Tous ces dealers étaient bien souvent libres et écartés de tous contrats avec les familles de yakuza. Et ça, ça ne plaisait au patriarche de la famille dont il faisait maintenant parti. Ce dernier, n'exige qu'une chose; rester le numéro un du trafic de drogue de kabukicho. Les échanges et les grosses cargaisons, ils les avaient à présent entre les mains. Mais ils ne semblaient pas satisfaits. Maintenant le shnock voulait tenir en laisse chaque dealer et chaque consommateur. Alors c'était aux jeunes recrues de s'occuper de ça. Et c'était bien ce que comptait faire Jun. Embrigader ou chasser. Pour l'instant il n'était jamais aller jusqu'à tuer. La vie d'un être humain avait encore trop de valeur aux yeux de Jun pour qu'il dégaine son arme et abatte un homme ainsi.

Rapidement le jeune yakuza croisa le regard d'un type dans une ruelle, un homme seul, ici, à une heure pareille. Ca ne voulait dire qu'une chose; il était pas net. Et ça, Jun le savait pertinemment. La clope au bec, il ralentit le pas à sa hauteur. Il le surplombait de bien une tête minimum. Ses sourcils semblaient rester froncés alors qu'il grogna quelques mots à l'inconnu: - " Hey. T'es juste derrière le bar à hostess du patron là. J'espère pour ton cul que t'as un bon moyen de justifier le fait que tu pollues un territoire qu'est pas le tien... " Dur. Froid. Presque terrifiant. Le visage de Jun restait complètement fermé. Même si il ne tuerait personne ce soir. Il ne se retiendra pas de rouer de coup ceux qu'il estime comme méritant ce traitement. Le moindre mot de travers, et le jeune criminel pourrait lancer un bagarre des plus violentes.

• • • Le grand brun a très vite trouvé sa première proie de la nuit. Un jeunot isolé, dans une ruelle vide et sombre où personne ne viendrait les chercher. Tirant sur sa clope, le clébard des yakuzas fixe un long moment le jeune homme. Son numéro pour l'effrayer avait l'air de très bien fonctionner, Jun se sent satisfait tout au fond de lui de l'entendre bégayer et de le voir trembler. Ce gars n'est probablement pas la meilleure prise que Jun ait pu faire, mais si ça pouvait l'aider à faire parler de lui et booster sa street crédibilité, il ne serait pas contre. Gardant son masque de froideur, il le sonda, l'analysant de la tête au pied. Physionomiste, Jun comprit rapidement que ce type n'avait rien d'un habitué de la bricrave. Ca ne l'étonnait pas beaucoup, il avait l'air jeune, en tout cas bien plus jeune que lui. Il le devinait à cette petite lueur naive au fond de ses yeux. Lueur qui a bien vite disparu de ses propres yeux assombris par tout ce qu'ils ont pu voir.

Le yakuza prit tout de même la peine d'écouter les excuses puant le mensonge du gamin. Il siffla entre ses dents, bien qu'il y ait de faible chance pour que tout ce baratin soit vrai, Jun ne comptait pas prendre le risque de le laisser partir sans l'intimider un peu plus. Il jeta la fin de sa blonde et l'écrasa de la semelle de sa derby. Ses sourcils se froncèrent davantage, tout ça ne faisait que grandir son agacement. Il n'a pas beaucoup de temps à perdre avec ce genre de petit poisson. Il l'attrapa brusquement par le col pour le plaquer au mur. " Et t'oses te foutre de ma gueule en plus?! " Son nez se retroussa et il plongea son regard sombre dans les yeux de sa victime. " On me l'a fait pas à moi... " Il le secoua un peu, cognant à plusieurs reprises le dos du jeune contre le mur sale de la ruelle. " Tu deales dans ma rue c'est ça? Tu sais ce qu'on fait au p'tite merde dans ton genre nous? " Il maintint sa prise sur les vêtements du type pour le garder bloquer entre son corps et le mur. Sa grande main abîmée par les coups qu'il a pu donné forma un pistolet et il colla symboliquement son index et son majeur joints sur la tempe du jeune homme. Son visage se rapprocha de celui de sa proie du jour, son haleine venant presque caresser ce dernier. Jun pue l'alcool, mais il en a bien besoin pour survivre et tenir dans ce monde de brutes. L'ombre d'un sourire à ses lèvres il vint presque chuchoter. " Boum. "

Plus je parle et plus je m’enfonce. C’est la sensation que j’ai et je crois que je finis par épuiser le peu de patience qu’il a. Je me trompe rarement dans ce genre cas car voilà qu’il m’attrape violemment par le col de mon vêtement et me plaque contre le mur. Je laisse échapper un petit gémissement à la fois de surprise et de douleur notamment lorsque ma tête heurte le mur derrière moi. Si j’avais peur il y a quelques secondes, je suis à présent complètement terrifié.

Il me malmène un peu tout en me parlant et c’est à peine si je comprends ce qu’il me dit tant je suis terrorisé. Là tout de suite, la seule chose que j’aimerais, c’est rentrer chez moi.
« Pardon… je suis désolée monsieur… pitié… »
Les mots sortent tous seuls entre deux sanglots. Je ne réfléchis plus, j’en suis incapable. J’ai juste envie que ça s’arrête mais j’ai comme l’impression que le temps est figé et que ça ne finira jamais. Est-ce qu’il va me tuer ? Pourtant je ne faisais rien de mal… Enfin je crois… je sais plus vraiment. Ça n’avait pas l’air si grave ce que je faisais même si je nie l’avoir fait. C’est mon instinct de survit qui m’y pousse et puis je sens bien que je ne peux pas lui dire la vérité.

L’homme en face de moi pointe ma tempe avec son doigt et je n’ai pas besoin d’un dessin pour comprendre où il veut en venir. D’ailleurs il sent l’alcool, ce qui ne fait qu’accroire les émotions qui m’animent…
« Monsieur… s’il vous plait… je… je ne recommencerais plus. Vous ne me reverrez plus jamais. »
Je trésaille en entendant le « Boum » sortir sa bouche et ferme les yeux tout en laissant échapper mes larmes. Lentement, je me laisse glisser au sol tout en pleurant comme un gamin. Mais dans le fond, c’est un peu ce que je suis encore… Je respire difficilement et je crois que je suis en pleine crise de panique, réalisant à peine ce qui est en train de m’arriver et me demandant si je vais m’en sortir.

Et puis soudain une voix s’élève depuis le bout de la rue. Les mots lâchés sont incompréhensibles et viennent d’un ivrogne qui arrive au mauvais endroit, au mauvais moment mais surtout qui ne se rend pas compte qu’il risque peut-être gros en l’interrompant. D’un autre côté, c’est peut-être ma chance ! Pris d’un éclair de lucidité, je me redresse et profite qu’il se soit laissé surprendre par ce type pour lui filer entre les doigts. Je commence à courir mais glisse sur un déchet quelconque qui jonche le sol. Je tombe violemment au sol mais il en faut plus pour me faire abandonner car je me relève aussitôt. J’ai le cœur qui bat la chamade et je n’ai qu’une idée en tête : filer avant qu’il ne me mette la main dessus.