Le métro. Natsuki ne détestait pas se retrouver dans ses wagons alors que la nuit avait déjà étendue ses voiles de ténèbres sur la ville. La météo de cette fin d’année ne permettait pas au ciel de se piquer d’étoiles et de toute façon, avec la pollution lumineuse de cette ville qui ne semblait jamais dormir, Natsuki n’était pas certain qu’il aurait pu voir quoi que ce soit. Ecouteurs vissés dans les oreilles, il était perdu dans ses pensées. Ca faisait déjà deux stations que la batterie de son lecteur l’avait lâché, ne laissant dans ses oreilles qu’un paradoxal silence assourdissant.

Autour de lui les sièges du wagon étaient vides ou presque. Et en arrivant à Shinjuku, les lieux s’étaient désertifiés pour de bon d’ailleurs. Lui ? Il n’allait nulle part en soit. Personne ne l’attendait, il n’avait rien de prévu… Alors faire des allés et retour dans le métro lui semblait pour le moment un bon plan pour tromper l’ennui, la tête appuyé contre la vitre derrière lui. Même qu’il avait fermé les yeux un instant, grimaçant brièvement alors que la petite alarme annonçant la fermeture automatique des portes lui avait rappelé que la musique n’était plus diffusée dans ses oreilles.

Est-ce qu’il s’était alors rendu compte immédiatement qu’il y avait quelqu’un en face de lui ? Non, pas du tout. A ce stade, Godzilla aurait mangé une barquette de ramen avec des baguettes sous ses yeux qu’il l’aurait à peine calculé ! Mais il arrive soudainement un truc plus rare que de voir Godzilla au Japon (en tout cas à la télé !) : le métro s’arrête au milieu des voies, entre deux stations…

Natsuki rebranche avec la réalité, retirant ses écouteurs pour écouter rapidement l’annonce qui est faite dans les haut-parleurs. De plates excuses, des promesses de départ tout bientôt, tout ça… Visiblement une erreur d’aiguillage. Quelqu’un allait peut-être bien perdre son job aujourd’hui ! Mais bref. C’est un peu là que Natsuki remarque pour de bon qu’il n’est plus tout seul. Il y a effectivement quelqu’un posé en face de lui, dans un hoodie un peu grand qui ne gâche rien à son style naturel. Son visage portait encore quelques traits pas complètement marqué par le temps, prouvant qu’il devait être jeune… Mais il avait le regard plus expérimenté que celui d’un adolescent disons. A peu de choses près ils devaient avoir plus ou moins le même âge.

« Salut. »

Il était du genre sociable et là ils étaient un peu coincés ensemble quoi ! Et puis mine de rien, à force de l’observer, Natsuki était à peu près sûr qu’ils se connaissaient. Non ?

« On se connait nan ? »

Leurs regards se croisent et s’accroche et et Natsuki fronce légèrement les sourcils sous la réflexion. Il passe sur la courbe en amande des yeux sombres, bordés de longs cils… Sur le nez droit qui descendait assez bas, typique de ce côté du continent… Les lèvres en cœur…

« Au stand de Ramen où je bosse parfois, sur Harajuku ! Takeshita street ! Nan ? »

Léger silence… Et Natsuki convient :

« Ok non, p’t’être pas. »

Pourtant la sensation de déjà vu ne le quittait pas ! Mais pour le moment il oubli le sujet, se reposant dans le fond de son siège pour constater :

« T’as pas de chance. T’aurais pris celui juste avant, t’aurais peut-être pas eu de problèmes. »

Ben c’était pas une certitude mais voilà quoi. Natsuki revient enfoncer ses mains dans ses poches, non sans avoir décroché les écouteurs de ses oreilles pour les y enfoncer également.

« J’espère qu’on t’attend pas. Ou que ton rencard est pas à cheval sur la ponctualité. »

Ou qu’il était en avance ou un truc comme ça. Bref. Natsuki faisait la conversation, c’était sa fibre sociale qui parlait pour lui et le type en face semblait plutôt abordable selon ses critères probablement un peu douteux.

Puis c’est un peu à ce stade que ça lui revient… Et Natsuki claque la paume de sa main un grand coup contre sa cuisse !

« Ca y est, je sais ! »

Et de fait :

« Tu fais partit de la parade Disney qui est passé le week-end dernier ! Si si, j’suis sûr d’avoir vu ta gueule d’ange parader ! »

Enfin presque sûr… Ou plus tellement, finalement… Mais le côté costume, paillettes, danse et chant ça avait pourtant sonné un truc chez lui !

Si en Corée du Sud, Yoon Min Ho avait l'habitude de prendre régulièrement sa voiture pour se déplacer dans la capitale, ce n'était plus du tout le cas à Tokyo. C'était une ville bien trop congestionnée. Du moins, le centre-ville l'était. A Hachioji, il était plus aisé de déambuler au volant de sa voiture. Mais quand il s'agissait d'aller bosser, ou de se promener en plein centre, Min Ho prenait toujours le métro ou le train, c'était bien moins compliqué. Pas besoin de payer le parking à un prix exorbitant, ni de tourner pendant des heures à la recherche d'une place de stationnement quelconque.

Sortant du travail à une heure tardive, le premier album de HORIZONS sortant la semaine suivante, le Coréen avait fait un transfert à Shinjuku depuis Shibuya avant de se diriger vers la Keio Line qui le ramènerait vers chez lui. Il aurait pu faire le transfert à la gare de Meidaimae comme il le faisait d'ailleurs en général, mais il avait eu une course à faire dans le quartier des affaires, alors le petit détour avait été nécessaire.

Alors qu'il était dans le train, il trouvait particulièrement étrange que la rame se soit totalement vidée. Même si ce n'était pas encore l'heure des dernières correspondances, la gare de Shinjuku, quel que soit son quai, était toujours bondée. Et pourtant, ô miracle de la vie, la rame était quasiment vide. Quelques badauds, et un type avec des écouteurs dans les oreilles, qui regardait par la fenêtre. Min Ho put s'asseoir, profitant aussitôt de l'occasion pourtant si rare dans les trains tokyoïtes. Mais la joie fut de courte durée, car au bout de quelques stations à peine le train s'arrêta. Entre deux voies, juste avant Chôfu. Bon, ça arrivait parfois, cette partie de la ligne Keio étant souvent congestionnée, il ne se formalisa pas davantage. Ils devaient être au niveau de Sengawa, comme à chaque fois que la ligne freezait en plein milieu de son trajet.

Sauf que l'arrêt, durant généralement quelques minutes, était bien plus long qu'à l'ordinaire. Etait-ce parce qu'ils s'éloignaient de l'effervescence du centre-ville et se rapprochaient de la campagne banlieusarde de la capitale ? Il n'en savait rien. Il s'apprêtait à prévenir Ming Mi qu'il serait sûrement en retard pour son retour à la maison à cause du train quant il entendit un « salut » retentir dans le calme de la rame. Il leva la tête, surpris, et vit le type aux écouteurs l'observer. Avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, l'inconnu renchérit en supposant qu'ils se connaissaient. Min Ho fronça les sourcils pour analyser son visage, mais non, ça ne lui disait fichtrement rien. Mais ce qui l'amusait, c'était que ce type était aussi sociable que lui. Pas plus tard qu'il y a deux semaines, le blond avait abordé un inconnu en gare de Shibuya alors que tous les deux avaient loupé le dernier train.

Min Ho ouvrit la bouche pour contredire le jeune homme quant à son affirmation mais il ne semblait pas prêt à s'arrêter en si bon chemin. Cette fois, il clarifia sa pensée, pensant qu'il avait été client du stand de ramen de la Takeshita où il semblait travailler. Un silence un peu malaisant plana entre eux, il était pourtant rare que le Coréen perde sa langue, mais il avait trouvé plus déstabilisant que lui. Incroyable.

«Je ... »

Mais impossible d'en placer une, l'autre était reparti sur une nouvelle tirade, l'informant qu'il n'avait pas de chance concernant l'arrêt du train, et poursuivant sur le fait qu'il espérait que personne ne l'attendait. Puis il se tut. Min Ho vit enfin une occasion de pouvoir lui répondre, mais le temps qu'il cherche ses mots, l'inconnu avait reprit sa course effrénée. Lui annonçant qu'il l'avait vu dans la parade de Disney. Et puis quoi encore …. Et enfin, cette fois il se tut pour de bon, laissant le Coréen soupirer.

« Tu sais que c'est hyper déstabilisant de se faire harceler de questions sans pouvoir réagir ? » dit-il simplement, car peut-être que l'inconnu ne réalisait pas l'impolitesse de son attitude et le malaise généré.

« Sinon, puisque je peux enfin répondre, je ne t'ai jamais vu nulle part, ou alors je ne me souviens pas de toi. Je ne vais pas souvent à Takeshita, même si maintenant que tu en parles, j'ai envie de ramen ... »

Le ventre de Min Ho se mit à gargouiller comme pour joindre le geste à la parole. Il n'avait pas encore pris le temps de manger, et sans doute que Ming Mi lui aurait laissé quelque chose à réchauffer, ou peut-être même qu'elle l'attendait pour manger ?

« Et puis, la parade de Disney ? Moi ? Non, tu dois faire erreur, je n'y ai jamais participé. »

Au fond il brûlait d'envie de lui dire qu'il avait certainement dû le voir à la télé lors d'interventions pour faire la promotion de Terrace House ou pour animer quelques émissions nippones. Mais vu le côté bavard de l'inconnu, il serait capable de divulguer au premier venu qu'il avait rencontré une célébrité, et les souvenirs de la Corée étaient encore trop frais pour s'y risquer.

« Et toi alors, on ne t'attend pas ? »

Se faire harceler ? Natsuki avait arqué un sourcil devant cette façon de dire les choses. Qui plus est il ne l’avait pas « harcelé » et il avait pris le temps entre chaque question pour le laisser répondre. C’était lui qui avait décidé de jouer la montre et ça lui rappelait ce dessin animé dont il avait vu la pub au cinéma… Avec un renard qui racontait une blague à un paresseux. Au ciné c’était à se tordre de rire (d’après lui quoi) mais là là… C’était juste un peu triste. Est-ce que c’était typiquement asiatique ce manque de spontanéité et de sociabilité… ? Parfois Natsuki pensait sincèrement que oui et il lui arrivait de se faire des plans sur la comète dans lesquels il se barrait pour un pays un peu plus ouvert. Mais dans le même temps il avait un anglais peu développé et pas autant d’ambition que ça alors…

Le gars en face de Natsuki souffle un peu chaud et froid en mode « on se connait pas » qui sonne un peu comme « alors pourquoi tu me parles ? » à cause du préambule… Avant d’embrayer sur un truc à propos de la faim qui faisait un peu plus sociable, surtout accompagné de l’approbation de l’estomac du type. Mais bon. Dans le contexte, Natsuki était plutôt refroidit. Qu’importe où il pensait avoir vu ce type… A présent s’il le recroisait ce serait associé au souvenir de cette mauvaise réception, probablement !

« N’a pas sur moi. »

Histoire de dire un truc ! Et puis de toute façon il était depuis un moment dans cette rame du métro. Même s’il avait ramené un truc pour chez lui, ça aurait été froid depuis un moment. Par contre alors que l’autre semble un peu estomaqué par ses suppositions, Natsuki demande :

« Pourquoi pas ? Tu trouves que c’est un sot métier ? »

Que d’être dans la parade Disney ! Lui il était le roi des sots métiers alors bon… Quoi qu’il en soit, sans lui répondre, le type en face lui avait plutôt renvoyé sa question, à savoir s’il était attendu. Sur le moment, Natsuki se permet d’ironiser un peu :

« Ca semblait être limite poli que je pose ce genre de question mais dans ce sens-là, c’est mieux ? »

Il hausse les épaules, n’attendant pas réellement de réponse en réalité. Mais puisqu’il était beau joueur et que bavarder ne l’effrayait pas, surtout qu’il n’avait rien à cacher quant à ses projets de la soirée :

« Non. Personne. »

Et d’ajouter même :

« J’étais juste bien là. Alors je me contente de rester dans la rame. »

Etre un insomniaque chronique aidait sûrement un peu. Puis ça lui permettait de réfléchir sur lui-même ou au contraire de ne penser à rien que de rester planté là, à regarder par la fenêtre le décor qui s’étirait et s’enfuyait bien trop vite. Natsuki aurait bien ajouté qu’il n’embêtait personne à avoir ce genre de lubie mais compte tenu du contexte, d’aucun aurait pu avoir à y redire… !

« Je me demande combien de temps ça va durer. »

Probablement seulement quelques minutes, à moins qu’un train soit engagé et qu’il fallait le faire reculer évidemment. Natsuki avait déjà travaillé dans l’entretient des rames (entre autres choses !) et il croyait savoir qu’entre les sécurités de distance et tout ça, faire reculer un train pouvait entraîner un effet domino dont on ne soupçonnait pas l’ampleur. Mais revenant plutôt au jeune homme en face de lui :

« Du coup tu fais quoi dans la vie ? »

Et d’ironiser à nouveau un peu :

« Si ça peut te rassurer t’as le droit de mentir, j’irais pas vérifier. »

Puisqu’il semblait le trouver intrusif.

« Je fais juste la conversation. Je trouvais ça plus sympa que de s’ignorer. Mais pour ce que j’en dis… »

Il aimerait bien se dire que « la prochaine fois il s’abstiendrait » mais il était bavard, curieux, tout ça… Et puis comme la tronche de ce mec lui avait vraiment dit un truc (à tort vraisemblablement) il avait profité de l’occasion.

La réaction de l’inconnu fut totalement inattendue et laissa Min Ho perplexe. D’habitude c’était pourtant lui qui avait tendance à gêner autrui avec sa curiosité mal placée, et pourtant actuellement les rôles étaient inversés. Et le blond commençait à comprendre ce que son entourage pouvait parfois ressentir quand il se la jouait hyper intrusif. Pas que ça le dérange, c’était juste que le type l’avait pris au dépourvu, avait déballé mille suppositions sans lui laisser l’occasion de lui répondre pour finalement s’offusquer de la réaction de Min Ho. Drôle d’oiseau que voilà. Son ton, par la suite, prit un goût amer d’ironie bien placée, réagissant alors à chaque tirade que le Coréen avait pu prononcer, jusqu’au fait qu’il n’avait pas de ramen sur lui. Bien évidemment qu’il n’en avait pas, l’odeur se ferait sentir jusqu’au bout de la rame si tel était le cas, puis c’était mal vu de manger dans le train au Japon. Min Ho n’avait jamais vraiment compris cette pudeur des Japonais avec la nourriture dans les transports, mais il s’était plus ou moins adapté. Plus ou moins signifiait que quand ses journées de boulot ne lui laissaient pas le temps d’avoir une pause repas, il lui arrivait de dévorer un melon pan ou un anpan dans la rame du train ou du métro.

« J’aurais senti l’odeur si tu avais des ramens sur toi », tenta-t-il de plaisanter pour dédramatiser, mais l’inconnu gardait son ton sarcastique.

Et maintenant il laissait sous-entendre que Min Ho pensait que parader à Disney était un sot métier. Non mais c’était quoi cet interrogatoire, ce jugement gratuit ? Avait-il dit ça ? Non. Alors pourquoi faisait-il presque les questions et les réponses ? Si Min Ho n’était pas sociable avec tout le monde, ce mec l’agacerait presque. Et le fait d’avoir faim ne plaidait pas en sa faveur. Soupirant, il répondit :

« Je n’ai pas dit ça, c’est juste que je préfère la regarder que d’y participer. »

Et surtout que sa place était une scène dans une salle de concert, et pas déguisé en un personnage de Disney paradant devant le château de la Belle au Bois Dormant. Et il s’offusqua encore que Min Ho se permette de lui renvoyer sa question. Mais sérieusement, c’était quoi son problème à ce type ? Son impolitesse, n’avait pas été de lui demander s’il était attendu quelque part mais plutôt de l’avoir noyé de commentaires et de questions décousus sans lui laisser de quoi réagir. Min Ho choisit donc de ne pas relever le sarcasme de son interlocuteur et le laissa parler tout seul, lui avouer que non, personne ne l’attendait, et qu’il était bien là, dans cette rame. Eh bien, grand bien te fasse cousin ! Pensa le Coréen intérieurement, tentant de garder un visage neutre. Mais l’autre enchaînait déjà, se demandant à voix haute combien de temps l’interruption durerait.

« Aucune idée, mais c’est le Japon, ce sera rétabli vite. Non ? »

Il cherchait à se convaincre lui-même avec cette phrase. Mais bon, l’inconnu repartait déjà dans son monologue. Il n’avait pas pu se contenter de lui demander ce qu’il faisait dans la vie, il avait fallu qu’il lui balance en pleine figure qu’il pouvait bien mentir, qu’il n’irait pas vérifier, et qu’il voulait juste faire la conversation plutôt que de se regarder en chiens de faïence. En temps normal, Min Ho aurait fait la même chose, mais là il était passablement agacé de l’attitude du type. N’ayant même pas envie de faire l’effort d’inventer une histoire, il répondit du tac au tac :

« Je suis batteur dans un groupe de musique. J’avais un groupe avant en Corée, j’en ai un nouveau. Et je suis commentateur télé aussi. Et toi ? Enfin sauf si ça te gêne que je te retourne ta propre question une fois de plus. »

Puisqu’il fallait être sarcastique, Min Ho pouvait l’être aussi. Il n’était pas toujours le joyeux luron qu’on connaissait, quand on l’enquiquinait, il pouvait être tout aussi sournois et désagréable.

De toute évidence le contact ne passait pas. Peut-être que c’était pour ça que Natsuki se souvenait de sa tête sans vraiment se rappeler où. Il avait peut-être déjà noté le comportement de l’autre type. Le genre à se montrer désagréable et ensuite à s’étonner qu’on en fasse de même. Un peu « faites ce que je dis, mais surtout pas ce que je fais ». Natsuki laisse donc un peu pisser devant les justifications du type en face de lui, haussant les épaules à propos de la durée de l’immobilisation du métro sur la rame.

« Je suppose. »

C’est vrai qu’ici on n’avait pas l’habitude de ce genre d’incident. D’ailleurs il se voyait déjà remettre un billet pour excuser son retard. Enfin pas qu’il en ait besoin… Mais il savait que des agents seraient déjà là pour le proposer aux prochains quais quoi… Jusqu’à ce que le métro ait récupéré son retard.

« C’est peut-être grave. »

Et ça le laisse soucieux quand même, un petit peu. Pourtant la voix de l’agent de bord dans les hauts parleurs un peu plus tôt n’avait pas semblé inquiète outre mesure. Pas stressée ni rien… C’est juste que dans l’ignorance l’imagination faisait souvent tout le travail et la société humaine actuelle n’était pas vraiment dans la bienveillance à son avis.

Quoi qu’il en soit, après avoir fait grand mystère de ses activités, voilà que l’autre en face lui débite tout son CV. Pas juste ce qu’il faisait « là là » mais aussi ce qu’il avait pu faire par le passé ! Natsuki arque un sourcil parce que ça restait bizarre après avoir autant fait dans l’évasif… Mais ok !

Les informations ne manquaient pas d’intérêt d’ailleurs. Son regard va aux bras du jeune homme, pas forcément aussi développés que les siens mais on ne pouvait pas non plus vraiment juger au travers des vêtements. Batteur alors ? Un musicien. Sympa. Et visiblement quelqu’un de connu puisqu’il lui explique être commentateur télé. Ça devait effectivement être de l’une de ces deux origines qu’il le remettait.

« Ça doit être ça. »

Et ça expliquait sûrement aussi qu’il se pense un peu supérieur aux autres. C’était toujours le problème des « vedettes » que d’imaginer que leur attitude était toujours meilleure que celle des autres.

Natsuki enfonce ses mains dans ses poches, un air rieur et gentiment moqueur aux lèvres tandis que monsieur le musicien et commentateur télé lui renvoi sa question avec sarcasme. Mais c’était drôle parce qu’il fanfaronnait, visiblement très fier de pouvoir lui faire goûter de son poison alors que la question avait vraiment quelque chose d’absurde à son avis !

« Y a encore moins de cinq minutes on parlait des ramens de l’endroit où je bosse, t’en es conscient au moins ? »

Ou alors il avait une mémoire de poisson rouge, un truc comme ça… Peut-être simplement que dans les hauteurs de sa réussite professionnelle, ce type ne jugeait pas que travailler dans un petit bar à ramen était un vrai métier ! Natsuki lève les yeux au ciel mais quand même :

« Mon frère possède un label. »

Oui ça faisait pas forcément crédible dit comme ça en le regardant mais si un jour il venait à croiser Kazuaki, il saurait qu’il avait dit la vérité hein !

« La SK, ça te parle ? »

Ça aurait été bizarre que non mais bon. En tout cas la voix dans les hauts parleurs se fait à nouveau entendre, leur expliquant qu’ils allaient repartir dans quelques minutes et Natsuki a un « ha ! » satisfait de cette information.

« On dirait que tu vas bientôt pouvoir aller te remplir l’estomac. »

Et que lui allait à nouveau pouvoir profiter de la quiétude des rames relativement désertent ce soir ! C’est pas que l’autre avait pas l’air sympa… Mais clairement il avait pas le chic pour se faire des amis, avec sa méthode de prendre les autres de haut d’entrée de jeu ! Natsuki se demandait si les poulains de Kazuaki étaient tous un peu comme lui ou bien si c’était un truc typique à ce mec là. Ou à la Corée, vu qu’il lui avait dit avoir eu un groupe en Corée avant ça.

Pourquoi venir au Japon pour poursuivre sa carrière d’ailleurs ? C’était bizarre non ? La kpop et tout ça, ça s’exportait très bien d’après Kazuaki et c’était pour ça qu’il mêlait un peu à l’entertainment nippon un petit quelque chose de coréen…

Vraiment, d’ordinaire Min Ho n’avait aucun mal à sympathiser aisément avec les gens, mais avec ce type ça ne passait pas. Impossible de réellement expliquer pourquoi, mais l’ambiance était quelque peu électrique entre eux. Concours de piques, à celui qui aurait la phrase la plus irritante sans doute. Le Coréen était épuisé de ses répétitions, cela jouait sûrement sur son humeur. En plus, il venait d’apprendre que leur chanteuse devait finalement rentrer dans son pays natal pour raisons familiales, et c’était donc un retour à la case départ. Il était seul avec Shiki et les débuts étaient repoussés. Bien qu’il ait dit à l’inconnu qu’il avait un groupe ici, au Japon, c’était plus compliqué que ça en avait l’air. Mais bon, l’agence comptait lancer des auditions en urgence, il espérait que ça paierait et que le retard serait vite rattrapé. Si non il allait devoir réfléchir à nouveau à la proposition de ce Nakajima Kazuaki …

L’inconnu énonça l’hypothèse que le souci de métro pouvait être grave. Or, la voix du conducteur dans les hauts-parleurs n’avait pas paru inquiète, cela devait juste être un simple souci technique qui mettait du temps à être résolu. Puis le train repartirait de plus belle, et tout rentrerait dans l’ordre. Les contrôleurs dédommageraient les clients, s’excuseraient mille fois du retard et la routine reprendrait son cours.
La conversation avait, pour tuer l’attente, dérivé sur les occupations de Min Ho au quotidien, il avait donc fait un bref résumé de son parcours bien que son interlocuteur improvisé semble s’en foutre royalement. Vraiment, drôle de soirée, il avait hâte qu’elle se termine. La fatigue n’arrangeait vraiment rien, il n’avait aucune patience, et les mauvaises nouvelles qui s’enchaînaient ne jouaient pas non plus en sa faveur.
La froideur des propos du jeune homme concernant son boulot le piqua au vif, une nouvelle fois. Il eut envie de rétorquer quelque chose comme « t’es toujours aussi désagréable quand tu t’exprimes ? » mais il se ravisa, n’ayant pas envie d’entrer en conflit dans un lieu public, et haussa les épaules. Le mec débitait tellement d’infos à la seconde, comment Min Ho pouvait-il tout retenir ?

Mais ce qui l’interpella, ce fut quand le type évoqua le label de son frère. Et là, la vérité le frappa de plein fouet : il ressemblait comme deux gouttes d’eau à ce Nakajima Kazuaki qui l’avait reçu dans son bureau en début de semaine pour lui proposer un projet. Lorsqu’il renchérit sur le nom « SK », Min Ho sut qu’il n’y avait plus de doute possible, il avait en face de lui le frère, jumeau visiblement, du vice-président :

« Sérieusement, t’es le frère de Nakajima Kazuaki ? »

Le hasard, les coïncidences, tout ça … Soupirant en constatant la différence radicale de caractère entre les deux frères, il poursuivit :

« Ton frère m’a proposé un projet avec son agence pas plus tard que cette semaine, donc oui ça me parle. Et toi, tu n’y bosses pas du tout ? »

Min Ho se montrait davantage curieux, mais n’en restait pas moins méfiant face à ce type taciturne et cassant.
Ils furent interrompus par la voix dans les haut-parleurs annonçant le retour en service imminent du train, au grand soulagement du blond. Il était grand temps de repartir ! Mais la route était encore longue. Il n’était pas encore rentré.

« On dirait que tu vas être bientôt débarrassé de moi. »

Sauf si tu descends au même arrêt que moi, ne put-il s’empêcher de penser au fond de sa tête.