Premier week-end à Tokyo depuis son retour au pays. Kazuki avait choisi de le passer en extérieur, à flâner et à reprendre ses repères dans sa ville natale, petit à petit. Il avait d’abord commencé par arpenter les artères bondées de Shibuya et ses innombrable zones de shopping. Il était impressionné de voir à quel point le nombre de touristes au Japon avait augmenté en seulement quatre ans. Il n’était pas rentré une seule fois pendant ses études en Angleterre. Sa famille lui manquait si peu, en dehors de sa sœur Yûna, qu’il n’avait toujours pas eu l’occasion de voir en privé depuis son arrivée. Ca lui serrait le cœur.

Ensuite, il s’était lancé dans une balade à pied de Shibuya à Harajuku, comme il avait l’habitude de le faire à l’époque du lycée avec ses amis. Il remarqua à quel point les boutiques avaient changé, remplacées par d’autres plus récentes, par des marques internationales. Il soupira. La mondialisation avait atteint le Japon, mais il espérait que l’archipel saurait conserver son patrimoine et ses traditions qui faisaient sa richesse et sa réputation à l’étranger.
Une fois à Harajuku, il n’avait su que faire. Il s’était baladé dans la Takeshita Doori, s’achetant une glace bien sucrée au passage pour pallier sa morosité apparente. Aujourd’hui était un jour sans. Un jour où il avait eu du mal à sortir du lit. C’était pour cela que dès qu’il avait pu sortir des draps, il s’était précipité dehors pour ne pas avoir l’impression d’avoir fichu en l’air sa journée.

Ne sachant que faire, il s’était dirigé vers l’immense parc abritant le temple Meiji-jingu, pour se promener. On approchait de la fin de la journée et d’ici une bonne heure, tout serait fermé, mais une petite balade dans la nature nichée au cœur de la capitale ne lui ferait pas de mal.
Cette promenade le mena jusqu’au temple principal. Il aimait bien cette ambiance de sérénité et d’espoir. Bah tiens, justement. Il était peut-être temps d’aller jeter une pièce dans le coffre et de faire le vœu de se réconcilier avec sa cadette. Il fouilla un moment dans son portefeuille et dénicha une pièce de 5 yens : la dernière. C’était le destin. Il se plaça devant l’autel et s’apprêtait à lancer sans pièce quand un homme s’agitant à côté de lui retint son attention. Il semblait chercher quelque chose, sans succès. Au bout d’un instant, Kazuki comprit qu’il ne trouvait de pièce de 5 yens dans ses affaires nulle part. Il avait l’air désemparé et dépité. Ce n’était pourtant pas si dramatique de jeter une pièce d’une autre valeur après tout, sauf si, comme Kazuki, il avait une certaine superstition avec ça. On lui avait appris très jeune que les pièces de 5 yens trouées étaient porte bonheur, et il n’en avait jamais démordu.
Il tendit alors sa propre pièce à l’inconnu :

« Tenez, faites-en bon usage. »

Il espérait que l’inconnu apprécierait son geste.

Drôle de situation que de se retrouver dans un temple pour faire une petite prière traditionnelle et de finalement offrir sa pièce porte-bonheur à un illustre inconnu. Mais Kazuki avait toujours été généreux envers autrui, et cette qualité s’était accrue lorsqu’il avait passé quatre longues années à l’étranger. L’hospitalité et l’accueil étaient des qualités que tout Japonais possédait, de manière générale, et le jeune homme aux cheveux rouges n’échappait pas à la règle. Les nippons étaient connus mondialement pour leur sens de l’accueil très chaleureux après tout.

Il avait donc donné son unique pièce de 5 yens au jeune homme aux traits un peu androgynes et fins, et la journée de ce dernier sembla s’illuminer à la vue du modeste cadeau qui semblait signifier le monde pour lui. Il le remercia vivement, tout en s’inclinant, lui avouant qu’il avait vraiment fait quelque chose de spécial pour lui à travers ce geste. Kazuki s’inclina à son tour, lui rendant sa politesse, et répondant un simple « ce n’est rien ». L’inconnu ajouta que s’il le laissait aller à sa prière en premier, il pourrait le remercier comme il se devait autour d’un verre ou d’un café. On était en fin d’après-midi mais à Tokyo, les cafés restaient ouverts jusque tard donc ce n’était pas un problème. La demande paraissait un peu saugrenue et peut-être qu’une autre personne aurait refusé poliment en disant que ce n’était pas nécessaire, surtout que donner une pièce de 5 yens n’était pas un acte chevaleresque au point de se faire offrir un verre. Mais il se trouvait que pendant sa vie à Londres, le jeune homme avait appris à sympathiser avec les inconnus et c’était souvent de là que naissaient de belles rencontres. De plus, il faisait frais et une boisson chaude ne serait pas du luxe, et l’esprit morose, un peut de compagnie ne serait pas non plus de refus. Il décida donc d’accepter.

« C’est gentil, votre invitation. Si cela vous fait plaisir, alors à moi aussi. »

Il sourit, puis le laissa se concentrer sur sa tâche et fit de même avec une pièce de 50 yens, une autre pièce trouée. Elle n’avait pas forcément la même symbolique que la pièce de 5, mais cela ferait l’affaire pour cette fois. Il lança la pièce, frappa deux fois dans ses mains avant de les joindre en fermant les yeux. Il récita sa prière, frappa encore une fois dans ses mains et se redressa après s’être incliné. Il n’y avait plus qu’à attendre que le jeune homme ait fini aussi.

Le jeune homme avait un look au moins aussi atypique si ce n’était pas plus que Kazuki. Rien que cela l’avait fait sourire. Pour cela, le Japon et l’Angleterre étaient proches : on pouvait être qui on voulait sans risquer le jugement dernier, comme dans certains pays où l’image était vraiment quelque chose de très codifié.
L’inconnu semblait très attaché à sa prière et il paraissait tout aussi heureux d’avoir pu la réaliser grâce à lui, ce qui lui faisait plaisir. Kazuki avait toujours été assez généreux, quoique discret et s’oubliant parfois lui-même au profit des autres. Mais bon, c’était dans sa nature d’aider son prochain.

La proposition du bar à cocktails semblait appropriée pour Kazuki. Il ne savait pas s’il boirait de l’alcool à cette heure-ci mais un peu de sucre ne lui ferait pas tant de mal, si ? Lui qui était tout filiforme. Il allait accepter, mais le jeune homme renchérit en demandant s’il préférait un salon de thé, avant de s’excuser aussitôt pour l’avoir tutoyé et avoir été familier. Il se présenta également comme étant Imai Hatsuharu. Quel nom original, qu’on n’entendait plus si souvent au Japon à part dans les romans et les mangas.

« Oh, pas de soucis pour le tutoiement. Je reviens de 4 années en Angleterre et les familiarités ne me posent pas de problème. On peut se tutoyer si tu veux. Je suis Mizushiro Kazuki, enchanté. »

Il marqua une pause accompagnée d’un sourire, avant de reprendre :

« Le bar à cocktails me va bien. J’ai consommé assez de thé à Londres pour les dix ans à venir … »

Il avait dit cela sur le ton de la plaisanterie bien sûr puisqu’il adorait cette boisson et ne cesserait d’en consommer régulièrement. Mais il était d’humeur au changement aujourd’hui.