Le voyant de la batterie s'affiche sur l'écran de son appareil photo, lui rappelant qu'il doit la charger le plus rapidement possible pour s'en servir davantage. Dépité, le jeune homme se dit qu'il vient à peine de la débrancher et qu'elle ne devrait pas l'alerter avant quelques heures, s'il s'en sert autant d'ici là. Quand un appareil commence à perdre son énergie en moins de temps qu'il ne faut pour le remarquer, c'est qu'il y a un souci. Ji Ho est photographe, pas mécanicien, bricoleur ou  peu importe le terme désignant ceux qui savent réparer ces objets. Si son appareil a un problème, il le fait réparer. De son point de vue, la batterie doit être trop vieille et usée. Il n'a qu'à la changer, en racheter une et jeter l'ancienne. Pour autant Ji Ho préfère amener son engin avec lui, au cas où ça ne viendrait pas seulement de la batterie. Rangeant le tout dans son sac de transport, il met celui-ci de côté pour le moment, le temps d'en finir avec ce qu'il faisait avant d'avoir ce souci mécanique. Heureusement qu'il prévoit toujours de prendre ces deux appareils, au cas où l'un d'entre eux venait à devenir capricieux comme à l'instant.

à la fin de sa journée de travail et après avoir remercié poliment collègues et autres personnes de son entourage, Ji Ho récupère le sac avec l'appareil défectueux, ainsi que le reste de son matériel. Cela fait quelques mois qu'il vit à Tokyo, sa connaissance de la ville se résume aux alentours de son lieu de travail et de son logement, ainsi que quelques coins dont il a eu la chance de visiter pendant son temps libre. Il doit une fière chandelle à ceux qui se donnent la peine de le guider dans cette vaste capitale et cela, sans rien demander en retour. Ji Ho se sent toujours redevable envers quelqu'un pour l'aide qu'on lui apporte, pour toutes les fois où il n'a pas pu se débrouiller seul. Cette fois, il ne veut déranger personne et trouver ce dont il a besoin par lui-même. C'est à ça que sert un portable, avec internet et toutes les applications comprises dedans. Il suffit de quelques recherches pour trouver des noms d'enseignes spécialisés dans l'électronique.

Le problème avec le jeune Coréen est que, même si c'est pour lui, il a toujours du mal avec les gens. Posté devant le comptoir du magasin, il sent cette boule venir se loger dans sa gorge quand un employé s'approche et l'accueil. Ji Ho se bat intérieurement pour le saluer et expliquer la raison de sa présence. Dire bonjour est une chose, faire comprendre de quoi il a besoin en est une autre. La sacoche déposée sur le comptoir, il confie l'appareil à l'homme face à lui, après avoir parlé de la batterie. Si ce n'est que ça, alors tant mieux. Le temps qu'il fasse son boulot, Ji Ho se permet de faire un tour de la boutique. Il y a énormément de choix et pas seulement pour la photographie. Bien sûr, ce qui intéresse le brun n'est pas un ordinateur, une console ou un portable, mais bel et bien les appareils photo.

Son attention se porte sur ce rayon-là, sur les appareils numériques comme les polaroid qu'il affectionne particulièrement pour la beauté d'un cliché unique. ça lui plairait d'en acheter un à l'avenir, même si les cartouches de recharge sont un coût à elles seules. Concentré et perdu dans ses pensées, c'est à peine s'il prête attention au monde qui l'entoure ou aux gens déambulant dans la boutique. La seule chose à laquelle il songe, est de savoir s'il pourrait s'offrir une telle merveille et surtout, quoi prendre en photo avec.

 

Même s'il est passionné de photographie, Ji Ho n'a pas pour habitude de venir dans une boutique, sauf si c'est vraiment nécessaire comme aujourd'hui. Tant que ses appareils fonctionnent, il ne cherche pas plus loin et s'en contente grandement. Dans le doute, il préfère quand même faire vérifier son matériel et s'assurer qu'il n'y a rien de plus qu'un souci de batterie défaillante. Sachant ce qu'il veut, le jeune photographe ne s'égare pas avec les paroles du vendeur qui ne fait que son métier au final. Vendre, c'est le truc de cette personne, bien que cela puisse paraître agaçant. Ji Ho a de la chance de ne pas paniquer lors de sa requête, prenant sur lui pour bien faire les choses et ensuite filer dans les rayons pour éviter de patienter un moment au comptoir. Peut-être qu'il aurait dû rester à la caisse et attendre le retour du vendeur, plutôt que se perdre dans les polaroïds et se faire à moitié agresser par un inconnu. Son bond n'est sûrement pas passé inaperçu, son coeur s'emballant brusquement à cause de la présence du garçon mais aussi de sa question soudaine. L'aider? En quoi? Comment? Il sent une goutte de sueur couler le long de sa tempe, tout en retenant son souffle.

« ▬ Je ne suis pas... »

Un vendeur? ça doit se voir, alors pourquoi diable ce garçon vient vers lui? Ji Ho est loin de se sentir à l'aise face à lui, ressentant le besoin de s'écarter d'un ou deux centimètre en reculant légèrement. Pourquoi veut-il son aide? Il ne le connaît même pas, comment peut-il savoir qu'il s'y connaît? Le brun n'a plus ouvert la bouche depuis sa première tentative, écoutant l'inconnu parlé sans oser lui dire qu'il n'était pas là pour ça. Pense-t-il seulement à fuir ou à dire clairement non? C'est là le souci de Ji Ho. Il sait qu'il aura du mal à converser avec la personne, mais il ne se sent pas de refuser ou de décevoir. S'il a bien saisi, il veut acheter un appareil numérique? Ji Ho relève surtout qu'il utilise un polaroïd et ne connaît donc rien aux nouveaux appareils. Mais... Pourquoi demander à lui? Il y a des vendeurs et des conseillers pour ça, juste à côté.

La dernière remarque ne manque pas d'achever le jeune photographe. Celui-ci lâche ce qu'il a en main par mégarde, le bruit sourd du paquet de cartouche tombant à ses pieds résonnant jusqu'à ses oreilles. Mince. Sa jauge de contrôle de soi est chamboulée, sentant le stresse venir titiller ses nerfs fragiles. Il se pince les lèvres tandis qu'il s'accroupit pour ramasser les cartouches et ainsi se soumettre au regard du garçon. Enfin, c'est ce qu'il espère, mais ce dernier n'a pas bougé et continue de l'observer. Ji Ho n'est pas du tout dans son élément, déjà qu'il a trop souvent la sensation d'être un poisson hors de l'eau...

« ▬ Dé-désolé... Mais je ne sais pas... »

Il tente de s'expliquer, de pousser le garçon vers quelqu'un de professionnel, mais quelque chose lui dit qu'il n'ira jamais vers un vendeur.

« ▬ Pourquoi moi ... »

Soupire-t-il pour lui-même, croyant que l'autre ne l'entendrait pas s'il le murmurait tout bas. Ji Ho se redresse, essayant de remettre les achats à leur place dans le rayon. Avec un peu de chance le vendeur de tout à l'heure va l'appeler et il pourra s'évader de cette situation désagréable dont il est la victime.

 

Qui aurait pu le prévenir ce matin en se levant qu'il serait ainsi abordé par un inconnu dans une boutique d'électronique? Il était là uniquement pour faire vérifier ses appareils photo, non pas pour jouer le rôle du professionnel ou prendre la place d'un vendeur sûrement plus qualifié que lui dans les produits proposés à la vente. Malheureusement pour le jeune photographe, ce garçon semble avoir jeté tout son dévolu sur lui comme étant la seule personne présente capable de lui sauver la mise. En plus de ça, on dirait qu'il ne tient pas les vendeurs dans son coeur. Ji Ho est en panique, même s'il tente de le cacher au maximum en gardant une expression neutre, ses mains font n'importe quoi de leur côté. Ses réflexes ont été plus rapides que jamais pour ramasser les articles tombés au sol, avant de remarquer que l'autre garçon s'était encore rapproché. Dès qu'il recule, il s'approche. ça a le don de le rendre nerveux, alors qu'il s'arrête de ranger dès qu'il l'aide à faire de l'ordre dans les articles.

Il insiste. Sa paupière trésaute subitement, lui faisant baisser les yeux vers le sol. Que doit-il montrer? Qu'il ne connaît rien ou l'inverse? Ji Ho est perdu, il n'a pas l'habitude que les gens soient aussi collants et insistant avec lui. Comment peut-il prouver qu'il ne connaît rien en photographie ? S'il reste là à attendre, est-ce que l'autre va se lasser et trouver une autre cible? Le pauvre adulte est incapable de montrer quoi que ce soit à ce garçon, encore moins quand il attrape son poignet dans un signe d'obligation à rester. Ji Ho déglutit, ses yeux sont remontés le long du bras de ce garçon jusqu'à son visage qu'il observe sans un mot. Peu à peu, ses joues se colorent d'une teinte rosée, alors qu'il se pince les lèvres.

Est-il détective? Observateur, qu'il a dit. Ji Ho lance un coup d'oeil vers l'un des vendeurs, mais celui-ci n'a pas du tout la tête tournée vers eux. Aucune chance qu'il les capte à cette distance et en regardant ailleurs. Plus le brun pose des questions, plus le photographe souhaiterait s'enterrer six pieds sous terre pour ne pas avoir à lui répondre. Il enchaîne, perdant à moitié l'attention du plus vieux qui peine déjà à analyser la première interrogation. C'était quoi, déjà? Qu'est-ce qu'il fait là? Voilà, il entend les battements de son coeur remonter dans ses tempes, jusqu'à vriller ses tympans. Une question à la fois, bon sang.

« ▬ Doucement... »

S'il continue à l'interroger de la sorte, jamais il n'obtiendra une seule réponse correcte de sa part. C'est déjà assez compliqué de trouver ses mots pour ne pas paraître idiot, si en plus il en demande trop à la fois. Jun. Maintenant qu'il se présente, Ji Ho ne peut plus reculer et s'enfuir, ça serait vraiment malpoli venant d'un gars dans son genre. Il se sent obligé de répondre, par politesse.

« ▬ Ji Ho. Je suis juste venu pour faire vérifier mes appareils. »

Il a réussi à le dire, un peu sous la contrainte et l'obstination de ce Jun, mais il est parvenu à formuler une phrase sans s'arrêter, ni bégayer. Sauf qu'il vient d'apporter un détail important à ce « client », le fait qu'il a des appareils et que donc, il fait de la photo. Ji Ho soupir, lançant un coup d'oeil à la main tenant toujours son bras. Compte-t-il le retenir jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu'il souhaite? Sa force serait suffisante pour s'en défaire, mais il ne cherche nullement à couper ce simple contact physique.

 

Ce n'est pas parce qu'il est réservé et introverti, qu'il est associable ou qu'il n'aime pas les gens particulièrement. Il y a une différence entre craindre son interlocuteur et le détester, bien que ce soit deux choix sans raison précise. Ji Ho ne peut pas argumenter sur la raison qui le pousse à ressentir ce sentiment de stresse intense et d'effroi en essayant de discuter avec quelqu'un d'autre. ça a toujours été ainsi pour lui, aussi loin qu'il s'en souvienne. Enfin pas vraiment, ce n'était pas aussi puissant quand il était enfant ou adolescent, mais ce "syndrome" s'est décuplé avec les mauvaises expériences. Le premier homme avec lequel il est sorti est sûrement l'une des raisons à son comportement fermé. Il n'en veut pas à ce garçon, même s'il a été déçu par le véritable but de son rapprochement. Ji Ho est trop gentil pour réaliser à quel point certaines personnes ont été nocives pour lui et le sont encore. S'il a peur de s'avancer vers les autres, c'est principalement car il est terrorisé par le rejet, par le jugement, par la critique, par tout ce qui pourrait le blesser. Ce nouvel arrivant est un parfait inconnu pour le photographe, ce n'est pas anormal qu'il s'en méfie. Le truc étrange, c'est surtout cette manie qu'il a de ne pas vouloir brusquer l'autre ou le décevoir si jamais il tentait de récupérer son bras... Trop bon, trop con.

S'il se connaît en photo? Ji Ho porte sa main libre à sa nuque, geste d'embarras et de manque de confiance en soi quant à la réponse évidente. Bien que ça ne ressemble aucunement à une question, mais plutôt à une affirmation. Ce garçon se débrouille pour parvenir à récolter l'information désirée à travers toutes les questions qu'il lâche tel un troupeau de buffles. Ce flot d'interrogation a eu le don de stresser son destinataire, au point d'en venir au fait principal. Il est là pour ses appareils, ce qui annonce la couleur. Jun, le fameux intrus, s'empresse de faire fuir le moindre vendeur qui s'aventure dans leur périmètre, comme si Ji Ho était vraiment le seul à pouvoir satisfaire ses requêtes. En quoi, il ne sait pas encore mais quelque chose lui dit qu'il va rapidement le savoir.

« ▬ Je ne pense pas... »

Répond-il, d'un ton mal assuré. Il ne se sent pas à l'aise avec les gens et encore moins avec des inconnus. ça le tue d'être aussi bref et froid dans ses réponses, se doutant que cela pourrait nuire à l'humeur de son cadet. Si c'était le cas, il s'en voudrait... Il faut juste apprendre à bien le cerner, à voir qu'il n'est pas dans son élément avec des personnes trop bavardes ou envahissantes, mais il ne l'est pas non plus quand le silence s'impose malgré tout. C'est bien pour cela qu'il a autant de mal avec autrui, car il ne sait jamais sur quel pied danser avec eux. Soit ils parlent trop et il ne suit pas, soit ils ne disent rien et il se sent davantage en désaccord avec lui-même. Quoique ce garçon cherche à faire, il semble y parvenir avec talent.

Son métier? Pourquoi a-t-il besoin d'un appareil photo pour son métier? Ji Ho l'observe en silence, n'ayant toujours pas fourni la réponse voulue. S'il l'aide à trouver ce qu'il souhaite, ce garçon n'aurait plus aucune raison de le retenir... Hochant légèrement sa tête, il acquiesce de façon discrète.

« ▬ Juste cette fois. »

Une chance, une seule. Il ne sait pas trop dans quoi il s'embarque en accordant son aide à un gars dont il ne sait rien, si ce n'est qu'il est drôlement convaincant. Comme un tic, Ji Ho remue son poignet pour faire comprendre à l'autre qu'il voudrait bien le reprendre, toujours aussi gêné par ce contact physique.

« ▬ En quoi puis-je...? »

Son début de question annonce la totalité de cette dernière. Depuis tout à l'heure ce Jun parle beaucoup, mais il n'a pas réellement énoncé son problème ou pourquoi il désire tant son aide. Ji Ho l'écoute, un peu forcé par les événements et le jeune homme qui en est la cause.