Le bus. C’était pas forcément sa méthode de transport préférée mais honnêtement il ne détestait pas non plus. Le regard de Riley allait régulièrement à l’extérieur du véhicule, observant les foules pressées et plus ou moins denses qui se précipitaient dans un ordre quasi surprenant. Telles des fourmis ouvrières, chaque entité du groupe se mouvait se percuter personne, un parapluie souvent à la main des fois que l’éclaircit qui était présente depuis ce matin ne se transforme en ciel menaçant…

Son propre bus était relativement bondé même s’il n’y avait pas tant de monde que ça qui se tenait debout. Sûr que s’il avait pris le suivant les choses auraient été différentes… Et c’était bien pour ça que Riley partait « avec un tout petit peu d’avance ». Sa chance à lui c’est qu’il vivait vraiment proche de l’Université… Bref. Son regard est attiré par du mouvement à l’entrée du bus. Un étudiant, sans aucun doute. Il était grand, un peu décoiffé, habillé à la hâte et probablement déjà trop découverte pour cette fin mai un peu capricieuse. On annonçait un été très chaud, sûrement même caniculaire… Mais là il avait pris un peu d’avance, disons.

Si Riley est sûr que c’est un étudiant, c’est à cause du sac à dos et du bruit des bouquins tandis qu’il le laisse tomber au sol le temps de régler son billet. Pas de carte de bus… Peut-être qu’il venait autrement le reste du temps… Ou qu’il l’avait oublié… Bref.

C’était un joli garçon dans tous les cas, plutôt grand et élancé et si on devinait une silhouette sportive, il n’irait pas forcément jusqu’à dire « athlétique » mais bon… C’était toujours difficile de juger par-dessus des vêtements… L’étudiant finit par avoir son billet et il se dirige naturellement vers le fond du bus. Il lui flash un grand sourire après un petit regard étonné… Et s’installe finalement sur la place près de lui qui venait de se libérer ! Du coup, spontanément et parce que le jeune homme ne le lâchait pas des yeux :

« Bonjour. »

Il l’avait peut-être déjà soigné au cours de ces trois derniers mois… Il n’aurait pas su l’affirmer ou l’infirmer à 100% hélas… Quelque chose lui disait que ce genre de joli minois ne s’oubliait pas aussi facilement mais en même temps il voyait passer tellement d’élèves que parfois il se mettait à les confondre, à moins de les voir souvent ou pour une pathologie marquante quoi.

Riley a un sourire amusé devant le sac un peu déformé par les bouquins qu’il contenait.

« Tu as pris toute ta maison avec toi ? C’est mauvais pour le dos. »

Il a un petit clin d’œil pour son voisin, gardant une distance respectueuse mais étant plutôt du genre sociable. Et puis il n’avait pas la distance naturelle qui était propre aux japonais non plus. C’était ça d’avoir vécu dans un pays certes très permissif sur les libertés personnelles mais en plus très ouvert et très soucieux de la communication entre ses habitants. Ho attention : le Canada n’était pas parfait, loin s’en faut… Mais il avait besoin de l’idéaliser un peu pour qu’il ne lui manque pas trop, certainement !

« Tu vas à Chuo ? »

Et de se présenter en inclinant légèrement la tête :

« Tachibana Riley. Je travaille à l’infirmerie. »

Du fait des détours que prenait le bus pour aller jusqu’à l’Université, histoire de s’arrêter dans le plus d’arrêt possible, ils en avaient encore pour un bon quinze ou vingt-cinq minutes, dépendamment de la circulation. Aussi bien bavarder, vu que le jeune homme semblait sociable ! Peut-être même plus que lui à le regarder ! Si ça se trouve, c’était un étudiant étranger malgré son regard joliment bridé. Chuo en était remplit, ça n’aurait donc pas été surprenant.

« C’est la première fois que je te vois prendre cette ligne non ? Ou en tout cas, à cette heure. »

Il ne jouait pas à la police… Il faisait juste la conversation ! Et puis si au pire le type en face l’ignorait finalement ou lui demandait de le laisser tranquille, ça piquerait juste un peu son orgueil et son besoin de sociabiliser… Mais il retournerait à son observation de la ville par la fenêtre quoi… !

Ryuhei était heureux d’avoir décidé de ne pas prendre un appartement. Un des nets avantages de vivre aux résidences universitaires, au-delà du budget qui en souffrait moins, c’était de ne pas avoir besoin de prendre les transports en commun pour aller à ses cours. Et justement hier, pour un projet scolaire qui nécessitait de longues heures de travail de groupe, son équipe et lui avaient convenus de se retrouver dans l’appartement de deux d’entre eux, des colocataires. Pratique, certes. Mais assez loin de l’Université et puisque ça s’était terminé outrageusement tard, Ryuhei avait dormi là. Il grogne un peu ce matin quand, trop tôt à son goût, il doit donc traîner sa maison sur son dos dans le bus de ville.

Au moins, ça semble un peu moins bondé que prévu… et quand il se laisse tomber sur un siège miraculeusement libre, il pousse un long soupir. Il pose son sac à ses pieds, parce que c’est encore là qu’il dérangeait le moins, puis flashe un sourire à son voisin de droite, qui semblait tout occupé à l’observer. Ah c’était peut-être… Levant la main, Ryuhei essuie du dos de celle-ci le reste de sang qui était resté sur sa joue. Il trouvait souvent les ennuis. Pas qu’il les cherchait, mais il avait une grande gueule et ce matin, en voyant quelques voyous agacer une belle fille, il avait joué les héros et voilà. Il avait probablement gagné vu qu’ils étaient partis, mais ça avait rudoyé et il en avait un souvenir. Rien de dramatique… C’était une bague moche que portait un de ces caïds de bas étage qui l’avait éraflé sur la pommette, quoi.

« Yo. », répond le Japonais tout en faisant un petit clin d’œil charmeur au type assis près de lui. Il lui disait vachement quelque chose, sans qu’il arrive à le replacer. Il a un coup d’œil rapide pour son sac avant de convenir : « Ouais, mais j’ai pas vraiment le choix. Je dormais chez des potes pour un travail d’équipe. Alors j’avais besoin de pas mal de trucs. »

De quoi se laver. Des fringues de rechange. Son pyjama. Les trucs sur lesquels bosser et quelques livres pour hier et pour aujourd’hui, parce qu’il avait plusieurs cours entre ça ! Il opine brièvement à propos de sa destination parce que oui, c’est là qu’il allait. Et ça ne le perturbe pas trop que l’homme lui adresse la parole. Ça lui ferait un peu de compagnie. Les gros écouteurs accrochés à son cou n’émettaient aucun son. Le câble avait été mâchouillé par le chiot d’un de ses partenaires d’équipe et il ne s’en était rendu compte que presque arrivé au bus. Sale journée.

« L’infirmerie ? », demande-t-il, songeur. Il réfléchit un peu avant de finalement convenir : « Je me disais aussi que je t’avais vu en quelque part. Ça devait être là. On a dû se croiser. »

Mais même s’il avait dû aller à l’infirmerie quelques fois à cause du basket, il était sûr qu’il ne s’était pas fait soigner par lui. Bref… sa petite histoire précédente expliquait sûrement pour lui pourquoi il était dans ce bus.

« T’y es à tous les matins, toi ? », demande-t-il. Il supposait que ce Riley avait des horaires moins bizarres que les siens, qui étaient rythmés par les cours. « D’ailleurs, ça vient d’où ce prénom ? C’est anglo ? J’aime bien. Moi c’est Sarashina Ryuhei. »

Il incline la tête à nouveau… puis souriant, il tend la main. Quoi ? C’était un étranger, ce Riley, non ?

Alors que le jeune homme tourne la tête vers lui, pas moyen d’ignorer sa joue égratignée quoi ! Riley a un petit air surprit et choqué, surtout que ce garçon était passé devant pas mal de personne sans que personne ne s’inquiète ! Pour sa part il vient fouiller dans son sac besace, en tirant une petite trousse de soin type trousse de voyage. Il était infirmier, on ne se refaisait pas quoi ! D’une mignonnette d’alcool à 90 il fait couler un peu de liquide sur une gaze, approchant ensuite le tout de la joue blessée, spontanément.

« Tu saignes ! Il s’est passé quelque chose ? »

Parce qu’à bien y regarder, il lui semblait deviner la couleur naissance d’un bleu à l’arrière de la mâchoire ! Une bagarre ? Franchement ! Si c’était le cas, il n’avait pas l’air plus inquiet que ça en tout cas… Riley ne répond pas à propos de la raison qu’il avait de transporter tout son barda et lorsqu’il s’interroge à propos de l’infirmerie, son geste précédent devait déjà avoir bien assez répondu pour lui !

« C’est possible... »

Il était toujours assez convaincu que non mais après tout… Il aurait été un peu orgueilleux de prétendre se souvenir de chaque visage… Et déplacé de dire qu’il se souvenait au moins des jolis minois !

« Ca t’arrive souvent ? »

Riley profite d’en être rendu là pour nettoyer la joue là où le sang avait coulé. L’entaille n’était pas profonde, par chance… Mais ce genre de zone ça saignait vite abondamment disons ! La gaze souillée termine sa course dans une petite pochette et Riley tire de sa petite trousse un pansement qu’il entreprend de décoller.

« Tu es blessé ailleurs ? J’ai un peu de baume pour les bleus mais il faudra venir à l’infirmerie. »

Clairement, ce n’était pas le plus simple que de soigner ce jeune homme au milieu du bus quoi ! Quoi qu’il en soit, en venant coller le petit pansement sur la joue de Ryuhei, passant son pouce presque comme on caresse pour s’assurer néanmoins seulement qu’il collait bien, Riley acquiesce.

« Oui, tous les matins. Mais j’ai commencé à la dernière rentrée seulement alors ça ne fait pas si longtemps. »

Quant aux origines de son prénom, il répond surtout à propos des siennes, un sourire aux lèvres :

« Je suis Canadien. Je viens d’une ville qui s’appelle Whistler, c’est près de Vancouver. »

C’était agréable d’évoquer l’endroit d’où il venait et qui lui manquait si souvent depuis qu’il était installé pour de bon ! Il savait où il passerait ses prochaines vacances en tout cas… !

« Et toi ? Japonais, à en croire ton prénom ? »

Pour le nom de famille il n’était pas sûr à cent pour cent et ça restait un nom assez peu courant, lui semblait-il. Après il était déjà pas un grand expert de l’Asie dont il avait la moitié de son ADN qui lui coulait dans les veines… Alors du Japon en particulier… !

« Ou peut-être pas… ? »

Parce qu’il venait de lui tendre la main, ce qui était rarement -jamais en fait!- un réflexe chez les asiatiques. Et puis s’il n’était pas japonais son accent était dans tous les cas plus que parfait ! Riley vient la serrer en tout cas avant de ranger ses petites affaires et de refermer son sac.

« Tu fais des études de quoi ? »

Autant qu’ils bavardent hein… Ils en avaient encore pour un petit bout de chemin avant d’arriver pour de bon à l’université. En tout cas, maintenant qu’il le regardait de plus près et qu’il lui parlait, Riley percevait chez Ryuhei ce petit quelque chose un brin rebelle ou grande gueule. Ca tranchait avec le côté studieux demandé par l’université ou même simplement avec la raison qu’il avait d’être dans ce bus… Mais c’était un mélange plus sain à son avis que tous ceux qui voulaient être « parfait » selon les standards japonais… Ou tout ceux qui rejetaient si fort ces standards qu’ils en devenaient des marginaux que la société n’acceptait plus… Et qui finissaient détruit.

« J’aime vraiment le concept de Chuo. Ca parlait à mon côté métis, je suppose. »

Il n’en faisait pas de mystère non. Et s’il ne portait pas son métissage sur la figure vu la manière qu’il avait eu d’être conçu, il se sentait pleinement métis et très en phase avec ça, grâce à ses parents.

« Tu vises des études à l’international ou simplement la réputation de l’école et les cursus qu’elle propose t’ont séduit ? »