Maintenant qu’il vivait à Yokohama, qui était un peu éloignée de Tokyo, Ken n’avait pas trop l’occasion de se rendre au cœur de la capitale. Pourtant, cela ne faisait pas de mal de temps à autre. Aujourd’hui, il avait envie de se rendre à Shinjuku et d’aller se balader du côté de la mairie, et pourquoi pas monter en haut de l’observatoire. Cela faisait longtemps qu’il n’était pas allé là-bas et avec les complications de sa vie récemment, il avait souvent besoin de prendre l’air. Prendre de la hauteur en plus de cela pourrait l’aider à apaiser ses pensées.
C’est donc dans cette optique que le jeune basketteur prit le train depuis la gare de Sakuragichô, en direction de Shinjuku. Le trajet était un peu long, et Ken aimait bien regarder le paysage qui défilait par les fenêtres du train. Sinon il observait discrètement les gens dans le train en leur imaginant une vie, c’était assez amusant.

Une bonne vingtaine de minutes plus tard, il débarquait sur le quai de la gare de Shinjuku : toujours aussi bondée, toujours aussi similaire à un labyrinthe. Ken détestait cette gare, mais c’était quand même un carrefour important quand on se déplaçait dans l’immense ville de Tokyo.
Les mains dans les poches, il s’extirpa de ce bourbier et se retrouva enfin à l’air libre. Il avait pris la première sortie qui lui était tombé sous le nez, et du coup il n’était pas sûr qu’il était sorti du bon côté pour aller à la mairie. En revanche, si sa mémoire était bonne, il était dans la bonne direction pour aller à Shinjuku Gyôen, le grand parc. Soupirant de dépit face à son manque d’orientation, le jeune homme sortit son smartphone et lança Google Maps. Ouais, il était pas trop loin.
Le nez rivé sur son téléphone pour se laisser guider, il commença à se mettre en route, déambulant dans les rues du quartier des affaires tout en restant attentif à ce qui l’entourer pour éviter de percuter quelqu’un ou de se faire percuter par un piéton ou une voiture. Il savait que les automobilistes étaient assez virulents par ici et il ne tenait pas à avoir un accident.

Il avait suffi que Ken pense à l’éventualité d’avoir un accident sur les grands axes routiers du quartier des affaires pour que cela se produise sous ses yeux : il n’avait pas vu l’enfant traverser la route mais il avait entendu la collision assez distinctement. Sursautant et levant aussitôt les yeux de son téléphone, il aperçut une jeune femme allongée au sol pas très loin de l’endroit où il se trouvait, une voiture arrêtée juste devant elle et des gens qui commençaient à s’attrouper autour d’eux. Bien sûr, il y avait tous ces débiles qui prenaient des photos et des vidéos pour poster sur Twitter comme si c’était amusant de voir un accident. La curiosité malsaine.
Ken allait passer son chemin en voyant plusieurs personnes au téléphone, supposant qu’elles appelaient les urgences, mais son côté un peu héroïque et bon samaritain eut raison de lui et il accourut au niveau de l’accident. Il allait s’approcher de la voiture qui avait commis l’accident pour le rassurer et lui dire que de toute façon, l’assurance prendrait en charge tout cela, mais ce dernier démarra brutalement, fit un écart très dangereux qui aurait pu l’amener à percuter d’autres véhicules pour contourner le corps de la victime et s’enfuit sans demander son reste. Ken resta interloqué. Un délit de fuite, vraiment ? Ecoeuré, il reporta son attention sur la jeune femme au sol : inconnue au bataillon. En revanche, elle semblait seule, et elle risquait d’être apeurée si elle se réveillait seule. Il décida donc de prétexter qu’il la connaissait pour pouvoir l’accompagner à l’hôpital et être autorisé à rester. Il se pencha précipitamment sur le corps inerte de la jeune femme, et, en regardant tout autour de lui avec un air paniqué, il dit :

« C’est mon amie, j’étais sur le point de la rejoindre pour nous rendre au Shinjuku Gyôen … !! Est-ce que quelqu’un a déjà appelé les secours ? »

Une passante confirma qu’elle s’en était occupée, encore choquée de la scène. Ken observa la victime : elle avait l’air jeune. Il pourrait prétexter qu’elle était une amie de l’université ? Mais quel pourcentage de chance y avait-il pour qu’elle soit du même établissement que là où il avait étudié ? Bah, peut-être qu’ils ne lui demanderaient rien et le laisseraient entrer dans l’ambulance.
Cette dernière ne tarda d’ailleurs pas à arriver, ses sirènes retentissant dans l’atmosphère pesante du quartier.
Un ambulancier descendit du véhicule et commença à poser les questions traditionnelles concernant l’accident. Ken laissa les passants qui avaient assisté à l’accident renseigner certaines infos, et lorsqu’on lui demanda s’il était un proche de la victime, il répondit du tac au tac :

« Oui, je suis un ami. Je devais la rejoindre pour aller au parc quand elle a été percutée. Je peux l’accompagner ? Elle risque d’être apeurée de se réveiller seule. »

L’ambulancier se concerta avec ses collègues et finit par acquiescer en confirmant que c’était toujours rassurant de ne pas être seul. Ainsi, Ken monta sans réfléchir dans le véhicule et prit place à côté de la jeune femme allongée. Lui qui avait besoin de se changer les idées avec tout ce qui se passait avec Moana, il était servi ! En parlant d’elle, il la sentait s’éloigner petit à petit de lui, comme si finalement après toute cette année à essayer de se rapprocher, elle ne s’en sentait plus capable et cherchait un moyen de quitter Ken sans trop le blesser. A cette pensée, son cœur se serra et il lâcha un soupir de dépit. Il n’avait vraiment pas de chance avec les filles en général.

Ken avait toujours le chic pour se mettre dans des situations totalement rocambolesques. Aujourd’hui son nouveau délire avait été de venir en aide à une parfaite inconnue en se faisant passer pour son ami afin de l’accompagner à l’hôpital et qu’elle ne se réveille pas seule. Bon, au final, ils auraient très bien pu appeler les parents et elle se serait quand même réveillée accompagnée, mais c’était le premier réflexe qu’il avait eu et il s’était dit que c’était le bon.
Il s’était donc retrouvé à l’hôpital, et pendant qu’on emmenait la jeune femme qui avait apparemment subi un traumatisme important à la tête, il resta à patienter à l’accueil, préoccupé. Elle s’était vraiment jetée sur la voiture pour sauver ce gosse, c’était vraiment héroïque comme geste. Peu de gens seraient capables de ce genre de sacrifice.

Finalement, les parents de la jeune femme étaient arrivés, et Ken alla aussitôt se présenter pour les rassurer et en savoir un peu plus sur cette fille. Il avait brièvement raconté qu’ils se connaissaient de l’université, et au fil de la discussion, il avait appris que la dénommée Hasegawa Yume fréquentait Chûô. Quelle coïncidence ! Bon, il n’y était plus depuis presqu’un an, mais il avait lui-même été là-bas et ils auraient vraiment pu s’y rencontrer au fond. Son mensonge n’était pas si terrible.

Quelques heures plus tard, alors que le père de la victime était parti au travail et que Ken n’était resté qu’avec sa mère, on annonça que Yume s’était réveillée et qu’ils pouvaient lui rendre visite. A ce moment-là, la mère était sortie acheter des douceurs et des boissons au combini, mauvais timing. Ken se permit donc d’entrer le premier en espérant que Mme Hasegawa ne lui en veuille pas trop, et aperçut la jeune femme avec un bandage à la tête, se plaignant de douleurs.

« Euh, salut, tu vas mieux ? »

Ken était maladroit dans ce genre de situation, ne sachant pas quoi dire. Il se massa l’arrière du crâne, gêné, et poursuivit, pour lui expliquer la situation avant que sa mère ne revienne :

« Euh, j’étais là quand tu as eu ton accident, je me suis fait passer pour un ami de la fac pour t’accompagner parce que je me suis dit qu’être seul à l’hôpital c’était pas cool. Et tes parents sont venus, ta mère ne va pas tarder, elle est au combini. Donc si … tu pouvais jouer le jeu ? J’ai été à Chûô aussi donc pas de soucis. »

Ouah, tant d’informations à assimiler pour la jeune femme juste à son réveil ! Ken n’avait pas réalisé qu’il avait été si bavard et il risquait de l’avoir assommée avec tout ça. Bon c’était dit de toute façon …

Ken avait vraiment le chic pour se mettre dans des situations désastreuses en permanence. A croire qu’il attirait la poisse. Mais bon, parfois cela lui avait apporté de bonnes choses. Le jeune homme, cette fois, avait assisté à l’accident d’une jeune femme qui avait sauvé un gosse, et avait décidé sur un coup de tête de se faire passer pour un ami de l’université. Au final, l’hôpital avait appelé ses parents et la mère de la jeune fille était présente. Du coup, Ken s’était senti un peu con et surtout inutile. Mais bon, quitte à être venu jusqu’ici et à avoir chamboulé tous ses plans du jour, autant rester.

Elle avait fini par se réveiller, et il n’avait rien trouvé de mieux à faire, nerveux, que de lui balancer un flot de paroles continu afin de lui expliquer la situation. Mais elle sembla tenir le choc malgré le fait qu’elle venait à peine de se réveiller. Elle semblait d’ailleurs d’avis qu’ils fassent un peu connaissance afin d’être crédible auprès des médecins et de sa famille. Il hocha la tête, convaincu de sa proposition.

« Effectivement. »

La jeune femme avait enchaîné et s’était présentée comme étant Hasegawa Yume. Oui, son identité pouvait-être utile, il aurait réellement eu l’air stupide si, face à sa mère, il n’avait pas su la nommer. Il aurait prié très fort pour que Mme Hasegawa prononce le nom de sa fille avant lui. Elle s’inquiétait aussi à propos de l’enfant. Ken lui sourit et la rassura aussitôt :

« Ne t’inquiète pas, il va bien. Il est resté avec un ambulancier le temps que sa mère arrive je crois. Sinon, moi c’est Ken. Anzai Ken, ancien étudiant à Chûô et membre du club de Basket. Tu es dans quelle faculté ? »

La conversation était lancée, il n’y avait plus qu’à espérer qu’ils puissent s’en dire assez avant le retour de la mère de la dénommée Yume.

Ken fut surpris de la quantité d’informations que lui donna la dénommée Yume à son propos. Elle n’était pas obligée d’aller jusqu’à lui donner sa date de naissance tout de même, qu’allait-il faire de cette info ? Amusé, il la laissa cependant s’exprimer jusqu’au bout et tenta de mémoriser un max de choses. Etudiante en arts, membre du club de volley et du cercle d’arts. Et elle bossait comme artiste à droite et à gauche. Très bien. Il allait se contenter de ça. Ah oui, elle habitait près de l’école.

« Enchanté, Yume-san. Toi aussi tu es mordue de sport alors si tu fais du Volley ! Tu habites dans quelle ville près de l’école ? Moi j’ai habité à Seiseki pendant mes études, à la résidence internationale de Chûô. »

Peut-être qu’elle habitait aussi près de là. Il n’en savait rien, il y avait plusieurs villes proches de l’université au final. Mais Seiseki était de loin la plus confortable à son goût. Il s’y était toujours plu.
Yume reprit avec des questions cette fois, pour peaufiner leur « couverture » vis-à-vis de sa mère. Après, avec le recul, Ken se demanda pourquoi ils continuaient de mentir, pour rassurer sa mère ? Pour l’ambulancier cela avait été logique, mais maintenant qu’elle avait été tirée d’affaire, était-ce nécessaire ?

« J’ai été diplômé l’année dernière, ça fait une petite année que je suis parti. Donc on aurait pu se croiser y a longtemps sur le campus. Mais j’y pense, j’ai menti à l’ambulancier pour ne pas qu’il m’empêche de venir mais on pourrait dire la vérité à ta mère, non ? A moins qu’elle soit choquée qu’un illustre inconnu t’ait sauvé la vie ? »

Même si c’était une broutille, Ken n’aimait pas spécialement mentir ou raconter des salades, même si ça lui était déjà arrivé à plusieurs reprises, surtout avec ses propres parents. Mais là, il se plierait à la volonté de Yume et on verrait bien ce qu’il adviendrait de la situation.
Des bruits de pas résonnèrent dans le couloir : infirmière ou sa mère ? Le verdict allait bientôt tomber.