'' Bonjour monsieur Koizumi, est-ce que vous auriez quelques minutes à m'accorder ? J'aimerai discuter de quelque chose avec vous. ''

Cette étudiante allait finir par devenir une véritable plaie. Hoshino Mitsue. Il ne retenait pas tous les noms de ses étudiants, ce serait bien trop fastidieux, et l’empêcherait de retenir ses textes, mais elle le harcelait tellement fréquemment qu’il ne pouvait plus nier son existence. Et là, sa voix facilement distinguable des autres venait de lui retentir dans les oreilles alors qu’il traversait la cour pour rejoindre le Monorail et rentrer à son appartement à Hachioji.

Pourquoi la fuyait-il depuis le début alors qu’elle lui demandait plus ou moins des cours d’approfondissement de théâtre et qu’il devrait être content de voir quelqu’un de volontaire et de motivé – pas comme Yamada quoi !, prête à prendre de son temps libre pour progresser ? Parce que ça lui rappelait amèrement une situation déjà vécue par le passé à Séoul. Même si ça ne s’était pas déroulé ainsi, ça faisait écho dans sa tête et vu les conséquences que cela avait eu dans sa vie professionnelle comme personnelle, Yûji était encore un peu frileux à l’idée de venir en aide à une étudiante en dehors des heures de cours. Cela pourrait être perçu comme du favoritisme, ou alors une relation ambiguë prof-élève. Si à l’époque où il avait rencontré cette Yoon Su Jin il était encore étudiant, ils s’étaient « fréquentés » alors qu’il avait pris le statut de professeur vacataire et puis elle avait subitement disparu. Ca l’avait marqué, et le fait que cette Hoshino Mitsue voulait approfondir son talent lui faisait penser à cette époque qu’il souhaitait oublier de tout cœur. Pourtant ça n’avait rien à voir.

Aujourd’hui, il allait peut-être falloir qu’il ait une véritable discussion avec l’étudiante pour mettre les points sur les « i » une bonne fois pour toutes, plutôt que de la fuir éternellement avec des excuses bidon.

« Bonjour Hoshino. De quoi veux-tu donc parler ? »

Il n’était pas gênant que les professeurs emploient un Japonais plus détaché envers leurs étudiants, comme il n’était pas non plus rare de voir certains enseignants prendre le café ou le repas au réfectoire ou à la cafétéria avec leurs étudiants parfois. Yûji avait oublié, pendant sa retraite en Corée, que les relations prof-élèves étaient assez particulières dans son pays natal. Cela renforçait la confiance et les étudiants pouvaient être plus motivés. Ou ça pouvait créer des emmerdes interminables au choix. Quant à sa question bateau, Yûji savait pertinemment de quoi elle voulait parler mais il faisait l’innocent, histoire de gagner du temps.

« Tu veux parler ici, marcher, prendre un café ? »

Il ne savait pas ce qui était le mieux, ou bien le pire au final. Et de toute façon, il aurait du mal à la fuir éternellement car il lui semblait que la jeune femme avait déjà mentionné le fait qu’elle vivait à la résidence Tamadaira sur le campus, ce qui faisait qu’elle passait la majeure partie de son temps ici.

Yûji espérait sincèrement que Hoshino se découragerait face à sa demande, mais il n’en fut pas le cas. Dès lors qu’elle lui avait affirmé que le lieu de la discussion lui était totalement égal, elle avait rapidement enchaîné sur le fait qu’elle souhaitait qu’il l’aide à progresser en théâtre. Le professeur étouffa un soupir, monté naturellement dans sa gorge et prêt à s’échapper, mais cela aurait été malvenu et déplacé. En revanche, il ne tenait pas spécialement à discuter de ce sujet en plein milieu de la cour où il y avait beaucoup de passage : les rumeurs se répandaient vite, si un étudiant interceptait juste un morceau de leur conversation, et les bruits ambiants rendaient la concentration difficile. Yûji aimait le calme. Les cafétérias ne seraient pas forcément plus calmes, mais au moins ils pourraient s’asseoir tranquillement et il y aurait plus de discrétion.

Elle avait enchaîné sur le fait qu’elle se savait compétente mais qu’elle voulait perfectionner davantage. Elle semblait estimer que son aide était indispensable. C’était à la fois flatteur mais aussi assez agaçant car elle n’allait certainement pas le lâcher d’une semelle avec cette pensée-là. Et elle conclut en lui demandant pour la énième fois depuis le début du second semestre s’il accepterait de lui donner quelques cours supplémentaires.

« Allons à la boulangerie, on sera plus tranquille pour parler de ta requête. »

Sans lui laisser le temps d’acquiescer ou d’accuser réception de l’information, Yûji se mit à marcher d’un pas ferme jusqu’à l’entrée du Hill Top. Il se doutait qu’elle suivrait le mouvement si elle était si motivée à vouloir prendre ces cours. Il bifurqua à gauche dès le hall d’entrée du bâtiment atteint, et atteignit rapidement la boulangerie Flat. Les viennoiseries et autres brioches étaient en libre-service, il fallait prendre un plateau et récupérer ce qu’on souhaitait avec une pince en métal. Il n’allait quand même pas squatter la boulangerie sans consommer, ce sera malvenu. Il prit un pain fourré aux haricots rouges, une de ses faiblesses malgré le fait qu’il n’aimait pas trop le sucré, et demanda à Hoshino :

« Tu veux manger ou boire quelque chose ? »

Aussitôt la réponse de l’étudiante entendue, il ajouta sa commande sur son plateau et rejoignit la caisse. Il commanda deux thés verts sencha en espérant qu’elle aimait les thés amers non aromatisés, et paya les consommations. Heureusement, la vendeuse ne semblait nullement se soucier du fait qu’un prof accompagne une étudiante. Puis il aurait pu être un élève en reprise d’études, il faisait encore assez jeune.

Une fois installés à une table près des grandes baies vitrées donnant sur une partie de la cour du campus, Yûji croqua dans sa brioche et but une gorgée de thé avant de rentrer dans le vif du sujet. Dire qu’il aurait déjà pu être dans le monorail, voire même à la station Takahafudo pour changer et rentrer à Hachioji … Mais non, il faisait du zèle à la fac. Et risquait de céder pour qu’elle lui fiche la paix.

« Bon. Avant toute chose, j’ai une question : si je me souviens, tu es étudiante en danse. Pourquoi le théâtre ? Pourquoi ça te tient tant à cœur ? »

Pour accepter de donner de son temps libre à une étudiante -contre rémunération il s’entend-, il fallait que Yûji s’assure de la motivation et de la persévérance de la concernée. Il était hors de question qu’il perde son temps avec une lubie passagère d’une future danseuse. Il allait donc un peu essayer de la cerner pour analyser son profil et voir si elle en valait la peine.

Qu'est-ce que ? La boulangerie ? Je ne m'étais pas attendue à ce qu'il me propose d'aller nous poser quelque part. A vrai dire, j'aurai plutôt imaginé qu'il souhaiterai en finir rapidement, ce qui était en totale contradiction avec l'idée que je me faisais d'avoir une conversation autour d'une pâtisserie. Mais soit, la surprise passée, je lui emboîtais le pas, c'est qu'il n'avait pas l'intention de m'attendre et en plus il marchait drôlement vite. Espérait-il me semer ? Je ne sais pas pourquoi, mais ça ne m'aurai pas vraiment étonnée. Ça n'aurai été qu'un stratagème de plus pour repousser cette conversation que j'essayais d'avoir avec lui depuis un bout de temps. Mais si tel était vraiment le cas, il ne me connaissait pas encore suffisamment. Je n'étais pas prête de lâcher l'affaire et j'aurai ma réponse aujourd'hui. Un oui de préférence. Mais si ça devait être un non, que se soit clair et qu'on arrête de tourner autour du pot.
Je ne prononçais pas un mot jusqu'à ce qu'il me demande si je voulais quelque chose ? Je me contentais de lui répondre que je prendrai la même chose, sans même avoir vraiment fait attention à ce qu'il avait pris pour lui. Peu importe, je ne suis pas spécialement difficile en ce qui concerne la nourriture.

Une fois assise à ses côtés, je le fixais tandis qu'il goûtait à sa brioche. J'attendais qu'il en vienne aux faits. J'avais clairement exposé ma demande et comme je ne voulais pas me montrer plus insistante encore, il me fallait bien patienter qu'il se décide à parler. Ceci dit, le fixer comme ça n'était sans doute pas une bonne idée, ce n'était pas quelque chose à faire. Je détournais le regard rapidement quand il prit la parole. Avec un peu de chance il n'aurai rien remarqué. Je hochais la tête quand il me demanda si j'étais bien étudiante en danse. Et  sa question me laissa un instant perplexe. Est-ce que c'était un test ? Il voulait vraiment connaître mes motivations ? Soit, si ça pouvait lui faire plaisir. « Et bien, en effet, ma matière principale est la danse. Mais vous n'êtes pas idiot, vous savez comme moi qu'une discipline comme celle-là use nos corps bien plus vite que la normale. La carrière d'une danseuse est courte et le théâtre peut assurer mon avenir. » Je relevais vivement  les yeux vers lui. « Et le théâtre est tout autant une passion pour moi que la danse. Je désire simplement faire ce que j'aime et je vous l'ai dis, je suis douée pour ça. Mais ça ne suffit pas d'être simplement bon, ça aussi vous le savez. » Certes, j'avais découvert ma passion pour le théâtre bien plus tard que pour la danse. Mais il se trouve que je n'avais pas eu vraiment le loisir de m'intéresser à autre chose avant. Merci maman. Je m'abstenais bien de lui donner ce genre de détail, je n'étais pas là pour lui raconter ma vie. Je doute que ça l'aurai intéressé de toute façon. Je soupirai, je ne savais pas si ça suffirait à le convaincre. « Écoutez, vous êtes un bon professeur et un bon comédien. Et j'ai parfaitement conscience que vous devez avoir d'autre chose à faire que d'aider tout les étudiants qui vous le demandent, mais s'il vous plaît, je ne vous le demanderai pas si ça n'étais pas vraiment important pour moi. » Voilà qui était dit. Je redoutais un peu d'entendre ce qu'il aurai à me répondre, mais je ne pouvais plus revenir en arrière.

A présent, les deux protagonistes étaient assis sur une table de la boulangerie Flat de l’université, près de la baie vitrée. Heureusement que c’est une période creuse où la majorité des étudiants et professeurs étaient en cours. Yûji avait horreur des gens qui jasent, et autant dire qu’un enseignant et une élève seuls dans un lieu quasiment désert en plein milieu de l’après-midi, nombreux seraient ceux qui s’amuseraient à appeler ça un date. Et vraiment, vu que cela ne faisait même pas un an qu’il était rentré au Japon et qu’il cherchait à faire redécoller sa carrière de comédien et d’acteur, il n’avait vraiment pas besoin d’attirer l’attention sur lui avec de fausses rumeurs infondées qui traîneraient sur les médias. Il espérait juste à ne pas devoir passer par la case Johnny’s pour ça, de toute façon il était trop vieux. Mais il ne savait que trop bien que c’était difficile de s’insérer comme ça dans le métier. Certes, il avait un peu bossé l’acting en Corée du Sud, mais là-bas sa carrière s’était essentiellement tournée vers l’enseignement et l’idoling, donc il ne savait pas ce que ça donnerait. Mais bon, peut-être que de donner des cours particuliers à cette étudiante pourrait l’aider si elle décollait à son tour ? Puisqu’il aurait été son « manager » en quelque sorte. Autant que ce soit bénéfique à tout le monde s’il devait passer du temps à l’aider.

Avant toute chose, il voulait connaître les motivations de Mitsue à l’idée de s’entraîner intensivement en théâtre. Il semblait qu’elle était passionnée pour la danse à l’origine, mais que pour elle, le théâtre qui était sa seconde passion pourrait lui permettre de prolonger sa carrière de danseuse en se diversifiant. Pourquoi pas. Après tout il avait bien été chanteur, guitariste et comédien, mais ça personne ne le savait au Japon. La double carrière dans le monde du divertissement était souvent perçue comme un atout en Asie, les personnalités célèbres ayant souvent plusieurs cordes à leurs arcs. Il avait donc hoché la tête en lâchant des « hm » ponctuels, comme tout bon Japonais qui se respecte, pour signifier qu’il était attentif à la conversation. Il avait arqué un sourcil quand elle avait dit « vous n’êtes pas idiot » : elle n’avait vraiment pas froid aux yeux de s’adresser ainsi à un professeur. Ce franc-parler et cette spontanéité l’intriguaient : elle avait peut-être un réel potentiel, et ce n’était peut-être pas qu’un caprice passager après tout.
Tandis qu’il réfléchissait silencieusement, touillant inconsciemment l’eau brûlante de son thé, une habitude qu’il avait depuis longtemps alors qu’il ne sucrait jamais son thé, elle poursuivit son argumentation. Comment pouvait-elle savoir qu’il était bon comédien ? Avait-elle seulement vu ses performances à Séoul ? Ou disait-elle cela pour le flatter ? Il risquait de la charrier sur le sujet, juste pour la déstabiliser et voir sa réaction. Si elle savait rebondir, c’est qu’elle était capable de gérer en improvisation un minimum, et peut-être que ça le convaincrait de la chaperonner.

« Du coup, après ce que tu me dis, est-ce que tu considères le théâtre comme une roue de secours ou es-tu prête à te donner corps et âme dans ton art, autant qu’en danse ? Parce que je n’enseigne pas aux gens qui considèrent mon art comme une roue de secours. »

Yûji avait toujours été doté d’une franchise sans appel, et il n’hésitait pas à être cash pour aller droit au but.

« Comme tu le dis si bien, il ne suffit pas d’être bon. Le théâtre, ça se vit. C’est un art particulier et même si on sait apprendre son texte par cœur avec la bonne intonation, si on ne suscite aucune émotion, c’est peine perdue. Es-tu consciente de cela ? »

Il était maintenant temps d’achever l’étape de déstabilisation du sujet, afin de voir si vraiment sa motivation était solide comme un roc ou disparaîtrait aussi vite qu’elle était venue, par lassitude à cause des réactions du professeur.

« Effectivement, si je devais aider tous les étudiants qui en ont besoin, je pourrais oublier mon temps libre et ne pourrais plus me concentrer sur ma carrière de comédien. En revanche, quelles pièces ou dramas avez-vous vu de moi pour dire que j’étais bon comédien ? Je n’ai aucune carrière au Japon, je serais curieux de savoir d’où vous tenez cette affirmation. A moins que vous ne cherchiez juste à me flatter. »

La balle était dans le camp de Hoshino. A elle maintenant de retourner la situation à son avantage ou de baisser les bras.

Yûji, en tant que professeur de théâtre averti, avait un talent tout particulier pour repérer les émotions des personnes et il constata que sa remarque sur le fait que Mitsue puisse voir sa matière comme une roue de secours avait fait effet. Sa mine contrariée, qu’elle essayait tant bien que mal de cacher pour garder contenance face à son enseignant n’avait pas échappé à son œil de faucon. Si elle savait garder son calme et répondre sans condescendance à sa remarque cinglante, c’était qu’elle avait clairement du potentiel. Et c’est ce qu’elle fit. Elle garda son sang-froid, le fixa et lui répondit du tac au tac qu’elle entreprenait toujours les choses à 100% et que ce n’était pas dans son intérêt de faire les choses à moitié. Yûji acquiesça pour lui montrer qu’elle l’avait convaincu, mais ne répondit rien de plus à cette tirade, inutile de renchérir sur les propos de la jeune femme, puis qu’elle était elle-même convaincue de sa motivation. Cela lui suffisait amplement.

Mitsue sembla encore plus frustrée et agacée de sa réflexion suivante à propos du fait de susciter des émotions. Mais à voir toutes celles qui défilaient sur son visage depuis le début de leur rencontre dans la cour un peu plus tôt, il n’avait aucun doute sur sa capacité à s’exprimer à travers son visage et son corps. Lorsqu’elle affirma être prête à travailler dur, il finit par être compatissant et dit :

« Je n’en doute pas. Sinon tu ne serais pas venue vers moi. »

Les étudiants en arts connaissaient la réputation du professeur Koizumi et savaient qu’il était implacable et strict. En revanche, travailler avec lui permettait généralement d’obtenir de bons résultats car il était d’une franchise sans égal et perfectionniste. Très exigeant avec lui-même, il l’était aussi avec ses étudiants. Mais c’était au fond peut-être lui qui manquait d’émotions, il avait subi tellement de déceptions au cours de sa vie qu’au fond il s’entourait beaucoup d’émotions d’émotions dramatiques. Et il orientait ses castings dans ce type de dramas, films ou pièces : des choses avec des émotions fortes et profondes, autour de la tristesse, la solitude, le repli sur soi … Car au fond c’était ce qu’il maîtrisait le mieux. Il ne savait pas s’il serait épanoui dans une comédie romantique ou burlesque, mystère. Pour cela, il lui faudrait peut-être vivre des émotions plus colorées dans son quotidien.

La conversation avait rebondi sur la tentative de compliment de Mitsue qui semblait persuadée qu’il était talentueux, ce à quoi il avait rétorqué qu’elle ne pouvait pas le savoir puisqu’il n’avait pas de carrière au Japon. Sa réponse fut fort intéressante. Elle n’avait pas froid aux yeux, admettait qu’elle avait dit ça par réflexe et pas pour le flatter particulièrement. Au moins il avait la preuve que ce n’était pas une « lèche-bottes » prête à se rabaisser ou revoir son jugement pour avoir des faveurs. Non, elle restait campée sur ses convictions et cette fougue l’intriguait, maintenant.

« J’apprécie ton point de vue et ton franc parler. »

Il allait poursuivre mais Mitsue reprit la parole et lui fit comprendre qu’elle ne voulait faire perdre de temps à personne, qu’elle était motivée et comptait s’impliquer avec sérieux. Yûji but une gorgée de son thé, soupira légèrement, pas d’agacement mais plutôt de résignation, avant de répondre :

« Je ne t’ai pas posé toutes ces questions pour t’embêter. Je voulais voir un peu quelle énergie tu dégageais, comment tu défendais ta position même avec des remarques provocantes et frustrantes, et analyser tes émotions. Je pense que tu pourrais avoir beaucoup de potentiel en théâtre, à condition d’être aussi sérieuse que tu l’affirmes. »

Ouah. Yûji avait fait un sacré effort de parole pour le coup, c’était dire s’il était intéressé à l’idée de former une candidate talentueuse en théâtre. Surtout que ses capacités en danse pourraient également l’emmener très loin dans le domaine des arts. Elle n’avait pas tort de vouloir combiner les deux après tout.

« Il me semble savoir que tu loges au campus Tamadaira de l’université. Il serait donc plus pratique pour toi que nous empruntions une salle d’ici pour travailler. De toute façon, il serait étrange de travailler ailleurs. Je me renseignerai sur les disponibilités des salles dans le C Square pour te donner un créneau régulier. Quelles sont les tiennes vis-à-vis de ton emploi du temps ? Surtout que ce sont bientôt les examens. On commencera pendant les vacances de février si ça te convient. Janvier est trop chargé pour moi avec tous les examens que je dois faire passer. »

Il avait officiellement accepté de l’aider, et en renseignant un créneau officiel auprès de l’administration, il ne devrait pas y avoir trop de souci. Mais il ne voulait pas trop ébruiter le fait qu’il accepte de donner des cours particuliers à Mitsue car sinon d’autres élèves allaient vouloir obtenir le même privilège et il ne s’en sortirait pas. Mais si ce n’était qu’elle, les rumeurs allaient aller bon train … Ah la tuile.

Hoshino sembla réceptive à toutes les informations que lui fournit Yûji à propos de pourquoi il avait agi ainsi, en la poussant dans ses retranchements. L’ayant en cours général, il avait vu à quel point elle était dépendante de ses émotions et impulsive, et il avait été agréablement surpris de la voir parvenir à réprimer certaines émotions trop vives pour leur conversation, qui auraient sûrement écourté leur entrevue. Yûji était professionnel mais pas spécialement patient, et il n’aimait pas enseigner aux personnes trop susceptibles ou guidées uniquement par leurs émotions. Malgré la provocation, Hoshino avait parvenu à se contenir alors que dans un autre contexte et avec un autre interlocuteur, elle l’aurait sans doute envoyé paître. Mais elle devait vraiment vouloir ces cours particuliers pour maîtriser son attitude ainsi. Que ce soit par fierté ou par réelle envie, il s’en contrefichait, il allait lui laisser une chance de faire ses preuves, mais il espérait juste que les cancres de son cours ou les gens avec un excès de zèle ne se rueraient pas sur lui pour bénéficier de cours particuliers eux aussi. Elle lui certifia d’ailleurs haut et fort que lorsqu’elle avait un but, elle faisait tout pour l’atteindre. Et répliqua qu’elle ferait au mieux pour ne pas le décevoir. Yûji acquiesça.

« J’attends de voir tout cela, Hoshino. »

Il termina sa boisson et sa brioche, avant d’orienter le sujet sur l’organisation. Il lui demanda de lui confirmer qu’elle était bien résidente du campus Tamadaira, et évoqua l’idée d’officialiser leurs cours particulier sur le planning des professeurs, avec un créneau fixe. Il lui demanda également ses disponiblités et lui expliqua que les cours ne commenceraient pas avant février, après la période des examens. Ils profiteraient des vacances pour avancer plus vite en pouvant placer plus de créneaux, et en ayant plus de salles disponibles. Il espérait qu’elle n’avait pas trop de plans pour ses vacances, de type voyage. Lui-même n’avait pas de projet particulier, peut-être s’éclipserait-il une semaine pour aller du côté de Hokkaido ou dans le Kyûshû éventuellement, mais il n’avait rien planifié.

« Février mars, on sera en vacances, donc on pourra envisager plusieurs cours par semaine pour avancer plus vite si tu le souhaites. Après cela dépend de ton budget également. »

Bien sûr, les cours étaient tout sauf gratuits. Il donnait déjà de son temps alors qu’il détestait faire ça, le faire gratuitement pourrait être mal perçu et entraîner des rumeurs de toute façon.

« A ce moment-là, on a qu’à fixer le premier cours le premier mardi de février, à 17h. Et en fonction de tes disponibilités pendant les vacances, on augmentera ou non. »

Il rassembla ses affaires, se leva et alla jeter le gobelet en papier vide dans la poubelle et ramener le plateau avec les couverts à laver. Il remit son manteau sur ses épaules, et dit :

« Tu m’excuseras, mais j’ai beaucoup de travail qui m’attend, alors je dois y aller. J’ai donné mon email professionnel en début d’année scolaire, donc normalement tu l’as. Ecris-moi si besoin. Sinon, on se reverra en février. Bonne fin de journée, Hoshino. »

Il la salua en inclinant légèrement et poliment la tête et quitta la boulangerie d’un pas pressé, ayant hâte de rentrer chez lui se reposer.