Janvier était synonyme d’une nouvelle saison de Basket pour Ken. En avril prochain, cela ferait officiellement un an qu’il aurait quitté l’université pour vivre ses rêves. Il était très heureux de pouvoir vivre de sa passion depuis plusieurs mois maintenant. Il avait été recruté grâce à ses efforts au sein du club de basket de la fac et il était ravi d’avoir rejoint les Corsair de Yokohama, même si ça l’avait obligé de déménager loin de ses anciens repères. Après tout, il avait passé un moment du côté de Seiseki et de Hachioji. Après, depuis Yokohama, la ville d’Hachioji n’était pas bien loin et ça lui arrivait d’y retourner de temps en temps, quand il était nostalgique.

Ken aimait beaucoup Yokohama, c’était une ville portuaire agréable et il y faisait bon vivre. Même si en ce moment son quotidien personnel était loin d’être simple, notamment avec Moana, se promener dans la ville l’aidait à décompresser. Et le Basket était son exutoire, dans lequel il se donnait à fond.
Ce soir d’ailleurs c’était soir de match, et il avait fait de son mieux. Il avait fait quelques actions plutôt bonnes pour lesquelles il était plutôt fier, mais son entraîneur lui avait fait remarquer quelques points sur lesquels il aurait pu s’améliorer. Mais de manière générale, c’était un bon match.

Une douche rapide aux vestiaires car il n’avait qu’une envie, rentrer chez lui, et Ken sortit de l’enceinte du bâtiment. Il y avait encore foule devant l’entrée de ce dernier, des gens qui commentaient le match, échangeaient avec ferveur.
Ken allait partir discrètement quand il se fit aborder par un groupe de filles qui voulaient avoir son autographe. C’était la première fois, il était assez gêné car il détestait être au centre de l’attention. Mais il accepta timidement, réalisant au même moment qu’il commençait à se faire connaître du grand public.
Tandis qu’il signait les documents, il remarqua un visage connu dans la foule : Huan. Un ancien de son équipe de Chûô qu’il avait entraîné. Il se demandait ce qu’il devenait, et ne s’attendait pas à le voir ici.
Il s’approcha donc du jeune homme qui discutait avec un inconnu, puis lança la conversation :

« Huan ! Ca fait longtemps, ça va ? »

Il lui adressa un sourire amical et reprit :

« Je ne savais pas que tu venais voir le match, j’aurais pu t’obtenir des places ! Tu as pensé quoi du match ? Et au fait tu es toujours dans le club de Basket de Chûô ? »

C’était toujours sympa de revoir d’ancien collègues sportifs.

Ken était toujours ravi de revoir d’anciennes têtes connues, encore plus quand c’étaient des amis. Lui et Huan s’étaient rapidement entendus lors des entraînements de Basket, et lors des célébrations post-matches dans des izakaya. Huan avait une tchatche naturelle que Ken appréciait, lui qui était également un bon bavard de service. Il avait aussi un fort caractère et cela changeait des gens complètement effacés qui n’assumaient pas leurs actes. Puis, à l’époque où Ken et Huan jouaient ensemble et que le plus âgé était encore capitaine de son équipe, il se souvenait que son cadet avait un bon niveau et que c’était agréable de jouer avec lui. Un bon coéquipier et un bon ami en somme. Surtout que des amis, Ken en avait de moins en moins récemment. Ren avait quitté le Japon pour s’envoler à nouveau aux Etats-Unis, Moana avait pris la décision d’y retourner aussi pour se ressourcer et se retrouver avec elle-même, et avait déjà quitté l’appartement. Il se retrouvait d’ailleurs avec une chambre vacante dans son appartement et il allait lui être difficile de payer son loyer s’il ne retrouvait pas quelqu’un pour partager. Mais avait-il envie de cohabiter avec quelqu’un après tout ça ? Il se sentait seul et perdu, et pour la peine, il se donnait corps et âme dans le Basket. Donc revoir des gens sympathiques comme Huan lui donnait du baume au cœur.

« Ca pour une surprise, c’est réussi mon vieux, t’as géré ! » répondit-il d’un ton enjoué.

Le cadet ne répondit pas aux autres questions de Ken, mais à la place lui demanda s’il avait du temps pour aller manger quelque chose. Pas besoin de réfléchir : personne ne l’attendait chez lui, il s’ennuyait et déprimait pas mal, le choix était vite fait.

« Carrément ! J’ai la dalle après un tel match ! »

De toute façon, quand est-ce que Ken n’avait pas faim ? Même déprimé, ce jeune homme était un véritable vorace ! Impossible pour lui de passer à côté d’une bonne occasion de manger.

« Tu veux aller où ? A cette heure-ci ce sera surtout les fast-food ou les bars qui seront encore ouverts je pense ! »

Boire un coup ne serait pas du luxe, manger un bon burger de cheat meal à McDo ou à Freshness Burger non plus … Que de choix ! En attendent, le vent de la ville portuaire était glacial en cette soirée d’hiver et Ken remonta la fermeture de sa veste et serra son écharpe. Son coach le tuerait s’il chopait la crève maintenant !

Ce qu’il voulait manger ? Non mais ce n’était pas une question à poser à Anzai Ken le glouton, ça ! Si vous l’écoutiez, il vous dirait qu’il irait se faire un bon burger, puis une pâtisserie, puis une glace, puis encore des snacks … Ventre sur pattes, il ne s’arrêtait jamais ! Et comme il était sportif de haut niveau, généralement il pouvait se faire un peu plaisir. Même si son coach était halluciné face à la quantité de nourriture qu’il pouvait engouffrer, il avait également constaté que Ken faisait partie de ses meilleurs éléments parmi les nouvelles recrues de 2020 et se mouvait rapidement sur le terrain, donc pour le moment, il fermait un peu les yeux sur son régime alimentaire douteux. Mais Ken savait que tôt ou tard, il allait se faire enguirlander pour avoir une alimentation plus soignée.

« En vrai, tout me va, j’ai vraiment trop faim. Un burger, des râmen … ! Ouais, des râmen ! »

Il avait suffi qu’il prononce le mot de l’un de ses plats préférés pour en avoir subitement envie. Ca le réchaufferait, et souvent les râmen-ya étaient ouverts jusqu’à tard. Les deux amis se mirent donc rapidement en route en quête d’un établissement encore ouvert et accueillant. Ken connaissait quelques adresses à Tama où vivait lorsqu’il était étudiant, mais il n’avait pas encore vraiment pris le temps de découvrir Yokohama. Mais si cette ville abritait le Musée du Râmen, il devait y avoir de bonnes adresses après tout.
Huan lui demanda ce que cela faisait de vivre de sa passion, et Ken sourit : c’était vraiment incroyable d’enfin pouvoir réaliser ses rêves sans que ce soit papa et maman qui décident.

« Franchement, je ne pensais pas que ce serait un jour possible. Mes parents ont vraiment tout fait pour je plaque tout et que j’entre dans une école de commerce spécialisée après Chûô et que j’hérite de l’affaire familiale, mais il en était hors de question. Alors quand les Corsair m’ont recruté, j’étais vraiment trop heureux ! On s’entraîne dur, j’ai des journées épuisantes mais je suis passionné. »

Et ça me permet de ne plus penser au départ de Moana, à ma vie sentimentale de merde et au fait que je n’ai quasiment plus d’amis car ils ont tous mis les voiles, aurait-il pu continuer, mais il voulait rester le Ken jovial et blagueur que Huan connaissant, et pas le Ken déprimé et négatif. Alors il s’était retenu pour la dernière partie de son bilan.

« Et toi alors, comment ça se passe en ce moment ? »

Le froid était piquant, et ils marchaient d’un bon pas pour se réchauffer. Alors qu’ils arrivaient dans une ruelle où le basketteur était persuadé de trouver un bon coin pour s’installer, le plus jeune lui demanda où serait son prochain match.

« Je ne sais pas encore, mais j’ai entendu parler d’un déplacement à Fukuoka prochainement, on verra bien. Je sais qu’il y a aussi des matches prévus dans tout le Japon. »

Lui qui depuis jeune n’avait jamais vraiment voyagé dans son propre pays, à part dans deux ou trois voyages scolaires, serait ravi de découvrir de nouveaux coins de sa terre natale.
Ken aperçut une enseigne de râmen ouverte, qui ne payait pas de mine de l’extérieur, mais généralement c’étaient les adresses les plus discrètes qui étaient les meilleures. Il fit signe à Huan qu’ils pouvaient aller là et pénétra à l’intérieur. A l’employé qui leur demanda leur nombre, il répondit deux puis ils se placèrent sur les tabourets en hauteur du comptoir. C’était un restaurant de râmen traditionnel, tout en longueur, avec très peu de tables classiques et un long comptoir, comme Ken les aimait.

Huan semblait aller plutôt bien. Après, les apparences étaient parfois trompeuses. La preuve était que Ken n’allait pas du tout bien, complétement chamboulé par les récents événements, pourtant ça ne se voyait pas sur son visage, il arrivait bien à cacher sa peine. Le Basket, son exutoire, l’aidait beaucoup à relativiser, se défouler et penser à autre chose après tout. Mais peut-être que c’était pareil pour son homologue, peut-être qu’au fond il n’allait pas si bien que cela mais qu’il se gardait bien d’en parler à voix haute. Mais Ken respectait toujours les décisions des gens, et s’il avait voulu lui parler, il l’aurait certainement fait.

« Ah, la fameuse routine. Content d’avoir quitté la fac quand même ! Il te reste encore combien de temps là-bas ? »

Ken ne se souvenait plus en quelle année était son ami. Il se souvenait surtout qu’il étudiait le droit mais le jeune basketteur n’avait pas une mémoire très grande, ne retenant que les choses futiles et sans grand intérêt comme l’adresse des meilleurs okonomiyaki de Tôkyô. Parfait on irait loin avec cette info.
Huan semblait enthousiaste quant aux projets sportifs de son aîné, notamment s’il allait prochainement voyager grâce aux matches à disputer. Ken lui avait parlé de Fukuoka, destination qui avait visiblement piqué la curiosité du plus jeune. Il lui intima de prendre des photos et de les lui montrer par la suite.

« Je n’y manquerai pas, même si je suis trop nul pour ça ! »

Ken n’avait pas la fibre artistique. Pourtant, ce n’était pas parce qu’il était sportif qu’il n’était pas capable d’avoir du talent en arts, les deux n’étaient pas incompatibles. Mais ça ne l’avait jamais attiré outre mesure, et il n’avait pas de talent particulier dans ce domaine. Il se démerdait bien au karaoké mais c’était là tout. Il ne considérait pas que son chant était un art.

Ils finirent par pénétrer dans un restaurant de ramen tranquille où ils étaient les seuls clients. En même temps vu l’heure tardive, rien de surprenant. Mais quand l’aiguille tournerait, ils seraient sans doute rejoints par des salarymen un peu bourrés sortant, affamés, d’une soirée arrosée avec leurs supérieurs. Un grand classique. Ken observait le menu tandis que Huan lui demandait ce qu’il pensait prendre. Il fronça les sourcils comme si ça l’aidait à réfléchir et finit par répondre :

« Je vais prendre les ramen au bouillon épicé, ça devrait me réchauffer, et toi ? »

La commande était passée, et le glouton qu’était Ken avait déjà faim rien qu’à sentir les odeurs de bouillon et de viande qui s’échappaient de l’autre côté du bar, au niveau des cuisines. Ah, il mourrait de faim, puis la bouffe c’était la vie de toute façon !
Huan avait pris un chashu ramen au porc, la valeur sûre, il avait bien raison. Ken avait envie de se challenger un peu et savait qu’il allait bien se réchauffer avec son ramen épicé. Mais en ce moment il avait peut-être besoin de piment dans sa vie ? Qui sait.
Le cadet lui demanda alors si sa famille et ses amis lui manquaient. Hein ? Comme ça, d’un coup ? Il n’était pas tout à fait sûr de comprendre, mais il se souvint que juste avant les deux amis étaient en train de parler de ses matches aux quatre coins du Japon. Il devait sans doute faire référence à ça.
Mais avant qu’il puisse répondre, les bols de ramen arrivèrent devant eux, gigantesques et bien remplis. Impossible de faire attendre son estomac, alors il lui répondrait après quelques bouchées ! Il se saisit lui aussi des baguettes et de la grosse cuillère qui accompagnait pour le bouillon, et lorsque Huan clama un « bon appétit » enthousiaste, il fit de même :

« Bon appétit ! »

Imitant son ami, il se jeta sur son bol pour déguster, même si c’était encore très chaud. Il fut prudent pour ne pas se brûler, avalant ses nouilles avec beaucoup de bruit, typiquement Japonais. Huan semblait ravi d’être ici à la place d’un énième fast-food. Ah c’est sûr que s’ils avaient atterri au Matsuya ou au Sukiya ouverts toute la nuit, ça n’aurait pas été aussi qualitatif. Les gyûdon de Matsuya n’étaient pas mauvais mais la quantité était moindre et le goût assez neutre comparé à ce bol de ramen provoquant une explosion de saveurs.

« Carrément, heureusement qu’on est venus là ! »

Huan complimenta le cuisiner, et Ken se joignit à lui pour faire de même. Après quelques bouchées, il décida de revenir sur la conversation entamée avant que leurs plats n’arrivent devant eux.

« Pour revenir à ta question, si tu parles des moments où je serai en match dans d’autres régions, on ne part jamais bien longtemps, genre 3 jours max je pense. Mais comme je n’ai plus aucun lien avec ma famille, c’est pas bien grave en soi … Et des amis … Bah incroyablement, j’en ai pas tant que ça en fait …. »

Ken n’était pas vantard en disant « incroyablement », c’est juste qu’avec son image extérieure du mec cool et sociable, ancien capitaine de l’équipe de Basket de Chûô, on pourrait penser qu’il était populaire et avait plein d’amis mais pas tant que ça au fond …