— L'ambiance du café était toujours la même, tu la voulais toujours semblable. Calme, reposante, tu avais disposé d'une décoration simple et épurée mais qui permettait le confort. L'endroit n'était pas très grand et tu étais seul à y travailler ,tout simplement parce que tu voulais prendre ton temps. Tu voulais que les gens se posent , savourent, au lieu de prendre à emporter et le boire sur le chemin du travail. C'était sûrement un processus étrange et incompréhensible mais c'était ce que tu recherchais également pour toi. Une douce odeur de café qui s'élevait, peu de choix, ainsi une maîtrise plus grande, une petite musique de fond et des clients toujours plus polis et calmes.
C'était pour ça que tu avais décidé d'ouvrir un café. Pas pour l'argent qui tombait bien rien qu'avec tes photographies. D'ailleurs c'était toujours aussi hilarant de voir ton compte se remplir, les gens parler de tes photographies mais ne pas connaître ton visage. C'était ta protection à toi, ton envie d'être quelqu'un de banal.
Une nouvelle commande et ton rituel commençait, la salutation polie laissait place à un homme plus concentrée choisissant la bonne température d'eau, les bons grains, la bonne tasse pour assembler le tout sur un nuage de lait que tu décorais différemment à chaque fois. Une fois ton café fini tu prenais la tasse l'emmenant délicatement à la table attendue. " Voici votre commande profitez bien." Tout en disant cela tes yeux avaient débordés sur les activités et papier de la jeune femme , renseignant alors qu'elle faisait partie des élèves de cette université. Mais plus encore qu'elle était sûrement dans l'art, notamment dans la photographie. " Vous faites de la photo? "
Février 2021 - C’étaient les vacances d’hiver, et pourtant Ayame était d’humeur studieuse. Elle avait fini par embrasser l’idée de redoubler et elle voyait ainsi cela comme une deuxième chance de mieux s’en sortir. Mais elle n’arrivait pas à se concentrer dans sa chambre alors elle avait décidé de prendre ses affaires et de partir en quête d’un endroit calme pour étudier, remplir ses formalités de réinscription et autres joyeusetés.
La demoiselle aimait beaucoup son quartier, et elle aimait encore plus l’explorer pour découvrir encore de nouvelles choses sur lesquelles elle n’aurait pas encore pu poser les yeux. Souriante, elle avait décidé qu’aujourd’hui elle serait de bonne humeur. Il le fallait, cette année tumultueuse avait été épuisante mais riche en expériences. Il fallait qu’elle aille de l’avant. Il y a environ 4 mois, elle avait réussi à s’exprimer à voix haute. D’une voix rauque qui ne lui ressemblait pas, mais cela signifiait qu’il y avait de l’espoir. Il fallait rester positif.
Se baladant dans les ruelles au gré de son humeur et de ses pas qui la guidaient, Ayame s’arrêta devant la vitrine d’un petit café qu’elle n’avait jamais vu. Soit son ouverture était récente, soit elle n’y avait jamais prêté attention. Mais sa petite taille, le calme qui semblait régner et l’ambiance cosy presque palpable depuis l’extérieur suffirent à la charmer, et elle poussa la porte par curiosité.
Elle avait commandé un chocolat chaud pour se réconforter avec ce temps maussade de février. Du moins maussade … Il faisait beau, le soleil était haut dans le ciel, mais le froid était piquant et une boisson chaude bien savoureuse ne pourrait que lui redonner de l’énergie. Elle avait aussi pris son appareil photo qu’elle portait autour du cou pour aller faire quelques clichés du printemps qui commençait à pointer le bout de son nez. Une fois sa commande passée, Ayame s’installa sur l’une des rares tables du café, sortant ses documents. Elle déposa son appareil photo sur le coin de la table, et entreprit de remplir ses papiers pour l’université. Elle se réinscrivait bien évidemment en 2ème année de littérature. D’ailleurs, Miura-sensei avait été assez aimable pour lui proposer des cours de soutien pendant les vacances. Elle était ravie. Par contre, elle se demandait si elle aurait le temps de continuer de participer aux cercles de calligraphie, dessin et photo, entre les cours et son baito d’assistante mangaka. Elle croisait les doigts, elle avait besoin de ces arts pour s’exprimer et se défouler.
Le serveur lui apporta la boisson et lui intima de profiter de celle-ci, ce à quoi Ayame acquiesça dans un sourire. Puis lui demanda si elle faisait de la photo. Au départ elle fut surprise de cette question, puis elle se souvient que son appareil trônait devant elle. Elle ne s’attendait pas à devoir communiquer ici, mais le serveur avait peut-être constaté qu’elle ne pouvait pas parler puis qu’elle avait fait sa commande en montrant le nom de sa boisson sur le menu. Elle s’empara de son carnet qu’elle avait emporté, prit une feuille neuve, et inscrivit les mots suivants qu’elle montra au serveur :
« Bonjour, désolée je ne peux pas m’exprimer à cause d’un problème de voix. Je fais de la photo en loisir, je participe au cercle de photo de mon université. Pratiquez-vous également ? »
La question avait éveillé sa curiosité, peut-être que le serveur avait le même passe-temps ? La jeune femme arrivait de plus en plus à faire abstraction du fait qu’elle échangeait avec des hommes, s’étant faite à l’idée qu’ils n’étaient pas tous mauvais. Ca avait pris du temps, mais après sa rencontre avec Hotaru, Jun et d’autres, elle avait accepté cette idée. Il fallait juste qu’elle reste sur ses gardes et maintienne une certaine méfiance pour ne pas se faire piéger. Mais ce serveur avait l’air tout à fait intègre alors elle pouvait se détendre.
— Les grosses écharpes avaient pris le dessus sur les tee shirt légers de l'été, les manteaux tombaient sur les jambes et toi même tu trouvais ton bon heur emmitouflé dans des affaires de laine , un café dans les mains. La chaleur se diffusant doucement dans ton corps tu prenais toujours ton temps le matin pour te réveiller, et une fois arrivé à ton café. Les clients ne s'y pressaient pas et tu ne voulais pas t'affolé comme dans ces entreprises qui poussaient tels des mauvaises herbes sur le sol bitumé. Tu voulais plus de calme, de sérénité, tu voulais oublier le strict de la rue, pour retourner dans un cocon spécial, doux. C'était avec ce but précis que tu avais créé cet endroit. Avant tout pour toi, il était également un lieu pour les autres. Les jeunes comme toi , perdus, ceux trop stressés, ceux qui pensaient que leur vie était rythmé au son des pas de la foule, de l'horloge tournante, des entretiens d'embauches qui s'enchainaient. Tu voulais un lieu où les larmes auraient leur place, pour permettre à la légèreté de faire son apparition.
Les étudiants étant les plus touchés, tu te sentais peut être plus proche d'eux que des adultes jugeant au moindre fait et geste. Tu voulais être libre, penser comme tu le souhaitais, faire ce que tu voulais. Peut être était ce pour cela que ton café voyait tous les jours défiler ces étudiants, joyeux ou triste, fatigué ou énergique. Il y avait toujours de quoi sortir de l'ordinaire, de changer de vue chaque matin, chaque après midi, chaque soir. Et même si certains visages commençaient à t'être familier de par leur présence tu ne pouvais empêcher de voir chaque jour comme tout à fait différent.
Chaque jour tu avais de nouvelles idées que tu posais souvent dans ton carnet. Pas de tablette, ou note sur ton téléphone pour toi, tu aimais l'ancienne méthode, peut être un résultat de l'éducation stricte et ancienne que tu avais reçue, ou bien simplement ton côté plus artistique qui aimait dessiner chaque courbe de chaque lettre. Chaque jour donc tu apprenais quelque chose de nouveau, tu faisais quelque chose de nouveau , tu tentais. Tout comme certains venaient pour la première fois tâtonnant entre les boissons, pourtant peu nombreuses. Certains savaient, il s'installait comme s'ils étaient à la maison, comme si tout était simple, et tu aimais cette ambiance. Chacun avait sa manière d'apprécier, de vouloir, de commander, mais cette technique muette ne t'échappa pas faisant pencher ta tête d'incompréhension alors que tu regardais la boisson désignée. Le jugement n'avait pas sa place ici alors tu ne dirais rien, tant que la personne restait respectueuse tu te pliais aux habitudes des uns et des autres. Faisant ton travail avec minutie mais surtout passion.
Chaque tasse était donc unique, préparée et apportée avec un soin particulier auquel tu tenais. Découvrir qu'elle possédait un appareil photo était un pur hasard, qui n'échappa pourtant pas à tes yeux aiguisés. Et la question sortit aussi naturellement que la réflexion te vint. Mais la réponse ne fut pas si simple. Sortant un carnet tu t'interrogea sur son silence détaillant un peu plus sa table om ce fameux nom revenait. Tu connaissais cette université, pour y être sorti, pour donner quelques cours aussi. Le carnet tendu tu te penchas légèrement pour lire.
Lentement tes lippes s'étirèrent et tu lui redonnas son carnet avec douceur croisant finalement les bras. Tout s'expliquait, pour ce silence qui pourrait être pesant, mais que tu appréciais. Pour cet appareil et ces papiers. " Pas de soucis. Je suis Imai Akihito, je suppose qu'on s'est déjà croisé. Je dispense quelques "cours" de photographie là où tu étudies. " Désignant les papiers devant elle de ton menton tu laissais comprendre que tu faisais parti de ces gens.
Son visage ne t'était pas familier, mais tu pouvais t'excuser de voir des centaines de visages et de ne pas te rappeler de tous. " Je peux voir ce que tu fais ? " Pourquoi pas n'est ce pas ? Tu avais un peu de temps, les clients n'étaient plus à arriver et à chaque ouverture de porte tu laissais la demoiselle pour préparer la boisson et revenir. " Tu t'inscris de nouveau du coup ? " Si tu comprenais bien les papiers devant tes yeux.
Février 2021 - Le monde était décidément plutôt petit par ici. En habitant dans une ville si proche de l’université, il n’était pas étonnant de croiser des personnes connaissant de près ou de loin son campus. C’était effectivement le cas du serveur. Ce dernier n’émit aucun jugement quant à sa méthode de communication, et se contenta de se présenter naturellement en tant qu’Imai Akihito. Il lui expliqua qu’ils s’étaient peut-être croisés car il donnait quelques cours de photographie. Le regard d’Ayame s’illumina. Un professionnel ! Ce n’était pas tous les jours qu’elle avait l’occasion d’en rencontrer. Il était effectivement possible qu’ils se soient croisés lors d’un événement autour de la photo, la jeune femme étant assez assidue. Pourtant elle ne se souvenait pas de lui. Mais Ayame n’avait pas vraiment une mémoire photographique des visages et si elle ne passait pas du temps avec une personne, elle avait du mal à s’en souvenir.
Le serveur et photographe lui demanda alors s’il pouvait voir ses travaux de photo. Ayame fronça les sourcils : elle ne se souvenait pas s’il restait des clichés dans la mémoire de son appareil ou si elle avait fait le tri en prévision de sa petite virée post réinscription. Mais avant qu’elle ne puisse vérifier, il lui posa une nouvelle question, lui demandant si elle se réinscrivait. Le rouge lui monta aux joues, et elle baissa les yeux. Prenant une inspiration, elle s’empara du carnet dans lequel elle avait déjà écrit et rédigea la phrase suivante :
En vérité, j’ai malheureusement raté mes examens de 2nde année. Je dois donc refaire mon année. Mais ce n’est pas grave, cela me laissera du temps pour mes loisirs aussi ! Pour les photos, je vais regarder ce qu’il y a sur la carte mémoire.
Ayame tourna ensuite le carnet en la direction du serveur, qui s’était rapidement éclipser pour aller faire un café à un client. Il lirait lorsqu’il reviendrait. Pendant ce laps de temps, la jeune femme alluma son appareil photo et se rendit dans le menu. Il restait quelques clichés de sa dernière sortie, où elle s’était exercée sur la nature, et plus particulièrement les fleurs. Malgré le fait qu’on soit encore en février, quelques arbres précoces commençaient déjà à fleurir, notamment les pruniers. Ayame appréciait immortaliser la nature et plus particulièrement en faisant de la macro, car elle pouvait capturer les détails de chaque fleur.
— Ton café était bien trop proche de l'université pour ne jamais voir des visages d'étudiants , tu le savais. Un choix et un coup du destin. Tu savais qu'en le plaçant si près tu aurais des clients régulièrement et plus studieux, mais tu savais également que tu pouvais avoir ceux que tu côtoyais déjà légèrement pendant les quelques cours et ateliers que tu dispensais. Tout comme cette jeune femme dont tu ignorais le nom et même si tu l'avais croisé sur le campus. Mais le plus interessant restait cet intérêt pour la photographie, ta curiosité pour l'art des autres. Ce qu'elle pouvait faire était un grand indicateur de la personne qu'elle était, tu avais appris ça avec l'art, une forme qui pouvait décrire une personne sans le moindre mot. Peut être était-ce ce que la jeune femme cherchait et aimait dans cette forme d'expression.
Tes mains se posant sur la table pour regarder un peu plus les papiers sans aucun malaise , comme si vous vous connaissiez depuis des années, tu semblas te perdre dans les papiers de réinscriptions. Explications qu'elle tentait d'écrire avant que tu ne lui signales que tu allais servir un nouveau client. Quelques minutes à prendre la commande et à préparer le café et tu revins vers elle après avoir encaisser la commande. Tes doigts vinrent attraper le carnet pour lire la raison de cette réinscription, tes lippes s'étirant en petit sourire.
" C'est rien ça arrive. Et puis refaire une année oui ça te permettra de faire autre chose à côté. Tu es en quelle filière ? Tu pourras te concentrer sur la photo. "
Puisque tout le monde était obsédé par les notes, les études, si on voulait concilier les deux il valait mieux être prêts. Redoubler, une notion que tout le monde détestait mais que tu comprenais peu à peu comme étant là pour aider. Perdre une année, voilà ce qui faisait peur, à ton âge on relativisait un peu plus. Tu avais la chance de tenir un café, de faire ce que tu aimais et de vivre de la photo sans te soucier de ce que les autres pensaient, mais pour ces jeunes en recherche d'avenir c'était effrayant. Croire qu'on y arriverait pas, qu'on finirait dans les rangs, muselés et attachés comme des animaux pour gagner un peu notre vie, juste histoire de survivre. C'était effrayant.
Lorsqu'elle te montra les photos tu te penchas un peu plus dessus détaillant alors avec un air sérieux chaque détail qui pouvait faire ressortir chaque photographie. Elles étaient bien exécuter et tu pouvais voir ce qu'elle aimait mais tu te penchas un peu vers elle lui montrant une photo en particulier. " Tu vois quand tu prends des macro n'hésites pas ensuite à aller dans les réglages et accentuer les bords avec un effet. Sur l'ordinateur c'est encore plus flagrant, c'est super important pour faire ressortir. Et ici, tu peux te concentrer sur le froid et les fleur. "
Mais l'ensemble était bon, tu comprenais ce qu'elle voulait faire et elle l'exécutait très bien. " Mais c'est pas mal du tout, j'aime bien ! " Un sujet vu plusieurs fois mais indémodable, pouvant apporter toute la sensibilité d'une personne. Toi même tu avais fait beaucoup de macro de fleurs mais jamais de fleurs parfaites, toujours en décomposition, ou bien grignoter par ces insectes responsables de leur vie. Une histoire derrière chaque cliché.
(#) Re: I Can see your feelings Ft Ayame ϟ Mar 25 Mai - 10:50
Le serveur était aimable et dégageait une chaleur naturelle dans son tempérament. C’était agréable de partager un moment avec lui, dans un contexte aussi cosy. Ayame était heureuse d’apprendre à s’ouvrir aux autres petit à petit, d’être de moins en moins craintive en présence du sexe opposé et de relativiser en comprenant que chaque rencontre était unique. C’était donc sans trop de gêne qu’elle lui avait expliqué par écrit qu’elle redoublait son année mais qu’elle en profiterait pour s’adonner à ses loisirs, dont la photographie. Sa réaction fut semblable à celle de Jun quelques jours plus tôt : ce n’était pas grave. Jun lui avait parlé de seconde chance, il n’avait pas tort. Quant à ce dénommé Imai Akihito, il lui confirma qu’elle aurait du temps pour autre chose en parallèle effectivement, et lui demanda à quelle filière elle appartenait. Souriant à son encouragement, la jeune femme reprit son carnet et rédigea dans une écriture soignée :
C’est vrai. J’aurai davantage de temps pour peaufiner ma technique en photo, et pour dessiner. Je suis en deuxième année de littérature.
La littérature et l’art n’avaient en apparence que peu de choses en commun, mais Ayame aimait varier les horizons et se cultiver dans divers domaines. La littérature s’était un peu imposée à elle à l’époque, avant de réaliser qu’elle avait un penchant pour l’art. Mais combiner les deux lui convenait amplement pour le moment. La littérature et les lettres en général lui permettait d’améliorer son style d’écriture, ce qui l’aidait lorsqu’elle rédigeait ses billets de blog pour présenter de bonnes adresses. Elle ne manquerait pas de présenter ce café, d’ailleurs.
Lorsque Imai-san revint de son service, elle lui montra ses photos de fleurs. Il les parcourut du regard, puis s’arrêta sur l’une en particulier et lui donna quelques conseils, ce qu’Ayame apprécia. Elle était encore débutant et s’exerçait à son rythme, en autodidacte. Mais avoir des retours de quelqu’un de plus expérimenté, voire professionnel, était formateur et gratifiant. Il semblait bienveillant, sans chercher à imposer son style ou ses méthodes, juste apporter quelques clefs pour améliorer encore son cliché. Ayame n’était pas familière avec les effets de son appareil. Quant aux couleurs chaudes et froides, elle essayait de s’y concentrer, mais ce n’était pas toujours le résultat escompté. La photo était un art complexe et qu’elle prenait plaisir à découvrir. Une fois les conseils prodigués, Ayame déposa l’appareil près de ses feuilles d’inscription, éteint, et entreprit de rédiger une note à l’adresse d’Imai-san :
Merci pour vos précieux conseils ! J’essaierai d’explorer davantage les réglages de l’appareil, je n’y connais pas grand-chose pour le moment. Ca va m’aider à progresser !