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Mizushiro Yûna
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La rumeur de son retour s'était répandue à travers la haute société, toujours avides de nouveaux potins, de nouvelles histoires. Le retour au pays du fils Mizushiro après plus de sept ans d'absence. Bien sûr que ça faisait parler. D'autant plus qu'il n'était pas revenu il y a trois ans après le scandale et son retour avait lieu peu après le mien. Forcément, tout le monde y allait de son petit commentaire. Et même si j'essayais tant bien que mal de me tenir éloignée de ces gens et de leur monde de faux semblants, ça avait finit par arriver jusqu'à mes oreilles. Shôji était revenu à Tokyo. Pourquoi ? Pour combien de temps ? Allions nous nous revoir ? Tout ça avait fait monter en moi un trop plein de stress. J'avais la boule au ventre depuis plusieurs jours, ne trouvant aucune réponse à ces questions qui tournaient en boucle dans ma tête. Je ne savais pas si j'avais envie de le voir, de me confronter à lui. Mais de toute façon, je n'avais aucun moyen de le contacter. Je ne savais même pas où il vivait. De toute évidence, lui non plus n'avait pas désiré retourner dans la résidence familiale. Pas étonnant après ce que notre père avait dit à son sujet.

Étais-je prête à lui parler ? A avoir enfin cette conversation que nous aurions dut avoir il y a des années ? Je ne crois pas. Mais je ne le serai probablement jamais. Alors oui, il faudrait bien que je le vois. Mais pour l'heure, j'avais sérieusement besoin de me vider la tête et de faire redescendre la pression, même mon nouveau travail n'arrivait pas à me l'enlever de la tête. Je savais que la seule chose qui y arriverait était le sport. J'avais bien pensé à contacter Remy pour voir si elle était partante, mais elle ignorait tout de ma situation familiale et de mes histoires avec mon frère. C'était aussi bien comme ça. Je voulais la laisser en dehors de tout ça, c'était un peu une bouffée d’oxygène dans ma vie si compliquée et je tenais à préserver ça, un jour, quand ça irai mieux, quand j'aurai remis un peu d'ordre dans ma vie, peut être que je lui en parlerai. Mais pour l'instant, je me retrouvais toute seule, j'étais sortie en tenue de sport, histoire d'aller courir. Je ne sais pas pourquoi, mais pour une fois, j'avais décidé d'aller au parc Yoyogi, changeant ainsi mes habitudes de courir autour de chez moi. J'avais besoin de changer d'air. Et ce parc était l'un des rares dans lequel on pouvait courir à Tokyo, alors pourquoi pas. J'en aurai vite fait le tour, mais rien ne m’empêchait d'en faire plusieurs.

Je courrais depuis un peu plus d'une demie heure quand la pluie à commencé à tomber. J'allais certainement être trempée avant de pouvoir me mettre à l’abri. Mais de toute façon, c'est à peine si j'y prêtais attention. J'avais besoin d'évacuer tout le stress que j'avais accumulé ces derniers jours et pour ça, il fallait que je me dépense, histoire de pouvoir trouver le sommeil, rien de tel que d'épuiser ma réserve d'énergie. C'est pourquoi je courrais encore un long moment sous la pluie, ce n'est que lorsque le soleil commença à descendre dans le ciel que je m’arrêtais, notant également que la pluie avait cessé. Bien sûr j'étais trempée de la tête au pied, mais je me sentais bien, du moins pour l'instant, restait a espérer que je n'allais pas attraper la crève. Je n'avais désormais qu'une seule idée en tête, rentrer, prendre une bonne douche bouillante et qui sait, peut être pourrais-je passer une soirée tranquille sans avoir de pensées qui envahissent mon esprit.

Il n'y avait pas grand monde dans le parc à cette heure là, j'imagine que la pluie avait découragé bon nombre de gens de venir se balader dans le coin. Je me dirigeais vers la sortie quand je l'ai aperçu, il était encore à plusieurs mètres de moi et pourtant... Même après autant de temps, je l'aurai reconnu entre mille, je ne sais pas pourquoi mais j'étais certaine que je le reconnaîtrais quoi qu'il arrive. Shôji se tenait là devant moi. Je m'en retrouvais figée sur place, incapable de faire un pas de plus. J'avais eu des mois, voir des années pour m'y préparer, mais le choc restait le même, j'aurai pu avoir encore bien des années que rien n'y aurai changé, l'affronter restait la chose que je redoutais le plus. Pourtant que je le veuille ou non, ce moment semblait venu...

Mizushiro Shôji
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Je n’avais plus aucun repère à Tôkyô. Après sept ans sans rentrer et à vivre dans un pays très américanisé, revenir ici était difficile pour moi. J’avais quitté mes amis canadiens, ma vie tranquille là-bas où j’oscillais entre études pour mon enfoiré de père, et mes concerts dans des bars ou entre amis. Bien sûr, j’avais emmené ma guitare avec moi. J’avais appris là-bas, et c’était comme un héritage de ma vie de l’autre côté du Pacifique. Bien sûr, je savais que j’y retournerais, mais pas tant que je n’avais pas réglé mes affaires. Et mes amis étaient bien motivés à venir me voir, je leur avais beaucoup parlé du Japon et ils étaient curieux à l’idée de visiter le pays de leurs propres yeux, et pas juste à travers les miens.
Heureusement pour moi, il me restait encore quelques automatismes et je ne galérais pas trop dans les transports. Je n’avais pas oublié les bons réflexes de ne pas se planter de train. Si je regrettais les transports bien organisés du Canada et pas si difficiles à comprendre, j’étais ravi de retrouver la ponctualité exagérée nippone.

Cela faisait seulement deux semaines que j’étais là. J’avais eu la chance de renouer contact avec un ancien pote de la fac qui avait proposé de m’héberger le temps que je me retourne, après que je lui ai raconté mon histoire rocambolesque avec ma famille. Il m’avait dit qu’il en avait entendu parler aux infos il y a trois ans de cela, mais qu’il n’avait pas osé m’en parler, se doutant que loin où j’étais, je ne risquais pas d’avoir vent de tout cela. Si au départ je m’étais un peu vexé qu’il sache depuis plus longtemps que moi, j’avais fini par comprendre son point de vue et au fond je l’en remerciai car ça m’aurait sans doute gâché l’existence sur place, et je n’aurais pas autant profité car je serais rentré bien plus tôt.

Aujourd’hui, après avoir passé des heures à faire des recherches d’appartement infructueuses, je décidai d’aller prendre l’air. Le parc Yoyogi n’était pas trop loin, une station de Yamanote Line et j’y serais. J’aurais même pu y aller en marchant mais j’avais une flemme monumentale. Dans mes souvenirs, ce parc rassemblait les musiciens, les skateurs, les danseurs, les sportifs … On pouvait un peu tout y faire. Alors j’avait mis mon étui de guitare sur le dos et avais décidé que j’irais jouer là-bas un moment.
Je m’étais posé sur un banc, et avais joué un moment, seul, livré à moi-même, et à mes pensées. Pourquoi étais-je rentré au juste ? J’aurais très bien pu ignorer la nouvelle, faire comme si de rien n’était. Et quand, le jour de mes 30 ans, mon ‘père’ m’aurait contacté pour me dire de rentrer au pays, je lui aurais sûrement craché à la figure. Oui, j’aurais pu faire ça. Mais au fond de moi, une partie de mon âme savait que je n’aurais jamais le cœur tranquille en continuant éternellement de fuir mes problèmes.

Mes doigts parcouraient les cordes de l’instrument pour faire jaillir des notes. Parfois des gens s’arrêtaient pour m’écouter. La pluie se mit soudainement à tomber. Merde, j’allais abîmer mon matériel. Je jetai un coup d’œil circulaire autour de moi et remarquai une sorte de kiosque abrité sous lequel je partis m’installer en courant pour protéger ma guitare. Il faisait froid, mes doigts étaient gelés. Quelle idée d’aller jouer en plein mois de février en extérieur vous me direz ! Je sais, j’étais têtu. Mais après avoir goûté aux températures négatives du Canada, le froid tokyoïte ne me faisait plus peur, loin de là.
Au final j’attendis une accalmie et décidai de rentrer une fois la pluie stoppée, pour ne pas tremper mon étui. Le soleil commençait à décliner lentement dans le ciel. J’avais oublié à quel point il se couchait tôt au Japon. C’était le moment ou jamais. Ma guitare rangée dans son étui, je me levai et quittai mon abri de fortune pour rejoindre tranquillement l’entrée du parc, près à regagner le train et rentrer chez mon ami.

C’est là que je la vis. Yûna. A quel moment, dans une capitale aussi grande que Tôkyô, je pouvais tomber accidentellement sur ma sœur ? Je n’avais pas encore rassemblé mes idées la concernant, je ne savais pas quoi lui, je comptais prendre mon temps avant d’entrer en contact avec elle. Comment ? Je n’aurais pas su. Je n’avais plus ses coordonnées et sans doute qu’elle ne les avait pas données aux parents vu les scandales récents. C’était peut-être pas plus mal de se tomber dessus par hasard au fond. J’aurais très bien pu lui demander son LINE et me barrer aussi sec en lui disant que je la recontacterai plus tard ? Ouais, paye ton attitude de frère à 100 yens là. Non, j’avais déjà assez honte d’avoir créé des traumatismes irréparables dans sa tête, j’allais pas non plus passer pour le gros lâche jusqu’à la fin de mes jours.

« Yûna. »

C’est tout ce que je fus capable de dire une fois à sa hauteur. Elle était trempée, en tenue de sport. Venait-elle sérieusement de courir sous la pluie battante de laquelle il s’était protégé ? Etait-elle inconsciente ? Bref, ça ne me regardait pas.

« Ca fait longtemps. »

Ah bah ouais mon vieux, ça pour faire longtemps ! Même à l’époque où tu étudiais à Chûô, tu ne voyais jamais ta sœur. En vrai on ne s’était pas vraiment côtoyé depuis mon entrée au collège. On était donc un peu comme des étrangers. Et pourtant, mon envie de la protéger était toujours présente, comme un instinct fraternel que je ne pensais pourtant pas avoir. Je retirai l’étui de guitare de mon épaule, retirai ma veste et la posai machinalement sur ses épaules mouillées.

« Tu vas attraper la mort à courir sous la pluie. »

Faute de mieux, j’essayais d’amorcer le dialogue comme je pouvais, à voir comment elle y répondrait.

Mizushiro Yûna
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Il me fallu quelques minutes avant de réagir, ça lui avait suffit à combler la distance qui nous séparait. Si j'avais voulu tourner les talons et m'enfuir, c'était un peu tard. Pourtant, je sais que j'en aurai été capable, m'éloigner de lui était une chose pour laquelle j’excellais, je l'avais fais durant des années, me tenant aussi loin que possible de lui et de toutes informations le concernant. Je ne savais rien de ce qu'il avait fait durant toutes ces années, j'ignorais même dans quel pays il s'était rendu. Alors pourquoi n'aurais-je pas pu continuer comme ça ? Je repensais alors à la conversation que j'avais eue avec mon meilleur ami. Il avait raison, je ne pouvais pas continuer à fuir toute ma vie. Il était temps que j'accorde une chance à Shôji. Même si je n'étais toujours pas certaine d'avoir envie d'entendre ces explications, il fallait bien faire face un jour. Et après tout, nous n'étions plus des enfants, tout deux, nous étions devenu des adultes, les choses seraient différentes.

Comme j'étais incapable de dire quoi que se soit, c'est lui qui rompit le silence en premier. Il se contenta de prononcer mon prénom. Ça a suffit a avoir l'effet d'une décharge dans ma tête, comme me réveillant d'un long rêve. Comme si je réalisais enfin que c'était vraiment en train d'arriver. « Alors c'est vrai, tu es vraiment revenu... » Je n'étais donc pas en train de rêver. Mon frère se tenait bien là devant moi, en chair et en os. Ça fait longtemps, voilà ce qu'il venait de dire. En effet, il avait passé des années dans un autre pays, il ignorait probablement tout de ce que j'avais traversé ici. Et même sans parler de ça, même avant son départ, nous ne nous voyions qu'en de très rares occasions. Finalement, nous ne savions pas grand chose l'un de l'autre. Mais c'était autant ma faute que la sienne et pour l'instant, je doutais que nous puissions un jour changer quelque chose à cela.

Alors que je ne bougeais toujours pas, je l'ai observé poser son étui de guitare, notant dans un coin de ma tête qu'il savait donc jouer d'un instrument. Puis il a retiré sa veste pour la poser sur mes épaules. Immédiatement, je me suis sentie enveloppée de chaleur, sa chaleur. Je n'avais pas réalisé à quel point j'avais froid. Un frisson me parcouru entièrement. Il avait raison, j'allais attraper la mort. Mais qu'aurait-il dit s'il savait que c'était justement pour le sortir, lui, de ma tête que j'étais là ? Finalement tout ça était très ironique. J'avais voulu l'oublier pour un instant, ne plus penser à lui et voilà que je me retrouvais à présent face à lui. Je haussais alors les épaules évitant soigneusement de le regarder dans les yeux, je n'y étais pas encore prête. « J'avais besoin de me vider la tête. » Inutile de lui fournir plus de détails là dessus. Chacun sa façon de faire après tout, pour moi c'était le sport, ça l'avais toujours été, mais était-il seulement au courant de ça ?

J'avais tellement de questions à lui poser, pourtant je n'arrivais à en formuler aucune. Ou du moins, aucune qui ait vraiment de l'importance à l'heure actuelle. Alors tant pis. « Tu es rentré depuis longtemps ? » Je me doutais bien que non, sans quoi, j'en aurai entendu parler bien plus tôt. Mais il fallait bien commencer par quelque part.

Mizushiro Shôji
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Il n’y avait pas plus maladroit comme situation. Ma sœur que je n’avais pas vue depuis de nombreuses années. Pas seulement les sept années durant lesquelles j’avais vécu au Canada et n’avais eu aucun contact avec elle. Mais les précédentes aussi, car nous nous étions déjà tant éloignés l’un de l’autre. Elle, pensant que je la détestais au point de l’enfermer dans des placards jusqu’à la traumatiser. Moi, persuadé que le mal était fait et que c’était trop tard pour réparer les dégâts. Moi qui étais lâche et fuyais mes problèmes au lieu de les affronter. Moi qui avais toujours peur de mal faire, ou de m’emporter, vu mon caractère impulsif.
Pourtant, après toutes ces années à tracer des chemins différents, nous étions l’un face à l’autre, dans le parc de Yoyogi, à se regarder dans le blanc des yeux comme deux étrangers, ou deux personnes qui ne s’étaient pas vues depuis si longtemps qu’elles ne pensaient pas un jour se croiser par hasard.

J’avais fait le premier pas, timidement, mais spontanément. Je l’avais vue trempée par la pluie, et je n’avais pas pu m’empêcher de retirer ma veste pour l’envelopper avec au niveau des épaules, espérant secrètement qu’elle ne se braquerait face à ce mouvement de proximité. Je ne cherchais rien de spécial à travers ce geste, juste que j’étais tout de même son grand frère et qu’inconsciemment, j’agissait comme tel. Avant cela, elle avait tout de même parlé, se tenant à distance, réalisant que j’étais revenu. Mais c’était parce qu’elle n’avait pas bougé d’un poil que j’avais pris cette décision d’aller vers elle. Car elle ne l’aurait sûrement pas fait, vu notre passif. Et il fallait bien que quelqu’un se lance, sinon on pouvait se regarder ainsi pendant des heures. Et au fond, comme c’était moi qui avais fait le con, c’était aussi à moi de prendre les devants. En tant qu’aniki qui plus est.

Elle n’avait pas esquissé de mouvement de recul quand j’avais posé la veste sur ses épaules, acceptant mon geste fraternel. Elle fuyait mon regard en revanche. C’était normal, moi-même j’avais du mal à vraiment assumer sa présence en face de moi. Mais j’essayais. Il était tant que les choses bougent. Mes amis canadiens m’avaient secoué les puces à ce sujet en me disant que j’étais vraiment un crétin fini et que c’était ma sœur, que nous étions des enfants et que l’erreur était humaine, qu’il fallait que j’arrête de me chercher des excuses. Mais pour autant, je n’avais jamais réussi à franchir le cap de la contacter. Des brouillons de mails, j’en avais mille, mais lui écrire ne m’avait pas semblé être la bonne alternative. Mais ma vie là-bas, je voulais la savourer, puisque je me savais en sursis jusqu’à mes 30 ans comme avait dit mon « père ». Mais maintenant je m’en foutais, j’irais et viendrais où bon me semblerait. Et il n’aurait rien à redire. Et je décidai donc qu’après toutes ces années à faire l’autruche, mes amis avaient raison et il était temps de faire bouger les choses.

« Tu cours souvent à Yoyogi ? » demandai-je histoire de ne pas trop m’immiscer dans sa bulle privée en lui demandant pourquoi elle devait se vider la tête. J’y étais sans doute pour quelque chose.

J’aurais aimé lui poser mille questions. Mais il fallait y aller en douceur. Puis ce fut elle qui posa la sienne, au final, me demandant si cela faisait longtemps que j’étais rentré.

« Heu, environ deux semaines je dirais. C’est tout récent, je suis encore totalement perdu. »

Pourquoi ces détails ? Elle s’en ficherait, non ? Peu importe, je voulais avoir une conversation à peu près normale avec ma sœur. Le froid commençait à se faire sentir, et à nous rappeler qu’on était quand même la fin d’après-midi en plein mois de février et que même si le printemps commençait à poindre, il faisait encore bien froid le soir.

« Si tu n’as rien de prévu … On pourrait aller discuter dans un endroit plus chaud ? » tentai-je, espérant qu’elle accepte. Après, trempée comme elle l’était, peut-être voudrait-elle aller prendre une douche. Si je demandais à mon ami qui m’hébergeait, peut-être accepterait-il que je l’invite chez lui et qu’elle puisse prendre une douche ? Mais j’allais d’abord attendre sa réaction.

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Pourquoi suis-je incapable de le regarder en face ? Je pense qu'au fond, j'ai peur de ce que je pourrai lire dans son regard. Il n'a pas l'air d'avoir de mauvaises intentions. Peut être n'est-il plus ce garçon qui me terrorisait tellement plus jeune. Les années et la vie qui a poursuivi son cours m'ont faite changer, alors peut être en est-il de même de son côté. Je me demande où cela va nous mener. Alors je fixe mes pieds bêtement. Ce n'est pas une attitude que j'ai l'habitude d'adopter. Mais la personne qui se tient devant moi n'est pas n'importe qui, il s'agit de Shôji. Sait-il seulement à quelle point j'ai redouté cette rencontre ? Peut-il seulement imaginer qu'il a toujours été ma plus grande faiblesse ? Ce mélange de sentiments contradictoires que j'ai toujours ressenti à la simple évocation de son nom. Il est mon frère aîné, depuis toujours je l'ai admiré et aimé. Mais les événements m'ont amenée à le craindre, ne sachant jamais s'il allait me faire souffrir encore. Je me suis voilée la face pendant des années, prétendant  que je vivais bien le fait de ne pas avoir de ses nouvelles. Faire comme s'il n'existait pas était certes la solution de facilité, mais je prends conscience que ça ne règle pas le problème, ça ne fait que le repousser et le laisser moisir, rendant les choses encore plus compliquées. Mais à présent, il est là, tentant d'avoir une conversation avec moi. « Pas vraiment, je voulais changer d'air pour une fois. » Et si j'avais su que je le croiserais, serais-je venue quand même ? Sans doute pas, mais il n'a pas besoin que je le lui dise, il doit s'en douter de toute façon.

Il me confirme alors qu'il n'est rentré que récemment. Je ne comprend pas, qu'est-ce qui a bien pu le pousser à revenir maintenant ? « Pourquoi ? » Bon d'accord, je dois pouvoir faire mieux que ça, je laisse échapper un soupire et prenant mon courage à deux mains, je  relève enfin le regard vers lui. « Pourquoi maintenant ? Pourquoi n'es-tu pas revenu il y a trois ans ? » Pourquoi n'a-t-il pas été présent quand tout est parti en vrille dans notre famille ? Aurait-il pu être le soutien dont j'avais désespérément besoin à l'époque ? J'en doute, mais j'ai tout de même envie de savoir pourquoi il a attendu trois longues années avant de revenir au pays. Trois années durant lesquelles je n'étais moi même pas à la capitale. Et si je n'étais moi même pas revenue ? Je me demande si notre père l'a mis au courant de ma longue absence. Sans doute pas et de toute façon, je doute que ça l'ait vraiment intéressé.

Je hausse les épaules quand Shôji me demande si je n'ai rien de prévu et me demande si on peut  aller discuter au chaud. Au fond, je me moque bien de l'endroit pourvu qu'on ait enfin la discussion qu'on doit avoir. Peu importe si les réponses doivent nous faire du mal et nous éloigner définitivement ou non, je sais que lui comme moi avons besoin de nous dire des choses. « Si tu veux... Tu as un endroit où aller ? » Vu l'état dans lequel j'étais, s'il n'avait pas été là, je me serai empressée de rentrer chez moi et j'aurai aussi bien pu décider de le planter là pour le faire, mais si je lui tournais le dos maintenant, je ne savais pas quand je le reverrai, pas sûr que j'aurai le courage de le recontacter. Alors c'était maintenant ou jamais. Je frissonnais alors, resserrant sa veste autour de moi, quelle idée idiote d'être restée sous cette pluie battante. « Merci pour ça. » C'est bizarre de le remercier, je n'arrive pas à me rappeler la dernière fois que c'est arrivé. Mais ce qui me perturbe le plus c'est surtout que par ce geste, il semble montrer qu'il se soucie de moi, au moins un peu et ça, j'ai du mal à le comprendre. Mon cerveau n'arrive pas à traiter l'information. Jusqu'à présent, Shôji a toujours représenté une menace pour moi alors le voir agir avec bienveillance est déstabilisant.

Avant qu'il reprenne la parole et tant que j'ai encore un peu de courage, je me décide à lui poser la question qui va peut être tout faire basculer. « Est-ce qu'on va enfin pouvoir parler de ce qui s'est passé quand nous étions enfants ? » Faire semblant de discuter de choses et d'autre ne nous fera pas avancer et il le sait aussi bien que moi, alors j'espère qu'il ne prendra pas mal cette question directe. Mais je pense qu'il est grand temps que tout soit enfin dit. J'ai bien conscience que si cette discussion n'est pas arrivée plus tôt, c'est en grande partie de ma faute et d'ailleurs, je ne sais pas si je suis prête à affronter la situation, mais je sais que le moment est venu.

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La pluie et le beau temps. Après toutes ces années d’absence et de silence, je n’avais rien trouvé de mieux que d’échanger des banalités. Mais je n’avais jamais été doué pour la conversation, du plus loin que je me souvienne. J’étais plutôt le mec qui parlait quand il avait quelque chose à dire. Mais j’étais d’une maladresse incroyable quand il s’agissait d’exprimer mes sentiments. Dire des bêtises ne me posait aucun souci, j’étais un bon blagueur et avais la conversation facile pour amuser la galerie, mais tout ce qui concernait de près ou de loin la façon dont je ressentais les choses était une épreuve pour moi. Je m’étais donc dit qu’il fallait bien commencer quelque part de toute façon, et briser la glace. Me retrouver face à ma cadette depuis tant d’années était loin d’être quelque chose d’aisé ou d’inné. Je ne savais pas comment me comporter. Elle devait avoir une image très négative de moi, entre le frère qui l’enfermait dans les placards pour la protéger mais sans lui expliquer le pourquoi du comment, et le frère absent qui ne s’occupait ou ne s’intéressait jamais à elle, trop focalisé sur les études pour que notre père nous foute la paix. J’ai plus ou moins sacrifié mon adolescence et ma vie étudiante pour servir les intérêts de notre père et qu’il laisse Yûna faire ce qu’elle aimait. Conservateur comme il l’était, il voulait de toute façon que son héritier soit un homme. Alors, malgré ma passion pour la musique, j’avais tout mis de côté et tout fait pour plaire à Monsieur notre père en faisant mes études de commerce à Chûô. Au final ça m’avait un peu intéressé mais je n’y serais jamais allé de moi-même. Et de toute façon, la section artistique n’existait pas à l’époque. Mais je squattais le cercle de musique. Bref, ce n’était pas le moment de penser au passé, Yûna était devant moi en chair et en os et il était temps d’affronter les vieux démons.

Elle voulait changer d’air, voilà pourquoi elle était à Yoyogi. Habitait-elle encore seulement à Tôkyô ? Je réalisais que je ne savais plus rien de sa vie, ses choix, ce qu’elle faisait. Avait-elle continué la natation ? Brutalement, Yûna lui demanda pourquoi j’étais revenu, entrant directement dans le vif du sujet quand j’avais été incapable de le faire. Soupirant, j’allais lui répondre mais elle enchaîna en demandant pourquoi je n’étais pas rentré il y a trois ans. Hein ? Qu’est-ce qui s’était passé il y a trois ans ? Fronçant les sourcils, je me souvins que mon ami avait évoqué le fait d’avoir entendu parler de scandales autour de ma famille il y a trois ans de cela. Ah, elle faisait donc référence à ça …

« Pour être tout à fait honnête avec toi, je suis rentré aussitôt que j’ai su pour tous ces scandales familiaux. Je viens à peine de tout apprendre et j’ai plié bagage directement. Personne ne m’a mis au courant de ce qui se passait, et au Canada, la famille Mizushiro n’est absolument pas connue. »

C’était déjà un sacré morceau d’apprendre que j’avais été adopté et que je ne l’avais jamais soupçonné. Enfin jamais, je n’ai jamais vraiment compris pourquoi je ne ressemblais physiquement à aucun membre de ma famille mais n’étant pas expert en génétique, je ne m’étais jamais posé plus de questions au final.
Bref, j’estimais que le parc Yoyogi, en plein froid d’hiver, avec une Yûna trempée par la pluie et moi qui me retrouvais sans veste n’était pas un endroit idéal pour discuter. Je proposai donc d’aller ailleurs. Elle me demanda où on pourrait aller, avant de me remercier pour la veste. Je fus surpris, je n’avais pas entendu de tels mots de sa part depuis tant d’années. Dans un sens, ça faisait chaud au cœur. J’étais toujours capable d’agir en grand frère protecteur et responsable malgré tout. J’allais enfin proposer un lieu mais elle reprit elle-même la parole, me demandant s’ils allaient enfin crever l’abcès concernant leur enfance. Je déglutis, mal à l’aise, mais il était tant d’affronter la réalité.

« Actuellement, je loge chez un ancien pote de la fac à Shinjuku. Je pourrais te proposer d’aller là-bas pour que tu puisses prendre une douche chaude. Sinon, un café fera l’affaire, mais j’ai peur que tu tombes malade … »

Je marquai une pause, réellement soucieux de sa santé. Puis repris, pour répondre à sa dernière interrogation :

« Bien sûr qu’on va en parler. On parlera de tout ce que tu veux. Je crois qu’on a beaucoup de choses à rattraper et des malentendus à dissiper. »

Nouvelle pause.

« Yûna … Je suis désolé de tout ce qui s’est passé, notre enfance désastreuse, la famille … Moi aussi, il y a des zones d’ombre que j’aimerais éclaircir, plein de choses que je ne comprends pas. Je pense qu’il est temps. »

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Il m'était étonnement facile de lire sur son visage, c'est pour ça que lorsque je lui demandais pourquoi il n'était pas revenu avant, je compris immédiatement qu'il n'avais pas été mis au courant. Il ne manquait plus que ça, personne n'avait été fichu de lui parler de cette histoire. Ça aurait été la moindre des choses. Mais comment attendre à ce que qui que se soit dans notre entourage plus ou moins proche de l'époque décide de prendre contact avec Shôji. Au fond, j'avais un peu de peine pour lui qu'on l'ait tenu à l'écart durant tout ce temps. « J'imagine que je ne devrait pas en être étonnée... Je suppose que tu ne sais pas non plus ce qu'il s'est passé ensuite ? » Ça m'aurai surprise qu'il sache, mais je voulais en être certaine. Est-ce que nos parents avaient seulement pris la peine de me chercher après mon départ ? Et si je n'avais jamais remis les pieds à Tokyo ? Shôji aurait-il entrepris de me retrouver, lui ? Au vue de notre relation actuelle, j'imagine qu'il y avait peu de chance.

Je voulais parler des choses importantes, avoir des réponses. Je voyais bien qu'il n'était pas à l'aise avec ça. Mais tant pis, j'avais besoin de cette conversation et qu'il le veuille ou non, lui aussi. Il devait entendre tout ce que j'avais à lui dire. Il me proposa de m’emmener là où il logeait, histoire que je puisse prendre une douche. Une bonne idée. Je hochais donc la tête. « Va pour une douche, j'en ai bien besoin. » Il avait raison, si je restais trempée, j'allais tomber malade. Mais était-il à ce point inquiet pour moi ? J'avais du mal à le croire. Était-ce un de ses tours pour me faire baisser la garde et mieux me blesser ensuite ? Il avait l'air sincère, mais je ne pouvais m’empêcher de me méfier. On n'efface pas des années de crainte en quelques minutes. Il était trop tôt pour que je lui accorde ma confiance. « En effet, on a beaucoup de chose à se dire. » J'étais curieuse de savoir de quel malentendu il pouvait bien parler. Pour moi tout était très clair. Il était celui qui avait déclencher ma claustrophobie, m'enfermant sans se soucier un seul instant des conséquences que ça aurai. Quand au reste, que pourrait-il avoir envie de dissiper comme malentendu ? Nous ne nous étions jamais vraiment parlé, étant quasiment des étrangers l'un pour l'autre.

Cependant, je ne dis rien, le laissant enchaîné une nouvelle fois, me disant qu'il était désolé pour ce qui c'était passé dans notre enfance. Je le fixais avec un mélange de colère et d'incompréhension. « Tu es désolé ? Et c'est tout ? » Je ne voulais pas parler de nos parents maintenant. Ce dont j'avais besoin avant tout, c'était qu'il m'explique. « As-tu seulement conscience que ce que tu m'as fait ? J'avais confiance en toi... et toi... » Savait-il à quel moi il m'avait fait du mal ? Le nombre de crise que j'avais traversée ? J'ignorais tout de ces raisons, ni même s'il y en avait vraiment. Mais ces explications que j'attendais seraient-elles à la hauteur ? « Tu m'as brisée Shôji ! Je t'admirais tellement quand j'étais petite... » C'était toujours le cas, malgré tout ce mal qu'il m'avait fait, je ne pouvais m’empêcher d'avoir de l'admiration pour mon aîné. Mais je pouvais pas le lui dire, il ne devait pas le savoir. « Pourquoi ? Me détestes-tu à ce point ? » J'étais sans doute brutale dans ma façon de dire les choses, mais j'étais bouleversée par tout ça, restait a espérer qu'il pourrait encaisser. Il m'avait repoussée durant toute notre enfance, alors je n'allais pas le ménager, il devrait entendre ce que j'avais sur le cœur, qu'il le veuille ou non.

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Yûna ne semblait pas si surprise que cela par le fait que je ne sois pas au courant pour l’histoire familiale depuis trois ans, comme elle. Je n’étais pas sur place, et je pensais sincèrement qu’au Canada, les méfaits de la famille Mizushiro étaient bien le cadet des soucis des habitants. Moi-même, en dehors des directives saugrenues de Mizushiro père par email ou téléphone, j’avais fait une totale abstraction de ma famille, y compris de ma sœur cadette. Mais lorsque j’étais devenu proche de ceux qui étaient aujourd’hui ma seconde famille et mon groupe de musique, les histoires personnels avaient fini par surgir dans les conversations et je m’étais rendu compte que Yûna me manquait plus que ce que je prétendais et que je me sentais toujours coupable de l’avoir abandonnée. J’avais fermé les yeux des années durant mais j’avais enfin acquis la maturité nécessaire pour comprendre que je devais affronter mes peurs et régler mes soucis pour avancer sereinement dans ma vie.
En revanche, lorsqu’elle évoqua une suite, je ne pus m’empêcher d’écarquiller les yeux, réellement surpris.
 
« La suite ? C’est-à-dire ? »
 
Elle avait piqué ma curiosité. Je n’étais au courant de rien. Je venais d’apprendre que j’étais adopté, je ne savais rien de cette histoire, ni qui était ma famille biologique. Même la personne qui se tenait en face de moi et que j’avais toujours considéré comme ma sœur ne l’était pas vraiment. Surtout qu’on n’avait jamais été proches à cause des soucis de l’enfance. Je serrais les dents face à la froideur de Yûna qui aurait pu me témoigner un peu plus de sympathie face à ma situation, mais visiblement elle semblait avoir de la rancune envers moi pour je ne sais quelle raison. Trop de non-dits entre nous.
 
Elle accepta de venir chez mon ami pour prendre une douche. C’était une plus sage décision. Elle confirma également qu’on avait beaucoup à se dire. J’en étais persuadé. Elle avait fait une drôle de tête lorsque j’avais évoqué des malentendus, comme si elle n’était pas d’accord avec ma version du problème. Pfiou, ce serait plus compliqué que ce que je pensais.
Le plus choquant pour moi fut sa réaction brutale face à mes excuses, pourtant sincères. Elle ne semblait absolument pas convaincue par mes propos, encore moins satisfaite. Il lui fallait plus ? Ce que je lui avais fait ? Sa confiance en moi ? Trop de questions commençaient à se bousculer dans mon esprit embrumé. Puis elle se mit en colère subitement, sans que ne le visse venir. Elle me hurla que je l’avais brisée malgré son admiration. Par instinct, j’eus un mouvement de recul en me faisant réprimander aussi violemment. Je m’attendais à tout sauf à ça, et mon visage empli de stupéfaction devait en dire long sur mes pensées. Et elle conclut d’un ton plus calme mais ferme avec le fait que je la détestais. Ouah … J’étais scié, je n’avais rien vu venir. Tant de rancœur bouillonnait en elle depuis toutes ces années ? Pas étonnant qu’elle n’ait eu aucune compassion envers mon histoire d’adoption. Elle portait un fardeau tout aussi, voire plus lourd que le mien. Mais … Il y avait un lourd malentendu et j’avais hâte de le dissiper. En revanche je n’avais jamais aimé qu’on me gueule dessus et, sœur ou non, on se devait un respect mutuel. Je lui répondis sur un ton relativement autoritaire :
 
« Ecoute Yûna. Je ne comprends rien à ce dont tu me parles, je pense qu’il va falloir qu’on se raconte chacun notre version de l’histoire afin de combler les blancs. Mais je n’ai pas envie de parler de ça en plein milieu du parc Yoyogi. Allons chez mon ami, il travaille à cette heure-ci, nous serons tranquilles. Et là-bas, je répondrai à toutes tes questions. »
 
Après ça, je ne dis plus un mot. Nous nous dirigeâmes en silence vers la station de train de Yoyogi, prîmes la Yamanote Line jusqu’à Shinjuku et le tout, toujours en silence. Un silence pesant que mêmes les autres passagers du train devaient ressentir tant il était palpable. Mais non, dans le métro tokyoïte, personne ne s’intéressait à son entourage. Je passai le temps en regardant les paysages pluvieux défiler dans les fenêtres. Nous descendîmes du train et je marchai jusqu’à l’appartement, pas trop loin. Yûna m’emboîtait le pas en silence, semblant aussi pressée que moi d’arriver à destination.
Une fois devant l’appartement, j’entrepris d’ouvrir la porte et la fit entrer.
 
« Tiens, voilà des chaussons pour les invités. La salle de bains est par là, je vais t’amener une serviette propre. Nous parlerons calmement après ta douche. »
 
Pendant que Yûna se réchauffait sous l’eau chaude, je préparai du thé pour deux et tentai de remettre mes esprits en place. J’étais perturbé par ce que je venais d’entendre. Dépité. Je ne savais pas quoi dire ou faire pour arranger la situation. J’étais vraiment mal. Cette conversation risquait d’être intense et douloureuse.
La jeune femme revint, sèche et propre. Je lui avais prêté un T-shirt et un jogging pour qu’elle soit au chaud. Je l’invitai à s’installer près de la table et lui désignai le thé chaud. Puis pris la parole aussitôt, ne pouvant plus tenir :
 
« J’ai réfléchi à ce que tu m’as dit plus tôt. Tu dis que je t’ai brisée. De mon point de vue, j’ai toujours cherché à te protéger. Alors dis-moi pourquoi tu penses que je t’ai détruite et que je te déteste ? Car je ne t’ai jamais détestée. »
 
Je ne pouvais rien dire de concret sans avoir sa version des choses pour comprendre, il fallait commencer quelque part.

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Donc j'avais raison. Il ignorait tout de la partie de l'histoire me concernant. J'imagine qu'apprendre qu'il avait été adopté avait dut être un choc pour lui. Notre père avait toujours fait en sorte de le préparer à reprendre les rênes de l'entreprise. Il n'avait toujours vu en lui qu'un simple héritier et non un véritable fils. J'avais de la peine pour lui, mais je refusais de la lui montrer, nous n'avions pas ce genre de relation et j'en avais mois même beaucoup trop sur le cœur actuellement. Mais je voyais bien qu'il était vraiment désireux d'en savoir plus. Je lui dirais tout, mais pas tout de suite. Il fallait d'abord que nous parlions de cette enfance désastreuse qui m'avait fait tant de mal. Je voulais des réponses, je voulais savoir ce qu'il avait eu en tête à l'époque. J'avais ouvert mon sac, peut être de façon un peu trop brutal, mais toutes ces années à souffrir de la situation n'avait fait que nourrir mon ressentiment à son égard. Je n'avais pas voulu le brusquer de cette façon, mais ça avait été plus fort que moi.

Il m'avait répondu un peu sèchement, visiblement, il n'avait pas apprécié le ton que j'avais employé. Tant pis, le mal était fait et ce n'était rien en comparaison de combien j'avais souffert. Pour autant, je ne voulais pas le blesser. Pendant longtemps j'avais souhaité qu'il souffre autant que moi, mais il restait mon frère, et je l'aimais comme tel. Pourtant, j'avais toujours essayé d'enterrer cet amour au plus profond de mon cœur. Le fait qu'aucun lien de sang ne nous liaient vraiment ne changeait rien à ce que je ressentais pour lui. Mais je refusais de laisser place à cet amour, j'avais bien trop peur d'être blessée à nouveau. Pouvait-il voir à quel point j'avais des sentiments contradictoires à son égard ?

Suite à son intervention, j'avais simplement hoché la tête. Il avait raison, une fois de plus, nous ne pouvions tout de même pas avoir cette conversation dans un lieu pareil. Alors je l'avais suivit sans un mot. Ce silence était pesant. Comme si toutes ces années de silence nous avait finalement rattrapée, nous montrant à quel point fuir avait été une erreur. Je savais que j'aurais dut lui parler bien plus tôt, mais j'en avais été incapable. Arrivés à l'appartement de son ami, il m'avait fourni tout ce dont j'avais besoin, même là je n'avais pas prononcé un mot. Je réfléchissais beaucoup trop, il avait l'air sincèrement perdu, comme si lui et moi n'avions pas vécu les mêmes événements. Je ne comprenais pas. Il ne pouvait pas être si bon comédien, alors qu'est-ce qui m'échappait ?

Je ne traînais pas sous la douche, nous avions bien assez perdu de temps comme ça. Sortant de la salle de bain, j'allais prendre place avec Shôji. Je ne savais plus par quoi commencer. J'avais pris le temps de me calmer, tentant de rassembler mes idées. Lui crier dessus ne nous avancerais à rien, je l'avais bien compris. Alors je le laissais relancer la conversation, fronçant les sourcils plus il parlait. Me protéger ? Drôle de façon de faire. Et de toute façon, de quoi aurait-il pu vouloir me protéger, ce n'était pas logique. Je sentis ma carapace se fissurer lorsqu'il me dit ne m'avoir jamais détestée. Je voulais le croire, vraiment, mais ça entrait en contradiction avec ce que j'avais toujours cru. Visiblement, il nous manquait à tout les deux des éléments. Il était temps de tout lui dire.

Il fallait d'abord que je revienne sur ce que j'avais dis, je ne pouvais pas le laisser avec ces questions. Si on ne lui avait pas tout raconté, j'allais m'en charger. « Concernant cette histoire avec nos parents... Ce jour là, je voulais passer un peu de temps à la maison. Je venais de vivre une rupture compliquée alors j'avais besoin de prendre du recul. Pourtant quand je suis arrivée, on m'a prévenu que nos parents étaient occupés dans le bureau et que je ferai mieux de les attendre au salon. Je n'ai pas tenu compte de cette remarque et j'ai pris la direction du bureau de notre père... Mais plus j'approchais, plus j'entendais des éclats de voix. Il criait, il disait toutes ces horreurs sur toi. C'est ce jour là que j'ai appris que tu avais été adopté, j'imagine que tu sais pourquoi ? Il voulait un héritier... Je suis désolée Shôji. » Je l'étais vraiment. Je marquais une courte pause, cette partie de l'histoire, il la connaissait déjà. « Mais après, il a commencé à parler de moi... Je n'aurai jamais dut venir au monde, ils ne voulaient pas de moi... » Ma voix s'était brisée et une unique larme avait coulé sur ma joue. Je l'avais bien vite essuyée, je ne voulais pas qu'il voit à quel point ça m'avait touchée. « Alors, je suis partie, plus personne ne voulait de moi ici. Comme toi, je ne suis de retour à Tokyo que depuis peu. »

Je le regardais fixement, c'était beaucoup d'informations d'un coup. Je pris le temps de boire une gorgée de thé, lui laissant ainsi le temps de digéré tout ça. Cependant, j'avais encore beaucoup de choses à dire.  Alors je repris la parole. « Quant à notre enfance, il me parait évident que nous n'avons pas le même point de vue. J'étais si jeune, peux-tu imaginer à quel point j'étais terrifiée lorsque tu m'enfermais dans un placard pendant des heures ? J'étais toute seule dans le noir, alors dis-moi qu'est-ce qui peut bien justifier une telle chose ? » Je ne criais pas, j'avais dépassé ce stade, je voulais entendre ces explications, je voulais enfin comprendre, mais pour ça, il devait vraiment tout savoir. « J'ai commencé à faire des crises de panique, je suis devenue claustrophobe Shôji. J'ai dut être emmenée à l’hôpital plusieurs fois parce que je n'arrivais plus à respirer... » Comment pouvait-il ignorer ça ? Il prétendait n'avoir voulu que me protéger, est-ce que ça valait vraiment le coup ? « Tu voulais ma version de l'histoire, maintenant tu l'as. » J'en avais fini, j'avais enfin tout dit et étrangement, je me sentais un peu plus légère. J'avais gardé tout ça pour moi pendant bien trop longtemps.

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Le malaise était réellement palpable entre nous. Je pense que jamais auparavant je n’avais eu autant de mal à me trouver en présence de quelqu’un. Intérieurement, je suffoquais. C’était insoutenable. Si j’avais su qu’en laissant traîner les années, la situation aurait autant empiré, j’aurai agi avant. Clairement. Je me sentais particulièrement con, à avoir mené ma petite vie sans me soucier de ma situation conflictuelle avec Yûna. Et pourtant, le ton de défi qu’elle avait employé avec moi dans le parc Yoyogi un peu plus tôt, ce silence de mort qui avait pesé pendant tout le trajet jusqu’à l’appartement en disait long sur le ressentiment enterré au plus profond d’elle. Maintenant, elle était revenue de la douche, avait eu le temps de mettre ses idées en place, tout comme moi. La conversation tant redoutée allait avoir lieu, et même si ce serait un soulagement de pouvoir ouvrir son cœur et vider son sac, je ne pouvais m’empêcher d’avoir une énorme boule au ventre à l’idée de me confronter à ma petite sœur.
 
Elle avait décidé de reprendre la parole après mon intervention. Je choisis de la laisser s’exprimer tant qu’elle en avait besoin, sans l’interrompre, même si elle prenait des pauses et même si l’envie de réagir sur le moment T à ses paroles risquait de me titiller. Je sus rester calme et respecter son temps de parole.
Yûna m’expliqua donc la véritable situation avec nos parents. En effet, je venais littéralement de rentrer et je n’avais pas encore eu l’occasion de me retrouver face à notre père. Sa version serait donc la première officielle que j’entendrais, en dehors des rumeurs qui m’étaient parvenues jusqu’au Canada.
Bordel de merde. Je ne m’attendais pas à entendre tout cela. Les bras m’en tombaient. On vivait vraiment au sein d’une famille détestable, c’était aberrant. J’avais envie de vomir. Mon estomac était désormais totalement noué, et je n’étais même pas sûr de pouvoir avaler ne serait-ce que mon thé. Ma gorge était asséchée face à ces révélations. Tant d’années dans le silence. Et si Yûna n’avait pas surpris cette conversation, nous le serions peut-être encore. Visiblement, elle n’était pas mieux lotie que moi. Moi, l’adopté arraché à sa famille biologique -à moins qu’ils aient voulu se débarrasser de moi- pour être l’héritier mâle tant désiré. Elle, l’enfant non désirée, issue de l’union de deux personnes qui pensaient ne pas pouvoir procréer. Quel joli scénario. Elle était désolée pour moi, et je l’étais pour elle. Je voulais réagir mais je savais qu’elle avait encore des choses à me dévoiler et je m’étais promis de ne pas l’interrompre, même si l’envie était forte. Je n’avais pas ignoré la larme qui avait coulé sur sa joue mais décidai de faire comme si je ne l’avais pas vue, pour ne pas la mettre mal à l’aise. Elle ne semblait pas vouloir se laisser aller devant moi et je respectais cela.
Elle était donc partie et venait à peine de revenir à Tôkyô. Je ne m’y attendais pas. Elle avait dû traverser une période de telle solitude. Je m’en voulus aussitôt, d’avoir été ce frère absent qui, pendant qu’elle portait le fardeau des Mizushiro, s’éclatait à Toronto en vivant de ma musique avec mes amis, vivant ma meilleure vie. Putain, je n’étais qu’un crétin.
 
Mais visiblement, cela n’était rien comparé à ce qu’elle me révéla par la suite. Je restai impuissant face à ses mots. Choqué. Comment avais-je pu passer à côté de tout ça …. Comment ?! J’étais certes un peu jeune pour comprendre que ma façon de la protéger pouvait avoir un impact aussi néfaste sur elle, je n’avais jamais réfléchi aux conséquences sur Yûna. Je ne voulais surtout pas que cet enfoiré de précepteur la trouve. Pour rien au monde … Par contre, l’hôpital … C’était pour ça ? Et nos parents qui m’avaient toujours raconté qu’elle avait des allergies et un peu d’asthme et qu’il fallait contrôler cela, que ça se tasserait en grandissant ? Et j’avais gobé ça. Je m’en serais rendu compte si ma sœur faisait de l’asthme ou des allergies non ? Mais j’étais jeune une fois de plus, et j’ai juste obéi et acquiescé face à mes parents dont les paroles étaient d’évangile pour moi, à l’époque. Mais j’aurais dû me méfier. Ils devaient se douter que les marques sur mon corps n’étaient pas dues au fait que je me chamaillais avec mes camarades, puisque je n’allais pas à l’école. Mais ils m’avaient laissé me faire frapper sans agir. Des monstres. Je pense qu’il allait me falloir un peu de temps pour me remettre de toutes ces horreurs.
 
Après une longue pause où je restai à fixer le vide en face de moi, cherchant mes mots et ne sachant même pas par quoi commencer tant il y avait à dire, je finis par être capable de prendre la parole :
 
« Je … Je suis complètement choqué. Je ne suis même pas sûr d’avoir les mots pour décrire ce que je ressens, mais je crois que je vais vomir. »
 
Je devais être très pâle, je me sentais mal. J’inspirai puis inspirai afin de reprendre contenance, et poursuivis :
 
« Merci de m’avoir expliqué pour les parents. Je pensais qu’ils s’étaient contentés de me pourrir la vie, et cette version de l’histoire m’aurait convenu. Mais je ne peux pas leur pardonner de s’en être pris à toi de la sorte. Comment des personnes comme eux peuvent-ils avoir le droit d’être parents ? Je suis choqué … Et je suppose que quand tu as tout plaqué et quitté Tôkyô, ils n’ont jamais cherché à te contacter ? »
 
Cette question était bien évidemment rhétorique, vu la mentalité du couple Mizushiro, j’imaginais très mal une tentative de retrouver leur fille qu’ils n’avaient jamais désiré.
 
« Pour ce qui est de notre enfance … Je me sens comme un monstre en entendant tes mots. Vraiment. Je … Ca vaut ce que ça vaut, et ça arrive sûrement bien trop tard à tes yeux, je le conçois, mais je suis vraiment profondément désolé. Je n’ai jamais rien compris à ton mal-être. Je cherchais juste à te protéger de … de …. Tu te souviens du précepteur un peu âgé qui s’occupait de notre éducation, surtout de la mienne ? Eh bien … disons qu’il … »
 
Ma gorge se serra lorsque les souvenirs remontèrent. Je détestais vraiment cette période de mon enfance.
 
« Il avait la main leste avec moi. Je pense que tu étais trop jeune pour comprendre les marques sur mes bras et mon visage. Et je ne voulais pas que tu aies peur, alors je ne t’ai pas expliqué. Quand je t’enfermais dans ce placard, ce n’était pas pour t’effrayer, je te cachais de ce sale monstre. Et comme il ne pouvait pas te trouver, il se défoulait sur moi. Quant aux parents, je pense qu’ils ont cautionné ça, parce qu’ils ne l’ont jamais renvoyé. Et pour l’hôpital … Je ne suis qu’un idiot. Ils m’avaient raconté que tu faisais de l’asthme et des allergies, d’où le fait que tu n’arrivais plus à respirer … On ne m’a jamais dit que tu étais claustrophobe, sinon j’aurais trouvé un autre moyen de te protéger. »
 
Ecoeuré de cette situation malsaine qui durait, je marquai une pause pour reprendre mes esprits. Mes yeux avaient fini par s’embuer de larmes alors que je n’étais pas quelqu’un de sensible à l’origine. Mais là, le surplus d’émotions était trop violent pour mon corps et mon esprit. Mes épaules tremblèrent, et j’appuyai avec mon index et mon pouce sur le coin de mes yeux en espérant stopper les larmes, en vain. Ma voix un peu tremblante, je tentai de reprendre la parole tant bien que mal :
 
« Yûna … Si tu savais à quel point je m’en veux, à quel point je voudrais corriger ce passé miteux qu’on a eu … Je suis profondément désolée de tout ce que tu aies pu endurer, et de mon absence. J’aurais dû être là pour toi. Et je ne l’ai pas été. Je ne suis pas digne d’être ton frère. »
 
Je pense que j’en avais assez dit. J’allais me taire, et laisser les émotions m’envahir, la laisser digérer ma version de l’histoire aussi. Peut-être que sa rancœur s’atténuerait. J’en serais tant heureux …

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