Déjà 3 mois ... 3 mois que l'enfer s'est abattu sur ta gueule comme un bon fuck du karma. C'est dur, excessivement dur à gérer et tu tentes comme tu peux, ne serait-ce qu'un minimum, de garder la tête hors de l'eau. D'un point de vue extérieur difficile d'observer cet effort, pour les autres, tu es clairement en train de noyer. D'ailleurs, tu comptes bien le faire pour de bon mais à grand coup de verres d'alcool bien dosé. Ce n'est pas le meilleur bon plan que de se planter seul devant le comptoir d'un bar, mais tu n'as pas envie de pourrir le moral de ton entourage, tu comptes bien garder ton cafard pour toi tout seul. Alors tu t'extirpes hors de chez toi, limite en trainant les pieds afin de rejoindre un bar, n'importe lequel, le premier qui passe fera totalement l'affaire. Tout va mal en ce moment, tout s'enchaine comme une invasion. Tu contactes de plus en plus souvent Akihito, ta patronne commence clairement à manquer d'empathie envers toi car si elle a pu l'être pendant un temps, le fait de constater que le boulot en pâtit, ce n'est clairement pas dans ses intérêts de jouer les mère Theresa.  Manquerai plus qu'elle te foute à la porte ... tu finirais clairement à la rue.
Allez, bientôt et pour l'espace de quelques heures, tout se mettra en suspend. S'en suivra d'un terrible mal de crâne et peut être même d'un profond regret d'être allé aussi loin, mais pour le moment, ce n'est pas encore ta priorité. Accoudé devant cette barmaid carrément canon, même pas tu la regarde, tu restes fixé sur tes verres qui vont bien vite s'enchainer, puis même quel intérêt, tu la trouves beaucoup moins attrayante qu'Elle. Un verre, puis un second, ca se sent vraiment que c'est de l'alcool bas de gamme, après fallait pas s'attendre à mieux quand on cherche le moins cher, mais qu'importe ca t'apportera l'effet que tu souhaites et peut être même mieux ... ou pire. Les gens défilent derrière toi sans même te faire sourciller, ta tête se vide lentement, t'es dans une bulle qu'il sera bien compliqué de percer. Ton troisième verre vient de se poser devant toi, tu tapotes le bord du verre avec tes doigts, un chanson attire ton attention et son air s'imprègne dans ton esprit, tu dandines ta tête tout en continuant à jouer avec ton verre, toujours plein.

Aki n’était pas dispo ce soir, les autres de la bande non plus mais je n’ai besoin de personne pour sortir boire un verre même si je pense que d’autres suivront. De toute façon je n’ai pas grand-chose d’autres à faire ce soir. Je n’ai pas de devoir à rendre, mon mémoire avance bien et je n’ai franchement pas envie de rester dans cet appartement trop grand pour moi et surtout plein de souvenir.

Après avoir mangé sur le pouce, je franchis finalement la porte de cet établissement que je choisis davantage par hasard que par envie. Je n’ai pas le souvenir d’être déjà venu ici mais j’imagine que c’est l’occasion de découvrir si l’endroit vaut le coup. Si c’est le cas, je pourrais revenir avec les autres une prochaine fois.

Balayant la salle du regard, je finis par me diriger vers le comptoir et plus je m’en rapproche, plus la silhouette de ce gars me dit quelque chose. Lui, je le connais et certainement plus que je ne le crois. Un sourire fend mon visage alors que je me hisse sur le tabouret à côté du sien. Je commande du saké puis m’accoude au comptoir en attendant qu’on me serve, profitant par la même occasion de pouvoir mieux le voir pour examiner les traits de son visage. Cette belle petite gueule, je l’ai ravagé la dernière fois. Lui aussi m’a pas mal amoché et puisque les flics sont intervenus, il n’y a pas eu de gagnant.

Au début, je voulais lui lancer un pic mais il en fait une drôle de tête alors tout ce que je lui dis c’est un simple :
« Je t’invite ? »
Je fais signe au barman d’apporter une autre coupelle que je remplis moi-même avec la petite bouteille de saké qu’on vient de poser devant moi.

L'esprit totalement dans le vague, tu dois clairement avoir une mine de gros dépressif. Au moins, personne ne viendra t'emmerder, t'es déjà pas avenant physiquement quand tu es dans un bon mood alors dans un mauvais, les gens vont clairement te fuir. Du moins c'est ce que tu pensais jusqu'à ce qu'une voix se situant juste à tes côtés te sorte de ta torpeur. « Je t’invite ? » Qui est l'empaffé qui n'a pas compris que tu serais de mauvaise compagnie ce soir, qui n'a pas réussi à décrypter ta tête plus que maussade. Tu tournes ton regard vers celui que tu penses clairement remettre à sa place mais quelle ne fut pas ta surprise ! Ce gars là, tu le remets très rapidement dans le contexte, celui qui a osé dire des mots déplacés envers ta sœur et contre qui tu t'es battu jusqu'à ce que ces putains de flics ne décident d'écourter cet esclandre. Est-ce le bon moment pour terminer tout ca et enfin déclarer un vainqueur ? Peut être bien, il vient s'incruster alors que tu ne lui as rien demandé. Mais franchement, là tout de suite, tu n'as ni l'entrain et encore moins la force pour cela. Alors le seul choix qu'il te reste et de répondre à sa question.

« Allez. »

Pourquoi cracher sur de l'alcool gratuit en plus. Ton voisin demande une autre coupelle de sake qu'il remplit et qu'il place devant toi. Une fois fait, tu le saisis et avant de nonchalamment boire ca cul sec, tu lèves ta coupelle et lance :

« Kanpai »

Ta gorge commence clairement à être anesthésiée car tu sens presque pas la chaleur de ce sake. Tu re-regardes ce gars et constate qu'il est seul.

« Qu'est-ce que tu fous là tout seul ? T'a perdu tes potes ? »

Il a forcément des potes ce gars, alors pourquoi il est là à trainer en solo ? Pourquoi tu te poses la question d'ailleurs, ce n'est pas comme si tu en avais quelque chose à foutre de sa vie.

Je pensais qu’il m’enverrait chier mais en fait non. L’appel de l’alcool est le plus fort et il a bien raison de ne pas passer à côté d’un verre gratuit. Je n’ai pas envie de boire seul ce soir et s’il est disposé à me tenir compagnie, je peux nous offrir tous les alcools qu’il nous faudra pour tenir jusqu’au levé du soleil ou jusqu’à ce que l’un de nous roule sous le comptoir.

On dirait qu’il a déjà pas mal bu et à ce qu’il parait, j’ai une bonne descente alors il se peut qu’il soit le grand perdant de ce soir. Enfin je dis ça mais il a la gueule du mec qui a besoin de noyer son chagrin dans l’alcool alors pour le moment je m’abstiens de dire quoi que ce soit de méchant ou de déplacé. Oui ça m’arrive de bien me tenir et puis je suis curieux de savoir ce qui peut bien le mettre dans cet état même si pour le moment je me contente de remplir nos verres.

Un léger sourire se dessine sur mes lèvres à sa question et lui faisant signe de boire encore avec moi, je vide mon verre avant de lui répondre :
« Mes potes étaient occupés. Et toi ? Pourquoi tu picoles tout seul comme un vieil alcoolo ? »
Il a vraiment la gueule du mec qui s’est fait plaquer mais j’ai pas envie de me battre avec lui ce soir alors j’évite tout commentaire dans ce sens. Je n’évoque pas non plus sa bombasse de sœur qui était quand même à l’origine de notre bagarre. Non ce soir, je veux juste me bourrer la gueule et de préférence pas tout seul.

Si tu avais su qu'un jour, tu seras là, dans un bar, à siroter des verres avec un gars que tu peux pas encadrer, tu te serais toi-même foutu des claques. Le pire est que tu dis que même si tu l'avais croisé en dehors de ce bar, sans une seul goutte d'alcool dans le sang, tu l'aurais même pas calculer. Ou est passé le Kannon qui sauté à la gorge de ceux qui n'avait que osé le regarder de travers ? Il est clair que ton coté badass est quelque peu mis au placard depuis que ton seul pilier n'est plus de ce monde. Tu n'as toujours pas réussi à reprendre le contrôle de ta vie et même si tu n'es plus vraiment seule dans ton quotidien. D'ailleurs, heureusement qu'elle est là, Remy. « Mes potes étaient occupés. Et toi ? Pourquoi tu picoles tout seul comme un vieil alcoolo ? » Dire qu'à ce genre de mot, tu aurais sauté à la gorge de celui qui les aurait prononcé mais là, tu te contentes de lui répondre de la façon la plus normale du monde.

« J'ai juste pensé que je serais pas un super pote ce soir. Pas envie de plomber le moral de mes frangins. »

A ces derniers mots, tu le regardes, comme pour tenter de le mettre en garde que c'est très probablement ce qui l'attend. Après avoir terminé un énième verre, tu sors ton téléphone où tu as osé mettre une photo de toi et Remy sur ton écran de veille. Ca aussi, une preuve que tu n'es plus du tout le Kannon d'antan, bonne ou mauvaise chose, tu n'en a pas vraiment d'idées.

Par contre, est-ce que vous allez continuer à vous lancer des banalités ? Vous regarder dans le blanc des yeux ? Ou tenter de trouver de quoi communiquer ? Mais quoi dire à quelqu'un que tu connais à peine et que le seul souvenir que vous partagez est qu'il a manqué de respect à ta sœur pour ensuite finir enfermer dans une cellule d'un commissariat.

« T'es retourné voir tes amis les barreaux depuis qu'on s'est croisé ? »

Je n’avais pas vraiment besoin qu’il me réponde pour comprendre. Y’a qu’à voir sa tête pour savoir qu’il a le moral dans les chaussettes même si j’ai l’impression que c’est pire que ça. Malheureusement pour lui, on n’est pas pote et ses malheurs ne m’intéressent pas. Je ne peux rien faire pour lui à part lui payer un coup de plus. En plus, je le fais un peu pour moi. Pour ne pas me retrouver à boire tout seul.

Du coin de l’œil, je le vois manipuler son téléphone avant qu’il ne me pose une question qui me fait sourire. Je me retiens de rire et lui lance :
« T’as vraiment une fausse image de moi putain… »
Je ne suis pas vexé et je ne peux pas lui en vouloir. On s’est rencontré qu’une fois avant ce soir et franchement, on ne peut pas dire que ça se soit super bien passé. J’avoue que j’ai été lourd et con ce jour-là mais lui bordel !
« Je te rappelle que c’est toi qui m’as frappé le premier. Alors non, je ne suis pas allé en taule. Je ne pouvais pas sans toi. »
Me tournant franchement vers lui, je m’accoude au comptoir et pose mon menton dans ma main avant d’ajouter :
« C’est notre petit truc à tous les deux ça. »
Je lui adresse un clin d’œil avant de rire et de boire à nouveau du saké, le resservant au passage.
« Si je dois faire l’expérience des douches collectives, autant le faire avec toi. Alors je suis resté sage jusqu’à ce qu’on se revoit. T’as vu ? Je suis fidèle comme gars. Une vraie princesse qui attend son prince charmant ! »
Oui, non seulement je me fiche de lui mais en plus je mens comme un arracheur de dent. La fidélité, ce n’est pas un truc que je connais. La Loyauté en revanche, c’est différent…
« Et toi ? Tu cognes souvent des inconnus qui te manquent de respect ou c’était juste parce que je te plaisais ? »