Désintéressé
Intelligent
Opportuniste
Adaptable
Sarcastique
Franc
Du plus loin qu’il s’en souvienne, Kazuya n’a jamais manifesté d’intérêt quelconque à autrui. Ou du moins, il sait ce dont il a besoin chez les autres, il se débrouille pour l’obtenir, puis passe à autre chose. On pourrait le qualifier d’opportuniste, de profiteur, il s’en balance. Lui, ce qui l’intéresse, c’est d’obtenir ce qu’il veut dans le moindre effort. Et toujours avec cette pokerface, qui te fait te demander ce qu’il manigance derrière sa belle gueule.
Parce que sa belle gueule, il en est bien conscient. C’était bien pratique pour draguer les filles à l’école qui faisaient ses devoirs pour lui, lui amenaient des bentô tous prêts pour lui faire plaisir. Ca ne lui faisait pas plaisir mais il mangeait gratuitement, de quoi se plaindrait-il ? Pour les fois où il oubliait le bentô de sa mère sur la table de la cuisine, c’était pratique.
C’est difficile de savoir ce qui se trame dans la tête détraquée de ce type. Il semblerait qu’il se fiche éperdument du monde qui l’entoure. Fils unique d’une famille ne manquant pas de moyens financiers, il a toujours été plutôt gâté. Sauf qu’au lieu d’être reconnaissant d’avoir été élevé dans un environnement chaleureux, aimant et sans manquer de rien, ça l’a rendu dépendant à tout ce confort, sacrément égoïste et feignant. Bah oui, sa mère se coupait en quatre pour lui, alors à quoi bon se prendre la tête ? Il lui suffisait de faire mine de répondre aux quelques exigences familiales et on lui fichait la paix. Il ramenait de bons résultats scolaires pour qu’on ne le sermonne pas, mais ses parents ne se doutaient pas qu’il devait ses notes aux mignonnes petites miss qu’il fréquentait. Des cœurs d’adolescentes, il en a brisé.
Puis à la fin du lycée, il a fallu réfléchir à quoi faire de sa vie. Ses parents avaient de grandes attentes pour lui, et l’envoyèrent dans la réputée Chûô Daigaku, où il étudierait le commerce pour reprendre l’affaire familiale en temps voulu. Et puis quoi encore, comme si gérer une entreprise l’intéressait. Ce qui l’intéressait, c’était dépenser le fric de papa et maman pour s’éclater, expérimenter et servir ses intérêts personnels. Mais le gros problème de Kazu, c’était qu’il se sentait comme une coquille vide. Il ne se rendait pas compte qu’il faisait tout ça pour combler un vide qu’il ne comprenait pas. Peut-être que le fait que sa vie soit toute tracée dès sa naissance lui avait développé un complexe. Il n’en était même pas conscient. Il était juste frustré de tout, de la vie, toujours en colère ou dénué d’intérêt mais sans avoir de cause à justifier. C’était juste comme ça. Il avait tout pour être heureux mais absolument rien ne l’atteignait. Sans le savoir, il souffrait de dépression, mais il serait bien trop fier pour l’avouer.
Il commença à sécher les cours. Un, puis deux, puis trois, puis trop. Il était encore jeune, mais il s’en fichait. De toute façon, maman pardonnerait son fils bien-aimé. Ce petit manège dura quelques années. Il n’avait pas validé sa première année, et ne s’était pas plus motivé à la seconde. Mais sa mère ne bronchait pas. Que faudrait-il qu’il fasse pour qu’elle ait un déclic ?
Un jour, il a piqué de l’argent et s’est barré pendant quelques semaines, arpentant le Japon et se baladant là où la vie le menait. Mais, lassé, il finit par rentrer. Il se prit un savon de son père et sa mère lui chercha encore des excuses. « Il est perdu, il se cherche, mais il va trouver la raison. » Bah tu parles.
Le père tenta de l’envoyer à l’étranger pour le confronter à lui-même, le forcer à être moins dépendant de papa et maman, et puis surtout à apprendre l’anglais. Mais l’anglais, qu’est-ce qu’il en avait à faire ? Il apprit les rudiments pour sa survie, ne se pointa quasiment jamais à ses cours de langue, et passa le plus clair de son temps à errer un peu partout. Il était en Nouvelle-Zélande, et c’était plutôt stylé. Mais il se demandait pourquoi son père ne l’avait pas plutôt envoyé aux Etats-Unis, comme ça aurait plus logique. En Nouvelle-Zélande, ce n’était pas la même vie ponctuée de gratte-ciel comme à New York. Il avait atterri dans une petite ville en plus, et s’ennuyait comme un rat mort.
Lorsqu’il revint de ces deux années, il avait environ 22 ans, il parlait un anglais sauvage et de la rue, et absolument l’anglais professionnel que sa famille avait imaginé pour lui. Son père ne savait plus quoi faire de ce fils complètement à la rue qui ne s’intéressait à rien, n’arrivait pas à focaliser son attention. Constatant qu’il ne semblait pas décidé à poursuivre ses études supérieures, il tenta de confronter son fils au monde du travail. Sauf que Kazuya ne tenait jamais plus de six mois dans un même job ; il finissait toujours par se prendre la tête avec un collègue ou son boss. Il avait testé d’être serveur, caissier, réceptionniste dans un hôtel … Mais rien à faire : quand Kazuya n’était stimulé par rien, il ne faisait aucun effort. Il arrivait en retard, oubliait son uniforme, prenait des pauses clopes alors qu’il ne fumait pas, partait sans prévenir. Un vrai casse-pieds en somme. Deux ans passèrent ainsi. Les parents Endô commençaient à désespérer de voir leur fils partir en roue libre et que rien ne le remette dans le droit chemin.
Il fallut donc passer par l’ultimatum. Kazu ne pouvait plus continuer à ruiner sa vie en dépensant l’argent de ses parents, gagné à la sueur de leur front en faisant les bons choix au bon moment. Ils avaient été assez patients. A la prochaine rentrée scolaire, il reprendrait le chemin de l’université, et il avait tout intérêt à passer une année irréprochable et à aller au bout de ses quatre années de commerce, sinon ils lui couperaient les vivres et il devrait définitivement apprendre à se démerder seul sans papa et maman, ni leur argent. Il était peut-être allé trop loin dans la provocation, il n’aurait jamais pensé que sa mère surprotectrice aurait laissé ça passer. Et pourtant.
A l’aube de ses 25 ans, qu’il aura à la rentrée, Kazuya réintègre Chûô en commerce, en 1ère année, et ses parents l’ont même envoyé à la résidence Seiseki pour qu’il soit constamment dans une ambiance studieuse (tu parles). Ils lui donnent un montant fixe d’argent par mois, et il doit assumer toutes ses dépenses avec. Tout est calculé au millimètre près, et aucune entorse ne sera envisageable. Kazu est pris au piège et pour la première fois, il ne pourra pas n’en faire qu’à sa tête et devra se plier aux exigences familiales. Vivre seul, devoir se faire à manger, dire bonjour aux autres résidents … Prendre les transports en commun ! Ca l’agace déjà, mais l’idée de se retrouver à la rue ne l’enchante pas plus que ça. Peut-être que cette année lui donnera le déclic nécessaire pour prendre sa vie en main.