Cela faisait un jour qu’Ayame était arrivée à la résidence. La veille, elle avait passé l’après-midi avec sa meilleure amie Mia pour fêter leurs retrouvailles. Tout s’était bien passé, et elle était heureuse d’avoir fait le choix de venir ici. Après, c’était simple de communiquer avec Mia qui était habituée à son mutisme, mais les autres ? Comment ça allait se passer ? Elle n’en savait rien. Cette idée l’intimidait quelque peu, mais elle était sûre qu’elle rencontrerait d’autres personnes compréhensives. En revanche, hors de question de dire la vérité dès le début quand on lui poserait la question du pourquoi du comment. « Pourquoi je ne parle pas ? oh bah, quand j’avais 14 ans, j’ai assisté à l’intégralité d’un viol, le type a failli s’en prendre à moi, j’ai cru mourir, on m’a sauvée in extremis mais le mal était fait. Depuis je vois cette scène toutes les nuits en cauchemars. » Pas mal pour une rencontre, non ? Bref, elle comptait bien éviter ce genre de malaise avec les gens. Elle pourrait bien avouer la vérité plus tard, et espérait que les gens ne lui en voudraient pas de n’avoir rien dit.

Pour penser à autre chose que ces ruminements inutiles, Ayame décida de partir explorer la résidence, à commencer par la fameuse Communication Room dont lui avait parlé le Manager la veille. Il paraît que les anciens résidents laissaient parfois des affaires, cela pourrait lui permettre de meubler un peu son studio. Mais ne fallait-il pas laisser la priorité aux étudiants étrangers qui ne venaient ici que pour un an et ne pouvaient pas se permettre d’acheter à outrance pour ne pas alourdir leur valise ? Bah, si le Manager lui en avait parlé, c’était qu’elle était autorisée.

Ni une, ni deux, la jeune fille enfila sa paire de Vans un peu usées et verrouilla la porte de sa chambre avant d’enfourner ses clefs dans une poche de jean. Elle se dirigea jusqu’à l’ascenseur et attendit qu’il descende du 12ème étage. C’était un peu frustrant de devoir prendre l’ascenseur pour un étage, mais les seuls escaliers de la résidence étaient pour les issues de secours. Drôle de concept …
Une fois dans la cage d’ascenseur, Ayame appuya sur le numéro et observa les portes se verrouiller, lui obstruant la vue du paysage extérieur qu’elle avait un instant auparavant.

Une fois au bon étage, elle se dirigea vers la porte de ladite Communication Room et entra. Il n’y avait personne pour le moment. Il fallait dire qu’Aya’ était un peu matinale, n’ayant pas réussi à bien dormir à cause de l’adrénaline procurée par son nouvel emménagement. Il était un peu moins de neuf heures, pour elle c’était déjà tard mais elle était debout depuis 6h, ayant tourné en rond dans sa chambre pendant un moment.
Ayame commença à observer un peu les objets laissés çà et là. Il y avait pas mal de fournitures scolaires, comme des cahiers et des crayons. La jeune fille s’accroupit, et se saisit d’un carnet, qu’elle commença à feuilleter. Concentrée dans sa tâche, elle n’entendit pas la porte se pousser car quelqu’un entrait.

Nouvelle rentrée, nouvelle année. Yuzu allait entamer sa troisième année à l'université, elle savait donc à quoi s'attendre. En revanche, ça allait être sa première année à la résidence. Sa grand mère était décédée l'année passée et ses relations avec son grand père, le dernier membre de sa famille encore présent dans savie, s'étaient énormément dégradée au fil des mois, à tel point que son année avait été mise en péril. Elle avait donc pris la décision de mettre de la distance entre eux. D'un côté, c'était un soulagement. Mais il y avait aussi cette pointe d'apréhension, certes elle avait toujours désiré plus de liberté et d'indépendance, mais ça restait une nouvelle expérience. Et elle savait qu'elle n'avait pas le droit à l'erreur. Elle espérait faire de nouvelle rencontre, après tout, sa décision avait aussi été influencée par le fait que la résidence accueillait des étudiants de tout horizon, tant japonais qu'étrangés, Yuzu pensait que chacun aurai quelque chose d'enrichissant à apporter.

Assise sur son lit, Yuzu contemplait sa chambre , elle était arrivée hier, mais elle venait à peine de finir de déballer ses affaires. Elle n'avait pris le temps de rien en fait, même pas de visiter un minimum la résidence. En effet, elle avait à peine eu le temps de déposer sa valise qu'elle avait du se rendre à son boulot. Et si Yuzu adorait du plus profond de son coeur son travail qui était sa passion, elle se devait d'admettre qu'il pouvait être exigent. Toujours est-il que ce matin, elle était décidée à explorer le moindre recoin de la résidence. Et elle avait entendu parler d'une pière où elle pourrait trouver toute sorte d'objet laisser par les anciens résidents. Yuzu ne manquait de rien, mais il n'était pas impossible de dénicher des petits trésors, c'était en tout cas ce qu'elle pensait. La fameuse communication room dont il était question se situait au deuxième étage, il lui fallait donc descendre.


Depuis son arrivée, elle n'avait croisé personne dans les couloirs, à l'exeption du Manager, une homme aimable qui lui avait donner toutes les informations nécessaires. Et même s'il lui avait parru fort sympathique, Yuzu espérait croiser des gens de son âge. Sans doute faisait-elle partie des premiers étudiants arrivés, après tout les cours n'avaient pas encore repris. Nul doute que la résidence allait se remplir rapidement dans les jours à venir.

Arrivée devant la porte de la fameuse salle, elle la poussa doucement et il ne lui fallu que peu de temps pour apercevoir une autre jeune fille accroupie, un carnet à la main. Elle lui tournait le dos et Yuzu compris rapidement qu'elle n'avait pas remarqué sa présence. Elle l'observa quelques seconde, elle avait l'air tellement concentrée sur son observation. Yuzu se décida finallement à signaler sa présence. "Bonjour !" s'était-elle exclamée d'un ton enjoué. Elle espérait ne pas l'avoir trop prise par surprise, son but n'était pas de l'effrayer, autant débuter sur une bonne impression, non ?

Le « bonjour » qui retentit alors dans le silence épais de la salle aux tatamis fit sursauter Ayame. Elle n’avait absolument pas réalisé que quelqu’un avait pénétré dans la pièce. Comme elle était dans une position où l’équilibre était de rigueur – comprenez qu’elle était accroupie -, la surprise la fit tressaillir et elle glissa en arrière, ses fesses touchèrent le sol et elle se retrouva en position assise en moins de temps qu’il ne le fallait pour le dire. Mais pas une position assise gracieuse du genre « viens on se pose et on discute un thé », non la chute malencontreuse qui génère le malaise. Les joues d’Ayame s’enflammèrent et elle détourna le regard vers le mur par réflexe. Elle détestait se retrouver dans des situations gênantes, et il fallait que ça lui arrive dès sa première rencontre à la résidence. Quelle veine.

La gêne quelque peu dissipée et surtout parce qu’elle se rendit compte qu’elle était malpolie, elle se redressa, lissa les plis invisibles de son jean, mis les mains dans ses poches et …. Réalisa qu’elle avait oublié son téléphone dans sa chambre. Comment allait-elle communiquer ? L’inconnue allait la prendre pour un véritable ovni, quel calvaire ! Elle se contenta donc de lui adresser un sourire maladroit puis d’agiter la main de gauche à droite en guise de bonjour. Ok, elle était définitivement ridicule.
Ayame décida enfin de croiser le regard de son interlocutrice. C’était une jolie jeune fille, brune, qui devait avoir plus ou moins le même âge qu’elle. Elle avait les cheveux aussi longs qu’elle, mais plus ondulés. Est-ce que c’était naturel ou les bouclait-elle à la main ? Pourquoi Ayame se posait-elle ce genre de questions alors qu’elle se comportait comme une malotrue depuis cinq minutes ?

C’est à ce moment-là que ça fit tilt dans sa tête : elle tenait toujours à la main ce carnet vierge laissé par un ancien résident. Voilà comment elle allait communiquer ! Elle se précipita vers le coin où elle avait vu des stylos et en prit un au hasard. Ce seraient ses premiers trésors de la Communication Room !
Elle ouvrit le carnet sur la première page et entreprit d’écrire un court message : « Es-tu Japonaise ? ». Après tout, il y avait des étrangers ici, dont des asiatiques. Elle pouvait être coréenne, taiwanaise … Même si pour Ayame, elle avait un physique très nippon. Si elle était japonaise, elle lirait les kanji sans souci. Si non, cela risquerait d’être compliqué … Ayame était vraiment nulle en langues, et il allait vraiment falloir qu’elle rejoigne un cercle de discussion en anglais dès la rentrée pour s’améliorer, si elle voulait pouvoir communiquer correctement avec ses pairs à la résidence !

Elle s’approcha de la jeune fille et lui tendit le carnet, un peu gênée. Elle se préparait mentalement à devoir expliquer qu’elle était actuellement incapable de faire usage de sa voix. Elle espérait que cette résidente serait dans la case des gens compréhensifs et non pas des moqueurs qui jugent sur les apparences.

Yuzu n'avait pas voulu l'effrayer, c'était raté. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, la jeune fille présente dans la pièce c'était retrouvée les fesses par terre. Elle ne su que dire sur le moment et fixa bêtement celle qui fuyait à présent son regard. Bon, ce n'était pas très poli de fixer quelqu'un comme ça, surtout dans ce genre de situation. D'autant plus que l'autre fille semblait vraiment gênée. Yuzu secoua la tête, se reprit et s'approcha un peu. "Désolée, je ne voulais pas te faire peur." Elle l'observa se relever sans rien dire. Cette fille était plutôt mignonne, elle avait l'air un peu timide, mais ça rajoutait à son charme. Un léger sourire s'installa sur le visage de Yuzu. "Est-ce que ça va ?" Elle n'avait pas prononcé un mot depuis qu'elle était entrée et Yuzu se demandait si elle ne la dérangeait pas. Peut être n'avait-elle pas envie de lui parler ?

Elle en était là de ses pensées lorsque la demoiselle lui adressa un petit sourire et lui fit un signe de la main. Yuzu haussa un sourcil. Elle s’apprêtait à poser une question lorsqu'elle la vit s'agiter pour attraper un stylo pour écrire sur le carnet, qu'elle n'avait pas lâché depuis son arrivée. C'était un message court qui lui était adressé. Yuzu marqua un temps d'arrêt, avant que l'information ne se fraie un chemin jusqu'à son cerveau. Cette fille était-elle muette ? Ça expliquerait pourquoi elle n'avait pas ouvert la bouche depuis le début. Devait-elle lui poser la question directement ? N'était-ce pas un peu impoli ? "Oui, je suis japonaise." Répondit-elle à la question qui lui avait été posée. "Nakazawa Yuzu, enchantée. Tu es en première année ? Je ne t'ai jamais vue sur le campus avant."

Oui bon, le campus était relativement grand et il était fort possible que Yuzu n'ait pas enregistré tous les visages qu'elle avait pu croiser durant les deux années qu'elle avait déjà passé à l'université. Mais la question lui était venue naturellement et elle n'avait pas forcément  réfléchi avant de la poser. De plus, étant donné qu'elle lui avait écrit en japonais, Yuzu avait simplement déduit que la jeune fille était japonaise, tout comme elle. "Dis-moi, tu es muette ?" Voilà, elle n'avait pu faire taire sa curiosité. C'était maladroit, mais certainement pas demandé dans une mauvaise intension. Yuzu n'avait aucunement l'intention de se moquer ou autre. Elle pour qui sa voix était très importante en raison de son travail, n'avait pu s'empêcher de lui poser la question et elle espérait qu'elle ne prendrait pas mal ou ne lui en voudrait pas.

Et maintenant ? Yuzu ne savait pas trop quelle attitude adopter. Elle détourna son regard, qu'elle avait gardé posé sur sa vis-à-vis depuis son entrée dans la pièce, pour observer ce qui se trouvait autour d'elle. Tout un tas d'objets de toute sorte, elle ne savait pas s'il elle trouverait quelque chose d'intéressant, mais pour l'instant elle n'était pas vraiment concentrée dans la recherche d'un éventuel trésor à ramener dans sa chambre, elle fit semblant de s'intéresser à un cahier à dessin, alors qu'elle n'avait aucune compétence en dessin, attendant en réalité une réaction de la jeune fille, sur qui malgré elle, elle gardait un œil.

Ayame espérait du fond du cœur que son interlocutrice était japonaise, si ce n’était pas le cas elle se sentirait terriblement bête face à un « sorry I can’t speak Japanese » balancé avec un accent particulier. Mais heureusement pour elle, l’inconnue lui répondit aussitôt dans un japonais parfaitement audible et compréhensible. Elle était donc native (ou alors très très douée). Elle n’avait pas non plus d’accent. Ne pouvant pas parler elle-même, Aya’ était devenue très attentive aux intonations de chacun, aux accents, aux mélodies des voix de son entourage. La dénommée Yuzu avait une très jolie voix, agréable à écouter, dynamique. Elle avait aussi un bien joli prénom. Yuzu. Elle en aimait beaucoup la sonorité, bien qu’elle soit encore incapable de le prononcer.

A la question de son interlocutrice, Ayame s’empressa de rédiger une réponse en prenant soin d’écrire plus proprement et joliment qu’à son ordinaire. Elle avait tendance à bâcler totalement ses kanji lorsqu’elle prenait des notes de cours ou souhaitait transmettre très rapidement un message, mais elles n’étaient pas spécialement pressées, si ? Après, Aya’ était toujours un peu gênée de faire attendre les gens pendant qu’elle écrivait, d’où l’emploi usuel du téléphone sur lequel elle tapait bien plus vite que ses rédactions dans son carnet.

Je vais entrer en première année dès la rentrée, oui. Je n’ai pas encore visité le campus. Je viens juste d’arriver à Seiseki, et toi ?

Ayame allait lui tendre le carnet quand elle se rendit compte qu’elle était réellement impolie en ne s’étant même pas présentée. Elle reprit le stylo et écrivit son nom, avec les lectures des caractères entre parenthèses pour être sûre que Yuzu puisse lire sans mal interpréter le sens.

Je m’appelle Sakurai (cerisier) Ayame (iris).

Cela amusait souvent son entourage de constater que les fleurs avaient leur part d’importance dans le patronyme de la jeune fille. Une fois, elle avait demandé à sa mère si c’était fait exprès, et elle avait souri avant de répondre tout simplement qu’elle était une fleur qui ne fânerait jamais, aux yeux de ses parents. Ayame avait été bouleversée par ces paroles, qu’elle se répétait dans les moments difficiles.

La nippone fut extirpée de ses pensées par la question sans précédent de Yuzu. Ses joues rosirent légèrement. Elle ne s’attendait pas à ce que la question soit si directe, mais forcément qu’elle avait dû se poser des questions, entre le carnet et le grand silence. Ayame resta un instant en suspens devant le carnet, ne sachant pas trop quoi écrire. Elle inspira profondément et se mit à rédiger son explication :

Malheureusement, oui. Mais selon le médecin, ce n’est pas définitif, je pourrais retrouver ma voix un jour.

En inscrivant le mot « médecin », Ayame faisait passer cela pour une maladie, ou un handicap, et cela ne laisserait pas l’occasion à Yuzu de s’interroger sur le pourquoi du comment. Et bien que la demoiselle attirait sa sympathie et semblait être quelqu’un de droit et de digne de confiance, Ayame se voyait très mal confier les horreurs cachées derrière son mutisme. Peut-être un jour si elles devenaient de bonnes amies, qui sait.

Aya’ observa alors Yuzu qui s’intéressait à un carnet de dessin, concentrée. Elle se surprit à l’observer fixement, sans discrétion aucune, et détourna le regard quand elle s’en rendit compte. Elle était décidément bien impolie ! Plutôt que de rester pantelante à toiser une illustre inconnu, la jeune femme reprit son carnet et rédigea un message se voulant enthousiaste à l’adresse de Yuzu :

Oh, tu fais du dessin, toi aussi ? :)

Et elle lui tendit le carnet pour qu’elle puisse lire.

Yuzu ne savait pas vraiment quoi faire en attendant que la demoiselle lui réponde. C'était une situation à laquelle elle n'avait jamais été confrontée. Elle ne portait aucun jugement, mais elle ne savait simplement pas quelle attitude adopter. Elle ne voulait pas que son interlocutrice soit mal à l'aise. Elle attendit donc patiemment qu'elle prenne le temps de lui écrire sa réponse.

Donc, elle était effectivement en première année. Ayame. Elle lui fit un petit sourire en hochant la tête. "Je débute ma troisième année. Si jamais t'as besoin d'une guide sur le campus, fais moi signe. Par contre, c'est ma première année à la résidence, sur ça, on est à égalité." Inutile d'en dire plus, Yuzu pouvait certes être bavarde, mais pas au point de déballer sa vie dès la première rencontre. Et elle doutait fort que de balancer qu'elle s'était installée ici à la suite du décès de sa grand mère aide à détendre l’atmosphère. Laissons les morts reposer un paix, elle aurai bien d'autre occasion de lui en dire plus si elles venaient à se recroiser.

Yuzu remarqua tout de suite la jolie teinte rosée qui apparu sur les joues d'Ayame après sa question. Peut être avait elle était un peu indiscrète. "Je... Désolée, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise." Yuzu se mordilla la lèvre, signe qu'elle était elle même un peu gênée de son comportement. Mais heureusement pour elle, Ayame n'avait pas l'air de mal le prendre, juste d'être surprise. Elle l'avait prise au dépourvu, c'est le moins que l'on puisse dire, par étonnant donc qu'elle montre un moment d'hésitation avant de rédiger un message sur son carnet. "Oh, j'espère que ça ira pour toi." Elle le pensait sincèrement. Yuzu aurait voulu lui proposer son aide, mais elle doutait de pouvoir faire quoi que se soit. Et puis, ça aurai été déplacé alors qu'elles se connaissaient à peine.

Alors qu'elle s'intéressait faussement au carnet de dessin, elle se rendit compte qu'Ayame la fixait du regard. Mais elle détourna les yeux afin de se remettre à écrire sur son propre carnet. Un nouveau sourire s'afficha sur le visage de Yuzu, cette fille était vraiment trop mignonne. C'est ce qu'elle était en train de se dire lorsqu'elle le carnet apparu à nouveau sous ses yeux. Du dessin ? Ah donc, Ayame dessinait. Comment lui dire que c'était juste une diversion ? Elle lâcha un petit rire, un peu gênée. "Pas vraiment. Toi oui ? Tu me montrera ?"

La jeune fille ici présente était donc de deux ans sa sempaï. Elle allait devoir faire bien attention à utiliser les formes polies dans ses notes à son adresse. On ne parlait pas familièrement à un sempaï, lui avait bien recommandé sa mère. Lorsque Yuzu lui indiqua qu’elle pourrait lui faire visiter le campus si elle le souhaitait, elle acquiesça avec un sourire, se disant que ce serait peut-être moins intimidant de se balader dans l’université avant la rentrée scolaire.
Apparemment, la nippone était également nouvelle dans la résidence. Elle devait vivre avec sa famille auparavant et avait souhaité un peu d’indépendance, comme elle au final. Le cadre de la résidence était tout de même idéal : un esprit communautaire teinté d’intimité grâce aux chambres individuelles. Pour les Japonais, ce n’était pas donné mais Ayame avait de la chance que ses parents la soutiennent dans ses projets.
Sortant de ses pensées, elle inscrivit dans son carnet :

Je serais ravie de visiter le campus avec ton aide.

La conversation avait par la suite dérivé sur le mutisme d’Aya’, un sujet inévitable lors d’une première rencontre. Ce n’était pas grave, elle avait l’habitude qu’on la questionne à ce sujet et elle y était habituée. Elle avait juste été un peu prise au dépourvu du côté direct de la question. D’ordinaire, les gens prenaient des pincettes avec elle, ce qui pouvait parfois la mettre davantage mal à l’aise. Elle préférait nettement la franchise comme celle de Yuzu, inutile de passer par quatre chemins : elle ne pouvait pas parler, c’était un fait. C’est pourquoi elle lui avait expliqué tout naturellement que c’était le cas mais qu’elle pourrait recouvrer sa voix un jour. Parce que c’était vrai, parce qu’elle l’espérait, parce qu’elle n’avait pas envie de baisser les bras avant d’avoir essayé. Elle avait juste griffonné un « merci beaucoup » suite à la réaction de Yuzu tout en s’inclinant poliment pour joindre le geste à sa parole.

Voyant Yuzu s’intéresser à un calepin de dessin, des étoiles s’étaient allumées dans les yeux d’Aya’ qui adorait le dessin. Après tout, elle espérait, une fois qu’elle aurait pris ses marques dans sa vie autonome, de pouvoir trouver un job d’assistante de mangaka. Ce serait super de pouvoir gagner de l’argent en réalisant sa passion. Elle n’avait pas la prétention de vouloir écrire elle-même un manga, manquant cruellement d’imagination, mais pourquoi pas.
Malheureusement pour elle, Yuzu ne dessinait pas, c’était donc de la simple curiosité quant au matériel exposé ici. Mais elle semblait intéressée par ceux d’Ayame. La jeune fille sourit, et écrivit rapidement dans le carnet :

Avec plaisir. J’ai quelques dessins dans ma chambre, je pourrais aller les chercher si tu veux. Tu as des hobbies ?

La question était on ne peut plus banale, mais Ayame n’était pas spécialement douée pour les présentations et la prise de connaissance. Cela faisait trop d’années qu’elle n’avait pas fréquenté des gens de son âge, rencontrant essentiellement ses parents et des membres de sa famille, sortant peu et interagissant très rarement avec autrui.

Yuzu hocha la tête avec un sourire lorsqu'Ayame lui répondit positivement à sa proposition de lui faire visiter le campus. Ça lui donnait une bonne excuse pour la revoir. Certes, elle ne la connaissait pas encore vraiment, mais sans savoir pourquoi, elle était intriguée par la jeune fille. Et puis, elle avait l'air vraiment gentille. Typiquement le genre de fille qui pouvait lui plaire. Elle secoua la tête à cette pensée. Il était un peu tôt pour imaginer quoi que se soit. Ce n'était pas dans ses habitudes de penser à ça alors qu'elle venait de rencontrer quelqu'un. Peut être était-ce dut au fait qu'elle se trouvait dans un endroit encore inconnu et sans repère ? "Et bien, on fait ça quand tu veux."

Elle se contenta de sourire légèrement lorsque la jeune fille la remercia. Yuzu avait été entièrement sincère en lui souhaitant que tout aille bien. Elle lui souhaitait réellement de pouvoir reparler un jour. Elle était curieuse de connaître le son de sa voix. Mais aurait-elle un jour l'occasion de l'entendre ? Elle n'avait aucune idée du temps que ça pouvait prendre, ni même si il était possible de l'aider. Mais elle ne voulait pas insister sur le sujet. Ça ne la regardait pas, ça aurai été plus qu'indiscret pour une première rencontre. D'autant qu'elle avait déjà un peu poussé les limites en étant si directe. Elle ne rajouta donc rien sur le sujet. Inutile de créer un malaise. Yuzu avait beau être du genre directe, elle savait quand elle avait atteint les limites et elle ne voulait pas s’immiscer dans la vie privée d'Ayame.

Heureusement, la discussion dévia rapidement sur un autre sujet. Le dessin. Yuzu avait remarqué la petite lueur qui s'était allumée dans les yeux de la jeune fille. Il était évident que c'était une de ses passions. Elle pouvait la comprendre. "Pourquoi pas, je serai ravie de voir ce que tu fais." Yuzu était réellement curieuse de voir quel genre de dessin elle faisait et le style qu'elle avait. "Si j'ai hobbies ? On peut dire ça oui." Elle laissa passer un petit blanc. "J'en ai fait mon métier, je suis seiyuu, mais je m'intéresse à tout ce que touche aux jeux vidéos et aux anime."

Ayame était la première personne a qui elle parlait de ça aussi rapidement, non pas qu'elle en ait honte, au contraire, mais il était rare que le sujet arrive sur le tapis aussi vite. Bon, il lui était arrivé une fois ou deux que quelqu'un reconnaisse sa voix, mais ça restait des cas isolés et elle n'avait pas la prétention d'être une célébrité, loin de là. Et c'était tant mieux, parce qu'elle n'aurai certainement pas su comment gérer une telle situation.

Ayame s’était contentée d’acquiescer lorsque Yuzu lui avait proposer de se balader dans le campus pour visiter les lieux. Elle ne manquerait pas de la recontacter à ce sujet, mais il faudrait qu’elle pense à lui demander son Line ou le numéro de sa chambre. En tout cas, elle était ravie d’être capable de faire de nouvelles rencontres malgré son handicap, et cette nouvelle la mettait en joie.

Bien que leur « conversation » banale fut rapidement orientée sur le mutisme de la jeune fille, cela ne l’entacha pas pour autant et leur échange resta naturel et franc. Aya’ n’avait pas vraiment menti, mais elle n’avait pas non plus dit la vérité à Yuzu. En effet, sa mère l’avait bien évidemment emmenée chez le médecin à l’époque où le mutisme s’était révélé être permanent et non pas le signe d’une rébellion adolescente. Elle se souvint que le médecin n’avait décelé aucune anomalie physique ou aucune maladie, aucune inflammation des cordes vocales. Il avait expliqué à Mme Sakurai que la jeune fille avait certainement subi un traumatisme qui bloquait les sons de sa voix, mais que ce n’était pas irrémédiable ; C’était d’ailleurs à cette période qu’Ayame avait avoué à ses parents qu’il y avait bien eu un élément déclencheur, mais qu’elle n’était pas encore prête à leur en parler. Et heureusement pour elle, ils avaient été compréhensifs et lui avaient dit de prendre le temps nécessaire pour se reconstruire et leur parler. Ayame savait que sa mère soupçonnait quelque chose de proche de la vérité. C’était une femme, elle n’était pas dupe, il n’y avait pas non plus 36 000 événements graves qui pourraient vous choquer au point de vous ôter la capacité à vous exprimer. Mais elle respectait le choix de sa fille.

Donc au final, elle n’avait pas tout à fait menti à Yuzu : le médecin avait dit que ce n’était pas irréversible. Mais elle n’avait fourni aucun détail car cela n’était pas encore nécessaire. Elle n’était pas du genre à raconter sa vie au premier venu, et même si Yuzu lui paraissait fort sympathique, elle n’échapperait pas à la règle. Et si ce sentiment actuel lui faisant sentir qu’elle pouvait être à l’aise et confiante auprès de cette fille se renforçait avec le temps, alors elle lui expliquerait tout. Mais elle n’avait encore jamais raconté les détails à Mia ou Anna, qui étaient ses amies d’enfance (enfin du lycée), alors à une inconnue … Aussi mignonne soit-elle …

L’espace d’un instant, en voyant Yuzu feuilleter ce carnet à dessin, Ayame avait pensé qu’elles partageaient la même passion, mais il s’avéra que ce n’était pas le cas. Elle semblait cependant encline à voir les croquis de la cadette, ce qui lui fit extrêmement plaisir. Elle ne montrait que rarement ses dessins aux autres, mais Yuzu serait l’exception qui confirme la règle.
Quelle ne fut pas sa surprise quand sa sempaï lui annonça qu’elle était seiyuu, et qu’elle était passionnée de jeux vidéo et d’anime ! Elle-même consommait parfois des anime, même si elle préférait les dramas et les séries occidentales. Ses yeux s’écarquillèrent, et elle s’empressa de griffonner dans son carnet :

Eeeeeeh tu es seiyuu ! Oh c’est super ! Tu as doublé beaucoup de personnages ? Peut-être que j’ai déjà vu un anime dans lequel tu as doublé !! Tu joues à quels jeux vidéo ?

Aya’ avait ponctué son message de plusieurs emoji kawaii pour exprimer sa joie et son intérêt. C’était ça le problème avec l’absence de sa voix, elle avait parfois du mal à exprimer ses émotions à l’écrit.

Si Yuzu n'était pas dessinatrice, ça ne l’empêchait pas de d'intéresser à ce que pouvait faire Ayame. Elle même étant dépourvue du moindre talent dans le domaine ne pouvait s'empêcher d'admirer le travail de ceux qui, au contraire d'elle, avaient un dons pour le dessins. Et puis de toute façon, vu le domaine dans lequel elle désirait évoluer plus tard, le dessin avait aussi une part d'importance. Ce n'était donc pas une curiosité feinte de sa part lorsqu'elle avait répondu par la positive à la proposition de la jeune fille. Elle était réellement intéressée par le fait de voir ce qu'elle faisait. Elle se demandait quel style une fille comme Ayame pouvait avoir et ce qu'elle pouvait avoir à raconter à travers ses œuvres. Yuzu était persuadée qu'une partie de la personnalité des gens se reflétait dans leur art.

La conversation s'orienta ensuite sur Yuzu, elle ne pu s’empêcher de noter l'étonnement dans le regarde de la jeune fille. Elle lâcha un petit rire gêné lorsqu'elle lu ce qu'Ayame s'était empressée de lui écrire sur son carnet. Il y avait peu de chance qu'elle l'ai déjà entendue. Elle n'était qu'au début de sa carrière et n'avait eu que de petits rôle. Et il était rare que qui que se soit reconnaisse sa voix à l'heure actuelle. "Ahah, ça m'étonnerait, je suis encore débutante, je n'ai eu que des petits rôles. J'ai encore du chemin à faire." Et c'était vrai. Si Yuzu n'était pas forcément toujours très assidue pour ses cours, elle l'était beaucoup plus dans son métier. Elle avait à cœur de faire les choses bien, de progresser pour devenir meilleure et se faire un place dans le milieu.

"Je joue beaucoup aux Final Fantasy, je crois que c'est ma saga préférée. J'aimerai travailler avec eux un jour, pourquoi pas doubler un de leurs personnages, ce sera un rêve." Prendre part à un tel projet était vraiment quelque chose que Yuzu visait. Elle avait conscience que la route serai longue et que ce n'était pas du jour au lendemain qu'une telle opportunité se proposerait à elle. Mais elle était passionnée et bien décidée à réaliser ses rêves, pour elle, mais également pour prouver à son grand père qu'elle pouvait faire quelque chose de sa vie. Qu'il pourrait être fière de lui malgré le fait qu'elle ne suive pas la voix qu'il avait choisie pour elle. Yuzu avait véritablement à cœur de lui montrer qu'il pouvait avoir confiance en elle, qu'elle n'était pas comme sa mère. Parce que même si ils étaient souvent en conflit tout les deux, il était la seule famille qui lui restait et elle voulait le rendre fière. "Et toi, tu joues un peu ?"