You fait preuve d’un peu de malice tendant vers l’espièglerie et ça amuse un Aki qui savait reconnaître ce que cette petite dose de pétillant rajoutait à l’aspect général du jeune homme. Peut-être que s’ils s’étaient rencontrés dans d’autres circonstances et que leurs caractères avaient été un peu plus en accord l’un avec l’autre dès le début de cette conversation, Kazuaki aurait répondu présent pour l’invitation dissimulée (et peut-être pas tout à fait sincère, mais soit, ça ne lui avait jamais fait peur, le rejet). Mais pour ce soir, il s’en tiendrait à un retour en bonne et due forme à son appartement pour y dormir du sommeil du juste. Son briquet lui revient et il le récupère tout en faisant à You un petit clin d’œil entendu.

Par contre, ils n’ont pas exactement la même philosophie en ce qui concerne la vie et Kazuaki a un rire bref au milieu d’une bouffée de cigarette. Il souffle la fumée sur le côté pour ne pas incommoder You même si ce dernier s’adonnait au même péché que lui.

« Tu dis ça, mais ce n’est pas la mort qui donne un sens à la vie. C’est ce qui se passe entre maintenant et la mort. », assure-t-il, confiant en ce qu’il avançait. Il ne croyait pas à la vie après la mort, quelle qu’en soit la forme, désolée à tous les croyants de cette Terre ! Mais, il était sûr que ce qu’on faisait pendant notre vie nous appartenait et pouvait être grandiose. « Je m’amuse bien, moi. »

Dommage que ça ne semble pas être le cas de son jeune interlocuteur. C’était peut-être la raison pour laquelle il lui semblait à la fois cynique et trop axé sur sa propre personne. Quant au cancer, ça fait réfléchir Kazuaki. Il pensait à Matthew, en fait…

« Un ami à moi a eu un cancer de la gorge. Il a dû abandonner sa carrière de chanteur et même s’il ne le dit pas, il en souffre encore. », explique-t-il lentement, sans savoir s’il s’adressait vraiment à You ou surtout si ça allait l’intéresser. Mais en tout cas, c’était un sujet qui lui tenait à cœur. Juste apparemment pas assez pour se défaire de sa mauvaise habitude. « Sa femme en a souffert. Quelqu’un d’autre fini toujours par souffrir. Mais après… la culpabilité est la pire des façons de lâcher une addiction, selon moi. »

Donc il n’irait pas dans cette direction là non plus. Et il ne comptait pas faire la morale là-dessus. Il n’était pas bien placé pour ça ! Il a un rire bref, mais chaleureux lorsque You caractérise positivement ses cigarettes, néanmoins. Il l’avait surpris là et même légèrement attendrit, ce qui était bizarre. Il devait être rudement fatigué !

« Ouais. Elles sont vraiment bonnes. », convient-il finalement tout en ayant pour le blondinet un petit sourire amusé. Il tire un peu sur le bâton de nicotine avant de soupirer. « Tu me fais penser à mon frère, pourtant tu ne lui ressembles en rien. Disons juste que la vie l’a rendu méfiant… »

Et il croyait que c’était pareil pour You ci présent.

Il y a des jours où Youta se sent déjà mort, avant même de savoir comment vivre. Quand il pense à son avenir, quand il voit son père, quand il observe son frère, quand il sait là où il en est. Cacher pour se sentir vivre, est-ce vraiment une manière de vivre? Être dans la peur que son père découvre pour son orientation ou mentir constamment à son jumeau pour que lui-même n'en sache rien. Il n'y a pas un instant où il se dit que les choses sont bien, qu'il fait ce qu'il a envie de faire sans craindre un quelconque révère de médaille. Avec Helio, il joue systématique avec le feu, mais même en étant au courant, ça ne l'arrête pas. Ce qu'il y a entre le jour de sa naissance et le jour de sa mort est loin d'être ce qu'il voudrait, c'est encore plus ennuyant que la mort elle-même. Il voudrait croire ce Kazuaki, se dire qu'il a raison et que c'est cool... Mais ce serait mentir et se faire passer pour ce qu'il n'est pas.

La vie n'est amusante uniquement quand elle nous appartient, mais du moment où quelqu'un s'entête à vouloir la manipuler, tout devient si compliqué. C'est cette vision de l'existence qui rend Youta aussi fermé et frustré sur beaucoup de points. Toute cette conversation pour excuser le fait qu'ils fument et qu'ils pourraient s'en mordre les doigts. Kazuaki sait apparemment de quoi il parle, puisqu'il a un ami dans cette situation. Youta n'en sait rien lui, il ne fait que déduire et penser. La maladie fait souffrir tout le monde, celui qui la traîne des années, mais aussi ses proches qui subissent les dégâts chez le malade. C'est ce qu'il comprend en l'écoutant, en analysant ce qu'il raconte. S'il venait à choper cette merde, qui souffrirait avec lui? Ryouta? Arisa? Son père? Il a du mal à croire que ce dernier se fasse un seul cheveux blanc pour son compte. Par contre son frère et sa meilleure amie pourraient lui en vouloir sévèrement d'être aussi stupide pour se ruiner la santé.

« ▬ Donc, faudrait penser aux autres pour se sauver soi-même? »

Avant d'en arriver à la culpabilité de voir ses proches se ronger les sangs. Le goût de la cigarette n'est plus si mauvais avec le temps, on finit même par l'apprécier et en redemander. N'est-ce pas du gâchis que d'arrêter? Youta sourit, examinant le bâtonnet entre ses doigts. ça pourrait être la cause de sa mort, comme l'un des seuls moyens de se détendre. C'est assez cruel et idiot, mais ce n'est pas le seul élément possédant son avantage comme son inconvénient. Son frère? Pour lui, il paraît méfiant? Youta hausse les épaules, se rappelant de son propre jumeau quand il prend des pincettes avec lui par peur de le froisser.

« ▬ Ce n'est peut-être pas faux. »

Souffle-t-il, en relâchant la fumée qu'il venait d'inspirer. Méfiant, c'est l'un des nombreux termes qui pourrait le décrire, mais ce n'est certainement pas le seul. Le blond termine sa cigarette et la jette plus loin, se frottant ensuite les mains entre elles.

« ▬ J'ai aussi un frère, mais on n'peut pas dire qu'il soit méfiant. Par contre il doit sûrement m'attendre et s'inquiéter. »

ça ne le pousse pas à rentrer plus vite pour autant. Youta est comme ça, même en sachant les inquiétudes ou les craintes de son cadet, il continue de perdre son temps dehors avant de revenir au bercail.

Aki a un rire bref. Il hausse les épaules. Qu’en savait-il ? Disons qu’on pouvait vouloir éviter d’inquiéter les autres. Comment dire… Certaines personnes aimaient bien rassurer leurs proches ! De toute évidence, ce n’était pas le cas avec le type devant lui. Ou essayait-il de faire comme si ce n’était pas le cas au minimum. Il réussissait plutôt bien si c’était le cas.

« J’en sais rien. », convient-il finalement tout haut, sans que ce soit de mépris ou autre sentiment négatif du genre. Mais bon… « Si la conversation devient trop philosophique à cette heure, tu vas définitivement me perdre. »

Dans la brume de l’incompréhension ! Aki était un homme d’affaires. Un type qui savait où il allait, qui était logique et qui n’en avait vraiment rien à cirer des où vais-je et qui suis-je. Le regard du futur PDG de la SK suit le minuscule bout rougeoyant qui valse dans les airs lorsque You lance la cigarette plus loin. Il le quitte lorsqu’il s’éteint dans une petite marre d’eau à peine plus grande que son poing. Si le propriétaire de la clope avait voulu l’y lancer volontairement, il n’aurait peut-être même pas réussi… Allez acheter un billet de loterie quelqu’un ! You admet en tout cas être méfiant, du bout des lèvres mais pour Aki, ça ressemble à un aveu en bonne et due forme. Il a un petit sourire en coin. Après tout, qu’est-ce que la méfiance avait de mal si seulement on l’assumait sans en reporter le tort sur les autres ?

« Mais il est plein de belles choses aussi. », se sent obligé de préciser Aki, qui aimait inconditionnellement son frangin. Ils étaient pareils et si différents tout à la fois. C’était toujours un peu troublant pour ceux qui apprenaient à les connaître, dans un premier temps. Mais ils s’y faisaient toujours à la longue. « Mes parents pensent l’avoir moins bien réussi que moi. Mais ils se trompent. C’est lui le chef- d’œuvre. »

C’était bien la première fois qu’il admettait tout haut une telle chose. À les regarder, probablement que personne n’aurait cru qu’Aki puisse penser ça et pourtant… Mais d’habitude, il le gardait pour lui. Peut-être que c’était le fait de parler à un étranger qui lui avait permis de se délier la langue quelques secondes. Après tout, il ne le reverrait sûrement jamais. You lui dit que son frère doit s’inquiéter. Sympa.

« Tu devrais aller le rejoindre. », fait-il remarquer. D’ailleurs, il a un regard rapide pour la montre hors de prix qui ornait son poignet gauche avant de convenir : « Il est tard. Je devrais rentrer moi aussi, de toute façon. J’ai du travail demain. »

Beaucoup de travail. Et il se levait très tôt… Alors il serait peut-être plus sage de retrouver le fond de son lit plutôt que de continuer à jaser dans les rues d’un quartier dit mal fréquenté à pas d’heure…

S'inquiéter n'est pas son genre, pas pour les autres en tout cas. S'il devait penser à une personne, ce serait son frère jumeau à ne pas en douter. Malgré leur relation parfois conflictuelle, Youta ferait tout pour le protéger et éviter de vivre ce qu'il vit avec leur père. L'aîné cache bien son jeu derrière ses airs d'insensibles, d'indifférent, de celui qui s'en moque en permanence. Malheureusement, les gens dont il s'inquiète vraiment sont rares et peut-être que seul Ryouta est noté sur cette liste. Sa question n'était pas pour juger de sa façon d'être avec les gens, mais plutôt de savoir si c'était important pour soi-même. Le commentaire de Kazuaki le fit sourire malgré lui. Philosophique, hein. Ils seront deux à se perdre dans ce cas-là, autant ne pas creuser ce sujet. Youta hausse les épaules, comme pour mettre un terme à cette conversation ou juste pour passer à autre chose. De toute évidence, ils avaient chacun leur façon de voir le monde et celle-ci ne concorde pas avec l'autre.

Sa cigarette terminée, il s'en débarrasse sans plus de cérémonie, admettant sa méfiance à un parfait inconnu. Ce n'est pas un aveu qu'il ferait facilement ou à n'importe qui, ni même à personne... Alors pourquoi l'avoir confirmé? Peut-être parce que ça paraît évident pour l'autre, juste à sa façon de se comporter avec lui ou à sa manière de répondre. Il n'a pas confiance dans les autres, il se dit que la seule personne capable de ne pas le trahir est lui-même.

Que veut-il dire par là? Qu'une personne, même méfiante, peut-être pleine de belles choses? Ce n'est pas le cas de Youta qui a prouvé à de nombreuses reprises qu'il était loin d'être gentil ou reconnaissant. Suffit de demander à ce Helio ou même à sa fausse petite amie qui traîne encore avec lui pour l'argent qu'elle gagne à jouer son jeu. La seule personne qui a un coeur pur et une belle âme n'est autre que Ryouta, pas lui. Ryouta qui est toujours là, à ses côtés ou derrière lui pour le soutenir, l'écouter, lui faire comprendre qu'il n'est pas seul. Si ce n'était pas son jumeau, il lui aurait déjà laissé la marque de ses doigts sur son visage, par agacement, par colère. Un sentiment qui le ronge jusqu'à la frustration et le manque de délicatesse.

Un chef-d'oeuvre. C'est l'inverse pour les Nishino, son père place toutes ses chances dans le mauvais fils, le mauvais cheval de course. Il pense qu'il peut réussir parce qu'il a les épaules larges, mais Youta n'a ni le coeur, ni l'altruisme de son petit frère. Pour autant, il ne l'avouera jamais mais il ne désire pas que Ryouta soit à sa place et ne puisse pas faire ce qu'il a envie de faire pour son avenir. à sa manière, il le protège et le préserve.

« ▬ Les parents ont tendance à voir ce qu'ils veulent voir. »

C'est une vérité que les enfants ne peuvent parfois ni changer, ni améliorer. Son père sera toujours son père, même s'il est violent et intransigeant avec ses fils. Youta admet que son frère l'attend sûrement avec inquiétude et Kazuaki avance qu'il ferait mieux de le rejoindre. Chacun a sa vie, ce n'est pas parce qu'ils se croisent ce soir par hasard qu'elle va changer ou être différente.

« ▬ Hum. Ravi d'avoir fait ta connaissance, Aki. »

Sincérité ou sarcasme, les sentiments se mélangent dans sa façon de prononcer cette phrase, tandis qu'une fine esquisse étire les lèvres du jeune homme aux mèches blondes. Il se redresse, saluant brièvement sa rencontre du soir d'un mouvement de tête, puis il tourne les talons pour repartir de là où il est venu. Qu'il rentre de suite ou non, ça ne regarde que lui à présent.