HRP:

C’était bientôt la rentrée scolaire. En vrai, c’était même déjà la période de pré-rentrée. Ken, comme chaque année, fuyait la résidence à cette époque parce que c’était le moment où tous les nouveaux étudiants étrangers arrivaient et la résidence était exceptionnellement bruyante. Il aurait tout le loisir de rencontrer les petits nouveaux lors de la Welcome Party qui risquait d’arriver très bientôt. Pas qu’il soit asocial ou qu’il déteste les étrangers, au contraire Ken adorait se faire des nouveaux amis et il avait aimé son séjour en France il y a 3 ans, mais l’époque de la rentrée, il avait juste envie d’être tranquille.
C’est pour cela que malgré le temps pourri de pré-typhon, le jeune homme avait décidé d’aller se cacher à la fac, encore relativement déserte à cette époque de l’année. Le staff de la fac s’activait pas mal pour préparer la rentrée scolaire des étudiants, quels qu’ils soient, et quelques étudiants faisaient comme lui et venaient zoner à Chuo.

L’avantage que les cours n’aient pas encore repris était que le train n’était pas excessivement bondé comme tous les matins. Il avait pu se poser tranquillement sur une banquette, ses écouteurs dans les oreilles balançant l’un des derniers morceaux de Sekai no Owari. Et comme il aimait bien marcher, malgré le temps pluvieux, il ne prenait pas le monorail. Maintenant qu’il avait décidé de vivre par ses propres moyens, toute économie était bonne et la différence de prix entre le monorail et le train normal était bien assez grande pour le dissuader d’être paresseux, pour une fois.

Il ne pleuvait pas encore lorsqu’il sortit du train mais des bourrasques de vent violentes venaient le gêner dans son avancée. Il traversa la forêt par le chemin de goudron qui menait jusqu’à l’université, traversa le tunnel de la mort qui fait trop flipper, et atterrit dans le campus. Il lui fallait encore marcher un peu pour atteindre le bâtiment abritant sa faculté. Parfois il se demandait pourquoi il avait choisi le commerce, à l’époque il avait sûrement pensé que c’étaient ceux qui se la coulaient douce le plus possible.
Ken pénétra dans la salle de travail en silence, et comme il risquait de se faire jeter s’il n’étudiait pas et venait seulement pour glander, il sortit plein de livres et de cahiers, ainsi que des stylos en pagaille pour faire mine d’étudier. Malin le petit ! Puis il s’installa confortablement, croisa les bras sur la table et posa un instant sa tête dessus, pensant se reposer « un instant ». Instant qui dura un moment puisqu’il s’était carrément endormi. Pauvre de lui … Il aurait mieux fait de rester dans son lit tiens.
Une voix résonna alors dans ses oreilles, et Ken était incapable de savoir s’il rêvait ou si la réalité le sortait justement de ses rêves. Il remua la tête, grogna un peu, et finit par ouvrir lentement les yeux. Quand sa vue s’habitua à la lumière blanche de la salle de travail, il vit qu’un étudiant se tenait devant lui avec un grand sourire satisfait sur les lèvres. Oh non, pas lui … Dire qu’il voulait avoir la paix aujourd’hui. Ce type lui rappelait Nobuo, son meilleur ami du lycée, tant physiquement que moralement, toujours la blague pour faire rire et l’attitude pour embêter les gens … Ca le rendait nostalgique. « Yo. Tu m’as demandé quelque chose ? » Ouais, il dormait, et il n’allait pas s’en excuser quand même ? Pourquoi il l’avait réveillé d’ailleurs ? Un Kenken mal réveillé était un Kenken mal luné, il fallait qu’il soit prudent hein.

Ken n’avait pas de chance, c’était dit. En plus le gars lui voulait réellement quelque chose, et visiblement ce n’était pas juste « est-ce que je peux m’asseoir à la même table que toi ? », puisqu’il fouillait déjà dans ses sacs pour chercher des livres certainement. Ken s’étira sans aucune gêne et se redressa correctement sur sa chaise. Tant pis, la sieste serait pour plus tard ! Il ne savait même pas combien de temps il avait dormi. A en croire sa montre, vingt bonnes minutes s’étaient écoulées depuis son arrivée, il avait vraiment dû s’endormir comme une masse !
Il regarda alors la page que lui montrait l’étudiant et qui lui demandait de l’expliquer. Il haussa un sourcil, surpris. « Déjà, t’es pas obligé d’utiliser les honorifiques avec moi, ça me met mal à l’aise. » Il savait qu’il était de mise que les kouhai appellent leurs sempai avec respect et politesse, mais Ken était d’une nature désinvolte et il n’aimait pas trop ce genre de formalités. Mais bon, il faisait comme il voulait. « Puis t’es en quelle année au juste ? C’est juste le principe de base des cours de commerce, si t’as pas saisi ça comment tu viens de survivre au semestre qui vient de se passer ? » Et à peine avait-il fini sa phrase qu’il comprit. Ce mec-là était en train de se payer sa tête et de le tourner en bourrique pour voir s’il allait vraiment perdre son temps à lui expliquer le principe énoncé dans le livre. « En vrai, avoue que t’as pas besoin qu’on t’explique. » Il soupira et sourit, avant de rire. « T’es un petit malin toi ! T’aurais pu choisir une autre victime pour tes jeux sadiques, je dormais si bien ! » Ouais enfin, Ken n’était pas censé venir à la salle de travail du bâtiment 5 pour bayer aux corneilles … Bref, maintenant qu’il était réveillé –et qu’il avait la marque ronde de sa montre incrustée dans sa joue-, il ne savait pas quoi faire. Son seul et unique but était d’avoir la paix, ce qu’il n’avait visiblement déjà plus.

Il avait été simple pour Ken de réaliser que l’autre gars le tournait en bourrique puisqu’il avait passé ses années lycée –et il continuait encore- à faire ce genre de coup aux autres avec Nobuo.
Lorsqu’il lui avait demandé en quelle année il était pour ne pas maîtriser ce genre de principe, Ken pensait qu’il allait lui répondre très brièvement mais en fait il lui balança tout son cursus, le fait qu’il se soit réorienté et tout. Non mais il n’avait pas besoin de savoir tout ça quand même, si ? « Ah, le droit. Mauvaise pioche » plaisanta-t-il. Puis l’autre insista pour continuer de l’appeler sempai. « Bon, fais comme tu veux ! » Ca lui était égal de se faire appeler sempai, il espérait juste qu’il allait cesser rapidement de le vouvoyer …

Le jeune homme protesta en lui disant qu’il aurait pu lui laisser le maigre espoir de croire que sa blague fonctionnait, qu’il n’avait pas pu s’empêcher parce qu’il avait l’air totalement ailleurs et qu’enfin il ne savait pas comment l’aborder. « T’as pas de chance, t’es peut-être tombé sur le seul gars de la faculté qui a passé tout son lycée à faire le même genre de blagues à tout son entourage, alors je t’ai vu venir de très loin ! » répondit-il en souriant, avant de poursuivre : « Mais je connais ce sentiment de vouloir embêter les gens qui paraissent le plus calme, alors je te pardonne. »

Puis, pensant que son kouhai en avait terminé avec lui, Ken allait se remettre à sa petite sieste mais une fois de plus, c’était sans compter le fait que le dénommé Hayato n’en avait pas fini avec lui. Oui, il venait de se présenter, et lui avait demandé son nom à lui. « On verra si t’as de vraies questions à me poser, surtout que je ne suis pas le meilleur prof particulier ici … » Ouais, Ken était en Commerce comme il aurait pu être en Eco ou en Droit, parce qu’il voulait vraiment intégrer le club de Basket et l’équipe de Chuo, et il ne regrettait pas son choix car il s’éclatait bien dans ce club-là. Il n’avait jamais abandonné le Basket de toute façon et comptait toujours en vivre, être sportif professionnel à la fin de ses études. Il aurait pu aller dans une école spécialisée, mais au cas où il ne puisse pas percer tout de suite il prenait une alternative en tentant d’être diplômé ici, mais si on lui proposait un contrat il n’hésiterait pas à foncer et à arrêter ses études, même si sa mère le tuerait. « Oh bah, sempai c’est bien aussi mais tu peux m’appeler Ken. » Il sourit.

Quelque chose de plus plausible, Ken attendait de voir ça ! Mais bon c’était de bonne guerre, il avait tenté de faire une mauvaise blague, ça n’avait pas marché, après tout on n’apprend pas au vieux singe à faire la grimace n’est-ce pas ? Mais il appréciait que le jeune ait tenté sa chance quand même, et il soit encore motivé pour réessayer plus tard avec une nouvelle combine. « Je les ai toutes faites les blagues du genre, il va t’en falloir beaucoup pour m’impressionner ! » plaisanta-t-il.
Ken-sensei, allons bons, il en avait d’autres des comme ça ? Comment avait-il pu monter en grade aussi rapidement ? Bah ouais, de sempai à sensei quand même, c’était allé vite. Peu importe, il s’adressait à la mauvaise personne s’il comptait vraiment sur lui pour l’aider dans ses cours, surtout qu’il avait tendance à oublier ce qu’il apprenait une fois les examens passés. « Si tu le dis … »
Mais le dénommé Hayato n’en avait toujours pas fini avec lui parce qu’il renchérissait pour poursuivre la conversation. Des conseils à lui donner ? Heu, très bonne question … « Non mais sérieusement, je suis beaucoup plus investi dans mon club que dans mes cours, alors le seul vrai conseil que je pourrais te donner c’est … Bosse plus que moi pour bien réussir ! » Il sourit. Ken n’était pas réputé pour être le bosseur de l’année, et il faisait toujours le minimum syndical afin de passer en année supérieure. Il n’était pas de ces étudiants ambitieux qui bossaient avec acharnement pour pouvoir intégrer la meilleure entreprise du secteur voulu, ça c’était un truc d’étudiant de droit après tout ! Mais bon, qu’importe. « Mais dis-moi plutôt, qu’est-ce qui t’amène à Chuo alors qu’on est encore en vacances et que tu as l’air aussi motivé que moi à réviser tes cours ? Ne me dis pas que t’es venu juste pour me faire une blague quand même, je ne te croirai pas ! » Puisqu’il voulait faire la conversation, il allait la faire !

« L’espoir fait vivre, non ? » dit-il en souriant, amusé.
Ken savait très bien que le conseil qu’il venait de donner à son kouhai ne lui serait certainement d’aucune utilité, mais il ne fallait pas s’attendre à des conseils mirobolants avec ce jeune homme qui n’avait pas vraiment la fibre scolaire. Certes, il aurait pu lui dire que le prof de finances était un tortionnaire et qu’il interrogeait tout le monde un à un en cours, surtout les étrangers, et qu’il avait un humour noir particulièrement désagréable, mais bon, c’était plus drôle s’il s’en rendait compte par lui-même non ?

Bref, il lui avait retourné ses questions, et reste perplexe lorsque le plus jeune lui balança les raisons de son inscription à Chuo. Ce n’était pas vraiment le genre de réponse à laquelle il s’attendait, sérieusement. Mais bon ce Hayato avait l’air d’aimer déballer sa vie privée à tout bout de champ alors il l’avait laissé parler. Il allait rétorquer que ce n’était pas vraiment le genre de réponse qu’il s’était attendu d’entendre, mais le kouhai se corrigea tout seul en réalisant qu’il avait répondu complètement à côté de la plaque. Bref Ken reçut donc une double explication du pourquoi du comment, et éclata de rire à la fin de la tirade d’Hayato alors qu’il n’y avait en soi rien de drôle. « T’es un marrant toi, non ? » Puis il reprit un peu son calme avant de dire : « Donc tes parents pensent toujours que tu étudies le droit ? ils ne savent pas pour ta réorientation ? Mais sinon la librairie c’était cool aussi, au moins t’avais une assurance d’emploi … » Mais il comprenait ce que le plus jeune ressentait. Lui-même n’avait aucune intention d’hériter de la multinationale d’Anzai père, quoi qu’en dise sa mère, et il ferait tout son possible pour éviter ce chemin-là tout en lui faisant croire le contraire. A votre avis, pourquoi faisait-il du commerce aux yeux de sa mère ? Bref. « Sinon, je suis membre du club de Basket. Et toi t’es dans un club ? » Ken n’était pas le genre de personne à poser autant de questions, la seule qui avait subi un tel interrogatoire par le passé étant Hikaru, mais il fallait bien tuer le temps après tout.