Un démon a visage d'ange, voilà comment on pourrait décrire en quelques mots Yusuke. Egoiste, égocentrique, susceptible, jaloux, envieux, arrogant, possessif violent... la liste de ses défauts est particulièrement longue. Celle de ses qualités un peu moins. Il est brillant, c'est indéniable mais il n'est pas facile à vivre. Il ne fait des efforts qu'avec les membres de son gang, cette deuxième famille qu'il a choisi et dont il se sent bien plus proche de ses propres parents.

Marqué par la solitude et l'absence de ses parents, Yusuke n'a pas reçu beaucoup d'amour ni d'attention dans son enfance, si ce n'est celle de son bourreau.

Ne se sentant pas digne d'être aimé et ayant une mauvaise image de lui à cause des abus dont il a été victime, Yusuke n'a aucune confiance envers les autres en dehors de ceux qu'il considère comme sa seconde famille. A tout moment il s'attend à être trahi et blessé par les autres.

En couple, il n'est pas d'une nature très fidèle tout simplement parce que ses parents n'ont jamais été un exemple de fidélité. C'est aussi une manière pour lui de ne se protéger. Trahir avant d'être trahir. Faire souffrir avant de souffrir. Avoir le mauvais rôle lui semble tellement plus facile.

Il ne croit pas non plus en la justice. Personne ne l'ayant cru ni protégé du pédophile qui s'en était si longtemps pris à lui. C'est certainement la raison pour laquelle il n'a aucun état d'âme à commettre tous ces braquages.

Né avec une petite cuillère en argent dans la bouche, on ne peut pas dire que j’ai manqué de quoi que ce soit, si ce n’est de la présence et de l’amour de mes parents. Avoir un enfant ne les intéressait pas. Je n’étais au mieux qu’un héritier pour mon père qui voulait que j’aie une éducation irréprochable et qui en délégua la responsabilité à un homme qui devait faire office de précepteur au sens le plus large du terme.

Je n’ai pas eu le droit aux bras réconfortants d’une nourrice ni d’une gouvernante. Aussi loin que je m’en souvienne, il y avait cet homme et il était là pour m’enseigner tout ce que j’avais besoin d’apprendre et de savoir. Ses méthodes étaient parfois rudes mais nécessaire selon ses mots. Je pouvais passer mes journées à répéter les mêmes gammes de piano sans jamais avoir le droit de manger ni de me reposer s’il estimait que je n’étais pas assez appliqué. Il m’imposait un régime alimentaire strict et équilibré pour mieux me récompenser en friandise lorsque je me comportais comme un bon garçon.

Effacé, silencieux, je m’efforçais d’être un bon garçon comme il aimait le dire, espérant ainsi briller aux yeux de mes parents bien trop occupés pour poser les yeux sur moi ni voir ce que cet homme me faisait. J’étais trop jeune pour réaliser que c’était mal, inconvenant, indécent… Mais je crois qu’au fond j’ai très tôt su que ce n’était pas normal. Les privations, les punitions, les châtiments physiques mais également les caresses…

Aussi loin que je m’en souvienne, je me suis toujours senti très mal dans ma peau au point d’avoir eu un jour envie de me laver avec de la javelle, espérant ainsi me sentir moins sale. J’ai fini à l’hôpital avec une grave intoxication et ça a certainement été les plus beaux jours de ma vie. Les plus paisibles également.

Après ça, j’ai commencé à me rebeller et à rêver d’évasion, d’une vie meilleure dans laquelle je serais libre. Une vie loin de mon bourreau qui à l’approche de la puberté se montrait bien plus rude avec moi, à tous les niveaux. Mon comportement n’est pas passé inaperçu et tout le monde l’a mis sur le compte d’une préadolescence précoce. D’ailleurs au lieu d’interpeler mes parents, ça n’a fait que les faire fuir encore un peu plus, me laissant prisonnier de ce luxueux appartement qui me servait de prison dorée mais surtout entre les griffes de ce pédophile.

J’avais dix ans lorsque j’ai fait ma première fugue. J’étais paumé jusqu’à ce que ce gars me trouve. Il était plus âgé que moi. J’aurais dû avoir peur, j’aurais dû l’envoyer balader mais je l’ai suivi. Je ne sais pas pourquoi, je lui ai fait confiance.  C’est lui qui m’a présenté Akihito. J’étais encore plus méfiant mais je ne sais pas pourquoi, ça a fini par passer. Peut-être parce que j’avais besoin d’avoir des amis, des gens qui n’avaient rien à voir avec mon monde. Des gens pour me faire oublier l’horreur qui m’attendait à la maison.

J’avais de l’argent mais je n’étais pas heureux. Eux ils n’avaient pas d’argent mais ils avaient l’air si heureux ! On était différent mais on a fini par bien s’entendre. Les retrouver, c’était ma bouffée d’oxygène et je passais mon temps à imaginer des stratagèmes pour échapper à mon précepteur. Ça avait fini par se savoir que je trainais avec des voyous mais peu importait les punitions et les sévices, il était hors de question que j’arrête de les voir. J’en avais trop besoin car pour la première fois de ma vie, je me sentais libre et peut-être un peu heureux.

Deux autres gars ont fini par rejoindre la bande. Pour être honnête je n’étais pas rassuré. J’ai horreur du changement et de la nouveauté. Ça me fait peur et puis si je perdais A et Akihito, je ne sais pas ce que je ferais mais contrairement à ce que je craignais tout s’est bien passé et on a fini par bien s’entendre. La famille s’était juste agrandie et même si on se prend parfois la tête jusqu’à en venir aux mains, je me sens quand même mieux avec eux…

Avec l’adolescence, mon comportement n’a fait qu’empirer. Je n’étais pas seulement rebelle, j’étais violent et agressif. On m’a fait consulter plusieurs psys mais je ne pouvais pas leur raconter ce qu’on m’avait fait… ce qu’on continuait de me faire. On a commencé à me bourrer de médicament mais je finissais quand même par trouver un moyen d’y échapper même si ça ne servait à rien car LUI, il savait comment me droguer pour me rendre plus docile.

Un jour, j’ai décidé que c’était fini. A seize ans je n’étais plus un enfant et j’étais capable de me défendre. J’étais capable de dire que notre relation n’était pas normale et que je n’étais pas son petit-ami. Je l’ai frappé. Je l’ai frappé tellement fort et je n’ai pas été capable de m’arrêter si bien qu’il a fini à l’hôpital avec plusieurs fractures et un sérieux traumatisme crânien. J’étais content et soulagé sauf que j’avais fait de lui une victime et c’était moi le monstre aux yeux des autres. Le petit ingrat qui avait presque tué l’homme qui l’avait élevé comme un père. J’ai essayé d’expliquer mon geste mais j’ai tout de suite vu dans les yeux des gens… de la police et de mes parents que la vérité ne les intéressait pas et qu’on ne me croirait jamais. Alors j’ai fermé ma gueule et j’ai passé trois mois dans un centre de rééducation pour délinquant fortuné. J’ai été obligé de lui écrire une lettre d’excuse et d’aller m’excuser auprès de lui. Je l’ai fait sans en penser le moindre mot, parce que je voulais qu’on me laisse tranquille.

Aujourd’hui, j’étudie les langues à l’université pour faire plaisir à mes parents qui m’adressent à peine la parole et quand ils le font c’est souvent pour critiquer mes fréquentations ou la façon dont je mène ma vie. Elle n’est pas particulièrement saine mais tant que je peux compter sur mes potes, c’est tout ce que je demande.