Des paroles doucereuses, creuses. Des mots adroits, vides de sens. Des mensonges. Toujours des mensonges. S’enroulant autour de ses yeux, de son nez, de sa bouche, de sa gorge, de son corps. La laissant comme morte, cadavérique, tel un pantin aux mains du plus cruel des marionnettistes. Des caresses épineuses. Des souffles froids. Des baisers venimeux. Des embrassades étouffantes. Mortelles. Des gestes répétitifs. Répétés. Des esprits se croyant inventifs. Amenant nouvelles marques sur anciennes cicatrices. Des visages prenant la place d’autres visages. Des corps difformes finissant par tous se ressembler. Des mains douces, cruelles, blessantes. Des dents fines, rondes, cannibales. Des esprits simples, sales, décevants. Des âmes noirâtres. Des âmes abruties. Des désirs hurlants, envahissants, sauvages, difficiles, cruels, cruels, cruels, infinis.
Une chute.
Un éclat.
Une brèche.
Un hurlement.
Une nouvelle personne.
Un nouvel esprit.
Une nouvelle âme.
Deux personnes.
Deux esprits.
Deux âmes.
Pour un seul corps.
Pour un seul cœur.
Un goût de sang dans la bouche. Un sourire cruel. Un rire atroce. Des blessures. Autres que les siennes. Du sang. Du sang. Une vengeance. Une perte de conscience. La création d’une nouvelle.


Elle n’avait jamais eu de véritable nom. Sa mère n’avait jamais pris le temps de lui en trouver un. Elle était nommée autant de fois que les clients prenaient le temps de l’appeler. Elle était nommée autant de fois que ces clients avaient d’épouses, maris, amant.e.s. Et quand Elle arriva, elle ne prit pas le temps de réfléchir. Il y avait elle puis Elle. La première version. Et la deuxième version. Hana. Duri. Souvent Elle pouvait se taire, se terrer, au fin fond de son trou, pendant des jours, sans jamais bouger l’ongle du petit doigt. Laissant Hana avoir les rennes, les décisions, et ses pensées, pour elle-même. De temps à autres Elle était juste à la surface, prenant en otage ses sourires, ses regards, quelques un de ses gestes. Ses sourires devenaient  froids  et cruels. Ses regards vides. Et ses gestes fluides, sensuels, sexuels, fatales. Parfois, Elle était reine. Elle était aux commandes. Elle était le marionnettiste.

Bipolarité. Schizophrénie. Double personnalité. Deux consciences. Sœurs siamoises. Parallélisme. Malédiction. Deuxième conscience déjà connue. Reconnue. Deuxième personnalité, autrefois fréquentée. Autrefois aimée. Très vite détestée. Toujours admirée. Conscience. Personnalité. Intruse. Malédiction. Re-prise de conscience.  mes sœurs. Reliées par le sang. Consciences désunies.
Mère.
Fille.
A nouveau réunie.
Pour le meilleur. Surtout pour le pire. Aucun père pour venir à la rescousse. frères et soeurs inconnus.
Pas vraiment sa mère. Une pâle copie vraiment. Suffisamment puissante. Effrayante. Manipulatrice. Pour prendre, reprendre, possession d’elle. Pour rester avec elle. Au-delà de la mort.
Malédiction.

Une fuite. A perdre haleine. Vers d’autres horizons. Dans un espoir de guérir, de changer, d’apprendre à s’apprécier. Le japon comme une évidence. Ni trop loin. Ni trop près. Un nouveau départ. Vraiment ?

Elle avait découvert l’art, l’Art avec un grand A, grâce à l’un de ses clients. Il l’avait payé comme on achète un bijou ; pour paraître plus beau, plus en vogue, plus mâle, plus en vue. Ça ne la dérangeait pas. Elle était douée pour ça. Et ça payait bien.
Bizarre comme on est mieux payée à rester verticale, souriante et élégante, qu’horizontale, gémissante et suante. Ça l’arrangeait bien aussi, Hana, que le client ne demande pas plus que ça. Elle s’attendait à une énième soirée barbante, à se contenter de sourire, hocher la tête et s’incliner, offrant son plus beau profil, ses plus belles poses, quelques sourires ou quelques clins d’œil à son client, le laissant mettre ses mains sur ses joues, ses épaules, ses hanches, ses jambes, autant qu’il le voulait.
Elle s’est retrouvée souffle couper, subjuguée, fascinée, par l’étendue de la beauté. De la création humaine.
Elle. Hana. Brisée. Brûlée. Ébréchée. Par les hommes. Par les femmes. Par l’humanité toute entière.
Etait absorbée, entourée, envoutée à nouveau, par l’humanité. Par les mouvements, les gestes, d’une humanité si détestable.
Les couleurs. Les coups. Les teintures.
Les plis. Les sculptures. Les déchirures
                     La douceur.   La violence.
Tout.
Toute l’humanité exposée devant elle.
Toute l’humanité. Dans ce qu’elle avait de plus exécrable et de plus magnifique.
Était affichée.
Pour elle.
Rien que pour elle.
Pour admirer. Aimer. Analyser.
L’Art.

Voilà ce qui pouvait sauver une âme.
Voilà ce qui pouvait amener une âme au-devant de soi.
Voilà ce qui pouvait emmener une âme plus loin qu’aucun Dieu ne pourrait.
Voilà, ce qu’une âme, dans la manière la plus innocente, naïve et belle, pouvait désirer, créer.
Voilà qui pourrait.
Peut-être.
Amener.
Hana.
Duri.
A se tenir la main, avancer, ensemble, devenir unies.
Car, qui mieux que l’Art, pouvait amener, fusionner, déclarer sœurs, des âmes perdues, en quête de soi.

Danser. Danser. Envoûter. Danser. Danser. Ô ce qu’elle pouvait aimer ça. Danser. Vibrer. Bouger. Au son d’une musique. Glisser. Rouler.
Sensuelle. Sensuelle.
Sexuelle. Sensuelle.
Toujours plus.
Toujours à la limite.
Devant des yeux exorbités.
Des pupilles dilatées.
Des cœurs frénétiques.
Des âmes sales. Sales. Ô ce qu’elle pouvait aimer les salir. Un peu plus. Sans jamais les laisser la toucher. Oh non. On ne touche pas. On touche avec les yeux.
On se laisse emmener, envoler, embourber, enliser, toujours plus loin, plus profond, dans les salissures, de ses propres fantasmes.
Dans le fantasme qu’elle crée pour vous.
Rien que pour vous.
Vous êtes parfois dizaines, vingtaines, centaines.
Mais c’est toujours pour voir qu’elle danse. Rien que pour vous.
Et sachant ce qui l’attends.
Argent.
Argent.
Son sourire se fait plus dément. Ses hanches plus alléchantes. Ses yeux plus vides encore. Son corps mouvant dans des cascades impossibles.
Venez. Venez donc.
Vous laisser envoûter.
Par son corps. Ses yeux. Son âme. Toujours plus noirs. Toujours plus sales.
Pour vous.
Rien que pour vous.
Jusqu’à la fin de votre vie.
Plus tôt ce sera.
Plus elle sera ravie.
Duri.


Longues et étroites marques. D’ongles.
Cercles parfaits brûlés. De cigarettes.
Fins arcs de cercles. De dents.
Taches bleues, jaunes, violettes. Galaxies de couleurs. Pluie de coups.
Cicatrices.
Une certaine beauté dans le testament du sang.
Une certaine magnificence dans l’héritage de la violence.
Un certain mouvement artistique dans la maîtrise des conséquences.

  

Une décision, soudaine, implacable. Les études. Comme une évidence. Une nouvelle affirmation de soi. Une peur, normale, de ne pas y arriver, elle qui avait passé ses examens si difficilement.Une peur, d'être trop vieille pour tout reprendre à zéro. Une peur, car une décision à prendre en chœur. Un coup de chance pour la résidence. Une place qui se libère, comme par magie, ou grâce à Duri, elle ne le saura surement jamais.
Une décision. De la pauvre petite. Une acceptation de sa part. Pourquoi se refuser un peu plus de fun, dans un autre monde que le leur. Une décision prise, à une condition. Que Duri puisse s'amuser aussi. La décision est prise. Viens le comment du pourquoi à s'occuper. Viens la facilité, prodiguée par la richesse de ces hommes et de ces femmes qui l'aiment tant. Une femme japonaise qui réussi à l'inscrire dans une université renommée. Le nouveau départ.