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Une nouvelle chance ?

feat. @Sakurai Ayame


Comme chaque soir, Riho hantait le fumoir pour s'isoler dans les vapeurs de nicotine qu'elle tirait d'une cigarette sur laquelle elle poussait presque à lui en faire mal. Le regard sombre, l'air toujours sur la défensive, la plupart des habitants de la résidence avaient appris à éviter cette fille qui donnait l'impression de ne pas vouloir qu'on l'approche. Cela faisait déjà un an que la jeune femme se trouvait sur le campus et habitait la résidence mais elle n'était arrivée qu'à se faire remarquer par quelques éclats de voix envers ses camarades, quelques entorses au règlement intérieur et surtout beaucoup de bruits de couloir. Le principal était que Riho avait été une délinquante - et ce n'était pas faux - et faisait fuir la plupart des gens à la fois bien et mal intentionnés. Parmi eux, il y avait le grand chagrin de l'artiste-peintre et qui portait la douce image de l'iris dont elle portait son nom ; Ayame. Riho l'avait approché pour mieux la fuir une fois que le lien commençait à s'intensifier, comme elle le faisait toujours. Une fuite en avant dès que l'attachement se faisait trop fort, de peur de souffrir et faire souffrir.

Ce soir, elle en avait marre. Marre de fuir cette fille dans les couloirs, de détourner le regard dans la salle du cercle de dessin. Marre de se montrer évasive, parfois même blessante pour l'éloigner. Riho avait cependant compris qu'elle l'aimait. Mais comment on fait déjà ? C'était imprudent de désirer renouer ce lien qu'elle s'était évertuée à défaire pendant toute l'année dernière. Elle en avait marre. La fumée lui donnait mal à la gorge et ses réflexions mal au cœur comme si elle se trouvait sur un bateau en avarie. C'était stupide. Elle en avait marre de cette sensation impétueuse d'erreur qui grandissait en son sein depuis des semaines. Au final, tout cela ne valait rien. C'était idiot de craindre de s'attacher mais les phobie sont autant d'épreuves pour ceux qui n'ont jamais éprouvé la confiance et la sécurité. Riho essuya ses mains moites sur le pantalon de son jogging et glissa son mégot tiré jusqu'au filtre dans son cendrier de moche qu'elle rangea dans sa poche avant de s'en retourner vers son appartement. C'était trop con ; il fallait qu'elle arrête de penser. S'enfermant dans l'ascenseur, elle rumina encore un peu. Juste assez pour que la culpabilité soie plus forte que la colère et commence à lui retourner l'esprit, la faisant tourner dans l’ascenseur comme un animal en cage ; féroce. Il lui fallait divertir son errance. Putain, c'était intenable. Ses baskets couinent sur le seuil de l'étage quand elle sort. C'était trop dur de maintenir les liens avec les autres. La jeune femme serra les dents si fort qu'elle en eut mal aux gencives. Putain, il fallait qu’elle arrête de penser à ça !

Enjamber le couloir de quelques rageuses foulées, à en faire fuir ceux qui la croisaient. Cassez-vous, disaient son regard noir. Maintenant, il lui fallait une excuse. Une raison, un but. Un tour de passe-passe. Un passeport pour un terrain connu et abandonné, un terrain sûr. Sur le meuble de l'entrée trônait son vieil exemplaire de "Bleu presque transparent" de Ryû Murakami, tout corné, tout malmené par la vie qu'elle lui avait donné en le traînant avec elle durant ses années à la rue. Il avait la gueule cabossé de ces livres qui vous suivent pour toujours et font de vous les adultes que vous êtes. La jeune femme ne réfléchit pas vraiment, s'armant d'une impulsion née d'une certaine forme d'imprudence. Elle se saisit du vieux bouquin et claqua la porte derrière elle, retournant dans l'ascenseur pour rejoindre l'étage du bas. C'était inconcevable de venir les mains vides. Question d'éducation car malgré ses airs de chats sauvages, Riho était une fille avec une éducation solide, un peu à l'ancienne ; elle refusait d'avouer qu'elle venait de la campagne, comme elle refusait en général de parler d'elle. Même Ayame ne savait pas grand'chose sinon les banalités : que Riho aimait peindre, qu'elle avait mauvais caractère, qu'elle n'aimait pas les gens et n'était pas à l'aise avec les autres filles et surtout qu'elle aurait pu manger tous les jours du Karaage. Peu des choses en définitive. Leur amitié avait débuté étrangement et Riho avait cherché à la tuer dans l’œuf, de crainte de ce qui advenait.

La voilà à traverser les couloirs en baissant la tête pour ne saluer personne, bien qu'elle ne croisa que fort peu de monde. Riho n'était pas vraiment douée pour la politesse et elle préférait esquiver les autres filles plutôt que de les saluer ce qui lui avait forgé une réputation de fille hautaine mais surtout brutale, mal dégrossie et comme elle fumait, de délinquante. Certaines fille lui avaient même inventé des vies, mais ça n'avait pas d'importance. Avec son air éternellement renfrognée, la bouche un peu trop maquillée, et son jogging un peu trop grand couplé à ses grandes créoles, elle était l'image type que les gens pourraient se faire de la fille qui tournait mal. Mais peu importait, parce qu'Ayame n'était pas comme ça. Riho le savait malgré cette boule au ventre, tenace, qui lui dictait de partir en courant et de ne plus jamais revenir. Sensation de danger, le pouls qui s'accélère. Elle toque - personne. Merde alors. Un instant, Riho pense à repartir mais son corps la trahit et elle s'accroupit simplement à côté de la porte d'Ayame, le dos contre le mur. Elle attendit sagement, dégageant sa queue de cheval d'une de ses épaules dans un geste d'humeur : elle détestait attendre, parce que c'était ça, la véritable perte de temps. Se dandinant d'un pied à l'autre, la jeune femme fit volontairement couiner ses baskets sur le sol pour agacer une fille qui passait dans le couloir, la fixant effrontément pour essayer de la mettre mal à l'aise : c'était comme ça qu’elle paissait le temps.

Elle attendrait dans ce foutu couloir, aussi longtemps qu'il le faudrait. Son regard parcourut les pages maintes et maintes fois visité du roman de Murakami avec la nostalgie des moments où elle les découvrait pour choisir quelques lignes au hasard dans un soupir d'agacement mêlé à un sentiment grandissant de doute.

"En ce moment, tu sais, je passe des heures tout seul, à regarder beaucoup... la pluie, les oiseaux, les gens qui passent dehors, tout bêtement. Tu ne peux pas savoir comme c'est intéressant, si tu regardes assez longtemps."

Et si Ayame savait combien elle aimerait lui parler, lui parler juste comme ça, de tout et de rien. Mais c'est peut-être trop tard pour rien que deux ou trois mots qu'elles échangeraient tout bas. Et pour Riho d'ajuster son ego, d'admettre la grossière erreur qui lui nouait les tripes. A l'aube du temps qu'elle avait perdu à fuir son amie, la jeune femme espérait que ce soir soit ce moment de chance qu'elle n'attendait plus. Puis, des bruits de pas dans le couloir. Elle se redressa d'un bond sur ses jambes, l'air alerte. Était-ce celle qu'elle attendait ? Ses doigts se crispèrent sur la vieille couverture à s'en faire blanchir les phalanges. Et à présent, comment lutter contre cette envie de détaler à tout jambes, maintenant qu'Ayame fut dans son champ de vision ? C'était comme la citation de Murakami : tu ne sauras jamais combien l'amitié est intéressante si tu ne restes pas assez longtemps. Alors elle serra les dents, l'air intense et emmerdée à la fois et parvint à lancer d'un air un peu trop sérieux à son goût :

"Salut", une pause, un ange qui passe ne prenant tout son temps, "j'ai un truc pour toi... au pire t'auras qu'à le jeter."

Riho ne donna pas encore son livre à Ayame, se contentant de regarder fixement la jeune femme sans manière ni retenue. Elle avait toujours été comme ça : intense et sans gêne, brute avec les autres - surtout avec les personnes qu'elle aimait.

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Une nouvelle chance ?

feat. @Oshima Riho


La rentrée scolaire approchait à grand pas, emplissant Ayame d’une certaine anxiété qui la saisissait toujours au moment de cette période. Encore une fois, la plupart de ses repères avaient volé en éclat. Jun n’était plus son voisin, puisqu’il avait atteint le quota maximum d’année de résidence. A la place, une demoiselle du nom de Mitsue qu’elle ne connaissait pas encore trop. Au moins, Akira était toujours là, lui. La rencontre avait été un peu particulière l’année précédente, puisqu’elle avait découvert avec surprise et tristesse qu’il avait remplacé son ami Hotaru, mais ils s’entendaient plutôt bien désormais. Leurs handicaps respectifs les rapprochaient sans doute.

Ayame avait parfois l’impression d’être maudite, ou que cet endroit était maudit. Chaque rencontre faite à Seiseki finissait par s’étioler, et les personnes disparaissaient une à une de sa vie. Cela avait commencé avec Mia et Yuzu à son arrivée ici la première année, continué avec Hotaru et puis Riho. Pour ce qui était de cette dernière, la jeune étudiante ne comprenait pas vraiment ce qui s’était passé. Très vite devenues amies grâce au cercle des arts, elles se voyaient souvent, et passaient du bon temps ensemble. « Les contraires s’attirent », cette expression leur seyait fort bien. D’apparence, les deux filles n’avaient absolument rien en commun et pourtant, une étincelle avait jailli entre elles. La complicité s’était vite installée malgré le mutisme de la plus jeune, mais cela n’avait jamais été un obstacle. Jusqu’à ce que Riho disparaisse subitement, comme les autres. A la différence qu’elle était toujours à la résidence et au cercle d’arts, mais semblait soigneusement évitait Ayame. La jeune femme ne comprenait pas sa réaction et ne pouvait s’empêcher de culpabiliser, pensant que c’était sa faute si son aînée avait brutalement coupé les ponts ainsi. Elle avait dû avoir une remarque ou une attitude déplacée. Bref. Ayame s’était longtemps posé des questions à ce sujet et puis avait décidé de laisser tomber l’affaire.

De nombreuses péripéties s’étaient enchaînées depuis : l’agression qu’elle avait subie dans les locaux sportifs du gymnase avec Jun qui était devenu son ami alors qu’elle ne le connaissait que de vue dans le cercle des arts, le fait qu’elle avait réussi à parler pour la première fois en 5 ans sous l’effet de la peur et de la colère, beaucoup d’angoisse, des cauchemars, son baito d’assistante mangaka qui lui prenait du temps … Elle avait fini par apprendre qu’elle redoublait, pas étonnant après une année mouvementée comme celle-ci. Elle avait eu des périodes de décrochage et même si elle avait été sérieuse, l’enchaînement des relations perdues avaient entraîné une instabilité qui avait visiblement impacté son moral et ses résultats scolaires. Et elle avait découvert le café tenu par Imai Akihito, intervenant du cercle de photo à Chûô. Elle avait accompagné Jun au kôban après le vol de son portefeuille le mois dernier. Et là voilà, à deux semaines environ du passage au mois d’avril, symbole d’une nouvelle rentrée scolaire. Et elle était totalement perdue.

Il était tard ce soir-là lorsqu’elle rentra, épuisée, de son baito. Ses mains étaient couvertes de traces d’encre séchée qui n’étaient pas parties malgré un lavage de main rigoureux. Elle dormait presque debout, avait failli rater son arrêt de train et avait marché en chancelant à moitié sur le trajet vers la résidence. Elle n’avait qu’une hâte : dormir. Elle risquait de se jeter directement sur son lit toute habillée, vu la fatigue. Cette fatigue s’envola aussitôt lorsqu’elle reconnut la silhouette campant devant la porte de son appartement. Riho. Au départ, la tête dans la lune, et le couloir seulement éclairé par la lueur de cette dernière, Ayame n’avait même pas remarqué que quelqu’un était là. Mais une fois devant sa porte, elle n’avait pas pu ignorer la présence de sa sempai, qui la gratifia d’un bref « salut » alors qu’elles ne s’étaient pas parlé depuis presque un an. Le cœur de la demoiselle rata un battement : elle ne se serait jamais attendu à croiser Riho ce soir, ni même un autre soir. Pourtant elle était bien là, devant elle, annonçant de but en blanc qu’elle avait un truc pour elle, et précisant qu’elle pourrait le jeter si ça ne lui convenait pas. Pourtant elle ne tendait rien vers elle.

Aya resta silencieuse un moment, détaillant son ancienne amie du regard. Elle n’avait pas changé, que ce soit physiquement ou mentalement. De toute façon, elles se croisaient souvent à droite et à gauche, et à chaque fois, Aya’ avait du mal à détourner le regard, observant la silhouette garçonne de Riho jusqu’à ce qu’elle disparaisse de son champ de vue. Elle n’aurait jamais pensé avoir l’occasion de lui réadresser la parole. Elle aurait d’ailleurs voulu réussir à utiliser sa voix, comme elle l’avait fait une fois ou deux cette année : mais c’était certainement encore trop tôt. Intimidée, elle finit par baisser la tête et sortit son téléphone pour lui envoyer un message sur LINE :

Riho. Ca fait longtemps. Je suis contente de te revoir.

Tu m’as manqué. Ayame aurait voulu écrire cela mais elle n’avait pu s’y résoudre, se contentant d’une banalité pour ouvrir le dialogue et spécifier à Riho qu’elle n’avait aucune intention de l’ignorer. Elle rajouta cependant :

Pourquoi je jetterais un de tes cadeaux ? C’est précieux, quel qu’il soit.

Le portable de Riho vibrerait d’un instant à l’autre dans sa poche avec deux notifications de son amie. Elle ne l’avait jamais bloquée sur LINE mais avait toujours ignoré ses messages. Jusqu’à ce soir ?


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Une nouvelle chance ?

feat. @Sakurai Ayame


Riho pourchassait ce diable qui se trouvait dans les détails ; les cernes ourlées de fatigue, les tâches d'encre qui avaient résisté à l'assaut de l'eau et du savon. La surprise peinte sur la tableau que formait le si joli visage d'Ayame, rehaussé par cette couleur particulière que la jeune fille avait et qui lui donnait tout son charme. Les nuances de l'étonnement mélangées à sa gentillesse habituelle et qui formaient une couleur très particulière. Ayame était une personne pleine de couleur malgré des apparences un peu ternes et c'était ce qui avait rapidement attiré la peintre vers elle. Là où les apparences les éloignaient, une étincelle que Riho avait tenté de tuer par crainte s'était formée, et elle ne parvenait à l'étouffer malgré tous ses mauvais efforts, son mauvais esprit. De multiples scénarii s'étaient enchaînés dans son esprit concernant ces retrouvailles à la fois désirées et craintes. Des fins tristes, d'autres simplement neutres. Aucune finalité heureuse pour une fille pessimiste. Et pourtant la réaction de cette amie qu'elle avait tenté d'éloigner le plus possible d'elle l'étonna tant que la jeune femme se retrouva totalement mise à quia, la bouche entrouverte sur quelque chose qui ne vont jamais mais qui ressemblait à un juron de surprise. Ayame, pourquoi est-ce que tu es si gentille avec moi ? J'ai essayé de te repousser, je t'ai esquivée, ignorée ? Je t'ai fait volontairement du mal pour que tu m'oublies. Un voile passa devant le regard de Riho, la mine plus sombre.

Riho ne changeait pas, demeurant le même chat sauvage qui se piquait lorsqu'on la détaillait du regard, détournant les yeux pour faire mine de chercher son portable dans la poche arrière de son jogging qu'elle fit tomber en le sortant trop vite. Le téléphone glissa aux pieds d'Ayame et la peintre, un peu bougon, se pencha vers son amie pour ramasser l'appareil avec une drôle de maladresse. Elle était simplement tout aussi intimidée qu'Ayame et sa gêne était absolument palpable malgré le fait que la jeune femme essayait de sauver les apparences en se donnant un air faussement détaché. Elle se risqua cependant à croiser le regard de cette fille qu'elle avait esquivé une année entière, son téléphone vibrant dans sa main tandis qu'elle se perdit un peu dans ses pensées : un esprit qui va plus vite que le reste. Riho pensait à tant de variables qu'il lui arrivait souvent de demeurer silencieuse et monolithique là où elle aurait simplement du dire quelque chose. Mais dire quoi ? Elle fronça gravement les sourcils en lisant le message d'Ayame.

"Je sais pas si tu devrais être contente", répondit la peintre tout de go, "... mais ça m'soulage", finit-elle par admettre, sa moue en contradiction avec ses paroles comme à son habitude.

Elle ne répondit pas sur l'idée du cadeau précieux, se sentant un peu trop bien accueillie pour quelqu'un qui avait fait autant d'erreur avec une amie. L'amitié était une chose nébuleuse pour Riho qui se comportait rudement avec les autres et refusait de s'engager. Et pourtant...

"Alors t'as qu'à prendre ça", elle tendit le vieil exemplaire de 'Bleu presque transparent" tout corné et tâché qui l'avait suivi dans les quelques années où la rue avait été sa seule famille, "L'histoire est moche, les personnages sont détestables. Mais ce bouquin a été un bon compagnon."

Riho n'en dit pas plus, glissant une de ses mains dans sa poche et tenant son téléphone de l'autre pour lire les futurs messages d'Ayame. Que lui était-il arrivé en un an ? C'était un mystère, tout comme la raison pour laquelle elle souffrait de mutisme. Riho ne lui avait jamais posé la question du temps où elles traînaient ensemble, et n'oserait pas la poser à présent. Elle-même n'avait jamais eu envie de parler de sa vie et de ses détails intimes. Chacun avait le droit d'avoir son jardin secret ; ou quelque chose du genre. 

"Faudrait que j'te parle, laisse-moi entrer chez toi."

Pas d'excuses, pas de s'il te plait. Ni polie, ni délicate, Riho prenait ou exigeait mais c'était plus par maladresse que par domination. Son caractère difficile avait fait fuir tout le monde, sauf cette fille qu'elle avait essayé de faire partir. C'était con, quand on y pensait. Pourquoi Ayame ne la disputait pas ? Pourquoi elle ne la repoussait pas. Taraudée par cette question, Riho se perdit un peu et plutôt que d’enchaîner sur son entrée chez Ayame, elle lança brutalement la question sans fard :

"Pourquoi tu m'envoies pas chier ?", elle fronça les sourcils en pinçant les lèvres - Riho ne souriait jamais - et continua, "tu devrais être blessée et m'en vouloir. J'te comprend pas."


Ça lui foutait un peu les nerfs, à vrai dire, même si l'attitude d'Ayame la soulageait profondément. Paradoxale jusqu'au bout des ongles, Riho perdait pieds face à la gentillesse des autres à laquelle elle n'était pas habituée. Décontenancée, la jeune femme préféra regarder le plafond en prenant un air qu'elle espérait maussade mais qui semblait au mieux gauche et perturbé.

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feat. @Oshima Riho


Ayame aurait pu se montrer froide envers Riho qui l’avait soigneusement évitée pendant toute l’année scolaire précédente, attitude qui avait peut-être inconsciemment contribué à son redoublement. Mais la jeune femme avait essuyé tant de pertes dans son cercle d’amis et de camarades en deux ans que, lorsque l’une de ces personnes revenait, elle n’avait pas envie de faire l’autruche et d’éprouver de la rancune. De plus, elle avait toujours apprécié la compagnie un peu sauvage de Riho, et avait secrètement espéré que cette dernière revienne vers elle un jour ou l’autre. Pour autant, elle n’allait pas être totalement soumise à son ancienne amie, et saurait garder la tête froide. Il était important pour elle de comprendre ce qui lui avait valu un tel silence pendant toute cette année, et pourquoi elle refaisait subitement surface. C’était tout de même particulier comme attitude, mais même si Ayame avait passé peu de temps avec la jeune femme, elle avait compris qu’elle était un peu comme un chat sauvage. Elle allait et venait à sa guise, quand son humeur le lui dictait. Elle n’était donc qu’à moitié surprise de ce retour soudain dans sa vie, même si elle ne s’y était pas spécialement attendue.

Un sentiment de gêne s’était installé entre les deux étudiantes, comme si elles ne savaient pas quoi se dire après ces mois de silence. Mais Ayame aurait sans doute un milliard de choses à dire à Riho, pourtant elle préférait rester neutre pour le moment. Elle ne savait pas vraiment si c’était un mécanisme de protection ou l’envie de laisser son interlocutrice s’exprimer à son rythme, à sa manière, mais c’était en tout cas un choix délibéré. Malgré la pénombre du couloir seulement éclairé par la lumière de la lune, Ayame avait vu Riho froncer les sourcils à la lecture de son message, après qu’elle a fait tomber son téléphone par terre en le sortant trop vite de sa poche. La demoiselle n’avait pas eu le temps de se baisser pour le rattraper pour elle, elle avait été trop rapide. Sa réponse, un peu bourrue comme à son habitude, ne surprit nullement l’étudiante en littérature. Elle se disait soulagée qu’Ayame ne l’ignore pas, mais sa mine renfrognée disait le contraire. Il n’était pas facile de lire les émotions contradictoires de la jeune femme, mais cela ne dérangeait pas particulièrement Ayame.

Lorsque Riho lui tendit l’exemplaire de son livre, Ayame écarquilla les yeux de surprise. Elle ne s’attendait pas à ça. « Bleu presque transparent », elle ne connaissait pas ce titre. L’ouvrage était corné et taché, preuve qu’il avait un sacré vécu et donc une histoire. Et Aya aimait les livres qui avaient une histoire au-delà de celle que les pages décrivaient. Ce livre avait dû accompagner Riho des années durant, et elle fut donc touchée qu’elle le lui cède. Cela devait représenter beaucoup pour elle, non ? Elle confirma qu’il avait une certaine valeur en signalant qu’il avait été un bon compagnon pour elle, malgré une histoire, selon ses propos, moche et aux personnages détestables. Bon … Ayame ne put s’empêcher de sourire face au paradoxe de la situation. Riho lui offrait un cadeau d’une certaine valeur sentimentale mais ce n’était pas l’objet lui-même qui était intéressant, puisque le livre ne semblait pas exceptionnel, mais le message qui y était symbolisé. Elle était très touchée par ce geste, et resta sans voix. De toute façon, ce n’était pas comme si elle aurait pu exprimer quoi que ce soit …  Et avant qu’elle n’ait pu réagir à tout cela, Riho reprit la parole et lui demanda de la laisser entrer chez elle de but en blanc. Prise de court, Ayame sursauta, ne s’attendant absolument pas à ce revirement de situation. Décidément, Riho était vraiment une fille lunaire et changeait d’humeur avec une rapidité déconcertante. En temps normal, Ayame aurait pu l’envoyer chier, parce que franchement on ne s’introduit pas ainsi chez les gens, mais elle ressentait une certaine compassion envers son amie, qui avait déjà fait l’effort de venir l’attendre jusqu’ici. Pourquoi la défendait-elle à ce point ? Parce qu’elle était persuadée que Riho ne l’avait pas évitée par pur plaisir ou intentionnellement, mais que quelque chose l’y avait poussée. Et si tel était le cas, alors sa venue ici relevait d’un effort, ou d’une prise de courage, et si elle tenait à lui parler avec tant d’aplomb, il fallait le faire, car cette occasion ne se représenterait pas deux fois. Même si l’attitude sauvage de Riho aurait pu énerver plus d’une personne, et frustrait légèrement Ayame, elle prit sur elle et décida de rester bienveillante comme elle l’avait toujours été. Elle aurait toutes les occasions de l’engueuler plus tard.

Mais encore une fois, alors qu’elle s’apprêtait à acquiescer et rédiger une note à son égard pour l’inviter à entrer, avant d’ouvrir la porte, l’étudiante fut interrompue brutalement par les propos acides de la jeune femme. Parce qu’elle voulait qu’elle l’envoie paître en plus ? Il ne fallait pas lui tendre le bâton, elle pouvait changer d’avis à tout moment. Oui, Ayame était blessée, déçue, mais elle essayait de comprendre, de se mettre à sa place.

« Riho. »

Son prénom fut prononcé à voix haute, surprenant autant Aya que cela surprendrait la concernée. Avec le temps et l’expérience, la jeune femme avait remarqué que sa voix s’exprimait à des moments bien précis, et guidée par ses émotions : lorsqu’elle était apeurée, en colère, ou comme maintenant, mue de sentiments très contradictoires mais surtout très forts. Mais n’étant pas capable de s’exprimer davantage pour le moment, chaque chose en son temps, la demoiselle reprit son téléphone et se mit à taper un message se voulant le plus sincère possible, afin que Riho fasse un peu, elle l’espérait, tomber les barrières et rentre ses griffes.

Oui, je suis blessée et déçue que tu m’aies ignorée pendant toute l’année dernière. J’avais besoin de toi et de ton amitié, je me suis sentie seule et abandonnée, comme avec la plupart des gens que j’ai rencontrés ici ou à la fac. Mais je t’ai vue m’observer parfois, comme si tu tentais une approche sans y parvenir. J’ai donc, une fois ma déception assumée, essayé de comprendre. Je me suis dit que tu ne m’évitais pas pour le plaisir, et qu’à un moment donné tu m’expliquerais pourquoi. J’ai été patiente, et à vrai dire je ne pensais pas que tu reviendrais un jour vu le temps qui a passé. Mais ce soir tu es là, et ça prouve que j’avais peut-être raison. Donc avant de t’envoyer chier, je veux entendre ton histoire, pour avoir tous les éléments pour prendre une décision. Je ne veux pas regretter mes choix ni mon attitude, car malgré les apparences, ton amitié m’est précieuse, Riho. Et tu sais que ton attitude de chat sauvage ne me fait pas peur, alors n’aies pas peur d’être toi-même. Mais j’espère que tu t’exprimeras sur ton blocage, car je serai là pour écouter, quoi que tu aies à me dire.

Elle appuya sur la touche « envoyer » après un temps d’hésitation. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas exprimée autant envers quelqu’un, avec autant de sincérité et de bon sens. Ayame n’avait que vingt ans, à peine majeure, mais les expériences de sa vie l’avaient aidée à se construire à et à mûrir vite. Le fait de ne pas pouvoir parler l’obligeait aussi à être deux fois plus attentive à la communication non-verbale des gens : gestes, regards, comportements … Et elle avait appris une chose depuis ces deux années de fac : la rancœur n’amenait rien, la peur et la colère non plus. Ca faisait fuir les gens. Mais la compréhension et l’écoute étaient des clefs indéniables à toute bonne relation. Sur cette pensée, Ayame sortit les clefs de chez elle, et déverrouilla la porte avant d’allumer la lumière du couloir. Elle se déchaussa dans l’entrée, et d’un geste de la main, invita Riho à la suivre. Elle refusait d’avoir une conversation aussi sérieuse dans un couloir sombre et froid. Elles se poseraient sur son lit et discuteraient tranquillement, à leur manière.

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feat. @Sakurai Ayame


Il fait sombre dans le couloir mais cela ne dérange pas Riho, bien au contraire. Cette obscurité amie lui donne un sentiment illusoire de sécurité face à cette étrange situation qu'elle a elle-même provoquée, à la racine. Elle était la racine du problème, comme toujours. Parce qu'elle allait et venait, toujours seule par choix, par méfiance. La surprise d'Ayame, Riho la voit mais la sienne, elle la garde au fond d'elle, enfermée à double-tour comme tout le reste de ses sentiments. Pourquoi les garde-t-elle ainsi pour elle ? Parce qu'elle ne parvient pas à les expliquer, tout simplement. Le sourire d'Ayame ne trouve aucun écho, aucun jumeau. Riho ne souriait pas, et personne ne l'avait vu faire mentir cette vérité. Elle ne savait pas sourire.

Avare en mots, l'artiste avait déjà l'impression d'en avoir trop dit et se dandinait d'une jambes à l'autre à la recherche de la seule chose qui lui semblait importer, à savoir des actions. Elle avait hâte d'entrer chez Ayame et de se lancer dans la mêlée, d'en découdre s'il le fallait tout en craignant la discussion parce qu'elle n'avait non pas envie de se justifier, mais un mal fou à le faire. Pourquoi avait-elle fui ? Parce qu'elle le pouvait. Peut-être était-ce aussi stupide et évident que ça. Voir Ayame acquiescer à sa demande de l'étonna guère et elle se prépara à passer le seuil quand elle reçut de plein fouet le son inconnu de la voix de son amie articulant son propre nom. La jeune femme se figea sur place, le visage impassible comme à son habitude - sa dureté l'empêchait de s'exprimer correctement - mais une brûlante étincelle de surprise dans les yeux. Elle serra les poings à s'en faire blanchir les phalanges. Ayame venait de parler et si Riho ignorait la raison de son mutisme elle se doutait qu'il devait beaucoup lui en coûter d'ouvrir la bouche. Cette instant précieux, elle le grava silencieusement dans son cœur, ne trouvant rien à dire et s'abstenant de le prouver par quelques creuses paroles sans charme.

Peut-être aurait-elle du simplement dire merci, mais rien ne passa le seuil de ses lèvres soudainement affreusement sèche, le regard d'une folle intensité posé sur Ayame comme si elle la voyait pour la première, fois, comme si elle retombait soudainement amoureuse d'elle. Un peu plus encore, une fois de plus. Ses bras tremblaient légèrement mais rien ne vint, désarçonnée par cette voix qu'elle ne connaissait pas et qu'elle découvrait sous les intonations de son propre prénom. Surement Riho fixa-t-elle Ayame trop longtemps pour être honnête. Trop longtemps pour être une amie. Mais elle faisait une mauvaise amie en général, alors au diable ces choses-là... il s'en fallut d'un tout petit bout de rien du tout pour qu'elle craque et que son émotion déborde, mais l'artiste se retint sans trop savoir pourquoi. Peut-être simplement que ce genre de débordements n'avaient rien à faire dans un couloir.

"Rihoko", avoua l'intéressée, "... j’m'appelle Rihoko en fait."

Cela pouvait sembler un simple détail mais cela faisait beaucoup pour Riho de donner son véritable prénom, chose qu'elle n'avait jamais offert à personne. Ce n'était surement pas un don à la hauteur de celui que devait de lui faire Ayame, mais c'était son cadeau. Petit à petit, donner des choses. Un pas après l'autre. Ça avait l'air foutrement dur pour Riho, ces choses toutes simples. Et la voix de son amie venait de la bouleverser, l'air de rien ; elle ne l'oublierait pas. Seule la sonnerie de sa messagerie la tira de sa contemplation silencieuse et intense, le sentant vibrer dans sa main tandis qu'elle suivit Ayame jusqu'au seuil de son appartement.

Par réflexe, Riho commença par les choses les plus pragmatiques ; elle retira ses chaussures, étudia les petits détails de l'entrée et des autres pièces qu'elle traversa pour noter ces petites choses qui pourraient lui donner de nouveaux indices sur Ayame. La voilà chez elle... c'était intime. C'était déjà arrivée... il y a longtemps. Elle se sentait si gauche. Baissant son regard sur son téléphone, la jeune femme lut finalement le long message de son interlocutrice.

"Evidemment", murmura Riho avec une certaine dureté.

Blessée et déçue. C'était une réaction normale et l'artiste la prit pourtant avec une fausse désinvolture, s'ingéniant à penser qu'elle n'était pas faite pour les rapports humains et qu'elle ne cessait de blesser les autres qui étaient simplement trop fragiles pour sa compagnie. Seule et abandonnée. Riho serra soudain les dents, et son sang ne fit qu'un tour. Une question lui vint, et comme d'habitude elle sortit tout de go :

"... c'est mal d'être seule ?", c'était les mots d'une personne qui avait l'habitude de la solitude, "j'ai été seule cette année, mais j'ai l'habitude", ça, c'était dit sans malice, "je t'ai vue avec un garçon de ma fac, Yamada-san... Jun", elle avait une mémoire folle des prénoms et des visages, n'en oubliant jamais aucun, "alors j'me disais que t'étais pas seule."


Riho se gratta l'arrière de la tête dans son habituel tic de gène, ne sachant trop comment continuer sans passer pour une connasse. La jalousie commençait à poindre dans son cœur, le cerclant de douleur sans qu'elle parvienne à le faire taire ; foutue impulsivité? Foutue émotivité.

"Vous sortez ensemble ?"

Riho demeura sur le seuil, sachant bien qu'elle aurait plutôt du rebondir sur le reste du message d'Ayame plutôt que sur quelque chose d'aussi puéril. A trop s'éloigner, quelqu'un prend la place dont vous rêver sans oser la demander. C'était peut-être déjà trop tard, au final. Un voile mêlant tristesse et colère passa devant ses yeux sombres tandis qu'elle demeura complètement silencieuse. La jeune femme se reprit pourtant, relevant la tête vers Ayame en gonflant les joues comme une enfant en faute.

"J'sais pas si t'as raison, mais j'sais pas...", elle chercha sincèrement ses mots, et peut-être une explication, "je sais pas. J'garde mes sentiments pour moi en général, parce que j'arrive pas à les expliquer. Pour l'reste...", ce fut dur de se livrer réellement, "t'es ma toute première amie, et j'ai pas su comment faire avec toi."

Le reste ne vint pas. Il ne fut pas possible présentement d'en dire plus que cela mais c'était surement un début. Il en coûtait à Riho de parler d'elle, car c'était à la fois un sujet qui l'ennuyait et qui la dérangeait. Malgré les apparences, elle était une personne humble malgré son caractère. Parler de soi était égocentrique pour elle et la rue l'avait éduqué à ne jamais montrer ses faiblesses. 

"T'es mature", admit laconiquement mais sincèrement Riho, "je sais pas comment vous faites pour parler aussi facilement de ces trucs là."

Les sentiments, quoi. Ceux qui débordent d'elle, ceux qui explosent sans jamais s’annoncer. Ceux qui, précieux comme des trésors, ne devaient jamais être dévoilés comme cet amour qu'elle ne comprenait pas. Mikoto avait ouvert la voie mais il ne restait aujourd'hui que la honte d'être différente dans une société qui ne tolérait pas la différence. Le visage de Riho devint pâle, ses traits tirés par une émotion sur laquelle elle ne put mettre de nom mais qui ressemblait à un mélange de culpabilité et de colère. Il y a des choses dont on ne peut pas parler. 

Sa tête se baisse, et elle se sent mal. C'est trop, trop vite. Ça monte en elle et ça menace de déborder, de foutre la merde. De tout renverser sur son passage. Cette vérité-là ne doit pas sortir. Elle doit rester cachée.

"... pardon", cache alors la jeune femme, sans vraiment savoir quel faits parmi ses nombreuses erreurs elle tente d'excuser.

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Ayame aurait aimé pouvoir se préparer mentalement à cette entrevue inopinée avec Riho. Quoique, à bien y réfléchir, même si elle s’était préparée, au vu du caractère lunatique de la jeune femme, cela n’aurait jamais pu se passer comme l’étudiante en littérature aurait pu l’imaginer. S’il y avait bien une chose que la demoiselle avait appris en côtoyant son aînée, c’était qu’elle ne pouvait rien prendre pour acquis. Pas de pattern quelconque sur lequel s’appuyer pour avoir un repère et savoir comment appréhender les choses. Mais bon, depuis quand avait-on besoin d’un manuel ou d’un mode d’emploi pour les relations humaines ? C’était à la fois la plus belle et la plus complexe des choses. Ayame était plus ou moins contente car au fond, il y avait parmi tous ces gens qui l’avaient abandonnée sans crier gare, une personne qui avait rebroussé chemin et décidé de recroiser le sien. C’était assez rare pour qu’elle le remarque, que ça la touche, et qu’elle décide de garder la porte ouverte. Parfois, la jeune femme avait l’impression de faire fuir les gens, d’une manière ou d’une autre. D’abord Yuzu, puis Hotaru, Riho … Et d’autres encore, dont elle oubliait sans doute les noms à force. Elle ne faisait plus les comptes. Parfois elle pensait qu’elle avait un sérieux problème social. Ou peut-être que ses « amis » n’étaient pas aussi ouverts au sujet de son mutisme qu’ils le prétendaient. Après tout ce n’était pas une mince affaire que de communiquer uniquement par écrit avec une personne qui ne pouvait pas s’exprimer. Certains s’en accommodaient sans soucis, comme Jun, d’autres moins, sans doute. Mais le retour de Riho dans sa vie lui réchauffait le cœur, et c’est pour ça que malgré la solitude qu’elle avait ressentie, la frustration et la colère face à son attitude inexpliquée, elle restait heureuse que ce chat sauvage revienne vers elle. Au vu du caractère de la jeune femme, elle aurait très bien pu couper les ponts définitivement et ne jamais revenir sur ses pas.

Le malaise était palpable entre les deux jeunes femmes. Pourtant, la soudaine animosité qu’avait exprimée Riho avait eu une sorte de déclic chez Ayame. Oui, pourquoi était-elle si douce ? Pour les raisons évoquées plus haut, mais qui étaient pour le moment restées au stade de pensée profonde. Pas question de dévoiler le moindre état d’âme à une personne qui lui avait tourné le dos dès les premiers instants. Les choses se débloqueraient petit à petit. En attendant, le ton de Riho avait suffi à déclencher un semblant de voix chez la plus jeune, qui avait réussi à exprimer deux syllabes, celles du prénom de son amie. Quelle ne fut pas sa surprise d’apprendre que cette dernière se prénommait en réalité Rihoko. Elle n’avait jamais évoqué ce fait, pourtant. L’étudiante resta perplexe un instant, tant par le fait qu’elle avait réussi à parler en présence de Riho, bien que jusqu’alors seuls Yuzu et Jun avaient déjà eu ce « priviliège », pas même sa famille, malheureusement, que pour cette révélation. L’avait-elle seulement déjà dit à quelqu’un d’autre ? Ou Ayame était-elle la seule à détenir ce secret ?
Mais une fois ce déclic et ce choc derrière elle, Ayame s’était ressaisie et avait fini par lui rédiger un long message explicatif afin que Riho ne cesse de croire qu’elle était si parfaite. Car non, Ayame n’avait rien de parfait. Elle était comme les autres, avec ses qualités et ses défauts, ses sautes d’humeurs, ses moments de faiblesses. Son mutisme la rendait inconsciemment solitaire et réservée, alors qu’elle ne rêverait que d’une chose : pouvoir exprimer ses émotions. Alors en attendant, elle les exprimait de son mieux avec des mots, des dessins ou ses photos.

Riho ne semblait pas avoir lu son message avant de pénétrer dans l’intimité de son appartement. Heureusement, bien que certains codes sociaux lui manquaient, elle savait se déchausser à l’entrée, sinon Ayame aurait sans doute tiqué. Même si elle n’était pas à cheval sur 100% des traditions nippones, la jeune femme avait une éducation assez classique et avait ses habitudes.
Tout en rangeant son manteau sur sa chaise et en posant son sac de cours près du bureau, puisqu’elle s’était rendue à son baito juste après sa journée de cours, Aya écouta son aînée réagir à voix haute à son message. Et à nouveau, cette dernière s’insurgea. Pour certains, cela pourrait devenir insupportable, mais Ayame avait toujours connu Riho ainsi et ça ne l’avait pas empêchée de l’approcher. Elle appréciait les fortes personnalités qui sortaient du moule, et surtout, Riho ne l’avait jamais jugée sur son mutisme. Et ça comptait beaucoup.
Etait-ce mal d’être seul ? Tout dépendait pour qui. C’était, comme beaucoup de choses, une question de point de vue. Après avoir vécu ses années lycées seule dans sa chambre avec quasiment aucun contact extérieur en dehors de Mia et Anna, Ayame avait développé une certaine peur de la solitude effectivement. Riho, de son côté, s’en accoutumait bien et semblait préférer être seule. Elle le disait elle-même : elle avait l’habitude. Et sans transition, elle évoqua Jun. Juste parce qu’elle avait passé quelques moments fugaces avec lui, cela lui avait fait penser qu’elle n’était pas seule ? Mais Jun n’était pas constamment à veiller sur elle, et ils n’étaient pas H24 collés ensembles. Il était là quand il le pouvait. Mais au départ, après l’incident, elle avait rasé les murs et l’avait fui comme la peste.
Ayame crut s’étouffer lorsque Riho lui demanda s’ils sortaient ensemble.

« Hein ?! »

Un nouveau mot, une nouvelle syllabe. Déclenchée par le choc, la surprise, l’indignation peut-être ? Comment pouvait-elle penser cela ? En même temps, Aya’ n’avait jamais vraiment eu l’occasion de lui expliquer sa phobie des hommes, même si celle-ci tendait à s’atténuer de mois en mois grâce aux bonnes rencontres qu’elle faisait. Elle ne pouvait pas deviner à quel point l’intimité avec un homme pouvait la révulser, et qu’elle avait pleuré à chaudes larmes lorsque Jun lui avait donné son premier baiser, même forcé. Rien que de repenser à cette horrible journée, son cœur se serra et elle fut parcourue d’un spasme de dégoût. Ses poings se serrèrent, et elle inspira un grand coup pour stopper la montée des larmes de colère qui s’apprêtaient à poindre aux recoins de ses yeux à la pensée de cet épisode. Secouée, elle attendit que Riho finisse de réagir à l’intégralité de son message avant de s’exprimer à nouveau. Si elle en avait l’intention. Car elle aurait pu se contenter de rester sur ses suppositions vis-à-vis de Jun. C’était quoi d’ailleurs, de la jalousie ? De la curiosité ? Ca paraissait presque accusateur lorsqu’elle avait demandé.

La révélation de Riho ne surprit pas spécialement Ayame, qui malgré tout commençait à cerner le personnage. Bien sûr qu’elle avait compris qu’elle avait du mal à exprimer ses sentiments. Quel paradoxe, en sachant qu’elle avait les mots pour, tandis qu’elle aurait tant souhaité pouvoir avoir la voix nécessaire pour exprimer ses propres émotions, sans en être capable. Mais le fait que l’aînée avoue de but en blanc qu’elle la considérait comme sa première amie la calma aussitôt, l’adoucissant après cette explosion d’émotions négatives. Quant à la maturité, c’était un bien grand mot. Ce n’était pas aussi facile qu’elle le croyait de parler de ses sentiments. Ayame avait fait un grand effort pour rédiger ces mots à l’adresse de son amie, et cette dernière pensait à tort que c’était simple. Encore un point à éclaircir, songeait-elle.

Pardon.

Pour quoi ? Pour quels maux ? Ayame n’avait pas la réponse. Elle s’en fichait. Le simple fait que Riho ait pu prononcer un mot aussi difficile à exprimer pour elle signifiait bien assez à ses yeux. Cela lui suffisait amplement, et le reste s’envola. Le cœur de la jeune femme fut soudain plus léger. Comme quoi, même si le pardon ne résolvait pas toutes les situations, il pouvait parfois les apaiser.
Sans réfléchir, Ayame se dirigea vers le seuil de l’appartement où Riho était restée, et, prise d’une impulsion, elle prit son amie dans ses bras pour lui offrir une étreinte chaleureuse et rassurante. Parfois, un geste valait mille mots.
Elle ne sut pas combien de temps elle resta là, avant que Riho ne la repousse, car elle restait un chat sauvage, et cet acte d’affection avait dû la perturber, mais Ayame voulait que son amie sache que « c’était ok ». Elle avait senti que son aînée était fragilisée par cette conversation, et avait cru bon de calmer le jeu par son geste. Elle espérait ne pas avoir mal fait, ne pas avoir franchi une limite. Mais, gênée elle-même par ce rapprochement physique qui ne lui était jamais arrivé auparavant, ni avec Riho, ni avec qui que ce soit, elle avait fini par reculer et retourner dans la pièce centrale, le cœur battant. Elle n’avait jamais eu autant envie d’enlacer quelqu’un comme ça, avant. Comme si c’était vital. Riho lui avait bien plus manqué qu’elle avait imagé. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, alors qu’elles n’avaient en apparence rien en commun, leurs blessures et leurs brisures les rapprochait, et Ayame en prenait enfin pleinement conscience. Reprenant peu à peu contenance, elle décida de fournir des explications aux interrogations de Riho, à travers un nouveau message.

Ce n’est pas mal d’être seule lorsqu’on le décide et que ça nous fait du bien. Quand c’est un choix. Mais si cette solitude est imposée, elle fait souffrir. C’est ce que j’ai ressenti après ton départ, survenant après tant d’autres. J’ai fini par croire que je faisais fuir les gens. Les personnes auxquelles je tenais le plus s’en allaient les unes après les autres, toi incluse. Ca m’a vraiment blessée. Quant à Jun, notre rencontre est un peu complexe. Je t’en parlerai au moment voulu mais c’est encore un souvenir douloureux sur lequel j’ai du mal à poser des mots. Mais il est devenu mon ami malgré les circonstances, un pilier de soutien qui m’a aidé à surmonter cette année difficile, mais ne m’a pas empêchée de redoubler. C’est absolument tout. En plus, je crois qu’il est déjà amoureux de quelqu’un d’autre. Et moi, je n’ai pas de sentiments pour lui, et je ne pourrai jamais en avoir pour un homme.
Enfin, concernant les sentiments, ce n’est pas aussi simple que tu le crois d’exprimer les miens. Je n’ai pas cette sincérité auprès de toute le monde. Seulement auprès de ceux qui le méritent, et avec qui j’ai envie d’être honnête. Et le fait d’écrire facilite les choses. Je ne suis pas sûre que j’aurais pu te dire tout ça de vive voix …


Si un peu plus tôt, elle avait pensé ne pas trop en dévoiler, elle avait changé d’avis après que Riho lui a dit « pardon ». Cela avait tout débloqué dans sa tête. Le temps était précieux, et l’amitié aussi, il ne fallait pas tout perdre par fierté ou rancœur.

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Une nouvelle chance ?

feat. @Sakurai Ayame


Peut-être que l’obscurité du couloir avait quelque chose de paradoxalement plus intimiste que la lumière de l'appartement d'Ayame, alors que les deux jeunes femmes se baignaient dans un malaise commun. Riho ne dit rien ; elle n'était pas très bonne à e genre de chose et, taciturne, préférait éviter de la prouver par quelques vaines paroles. Cet instant présent avait quelque chose de précieux et d'assez unique malgré l'émotion parasite qu'il lui provoquait et qui mettait en émoi une partie d'elle-même qu'elle se refusait à solliciter trop souvent, et qu'on nommait le cœur. La jeune femme le sentait poindre dans sa poitrine, battre tout contre ses côtes en une sensation à la fois agréable et douloureuse. C'était mauvais signe, c'était dangereux. Cette sensation, Riho la connaissait : elle l'avait déjà ressenti avec Mikoto quelques années en arrière mais elle prenait à présent un autre visage. Elle se sut quoi faire des premiers mots qui passèrent le seuil des lèvres d'Ayame et qui l'émurent bien plus qu'elle ne l'aurait bien voulu. Lui donner son vrai prénom ne valait pas grand chose face à l'effort de son amie et elle baissa soudain les yeux. Timide, plus que farouche. Juste une fille de son âge face à une autre qui fait déraisonnablement battre son cœur. 

Alors elle prend de la distance, les yeux posés sur l'écran de son téléphone tout en se demandant pourquoi Ayame n'avait jamais voulu apprendre le japonais signé. Peut-être la crainte d'une forme de validation de son état ? Peu importait, ce n'était pas le moment de penser à ça mais Riho avait espéré que cela distrait un peu sa propre émotion, et qui se mêlait à une forme de jalousie mal placée. La peintre fixa Ayame quand cette dernière produit à nouveau un son, d'étonnement cette fois, et lui opposa un air neutre, le regard un peu vide. Le visage de Riho changeait sans cesse si bien qu'il était difficile de lire en elle. Elle passait de la colère à la distance en vaguant par de grandes eaux intérieures méconnus de tous. C'était son jardin secret, agité de longues pluies et de terribles orages connus d'elle seule; comme à présent face à cette fille qui lui donnait des fourmillement dans le bout des doigts et des bouffées de chaleur.

"Hm, okay", fit-elle en voyant la réponse de son amie dans son indignation avant de reprendre bille en tête : "... tant mieux, alors", puis, se rendant compte de ce qu'elle venait de dire sans vouloir s’exposer, "... parce qu'les mecs sont un nid à emmerdes. Puis sérieux, Yamada-san est un blaireau."

Se rattraper aux basses-branches, comme on peut. Riho évita le regard d'Ayame en fixant les bras de la jeune femme, remarquant ses tremblements. Il avait du se passer quelques choses avec les hommes, à n'en point douter. Mais l'artiste ne dit rien, préférant ne pas sauter à pieds joints sur un terrain glissant. Ayame n'avait peut-être pas envie de parler de ça à une fille qui revient après un an d'absence, comme une fleur. Alors Riho se contente de la regarder, silencieuse. Elle aurait bien voulu la consoler mais ne le fit pas, préférant le mot le plus simple et le plus difficile à dire qu’elle connaissait, et qui prenait la forme de la culpabilité. Le pardon d'Ayame revêtit une forme à laquelle Riho ne s'attendait pas et n'était pas habituée. Guère vraiment tactile, ni même sollicitée par les autres, la jeune femme eut un brutal haut-le-corps lorsque son amie l'enlaça sans crier gare, pétrifiée par ce contact qu'elle avait récemment souvent imaginé sans le rechercher. Idiote, reprend-toi. C'est juste un câlin entre copines. Une étreinte chaleureuse et rassurante qui était bien plus éloquente que des milliers de mots l'entoura comme un cocon. C'était doux, et chaud. C'était agréable mais quand on pense qu'on ne la mérite pas, elle en devient douloureuse. Les arrière-pensées, Riho tenta de les chasser mais elles demeurèrent au fond d'elle, à salir cette étreinte pleine de sororité. Elle leva un peu les mains en tentant de rendre l'accolade, de prendre Ayame dans ses bras sans pour autant y parvenir. Frustrée et mal à l'aise, Riho trembla imperceptiblement. Elle eut l'impression d'apprécier et d'endurer le geste, tout à la fois.

Lorsqu'Ayame se recula et que Riho constata son visage habité par la gêne, elle ne put s'empêcher de la trouver terriblement mignonne et ses propres joues de colorèrent brutalement du pivoine le plus visible tandis qu'elle la fixait sans trop savoir quoi dire. Sa propre mésaise se vouait comme le nez au milieu de la figure mais plus que ça ce fut la véritable nature de Riho qui se dévoilait petit à petit, comme une défeuille une fleur : quelqu'un de timide, d'émotif, qui se blessait facilement. l'affection qu'elle avait pour son amie ne portait aucun fard en cet instant suspendu à la regarder sans rien dire, profitant juste de ce tableau qu'elle n'aurait jamais pu peindre. Juste cette fille muette en face d'elle, et les nuances roses de ses joues, les accents de ses yeux noirs, le fantôme de la chaleur de ses bras. Et le cœur battant de Riho, prêt à éclater. Les nouvelles explications données lui permirent de s'échapper de ce doux piège en recapitalisant son attention sur quelque chose de pragmatique.

Elle pinça les lèvres jusqu'à la moitié de sa lecture, avec une expression indéchiffrable dans le regard baissé sur son écran qui hantait son visage d'ombres bleues électriques. La solitude, elle l'acceptait mais ne l'avait pas désirée. Elle était venue dans sa vie pour devenir sa compagne quand sa famille l'avait rejetée et la rue ne lui avait rien donné d'autre. La jeune femme releva le regard sur Ayame, piquée au vif sans lui expliquer pourquoi. De la colère, encore, juste après les plus douces émotions. Alors, elle ouvrit la bouche mais ne dit finalement pas grand'chose; sinon le plus important :

"J'espérais que ça t'blesse, parc'que j'avais peur qu'tu t'attaches à moi."

C'était un peu tard pour expliquer ça mais ce n'était que la vérité. Riho poussa un lourd soupir après l'avoir dit, sans pour autant se sentir soulagée. C'était con, vraiment. Mais c'était comme ça qu'elle était. Les choses se passeraient différemment que dans ses plans un peu délirants pour ne pas souffrir ; c'était un peu tard, en effet. 

"... m'en parleras quand tu voudras."

Yamada-san avait été là comme pilier là où elle avait déserté la vie dAyame et ce constat rendit Riho amère envers elle-même mais aussi envers le jeune homme qui n'avait pas sa sympathie.

"Il est déjà amoureux ?", dit soudainement Riho sans cacher son étonnement.

La suite de la discussion ne lui permit pas de justifier cet intérêt pour la question. Ce n'était pas la vie de Jun qui l'intéressait mais le fait que du coup, il n'irait pas draguer Ayame. C'était immature de sa part mais ainsi était-elle faite. La jeune femme ne sut comment accueillir la nouvelle révélation de son amie qui lui affirma ne pouvoir avoir de sentiment pour un homme.

"Toi non plus ?", encore une fois, Riho parla sans réfléchir, déboussolée par l'affirmation d'Ayame et peinant à fairela part des choses.

Ce devait être différent. Il avait du se passer un truc avec un ou plusieurs hommes qui avait laissé à Ayame un traumatisme, ou alors une amertume. Son amie n'était pas comme elle. Ce ne pouvait pas être possible. En avait-elle trop dit, ou pas assez ? Une sueur froide glissa le long de la nuque raidie par l'angoisse de la jeune femme, le regard affolé comme un lapin pris dans les phares d'une voiture. Il y avait une forme de peur pleine de pudeur dans ses iris sombres, un sentiment d'angoisse palpable mais qui taisait son nom. Elle eut clairement du mal à suivre le reste de la conversation, les traits tirés et le visage pâle. Comment se reprendre ?

"J'suis pas sûre de mériter quoi qu'ce soit de ta part", elle haussa des épaules, reprenant son habituel air désinvolte comme pour se cacher derrière une armure, "... écoute...", Riho chercha un peu ses mots qui prirent plaisir à soudainement la fuir, "... je... les hommes ont du te faire du mal, c'est ça ?", elle trouva son accroche pour se reprendre et ne pas lui laisser le sentiment qu'elle aimait les femmes, "j'en ai croisé des bien pourris, c'est tout. Je sais qu'on a des expériences différentes. Tu m'en parleras s'tu veux un jour... d'ça et de... pourquoi tu parles pas."

Riho garda la tête froide avant de soudainement s'emporter à nouveau. Face à Ayame, elle se sentait soudainement partir en vrille, affaiblie par leur précédente étreinte. Elle fit un pas vers son amie, lui lança à nouveau tout de go :

"J'ai appris l'japonais signé cette année", Riho serra les dents, "... pour toi.. et c'est con hein ! Moi qui voulais t'éviter. J'suis vraiment conne ! Putain, je sais plus quoi faire maintenant, c'est le bordel dans ma tête !"

Elle s'était mise à gueuler sans raison, non pas par colère ou agressivité mais sous une forme d'excitation enfantine couplée avec le fait d'être atterrée par ses propres mesures et réactions.

"Tu fous le bordel là où c'est déjà le bordel, Aya-chan", plaisanta Riho comme elle put avec un léger sourire qui indiquait qu'elle s'apaisait quelque peu, aussi rapidement qu'elle s'était prise la tête. 

Ne sachant quoi dire, elle s'exécuta comme elle put, tendant le pouce et l'index dans un geste visiblement appris et assimilé avant d'y rajouter l'auriculaire, sachant pertinemment que son amie ne connaissait pas le japonais signé ; et c'était tant mieux.

"Moi aussi, j'suis pas sûre que j'aurais pu te dire ça d'vive voix...", souffla Riho pour paraphraser Ayame.

Et merde, mais qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?

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Une nouvelle chance ?

feat. @Oshima Riho


Après être restées un moment dans la pénombre du couloir, la lumière blanche de l’appartement d’Ayame faisait mal aux yeux et donnait un peu le tournis. La lourdeur de l’ambiance entre les deux jeunes femmes n’aidait en rien, la tension était palpable. Ayame était incapable de décrire la flopée de sentiments qui s’était emparée d’elle depuis que Riho était apparue dans son champ de vision, sur le seuil de sa porte. Elle était traversée par des tas d’émotions contradictoires depuis le début de leur entrevue et ça la perturbait grandement. Elle n’arrivait pas non plus à clairement définir ce que Riho représentait pour elle. Elle l’attirait autant qu’elle la frustrait. Elles ne s’étaient quasiment pas parlé de l’année, si bien qu’elles n’avaient pas une relation particulière proche ou intime, mais il y avait une sorte d’attirance qui faisait que chaque fois que la plus jeune croisait son aînée dans un couloir de la fac ou de la résidence, elle peinait à détourner le regard et son cœur s’emballait. Aya avait toujours mis cela sur le dos de la frustration et la tristesse d’avoir perdu son amie et de toujours la voir au quotidien, ce qui était encore plus blessant pour elle. Mais, sans que cela devienne obsessionnel non plus, Aya avait souvent cherché Riho du regard pendant cette année de silence. Elle aurait aimé faire le premier pas vers elle, mais n’avait pas eu le courage. Cela avait été une année difficile entre l’agression dans le gymnase avec Jun, son redoublement, et d’autres aventures. Son travail d’assistante n’aidait pas non plus au repos, elle travaillait d’arrache-pied pour garder ce baito qu’elle avait tant rêvé. Mais maintenant, Riho était face à elle, et la confrontation tant espérée, pour crever les abcès et lever les doutes sur les interprétations, avoir les réponses à ses questions, était enfin arrivée. Ayame était à la fois heureuse de sa présence, et en même temps totalement angoissée et paniquée. Elle ne s’était pas préparée psychologiquement, et dieu savait à quel point elle n’était pas douée avec les relations humaines de manière générale. Elle avait tant de choses à dire et aucune possibilité de s’exprimer à sa guise, enfermée dans un silence qu’elle n’avait jamais souhaité et qui la rendait extrêmement malheureuse. Mais puisqu’elle avait su parler un peu, d’abord en présence de Yuzu, puis de Jun, et maintenant de Riho, l’espoir était permis, non ?

A présent, il fallait affronter la réalité. Et même si elle ne s’était pas préparée, Ayame tâcherait d’être sincère autant que possible. Et risquait de céder aux impulsions que lui dicterait son cœur. La spontanéité faisait parfois de bons résultats après tout. Elle avait laissé son amie lire son long message d’explication, mais avait été très surprise de la réaction négative de Riho envers sa relation avec Jun. Si surprise qu’elle s’était exclamée à voix haute, la deuxième fois de la soirée où sa voix se manifestait. Elle était d’ailleurs méconnaissable : rauque, saccadée, caverneuse. Elle qui avant avait une voix si douce, il allait falloir travailler dessus. Mais le choc provoqué avait suffi pour faire réagir l’aînée, qui répondit d’un simple « okay » neutre. Mais elle poursuivit avec un « tant mieux » qui interpella Ayame. Tant mieux ? Pourquoi ? Peut-être que Riho détestait Jun ? Ou alors il y avait autre chose de plus profond ? Mais Ayame dut pencher pour la 1ère option en entendant le reste de la phrase de son amie. Les mecs étaient un nid à emmerdes. Pas faux … En tout cas, ils étaient comme des animaux sauvages en plus malsains, et absolument pas fiables. Si Aya avait accepté l’idée qu’ils n’étaient pas tous des connards et se faisait petit à petit à l’idée d’avoir des amis garçons, cela ne franchirait jamais ce seuil. Par contre, elle fit une moue contrariée quand Riho traita son ami de blaireau. Il ne méritait pas ce surnom, selon elle, mais peut-être que Riho avait un passif avec lui. Après tout, elle avait remarqué que les deux ne se parlaient quasiment jamais dans le cercle des arts.

La suite des événements, la demoiselle ne l’avait pas vue venir, et encore moins calculée. Le pardon de Riho avait eu un déclic en elle, et sans vraiment comprendre quelle impulsion l’avait menée là, Ayame s’était précipitée vers son amie pour la prendre dans ses bras, lui apporter un peu de réconfort et de chaleur en la sentant si triste et si perdue, ne sachant pas quoi faire d’autre. C’était le plus spontané et sincère qu’elle puisse faire en l’absence de sa voix, un écrit n’aurait jamais le même impact de toute façon. Elle sentit le frisson qui avait parcouru le corps de Riho, peut-être qu’elle n’aimait pas les élans d’affection ? Peut-être qu’Aya avait fait une grave erreur ? Pourtant, même si la jeune femme ne lui avait pas rendu son étreinte, elle ne s’en était pas dépêtrée dans la seconde pour autant. Mais à force de la sentir trembler, Ayame avait fini par se reculer, pour lui laisser du répit. Peut-être qu’au fond, c’était elle qui avait eu besoin de cette étreinte, ou qui en avait eu envie ? Elle n’avait jamais été physiquement proche ainsi avec qui que ce soit avant, et pendant ce court laps d’intimité entre elles, le cœur d’Ayame avait battu si fort qu’elle avait cru qu’il allait se détacher de son corps. Incapable de comprendre ce que cela signifiait puisqu’elle n’était jamais tombée amoureuse, et n’était pas du type à lire ou regarder des shôjo mangas, elle s’était contentée de subir cette émotion un peu trop forte pour elle. Les battements s’étaient légèrement calmés une fois qu’elle eut reculé, terriblement gênée par son geste, mais étaient toujours présents. Elle avait du mal à regarder Riho dans les yeux maintenant, alors qu’un peu plus tôt elle savait soutenir son regard. Mais du peu qu’elle avait pu voir, cette dernière avait rougi autant qu’elle, et semblait bien plus vulnérable qu’à son habitude. Ayame n’avait pas l’habitude de la voir ainsi. A quel moment se rendrait-elle compte qu’entre elles, il y avait bien plus que de l’amitié ? Avait-elle peur de se l’avouer ?

Cette ambiance pesante s’envola aussitôt qu’Ayame avait repris son téléphone pour rédiger sa note. Bordel, ça la faisait tellement chier de devoir passer par ce foutu écran pour s’exprimer, ça cassait toute émotion, et ça la frustrait tant. Elle n’en pouvait plus d’être enfermée depuis bientôt six ans dans cette cage. Elle voulait parler et s’exprimer, de quoi avait-elle encore peur ? Que Riho la rejette après tout cela ? Possiblement. Peut-être que son acceptation dans sa vie serait le déclic pour rendre la clé de la parole à Ayame.
Mais visiblement, Riho avait réellement souhaité blesser Aya, ce qui lui fit un pincement douloureux au cœur. Elle ne voulait pas qu’elle s’attache. Pourquoi ? Et à quel degré ? De quoi avait-elle eu peur ? Mais elle enchaînait déjà sur Jun, et lui avait dit qu’elle pourrait lui en parler en temps voulu. Elle fut choquée d’apprendre qu’il était déjà amoureux. Peut-être que Riho était jalouse car elle en pinçait pour Jun ? Ayame était perdue. Par contre, le « toi non plus » résonna longtemps dans les oreilles de la plus jeune. C’est-à-dire … ? Riho aussi ne pouvait pas aimer les hommes ? Ah bon ? Il était vrai que maintenant qu’elle y pensait, elle ne l’avait jamais vue avec qui que ce soit qui pourrait s’apparenter à une relation.
Mais avant qu’Ayame puisse se poser davantage de questions, Riho avait repris, en avisant le fait qu’elle ne pensait pas mériter quoi que ce soit d’elle, ce pour quoi elle avait tort. Puis elle n’avait pas à décider à sa place. Si elle l’estimait assez pour être sincère avec elle, c’était son choix. Puis elle lui demanda par rapport aux hommes, supposant qu’ils lui avaient fait du mal. Pas directement, mais c’était comme tel. Elle témoigna de son expérience et sembla éprouver de l’intérêt concernant son mutisme. Elle n’en avait jamais parlé à personne, mais à ce moment, elle éprouva le besoin de faire éclater la vérité, elle avait besoin de partager son fardeau avec quelqu’un, marre de mentir, et au fond d’elle, elle sentait que Riho pouvait être une personne réceptive à son histoire sans juger.

Mais la conversation dériva à nouveau avant qu’elle n’ait pu avoir une quelconque réaction. Ayame tenta de mémoriser les réactions et questions de Riho pour pouvoir lui répondre en temps voulu. Elle lui lança de but en blanc qu’elle avait appris le japonais signé, précisant que c’était pour elle. Les joues de la jeune femme s’enflammèrent aussitôt, à la fois touchée de ce geste, et frustrée car elle-même refusait catégoriquement d’apprendre cette langue, de peur de s’y enfermer. Elle ne comprit pas trop la suite de ses propos, du fait qu’elle trouvait la situation con, se trouvait conne et était perdue. Aya l’était aussi, perdue, pour le coup. Et elle lui balança qu’elle foutait le bordel là où il y en avait déjà. Que devait-elle comprendre à ces mots ? Et pire encore, elle fit un geste qu’Ayame ne pouvait pas comprendre. La frustration était à son maximum. Elle pourrait chercher sur Internet mais c’était malvenu et malpoli pour le coup. Mais ce geste semblait avoir son importance puisque Riho reprit ses mots en disant qu’elle n’aurait pas pu « dire ça » de vive voix. La curiosité l’avait vraiment piquée. Un sentiment de peur était aussi venu poindre dans sa poitrine, la peur de mal faire, de mal comprendre, de mal interpréter … Une pensée lui avait traversé l’esprit, et si elle avait été assez audacieuse, elle aurait pu la mettre à exécution, mais cela demandait de prendre un grand risque et elle n’était pas sûre qu’elle puisse. Elle avait déjà perdu Riho une fois, elle ne voulait pas la perdre une seconde fois. Alors, à contrecoeur quand même, elle se résigna à rédiger une réponse à Riho, consciente de détruire l’ambiance spéciale qui était née entre elles.
Il fallait qu’elle lui dise tout.

Riho-chan. Je ne comprends pas vraiment pourquoi tu as voulu me blesser délibérément, ça me rend triste. C’est mal si je m’attache à toi ? Tu es mon amie. Je tiens pourtant à toi, c’est normal, non ?

Jun n’est pas un blaireau, c’est quelqu’un de foncièrement gentil. Mais peut-être qu’il s’est passé quelque chose de grave entre vous que je ne sais pas. Donc je respecte ton ressenti. Mais il reste mon ami.

Je crois qu’il est temps que je t’explique tout ça. Je n’en ai jamais parlé à personne car j’ai toujours eu peur des réactions des gens ou du jugement, mais je pense que toi, tu es capable de comprendre tout ça. Et puis si j’ai fait une erreur, tant pis. J’ai besoin de partager mon histoire avec quelqu’un.


Ayame s’interrompit un instant dans son écriture, jetant un coup d’œil à Riho qui patientait, nerveuse. Elle lui adressa un sourire maladroit et se convainquit qu’elle faisait le bon choix.

Lorsque j’avais 15 ans, en rentrant de l’école, j’ai été témoin … d’une agression. D’un homme envers une femme. J’étais tellement tétanisée que je n’ai pas pu m’enfuir et j’ai tout vu. C’était atroce, la femme pleurait si fort et l’homme s’en contrefichait, au contraire, on aurait dit que la souffrance de sa victime le satisfaisait encore plus. Puis il a remarqué ma présence, et j’ai poussé un cri si fort que j’ai alerté des jeunes qui se baladaient pas loin. C’est le dernier son que j’ai produit avant plusieurs années. Ces deux garçons m’ont sauvée, car je pense que s’ils n’étaient pas intervenus, j’aurais été la prochaine victime, et je ne m’en serais jamais remise. Ils m’ont emmenée à la police, je n’ai pas pu parler, ils l’ont fait pour moi. J’ai été incapable d’en parler à mes parents. On m’a diagnostiqué un mutisme suite à un traumatisme, on m’a précisé que ce n’était pas irréversible. Je me suis renfermée sur moi-même, je revivais inlassablement ces images atroces dans ma tête et je ne supportais plus rien.

Les larmes commencèrent à couler sur les joues d’Ayame au fur et à mesure qu’elle écrivait. Pour la première fois, elle était contente de ne pas pouvoir parler car elle n’aurait pas pu parler de ça à voix haute.

Pour faire simple, j’ai fini par être déscolarisée car je ne pouvais plus supporter qu’un garçon me parle. J’ai fait des crises, une dépression, et j’ai fini mon lycée à distance. J’ai fini par avouer la vérité à mes parents qui étaient détruits. Ils pensaient que c’était ma crise d’ado et quand ils ont su la vérité, ils étaient anéantis. Je ne sais pas si le gars en question a été arrêté ou pas, mais depuis je ne sors plus le soir et jamais seule si ça doit arriver. Je panique quand il fait nuit et je reste uniquement dans les zones bondées même si je n’aime pas la foule, c’est rassurant.
J’ai décidé d’aller à Chûô car je voulais passer ce traumatisme et reprendre une vie normale, je me suis beaucoup isolée. Mais c’est dur d’étudier avec mon handicap, pas tout le monde ne le comprend. J’ai perdu beaucoup de proches en deux ans. Et pour ce qui est de la langue des signes, j’ai refusé de l’apprendre car j’ai encore l’espoir de retrouver la parole. Mais je pense que je ne peux pas le faire toute seule, j’ai besoin de quelqu’un ….


J’ai besoin de toi, pensa Ayame tristement, incapable d’écrire un tel aveu. Lui avouer qu’elle pensait qu’elle pouvait l’aider à parler à nouveau était encore au-dessus de ses forces car cette révélation aurait bien trop de conséquences. Timidement, elle appuya sur « envoyer », et se laissa tomber sur son lit, tentant de se reprendre pendant que Riho lisait la triste vérité. Elle aurait pu en profiter pour vérifier le signe que Riho lui avait adressé mais elle n’osa pas, préférant tenter d’en deviner le sens avec le contexte. Elle avait bien une idée, mais elle ne voulait pas s’y accrocher de peur de s’être terriblement plantée. Puis elle-même ne comprenait pas ce qu’elle ressentait pour Riho, elle savait juste qu’elle était heureuse que celle-ci soit revenue dans sa vie et soit encore là, ne l’aie pas rejetée. Elle avait l’espoir d’être enfin acceptée et comprise par quelqu’un. Riho aussi avait foutu le bordel dans sa vie, dans ses pensées et dans son petit cœur fragile.

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Une nouvelle chance ?

feat. @Sakurai Ayame


Peut-être qu'elle s'était approché trop vite, trop prêt si bien que Riho ne parvint à lui rendre que quelques tremblements qui louvoyait entre frustration et un sentiment bien plus doux. Amour doublé d'envie, velours délicat d'un cœur de verre sous la carapace, cette émotion brute coupait littéralement les jambes de la jeune femme qui se retrouva incapable de rendre cette accolade qui la troublait tant. L'avait-elle désiré ? Avant de l'avoir goûté, Riho aurait dit non mais à présent qu'elle avait ressenti les bras d'Ayame autour d'elle, l'artiste se demanda pourquoi elle ne l'avait pas voulu plus tôt. L'émoi réel et visible dans lequel elle était plongé courait le long de sa colonne en une ondulation douloureuse, et elle se sentit minable de ne rien offrir en retour sinon quelques stupides rougissements dignes d'une collégienne. Certain auraient trouvé ça mignon là où elle trouvait ça pathétique de sa part. La faiblesse - surtout la sienne - avait le don de lui mettre les nerfs en pelote. Riho ne se cacha pas du fait d'avoir voulu blesser Ayame et d'y être parvenue. Pourquoi se cacher quand on avait réussi ce qu'on avait entrepris ? Mais à présent en face de son amie retrouvé par sa propre volonté, Riho se sentit bien moins vaillante ; tout ça, elle l'avait fait pour rien. mais ce qui n'était fait était fait. Elle n'était pas du genre à vivre dans le remord, mais simplement dans instant présent. Mais alors d'où venait ce sentiment de futilité qui lui prenait les viscères ?

Le téléphone à la main, la mine entre le sombre et le distant malgré tout ce qui était en train de se jouer entre elles, Riho peinait à combattre les émotions qui mettait son cerveau en vrac. Elle savait bien ce qu'elle ressentait à présent pour Ayame et qui avait couvé une année entière sans qu'elle n'accepte de le dire. Elle ne le dirait pas plus aujourd'hui : tout ces mots qui font peur, quand ils ne font pas rire et qui sont dans trop de films, de chansons et de livres. Elle aurait voulu, mais ne pouvait pas. Au fond d'elle, l'artiste savait qu'elle aurait du en parler à Ayame. Mais tant pis. A présent que tout s’entremêle, autant recoller les pots cassés si cela était possible. Pour le reste, ce n'était pas possible. Ce n'était pas de la paresse ou de la pudeur : c'était de la peur. La crainte d'être différente, d'être rejetée. L'angoisse du petit clou dépassant de la planche, et qu'on martèle pour le faire passer le bois. L'effroi ordinaire d'une femme qui aime les femmes dans un pays où les gens vous regardent comme un animal curieux. Était-ce la peine qu'elle y revienne, à l'amour ? Riho n'était pas sûre de pouvoir faire une place pour deux dans son monde cachée.

Rien ne l'obligeait à ressembler à ceux qu'on lui donnait en modèle, mais il y avait toujours eu quelque chose qui l'éloignait un peu. C'était une chose humaine, comme celle de ressenti cette douceur indicible en voyant la fille que vous aimer rougir de tous ses feux. Ce n'était pas qu'elle était belle, Ayame. La beauté n'intéressait pas Riho. C'était qu'elle avait quelque chose qui la touchait sans qu'elle sache quoi, qui la désarmait mieux que les autres. Ce se retrouvant à nouveau en face d'elle, la peintre se souvint du petit plaisir pudique qu'elle avait ressenti en début d'année, et qui prenait les accents silencieux d'un amour naissant. Différentes étaient-elles, sans beaucoup de points communs. Mais on ne choisit pas ceux qui animent votre cœur.

Il aurait surement fallut dire quelque chose, faire quelque chose. Mais Riho se retrouva muette, le regard rivé sur l'écran à la lumière bleue glacée qui faisait danser dans ses grands yeux des ombres paradoxales. C'était pour ne pas avoir regarder Ayame quand elle la sentit touchée qu'elle ait appris le japonais signé pour elle. Riho rougit à nouveau, brutalement, et serra les dents. C'était dur de se maîtriser quand on se sentait fragilisé par la tendresse qu'on éprouve pour une autre fille. La frustration d'Ayame était légitime : Riho la recherchait, piquant la jeune fille une fois sur deux dans une attitude prônant à la fois la morsure et la caresse. Une réponse vint alors sur son téléphone et elle reporta son attention sur le message désincarné, unique moyen de partage d'Ayame. La peintre fronça un peu des sourcils sans qu'une émotion ne prédomine sur son visage et elle releva la nife vers son amie. Parler... quand les gens lui parlaient d'eux, il y avait toujours quelque chose qui l'éloignait un peu. Elles se connaissaient à peine, dans le fond. Pourtant Riho prit de longues minutes pour lire tout le message et l'assimiler, poussant un long soupir pour se préparer.

"J'ai pas faire quand les gens s'approchent alors en général, j'les traite mal. Comme ça c'est plus simple pour moi", elle n'épilogua pas, enchaînant sur la suite, "j'sais pas trop ce qui est normal, Aya-chan."

C'était sincère, venant du fond de ses tripes : Riho ignorait ce qu'était la normalité d'une relation, et la normalité de la vie tout court car ayant toujours été une marginale, elle avait connu la rue, la prostitution, la crainte, la faim et la solitude. C'était compliqué d'imaginer une vie et des rapports normaux pour elle qui avait tout à réapprendre. Mais peut-être que cette rééducation serait possible aux côtés d'Ayame ? Elle n'osait pas vraiment y croire.

"Je l'aime pas, il a dit que mes toiles étaient nulles", elle se passa la main contre la nuque, "alors j'ai tout jeté à cause de ça. Et j'lui en veux", elle eut un faible sourire à l'adresse de son amie, "... mais laisse, t'sais bien que j'aime personne. Respecter les ressentis des autres c'est pas mon fort."

Mais le ton changea finalement entre elle quand Ayame lui confia  qu'elle allait finalement se livrer sur ce grand mystère qu'était son mutisme et Riho comprit immédiatement qu'elle devait se taire. La jeune femme prit un air grave - parce que c'était sérieux - et se tut immédiatement pour laisser la place à son amie. Lui donner du temps, lui laisser l'opportunité de s'ouvrir. Ce que Riho ferait de cette révélation... elle ne savait pas. Elle verrait bien. Si Ayame la sentait capable de comprendre, alors elle ferait un effort. S'asseyant sur le rebord du lit de son amie, elle patienta, un peu nerveuse tout de même mais concentrée et respectueuse. Le sourire maladroit d'Ayame trouva l'écho d'un fantôme de sourire de Riho, qui essayait de lui donner confiance avec sa face qui n'avait l'air faite que pour bouder et être en colère ; mais elle faisait de son mieux.

Ce genre d'histoires sont toujours un peu tristement les mêmes, et Riho ne fut pas étonnée d'apprendre qu'Ayame avait été témoin d'un viol, et aurait pu en être victime. La rue avait endurci Riho qui si elle ne manqua pas d'empathie pour son amie ne s'offusqua pas de ce qu'elle entendit. Elle écouta, silencieuse, simplement là pour soutenir cette fille qui s'ouvrait à elle. Mais elle n'était ni étonnée, ni vraiment heurtée. Ce n'était cependant pas le moment de parler d'elle et de ses expériences quand elle était livrée à la rue, mais son regard trahissait quelque chose de sombre : qu'elle connaissait ce genre de situation. La peintre écouta sans interrompre, sans juger, sans commenter. Juste avec le respect silencieux de ceux qui savent ce que c'est, hochant du chef.

"C'est dur d'sortir une fois qu'on s'est enfermé en soi", fut tout ce qu'elle dit, dépourvu de jugement ou de compassion larmoyante, "c'est moche c'qui est arrivée à cette femme, et à toi", Riho regarda alors directement Ayame, accepta ses yeux chamarrés d'humidité sans détourner le regard face à sa souffrance, "... t'as l'droit de pleurer. Ça fait du bien."

Elle se releva doucement pour marcher vers son amie et déposer délicatement ses mains sur ses épaules pour la regarder dans le fond des yeux. Elle comprenait, plus que son amie n'aurait pu l'imaginer et son regard l'attestait tacitement même si elle préférait ne pas parler d'elle de crainte de passer pour égocentrique. 

"On saura jamais s'il a été arrêté ou pas... mais des mecs comme lui, il y en a d'autres. Puis y'en a des biens, aussi. Prend ton temps pour te rouvrir. Mais... juste...", elle réfléchit ses mots, "t'es pas juste ton handicap. J'ai eu tort de partir, alors que t'avais besoin d'avoir quelqu'un de fort pour marcher avec toi la nuit."

Riho ne s'était jamais caché de l'idée qu'elle avait d'être forte et de supporter la vie dans toute sa cruauté. Un peu émue sans vouloir l'accepter, elle ne trouva rien à dire à Ayame en l'entendant dire qu'elle avait perdu des proches. Elle s’excusa tacitement d'un nouveau mouvement de tête et prit doucement son amie dans ses bras sans arrière-pensées ; juste pour être enfin là pour elle, ce qu'elle n'avait pas fait cette année. Elle la berça doucement un long moment sans rien dire, dans un silence plus éloquent que n'importe quel discours un peu creux. Des actes plutôt que des gestes. Refermant ses bras autour d'Ayame, Riho ne voulait qu'être présente dans cet instant qui pourrait peut-être racheter toutes ses absences. S'il y avait un moment où il fallait être là, c'était maintenant.

A nouveau, elle fit le signe énigmatique qu'elle avait précédemment offert à son amie, et qui formait ce qu'elle n'était pas capable de dire à voix haute par pudeur mis dont elle était à présent intimement convaincu jusqu'à la moelle. 

"J'vais rester alors...", elle ajouta, timide, "... avec toi. Si y'a encore d'la place pour moi", puis, après un long moment à la serrer, la joue posée sur le haut du crâne de la jeune femme, "j'te protégerais, maintenant."


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Une nouvelle chance ?

feat. @Oshima Riho


Ayame n’était pas habituée aux situations complexes émotionnellement parlant. Elle était du genre pudique sur ses émotions, et se contentait de montrer le strict minimum. Généralement, elle écoutait davantage que ce qu’elle communiquait, quelle que soit la manière de faire. Et peut-être qu’au fond, même si ça ne l’empêcherait pas de lutter pour retrouver le son de sa voix, il fallait qu’elle apprenne la langue des signes. Par respect pour Riho qui l’avait apprise pour échanger avec elle, et pour se simplifier la vie. Cela devenait épuisant de toujours passer par l’écrit, ça manquait d’émotions. Avec la langue signée, elle pouvait exprimer ses émotions à travers son attitude corporelle, son regard, les traits de son visage, sa posture … Tant de manières d’exprimer ce que l’on pensait ou ressentait autrement que par des mots. Elle ne savait pas, mais elle se promit d’essayer ne serait-ce qu’un peu. Cela ferait plaisir à sa mère, qui s’était mis en tête d’apprendre cette langue elle aussi.

Des tas d’émotions avaient été échangées depuis le début de l’entrevue : au départ de la colère, de la frustration, de la peine, liée à l’éloignement. Puis de la gêne, de la peur, des regrets, liés à cette séparation qui n’en valait peut-être pas tant la peine que cela. De la gêne liée aux aveux qu’elles s’étaient faites, de manière directe ou non, cachée ou non. Ayame pensait avoir décelé un message caché derrière les mots déguisés de son amie, mais elle avait peur de leur interprétation. Elle détestait devoir interpréter, elle préférait les réponses rationnelles et claires, sans aucun doute possible. Mais quand il s’agissait d’amour et de sentiments aussi fragiles, il était rarement possible d’être purement rationnel. On faisait ce que l’on pouvait avec ce qui vibrait en nous, et on le transmettait le moins maladroitement possible à la personne concernée. En l’occurrence, s’il semblait aux yeux de la jeune fille que Riho avait semé des indices à interpréter comme elle le pouvait, Ayame avait fait de même, laissant sous-entendre à quel point Riho comptait pour elle. Que ce soit en étant parvenue à prononcer son nom, en lui avouant d’un bloc qu’elle n’aimerait jamais les hommes, et en lui faisant finalement comprendre qu’elle avait besoin d’elle de manière déguisée. Elle s’était dévoilée, et ouverte à son amie. Quant à l’interprétation que cette dernière en ferait, c’était son libre arbitre qui s’exprimerait. Riho était un être indomptable, et Ayame ne saurait jamais vraiment comment elle réagirait à ses propres choix. Mais elle acceptait cette part de doute, d’incertitude qui ajoutait de la folie et de l’adrénaline à leur relation. Elle avait montré ce soir qu’elle pouvait être aussi acerbe que douce, aussi téméraire que calme, aussi provocatrice que compréhensive. Riho avait deux facettes, voire plus, celle du chat sauvage qui refuse de se faire approcher au risque de griffer, une personnalité qu’elle montrait à la majorité des gens. Et Aya’ avait eu l’occasion d’en apercevoir une autre ce soir : celle d’une femme fragile, émotive et au bon cœur. Ayame aimait les deux personnalités de Riho, sans en préférer une à l’autre : c’était ce qui faisait la singularité de la jeune femme et qui avait plu à Ayame. Que cette relation reste amicale mais confidente, ou qu’elle évolue plus loin, la nippone serait heureuse d’avoir cette fille multicolore dans sa vie.

Les deux jeunes filles en étaient rendues au stade où elles ne savaient plus comment se comporter l’une avec l’autre, empreintes d’une maladresse qui leur était plutôt rare. Depuis l’étreinte, Ayame était haletante, son cœur qui battait fort lui faisait mal, et elle aurait donné cher pour qu’il ralentisse un peu et qu’elle puisse suivre la cadence effrénée. Mais il n’était pas prêt de se calmer pour le moment. Les joues rougies, tout comme celles de son amie, ce silence était d’autant plus pesant lorsqu’elle se lança dans le récit de son histoire. Elle avait eu peur d’un jour dévoiler cela avec quelqu’un, mais elle ne pensait pas se tromper en pensant avec sincérité que Riho comprendrait tout cela.
Cependant, son coeur ralentit un moment lorsque Riho réagit au début de son message. Au final, elle s’était volontairement éloignée d’elle par maladresse et peur de ne pas savoir comment se comporter ? Elle préférait être agressive et froide envers les gens car elle ne savait pas y faire ? Elle semblait perdue vis-à-vis de son comportement en société, cela se ressentait lorsqu’elle évoqua le fait de ne pas savoir ce qui était normal. Peu importe. Elle ne semblait pas avoir vraiment relevé la déclaration dissimulée de son amie quant au fait qu’elle tenait à elle.
Concernant Jun, Ayame arqua un sourcil surpris à l’évocation de leur relation maladroite. Aurait-il pu se permettre de dire un truc aussi déplacé ? Elle lui en toucherait deux mots à l’occasion. Mais elle n’était pas spécialement surprise de la réaction excessive de la jeune femme, et de son ressentiment. Elle n’aimait personne ? Ayame commençait à légèrement en douter, mais elle ne laissa rien paraître. En revanche il était vrai qu’elle avait du mal à respecter le ressenti des autres, mais c’était aussi ce qui faisait partie de son charme.

Puis un silence s’installa. Riho lisait enfin son histoire. Sa réaction fut inattendue : là où d’autres se seraient offusqués, choqués, et auraient crié à l’injustice, la jeune peintre eut un retour sur un ton neutre, commentant les vérités sans émettre de jugement. Ayame aurait pu penser que cette réaction l’agacerait, mais au final ça l’apaisa. Elle n’allait pas la regarder autrement à cause de son épreuve : elle accusait réception de sa souffrance et de son traumatisme, comprenait certaines choses, mais n’en faisait pas tout un fromage et le lui montrait dans son expression. Mais l’attitude de la jeune femme, son regard, le poids de ses mots laissa sous-entendre qu’au-delà du fait qu’elle comprenait, elle avait vécu des choses similaires, dures. Ayame réalisa qu’elle ne savait rien de son amie. Elle venait de lui dévoiler son plus grand secret, et avait le cœur léger d’avoir pris cette décision, mais en dehors du fait qu’elle fréquentait plus souvent le fumoir que sa chambre, et qu’elle était artiste, au fond, elle ne savait rien d’elle. Alors pourquoi l’attirait-elle irrésistiblement ainsi ?
Elle la laissait pleurer, comme pour évacuer ces peines et ces douleurs. La tête baissée, elle ne vit pas Riho s’approcher et sursauta en sentant la main chaude de cette dernière sur son épaule. Elle releva la tête, apercevant le regard franc et honnête de son aînée. Elle lui dévoila son point de vue quant à la situation du coupable, et elle avait raison. Oui, elle devait prendre son temps. C’était ce qu’elle avait fait et c’était comme ça qu’aujourd’hui, elle était capable de parler à des hommes comme Jun, Akira ou le serveur du café, Akihito-san. Parce qu’elle avait pris le temps de s’ouvrir et compris qu’il n’y avait pas que des monstres. Mais de là à aimer un homme, elle n’en était pas sûre. Et puis, même si elle n’en était pas consciente à ce moment-là -ou alors qu’elle niait tout en bloc-, son cœur était déjà pris depuis un moment.

Les mots de Riho touchèrent Ayame plus que ce qu’elle pensait. Elle admettait son tort de s’être éloignée, et l’assurait qu’elle ne se définissait pas par son handicap. Elle aurait pu être la personne qui l’accompagnait le soir, lorsqu’elle rentrait tard, comme ce soir-là. Elle prenait énormément sur elle quand elle devait rentrer de nuit après son baito, incapable d’en parler à sa chef mangaka. Mais elle choisissait les grandes artères bien éclairées, et prenait un maximum les transports en commun. Elle ne se retrouvait jamais vraiment seule.
Avant qu’elle n’ait pu esquisser un geste de remerciement à son égard, Riho fut cette fois celle qui lui offrit une étreinte chaleureuse et rassurante. Aya n’aurait jamais imaginé la jeune femme capable de cela, tant la précédente avait eu l’air de l’avoir fait souffrir. Ayame se sentit en sécurité à ce moment-là, dans les bras de cette fille spéciale à son cœur. Le silence s’installa, mais cette fois il n’était pas gênant, juste confortable. Elle se laissa bercer par les mouvements légers d’oscillement, puis la vit refaire ce geste dont elle ne connaissait pas le sens mais qu’elle tentait de décrypter quand même. Rougissant, elle leva la tête vers elle alors que Riho s’exprimait une nouvelle fois : elle lui disait qu’elle resterait, et qu’elle la protègerait. Fermant les yeux et restant blottie contre son amie, sans chercher à comprendre si c’était bien ou mal, sans davantage se poser de questions, de nouveaux mots s’exprimèrent à travers sa voix, comme si le fait d’avoir témoigné de son histoire à quelqu’un de cher et d’avoir été acceptée et réconfortée avait débloqué un mécanisme. Sa voix était maladroite et chevrotante, mais pourtant, elle avait réussi cette effort, et pour une fois, ce n’étaient pas seules deux syllabes isolées qui s’étaient extirpées de sa gorge :

« Merci Riho-chan. Il y aura toujours de la place pour toi. »

Mais prononcer cette simple phrase alors qu’elle n’avait rien dit depuis des années l’avait considérablement épuisée, et elle ne savait pas si elle pourrait faire davantage ce soir, avec toutes ces émotions fortes qu’elle avait ressenties à une puissance exponentielle. Elle n’avait même pas l’énergie de prendre son téléphone pour répondre aux paroles de son amie, surtout qu’il n’y avait pas vraiment besoin de réponse. Elle avait bien assimilé ses conseils et les comprenait. Et prendre son téléphone aurait brisé ce moment chaleureux qui s’était lové entre elles. Et ça, c’était hors de question. C’était trop rare et trop précieux pour qu’elle le laisse s’échapper.

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