Il avait cette fainéantise de se préparer un café et c'était comme cela tous les matins. Il se réveilla hyper tôt histoire d'avoir le temps pour se préparer. Shingen était le genre de personne à passer pratiquement une heure dans la salle de bain. Son entraînement débutant à huit heures tapante, il se réveilla avec trois heures d'avance. Après s'être habillé, coiffé et légèrement maquillé, il vérifia son sac. - Tout est là Shin, ne perds pas de temps. Tu dois encore passer au café. Il s'empressa d'enfiler sa veste, c'est qu'il faisait frais le matin. Heureusement, le centre commercial n'était pas loin du lieu où il dansait chaque jour. Il se déplaça rarement à pieds, il souhaitait garder son énergie pour la danse. De ce fait, il appela son chauffeur qui le conduisit directement devant le grand bâtiment. - Trois heures, c'est juste assez. Peut-être que demain, tu pourrais te lever 3 minutes plutôt. Un soupire s'échappa de ses lèvres. Allait-il avoir assez de temps pour prendre un encas avec son café ? Ces temps-ci, il négligeait son petit-déjeuner, une belle erreur puisqu'il se doit d'avoir un carburant afin de tenir toute la matinée. Notre danseur trépigna d'impatience. Pourtant, il était parti tôt non ? Pourquoi cela bouchonnait autant ? Au lieu de tapoter ses doigts sur le rebord de la porte du véhicule, il navigua sur son téléphone tout en écoutant de la musique, quand soudainement, il reçut un étrange mail de l'un de ses enseignants. - Ne stresse pas Shin, ce n'est peut-être rien. Il déglutit, puis il se mit à lire.
Le chauffeur lui indique qu'ils étaient enfin arrivés à destination. Shin sortit rapidement de la voiture toujours en lisant ce fameux mail, sans prêter attention à son entourage. Cette faute d'inattention lui coûta une belle chute ! Il capta à peine ce qu'il vint de lui arriver. Ses fesses avaient atterri en premier sur le sol, suivi de l'un de ses poignets, quant à son portable, il s'était éclaté à quelques mètres de lui. Le garçon émit un cri d'effroi. Tout ce qu'il pouvait espérer, c'est qu'il n'avait rien de casser.
Shingen redressa la tête tombant nez à nez avec un vélo renversé avec visiblement, son conducteur. - Bravo Shin, si tu avais fait un peu plus attention... Aucun mot n'arriva à sortir de sa bouche, comme-ci on vint à lui couper subitement la langue. Il trouva un autre moyen de savoir si oui ou non, l'autre garçon n'avait rien, mais dès qu'il se redressa sur son poignet, il fut épris par une douleur vive l'incitant à l'exprimer à travers un autre cri. Décidément, sa journée avait démarré en beauté !
Aujourd’hui, Hideki n’avait pas cours mais il avait quelques courses à faire pour la Poste. Il avait réussi à négocier pour avoir son vélo et pas un scooter aujourd’hui, bien plus à l’aise. Son chef râlait toujours car il était moins rapide à vélo, mais il avait fini par céder face à l’insistance et au sourire adorable du jeune homme. C’était donc tout guilleret que Hideki avait enfourché son vélo, prêt à distribuer du courrier dans tout Sekido, qui serait son secteur pour la matinée. Il s’était levé tôt comme à chaque fois qu’il prenait son service matinal, et malgré le peu d’heures de sommeil car il avait passé une partie de la nuit à plancher sur son roman, il était relativement éveillé. Mais visiblement pas assez pour éviter un passant sur son chemin … En effet, il venait de rentrer en collision avec une personne au détour d’une ruelle. Le piéton s’était engagé sur le passage sans regarder devant lui, le nez rivé sur son téléphone, et Hideki ne s’était pas du tout préparé à cela. Connaissant le coin comme sa poche, il savait que ce passage était normalement bien respecté par les gens. Et il avait fallu que ce gars traverse le jour où Hideki était un peu dans les vapes à cause de sa courte nuit. Heureusement, comme il venait d’une ruelle étroite, il roulait tout doucement, et la collision n’avait pas été violente. Mais le jeune facteur était tombé du vélo et l’autre personne était également au sol.
Le jeune homme se massa le crâne, sonné, et comme à son habitude, il s’enquit de l’état de l’autre victime avant de s’inquiéter du sien. Vu le cri qu’il venait de pousser, il était peut-être plus endommagé que lui.
« Vous allez bien ?! Je suis désolé, c’est ma faute, j’aurais dû davantage me méfier de ce croisement. »
Hideki était fait ainsi, toujours prendre sur lui et assumer les responsabilités, alors qu’en soi c’était plutôt ce piéton qui ne faisait pas attention à ce qui l’entourait, concentré sur son téléphone, qui était en tort. Mais peu importe, il assumait pleinement. Il récupéra le téléphone tombé du jeune homme et l’examina brièvement avant de le lui rendre. La vitre était légèrement fissurée mais il semblait encore fonctionner.
« Je crois qu’il va falloir changer la vitre … Je peux payer pour les dégâts si vous voulez. »
Ca ne l’arrangeait pas spécialement car en ce moment, joindre les deux bouts était un peu compliqué, mais cela faisait partie du jeu. Il avait participé à cet accident, c’était normal de prendre en charge les réparations, non ?
IPanique générale, Shingen ressentit cette vive douleur au poignet. Il vit déjà sa vie défiler devant lui, cette blessure qui avait l'air de rien, mais digne d'une blessure de guerre handicapante à jamais pour notre danseur. Plus de liberté dans les mouvements des bras, ses jambes et ses pieds ne seront pas suffisants pour danser. C'était une telle tragédie ! Des larmes montèrent vite. - T'es fichu, tout es fichu. Adieu les entraînements, adieu les récitals, il vit également les portes se fermer brusquement devant lui alors qu'il avait accordé toute sa vie à la danse. Les mots inquiétants de l'autre garçon ne résonnèrent même pas dans ses oreilles. Ses pensées furent obnubilées par ce handicap qu'il s'infligeait. Shin tint son poignet en essayant de contrôler sa respiration. Était-il en pleine crise de panique ? Celle-ci se lut parfaitement sur son visage et au son de son souffle saccadé. Les yeux écarquillés, ils finirent par bouger lorsque un objet familier se présenta dans son champ de vision. Son téléphone ? Nul besoin d'examiner ce dernier, pour tout avouer, notre danseur n'arriva pas à sortir de sa crise de panique.
Les larmes se frayèrent un chemin sur ses joues, Shingen examina son téléphone avant de pointer son regard attristé dans celui de l'autre garçon. - Comment vais-je faire ? C'est cassé ? Et si c'est cassé ? Je ne pourrais plus danser et si je ne peux plus danser, ma vie n'aura aucun sens ! Oui, comment pourrait-il vivre si on lui apprend que la danse fait parti de son passé ? Il était comme ça notre ami, à dramatiser lorsqu'il s'agissait de sa santé et pourtant, il lui arrivait de faire l'impasse sur un rhume afin de continuer à s'entraîner, comme cette fois où il a fini cloîtré au lit pendant plusieurs jours. Résultat des courses, il n'aurait pas laissé filer sa chance de jouer un rôle dans une représentation.
Le fait de regarder ce jeune homme avec une telle détresse, il posséda un espoir que ce dernier le comprenne voire l'aide. Le corps de Shingen refusa de bouger, il fut cloué au sol sans doute pris au piège par la peur de découvrir ce qu'il se cloche dans son poignet. Malheureusement, le danseur n'avait guère le choix, il devait se rendre soit à l'hôpital, soit chez le médecin.
Euh … ouah ! Hideki avait affaire à une véritable drama queen, ou du moins un hyponcondriaque avéré. Certes, son poignet semblait avoir pris un coup, mais de là à ce que son monde s’écroule, le jeune facteur en doutait fortement. Il retint cependant qu’il était danseur, et concrètement ses poignets étaient une partie de son corps bien importantes pour l’inconnu. Tout comme pour Hideki d’ailleurs, comment pourrait-il écrire ses romans s’il perdait l’usage de ses mains ? Ainsi, même s’il trouvait que son interlocuteur exagérait un brin, et se sentait un peu gêné de sa panique apparente, apeuré que d’autres gens interprètent mal la gravité de l’incident, il décida de lui venir en aide pour l’inciter à se calmer. Il se leva, épousseta ses vêtements brièvement, puis tendit une main au jeune danseur, qui lui donna sa main valide. Il l’aide à se redresser, et une fois les deux protagonistes debouts, Hideki demanda, d’un ton sérieux :
« Déjà, avant de savoir si c’est cassé ou non, pouvez-vous bouger le poignet ? Faire de petits cercles, ou le manipuler de haut en bas ? Si vous pouvez, c’est que ce n’est pas grave, juste une foulure, et avec quelques médicaments et du repos ça guérira vite ! Ca m’est déjà arrivé. »
Hideki avait parfois été casse-cou dans son enfance, même s’il passait énormément de temps le nez dans ses bouquins. Lorsqu’il jouait, il ne faisait pas attention aux conséquences et cela pouvait mal finir pour lui. En attendant la réponse du jeune homme, Hideki ramassa son vélo tombé dans la chute et vérifia son état. La peinture avait quelques légères rayures, il allait se faire passer un savon par son chef. Le courrier était heureusement intact, la pochette renfermant les enveloppes étant bien fermée et maintenue. Il actionna la béquille et posa le vélo sur le côté. Il allait sûrement devoir accompagner le danseur au centre médical ou à l’hôpital, et pour cela il lui faudrait prévenir son chef pour qu’un collègue vienne le remplacer.
« Il y a un centre médical pas très loin, dans le quartier. Je peux vous y accompagner. Ils pourront vous dire si tout va bien ou s’il est nécessaire d’aller à l’hôpital. C’est le moins que je puisse faire ! »
Hideki espérait que le jeune homme se calmerait, il avait du mal avec les personnes trop expressives et exagérant à outrance. Lui qui était assez entier, il ne comprenait pas toujours qu’on puisse en faire des tonnes pour rien. Mais il respectait la peur du danseur de voir ses rêves s’envoler, d’où le fait qu’il ait ravalé sa frustration pour le secourir. Après tout, même si l’autre ne regardait pas avant de traverser, le nez rivé sur son portable, c’était Hideki qui l’avait percuté. D’ailleurs …
« Au fait, que lisiez-vous sur votre téléphone pour être si concentré au point de ne pas regarder avant de traverser ? Si ce n’est pas trop indiscret. »
Lorsqu'il s'agissait de santé, Shingen ne pouvait pas s'empêcher de hurler au drame. C'était sans doute là, son plus gros défaut. Avoir le poignet endolori, lui fit imaginer les pires scénarios alors qu'au final, c'était peut-être trois fois rien. Comme l'a mentionné le postier, il devait d'abord le bouger afin de savoir s'il était cassé. Malheureusement, la peur avait paralysé Shin. Il capta à peine les mots de son vis-à-vis et percuta seulement quand il lui sortit le mot repos. - Non, tu ne peux pas te reposer Shingen, pas maintenant et tu le sais. Il vit déjà les acclamations de la foule bien derrière. En effet, on lui avait proposé cette unique chance de briller plus que ses autres camarades sur scène. La représentation approchait à grande vitesse, il ne pouvait donc pas s'octroyer du repos. - Vous ne comprenez donc pas ?- Bien sûr qu'il ne comprend pas Shin, il ne voit pas toute la détresse dans tes yeux. La preuve est, que ce jeune garçon était en train de ramasser son vélo en vérifiant que celui-ci ne soit pas trop abîmé.
Shingen hocha la tête. - Tu n'as pas le choix, tu vas devoir aller à là-bas. À contre-cœur, notre danseur finit par bouger en se redressant légèrement et avec difficultés. Il grimaça de douleur rien qu'en bougeant un brin son poignet. - Vous êtes sûr qu'il ne faut pas aller directement à l'hôpital ? Mon Dieu, c'est fini, tout est fini. Une boule se forma dans sa gorge, il vit déjà le médecin lui annoncer la terrible nouvelle. - Quelqu'un brillera à ta place Shin. Il retint ses larmes en y songeant, puis plongea son regard imbibé de larmes dans celui de son vis-à-vis. - C'était la bonne nouvelle, celle où je deviendrais une étoile montante et maintenant, je n'aurais pas cette occasion de briller. Il baissa la tête, refusant de montrer son état pitoyable devant ce postier. - Tu fais déjà peine assez comme cela Shin. Il renifla en essayant de contenir son chagrin.
Hideki avait rarement vu une personne aussi inquiète pour sa santé que la victime de l’accident qui se tenait en face de lui. Il était vraiment désolée d’avoir causé autant de dégâts chez lui, même s’il était persuadé que le choc était plus mental que physique pour le coup. Il ne roulait pas vite lorsque la collision avait eu lieu, il y avait donc peu de chance qu’il lui ait cassé quelque chose, sauf si l’inconnu était tombé violemment sur son poignet ou avait chuté dans une mauvaise position. Ca, il ne pouvait pas le savoir sans un avis médical.
L’inconnu lui fit remarquer qu’il ne comprenait pas. Heureusement qu’Hideki ne s’offusquait pas facilement, et comprenait que le jeune homme semblait vraiment dépendre de ses mains pour son travail ou ses activités, car il était un peu sur la défensive alors qu’il était aussi fautif que lui. Quelle idée d’avoir toujours le nez collé sur son téléphone aussi … Remarque, il le faisait aussi, mais il ne lui était jamais rien arrivé. Prudence ou karma ? Qui sait. En tout cas, la douleur au poignet semblait désagréable vu la grimace que l’autre venait de faire.
« Ne paniquez pas, je pense sincèrement que c’est juste foulé, au pire une petite entorse. Mais si c’était cassé, vous pleureriez de douleur je pense. »
Il n’y connaissait trop rien en fractures mais il s’était déjà cassé le pied quand il était jeune, dommage collatéral de son hyperactivité, et il se souvenait qu’effleurer son pied ou faire un faux mouvement lui donnait chaque fois un tel vertige qu’il aurait pu en perdre connaissance. Par contre, qu’est-ce qui était fini ? Hideki s’était empressé de tenter de rassurer l’interlocuteur paniqué, mais il avait zappé cette partie-là. Il s’était intéressé à la raison qui avait fait qu’il ne s’était pas concentré sur la route, et qui avait sûrement un lien avec ce qui était « fini ». L’inconnu évoqua une bonne nouvelle, une étoile montante, et le fait qu’il ne pourrait plus briller. Oh … Il était danseur ? Merde.
« Je suis désolé … Vraiment. Vous êtes danseur pro ? Le spectacle a lieu quand ? Avec un peu de chance, rien n’est trop tard, allons confirmer tout ça au centre médical. C’est à seulement 10 minutes de marche d’ici. »
Approximativement. Il ne voulait pas non plus décourager le jeune homme avec une route longue et ennuyeuse, il était déjà assez stressé ainsi. Il fouilla dans ses poches à la recherche de mouchoirs, et lui en tendit un : il avait triste mine, le pauvre. Hideki s’en voulait un peu plus maintenant qu’il en savait plus sur son interlocuteur.
« Ca va aller … » dit-il, autant pour convaincre le concerné que lui-même.
Shingen tombait facilement dans le dramatique et c'est ce pauvre garçon qu'il s'était pris de plein fouet, qui en faisait les frais. Désormais, il n'avait pas le choix de supporter les pleures du danseur en plus d'aller le conduire dans un lieu médical. - Tu n'aimes pas les médecins Shin et encore moins les hôpitaux. Une boule se forma dans la gorge rien qu'à l'idée de mettre un pied dans un hôpital. Il avait donc plus qu'à espérer que sa blessure était minime. Shin regarda l'autre garçon avec un air de chien battu. Ce dernier fit tout son possible afin de le rassurer. - Une entorse ? Tu sais pourtant ce qu'est une entorse Shin. Combien de fois s'était-il fait une entorse à la cheville en insistant trop sur les mouvements ? Il retint ses larmes et hocha simplement la tête. Il n'arriva pas à décrocher un mot et puis, le facteur avait raison. Si le danseur s'était cassé le poignet, il pleurerait sans doute de douleur. Il avait la larme facile Shin !
Un soupire s'échappa d'entre ses lèvres. - Oui pourvu que ça soit une entorse Shin, comme ça, tu seras sur pied avant même la date du spectacle. Pour cela, il fera tout son possible afin de se reposer au maximum bien que parfois, c'était compliqué pour lui de décrocher... S'il ne s'entraînait pas, il se mettait derrière son écran d'ordinateur pour se passer en boucle ses performances en vidéo. Il aimait les analyser pour savoir quels mouvements ils devaient retravailler. Une fois de plus, il hocha la tête en guise de réponse en acceptant le mouchoir tendu par son vis-à-vis. Le seul mot qu'il avait réussi à sortir était un merci dans un murmure. Il s'essuya les yeux et finit par décrocher un sourire. - Ok, je vous suis.
Sur le chemin, Shingen resta muet comme une carpe, niché dans son esprit. - Tu vas devoir prier pour que tout s'arrange au moins pour les répétitions. Un autre soupire s'échappa de ses lèvres. Avec tout ce flux de pensées, il oublia complètement de répondre au pauvre jeune homme qui l'escorta. Et dire qu'il était censé passer une belle petite journée.
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