Voilà environ 6 mois que j’étais au Japon, et je n’avais encore jamais franchi le cap de tester un coiffeur de là-bas. Il fallait dire que j’étais assez précieuse quand il s’agissait de ma chevelure et je me doute que les coiffeurs nippons ne pratiquaient pas avec des cheveux d’occidentale tous les quatre matins. Du coup j’étais un peu stressée. Mais à force de passer devant le salon de coiffure de Chûô, j’avais fini par me dire qu’un jour, il faudrait que j’essaie. C’était devenu l’un de mes défis de ma bucket-list du Japon avant la fin de mon échange. J’avais encore de la marge, mais bon !

Ce matin-là, je m’étais levée tôt. C’étaient les vacances, il faisait beau, j’avais, je pense, réussi mes examens et j’attendais les résultats qui ne tarderaient pas à tomber. Les profs mettaient la priorité sur les étudiants japonais qui eux finissaient carrément leur année scolaire alors que je me contentais de me préparer pour un second semestre. Je n’avais donc pas autant la pression qu’eux et même si j’étais de nature impatiente, je prenais sur moi. Les quelques amis que je m’étais faits à la fac étaient bien plus stressés : certains passaient aux rattrapages, d’autres redoublaient, d’autres encore passaient … Que d’émotions.

Pour ma part, j’avais décidé de me balader dans mon « ancien » quartier : Seiseki. De base je devais habiter dans ce beau petit coin de paradis mais un typhon en avait décidé autrement. J’avais donc atterri à Tamadaira, la résidence de la fac, et je m’y étais finalement bien intégrée. Au départ la colocation m’avait un peu rebutée, aimant bien ma petite liberté, mais je m’étais bien entendue avec Hanami et Mitsue donc tout s’était bien passé. On m’avait d’ailleurs annoncé que comme il ne restait que six mois de mon échange, si je ne souhaitais pas retourner à Seiseki car c’était quand même fastidieux de déménager, je pouvais rester et c’était ce que j’avais choisi. Après tout, être directement sur le campus avait du bon.
Bref, me voilà à Seiseki, le printemps avait déjà commencé à s’installer et les pruniers fleurissaient. Il faisait frais mais c’était agréable.

C’est alors que je passai devant un salon de coiffure, et décidai de m’y arrêter. Il était temps. J’entrai donc dans la boutique, patientai, puis un coiffeur me prit en charge, peu assuré. Je priai pour que tout se passe bien. Pour ne pas faire une crise de panique et laisser le professionnel travailler, j’avais fermé les yeux. Il m’avait posé des questions sur la nature de mon cheveu, autant dire que je n’avais pas forcément le vocabulaire adapté à la situation alors j’avais un peu galéré à m’exprimer. Mais bon … Ca allait bien se passer, non ?
C’était sans compter sur le fait que j’entendis un éternuement d’une cliente résonner dans mes oreilles, ce qui me fit brusquement ouvrir les yeux par réflexe. Je sentis aussi un coup de ciseau un peu trop brusque, et quand je vis le résultat dans le miroir, je pâlis. Ok donc non seulement il n’avait pas coupé droit, mais en plus ce n’était pas du tout égalisé … Ok, j’aurais vraiment dû les garder longs … La cliente s’était excusée et je l’avais regardée l’air de dire « ce n’est pas votre faute ». Elle était mignonne à s’excuser en anglais et japonais.

Je laissai tout de même le coiffeur terminer son travail de longue haleine et me levai poliment, n’osant pas lui dire que c’était totalement désastreux. Bon, il ne me restait qu’à aller dans un autre salon ou arranger ça moi-même, ce qui risquait d’aggraver les choses. Je payai ma note, et sortis du salon, totalement dépitée. Mes cheveux, c’était quelque chose, et là le pauvre coiffeur me les avait torturés … J’aurais dû lui demander s’il était habitué aux cheveux occidentaux, c’était ma faute aussi. Blasée, je me mis à marcher tout doucement, en direction de la rivière, sans but particulier dans ma promenade, réfléchissant à comment j’allais sauver cette situation.

Bon, certes, le coiffeur avait totalement raté ma coupe, mais on ne pouvait pas dire que ma journée serait gâchée à cause de cela. J’étais du genre combattif, et je n’aimais pas rester sur un échec. Puisque j’étais à Seiseki, j’allais certainement en profiter pour me balader un peu. J’avais entendu dire qu’il y avait la possibilité que les étudiants de Tamadaira soient enfin rapatriés à la Résidence Seiseki d’ici la fin des grandes vacances. C’était donc l’occasion idéale pour ré-explorer son futur quartier et prendre mes marques. Mon itinéraire n’était pas encore tracé mais mes jambes m’avaient machinalement portée vers la rivière Ôgurigawa. Je ne connaissais pas trop ce secteur, je savais juste que c’était dans le prolongement du coiffeur dont je sortais, et qu’en traversant la rivière, on atteignait les bases de la colline de Sakuragaoka. Ca devait être sympa à explorer par-là, non ?

Mes pensées furent interrompues par une respiration haletante que j’entendis derrière. A peine retournée, je constatai que la jeune femme du salon de coiffure était plantée là, reprenant son souffle après une course visiblement effrénée. J’arquai un sourcil, surprise de la voir ici. Aurais-je oublié quelque chose chez le coiffeur ? A bien y penser, j’en serais capable, étourdie comme je l’étais. Mais bon, il me semblait avoir toutes mes affaires sur moi : portefeuille, portable, sac à main … C’est alors que la jeune femme s’excusa une nouvelle fois pour l’incident du coiffeur en s’inclinant à la japonaise. J’allais finir par être mal à l’aise à force qu’elle se confonde en excuses. Elle en rajouta une couche en précisant qu’elle pouvait payer un autre coiffeur si je le souhaitais. Je lui souris gentiment, et pris la parole à mon tour :

« Non mais tout va bien, vraiment ! Il était déjà en train de me massacrer avant l’éternuement, donc foutu pour foutu … C’est pas grave, les cheveux ça repousse. C’était mon expérience japonaise ! La prochaine fois je testerai celui de la fac, ils doivent être habitués à avoir des clients étrangers comparé à ici. »

Songeuse, je me dis qu’effectivement peut-être que le coiffeur de Chûô aurait été plus efficace. Mais bon, ce qui était fait, était fait, et on ne reviendrait pas en arrière. Par contre, cela me perturbait de me faire vouvoyer par la miss qui avait certainement mon âge, mais bon, la politesse japonaise était ainsi, il fallait que je m’y fasse.

« Par hasard, connaissez-vous un peu les lieux ? Je suis censée habiter à Seiseki d’ici un mois et je me disais que j’allais explorer un peu, mais je ne sais pas par où commencer. »

Implicitement, je lui demandai de m’accompagner dans ma balade. Après tout, cette situation cocasse allait peut-être me permettre de rencontrer des personnes autres que les gens du campus, ça pourrait me faire changer d’air. Je n’aimais pas rester enfermée dans un cercle de personnes du même groupe, et pourtant je trouvais plus difficile que ce que je pensais de rencontrer des gens en dehors du campus. Mais si ça se trouvait, la demoiselle n’habitait même pas ici. Mais pourquoi aller jusqu’à un coiffeur ici alors qu’elle aurait pu trouver plus proche ? Une habituée ? Mais en même temps, j’avais fait pareil : je logeais sur le campus universitaire, j’aurais pu aller à celui de la fac. Parfois on faisait des choses sans vraiment penser à la logisitique.

La jeune femme était décidément bien mignonne, je décidai que je l’aimerais bien. Elle avait un humour simple et efficace, que je remarquai aussitôt lorsqu’elle fit un commentaire sur le coiffeur qui m’avait massacrée. Oui, difficile de faire pire pour le coup, mais ça m’amusait plus que ça me déprimait, même si mes cheveux c’était toute une institution. J’avais pris le risque, c’était le jeu, et comme je lui avais dit, les cheveux, ça repoussait.
La brune avait accepté chaleureusement de m’accompagner, j’étais contente de ne pas me retrouver complètement paumée. Se faire guider par une personne du coin, c’était toujours plus pratique et si je pouvais déjà me faire quelques connaissances, ce n’était pas de refus. Pour le moment, les seules personnes que je fréquentais régulièrement étaient Kannon et Yûna. C’était dire à quel point j’étais sociable ! Pourtant en France j’étais toujours accompagnée, mais au Japon j’avais un côté plus réservé, sans doute la barrière de la langue et la culture.

En tout cas, la jeune femme était enthousiaste et m’avait proposé de me montrer les lieux pour profiter du paysage, des cafés et restaurants. Parfait pour prendre mes repères avant de m’installer ! A force de ne voir que le campus de Chûô, j’étais bien contente de pouvoir me réinstaller à Seiseki, qui était mon premier choix lorsque j’avais préparé mes dossiers. Elle se présenta comme étant Sakuraba Rei, et je ris de bon cœur lorsqu’elle me précisa que ce serait mieux que de l’appeler par « hey » ou « madame ». Ouais non, madame, très peu pour moi. Je m’en serais passée aussi.

« C’est gentil de m’accompagner, les propositions me bottent bien, ça me permettra de prendre un peu mes repères ! Moi c’est Taylor Remy (j’insistait pour découper les syllabes de mon nom pour qu’il soit plus prononçable pour Rei) ! Enchantée. Et pas de soucis pour le madame, j’ai du mal aussi ! D’ailleurs, vu qu’on a sensiblement le même âge, on pourrait peut-être se tutoyer ? en tout cas, moi ça ne me gêne pas, et vu que mon japonais n’est pas parfait, ça m’arrangerait ! »

Le japonais poli avait beau être celui qu’on apprenait en premier à la fac, j’avais toujours plus de mal que quand je parlais spontanément à la forme neutre, comme les profs tendaient à l’appeler. En France, j’avais un style de parler assez détaché, pas vulgaire mais plutôt familier et chill, et le fait de toujours devoir parler de manière carrée au Japon avait tendance à me brider un peu.

Nous nous mîmes en route et continuâmes à discuter en même temps. Rei voulait en savoir plus sur mon parcours, ce que je trouvais normal. Elle s’excusa pour son indiscrétion mais je l’arrêtait aussitôt :

« Il ne faut pas s’excuser, c’est normal de vouloir en savoir plus ! Je suis ici depuis septembre, je fais un échange universitaire à Chûô Daigaku, et j’ai eu un coup de cœur pour le pays. J’aimerais beaucoup trouver un visa de travail à la fin de mon année pour rester sur place, mais je ne sais pas par où commencer mes recherches. Et toi, tu fais quoi dans la vie ? »

J’avais tenté le tutoiement spontanément, on verrait bien si ça passait ou pas !

Cette Rei était une fille étonnamment gentille et sociable. Je n’avais pas l’habitude de sympathiser avec les filles japonaises, elles étaient souvent coincées et assez fades et j’avais beaucoup de mal à me sentir à l’aise en leur présence. Elles n’avaient souvent rien à dire et je m’ennuyais vite. Surtout que moi, sans être non plus un garçon manqué, je n’étais pas un symbole de féminité accru et mon franc-parler un peu familier pouvait parfois désarçonner mes interlocuteurs. Cependant, cette Rei, même si je ne la connaissais pas encore, avait l’air sympathique et avait du répondant. Sa curiosité envers mon parcours me plaisait bien et me donnait envie de faire plus ample connaissance. Décidément, entre elle et Yûna, j’avais quand même eu de la chance au fond. J’en étais ravie.

Elle avait accepté qu’on se tutoie, ce qui me ravit, moi qui n’aime pas trop le vouvoiement et la forme polie du japonais, fatigante à utiliser. Rei sembla s’inquiéter de sa prononciation de mon prénom, et je la rassurai aussitôt :

« Ah, t’en fais pas, prononce-le avec l’intonation japonaise. Je crois qu’en plus Remi est un prénom féminin ici, non ? Tu peux le prononcer comme ça, ça me va très bien. Et merci pour mon Japonais, ça me fait plaisir ! »

La prononciation du son « r » pour les étrangers et particulièrement les Japonais posait de nombreuses difficultés. Le Français restait une langue complexe tant dans sa grammaire que son oral. J’étais ravie de le parler depuis ma naissance et de ne pas avoir à l’apprendre. J’étais aussi contente que la demoiselle considère mon niveau de japonais assez correct, et visiblement elle ne semblait pas éprouver de difficultés à me comprendre. Encore une victoire pour Remy !

Après que je lui ai expliqué mon parcours brièvement, et avoir admis que je ne savais pas vraiment où orienter mes recherches de travail, Rei revint avec plusieurs propositions. Elle évoqua le travail en entreprise, en secrétariat ou restauration … Elle me demanda aussi mon diplôme, et rajouta que si la restauration ne me bottait pas, je pouvais tenter dans une bibliothèque. Elle avait de bonnes idées.

« Ouah, merci pour ces idées, je vais creuser de ce côté-là alors ! C’est vrai qu’il y a beaucoup de filiales d’entreprises étrangères à Tôkyô, ça pourrait le faire ! La restauration, pourquoi pas, mais j’ai pas de mémoire et deux mains gauches donc j’ai peur de pas être faite pour. J’étudie le Japonais en intensif à Chûô et je suis quelques cours d’économie, droit et gestion d’entreprise, pour coller à mon diplôme français un peu particulier. »

Au Japon, on se spécialisait dans un domaine en général, mais moi avec ma licence de LEA, j’étais un peu pluridisciplinaire et ça avait été toute une histoire pour trouver des équivalences à mes cours. J’avais un peu galéré mais le personnel du centre International avait été incroyablement serviable.
De retour à la réalité, j’écoutais Rei m’informer qu’elle travaillait dans une pâtisserie. La gourmande que j’étais vit ses yeux s’illuminer de curiosité. Elle voulait reprendre ses études. Quel courage !

« Oh c’est trop bien ça, c’est dans le coin ta pâtisserie ? Vous vendez quel genre de produits ? Et pour ta reprise d’études, tu es courageuse. Ca fait longtemps que tu as arrêté ? Tu étudiais quoi ? »

Ouais, la curiosité pouvait être un vilain défaut mais ça permettait aussi de faire connaissance et d’alimenter la conversation. Pendant ce temps, nous continuions de nous promener.