Livia avait été absente pendant environ un mois. En tant que streameuse professionnelle et joueuse pro, elle avait participé aux World du célèbre jeu League Of Legends. Un jeu auquel Shôji avait pas mal joué lorsqu’il était étudiant, puis il avait fini par arrêter quand il avait réalisé qu’il allait louper ses examens en jouant trop. C’était plus ou moins par le biais de LOL qu’il avait rencontré Livia. Il squattait souvent les chats de ses streams, car il la trouvait marrante. Puis ça lui faisait travailler son anglais d’écouter ses vidéos pendant des moments de pause. Il était déjà au Canada quand il l’avait connue, et le hasard avait fait qu’elle-même suivait de plus ou moins près sa carrière musicale là-bas. Cette coïncidence les avait fait rire et ils avaient commencé à échanger quelques messages. Leur amitié virtuelle avait grandi, ils s’envoyaient parfois des vocaux, et avaient même fini par se faire quelques appels en visio à l’époque. Il lui montrait son Canada, elle lui dévoilait son pays, puis son Japon. Car en effet, Shôji avait eu la bonne surprise d’apprendre que Livia avait décidé de s’installer dans son pays natal pour son boulot. Ca lui avait fait chaud au cœur dans un sens, et à l’époque, il avait regretté d’être si loin de chez lui. Ca aurait été une belle opportunité de rencontrer son amie en vrai.

La vie était pleine de surprises. Pour des raisons familiales, Shôji était récemment rentré au Japon, en début d’année. Cela aurait pu être l’occasion de rencontrer Livia aussitôt. Sauf qu’il ne lui avait d’abord pas dit qu’il était revenu, trop préoccupé par ses soucis familiaux et les retrouvailles avec sa sœur. Mais il avait fini par lui envoyer un message à son sujet, et ils avaient convenu de se rencontrer autour d’un café. Les premières minutes avaient été très maladroites, car une relation physique n’avait que peu en commun avec une virtuelle, mais ils avaient rapidement pris leurs marques et le naturel s’était installé entre eux. Suite à cela, ils avaient fait pas mal de sorties à droite à gauche, s’entendant plutôt très bien. La complicité était présente entre eux, et Shôji était content d’avoir quelques piliers ici, lui qui avait tout plaqué pour rentrer. Il lui avait confié son désir de rester au Japon, son rapprochement avec sa sœur, son récent projet de fonder un neko-café musical … Mais aussi son envie que ses compères musiciens canadiens le rejoignent ici. C’était Livia qui l’avait convaincu que tout était possible, et que s’il se donnait les moyens, il y parviendrait. Elle l’avait aidé à recenser des labels à qui présenter leurs maquettes de musique. Livia était une personne précieuse pour Shôji. Bien plus qu’il n'aurait pu l’imaginer.

Shôji n’avait jamais été amoureux de quelqu’un. Bien sûr, il avait eu des relations d’une nuit, des amourettes de lycée et de fac comme tout le monde, mais jamais personne n’avait réussi à le faire vibrer, à faire battre son cœur, à le faire se languir de sa présence. Et pourtant, après ces mois passés avec elle à redécouvrir son pays natal, Shôji s’était surpris à s’attacher naturellement à elle et à attendre impatiemment de la revoir. Débordé par ses projets, il n’y avait pas spécialement prêté attention mais lorsque Livia lui avait annoncé qu’elle serait absente pour un mois, cela lui avait fait drôle. Si au début cela ne l’avait pas perturbé le moins du monde, plus les jours passaient, et plus un manque avait commencé à se faire sentir. Grâce à la technologie, ils étaient restés en contact tous les jours et il avait suivi tous ses lives, mais ce n’était plus pareil. Maintenant qu’il la connaissait en vrai, il ne savait plus se satisfaire du virtuel. Il se surprenait parfois à s’énerver tout seul face à des commentaires désobligeants dans les chats.

Et lorsque Livia lui avait annoncé sa date de retour et le numéro de son vol, alors qu’ils avaient convenu de se voir à Seiseki autour d’un café à son retour, Shôji avait décidé sur un coup de tête d’aller la chercher à l’aéroport. N’ayant pas encore vraiment parlé de Livia à Yûna, travaillant d’abord sur leur relation frère-sœur et leur projet commun, il avait dit qu’il avait quelque chose à faire et s’était éclipsé du local qu’ils étaient en train d’aménager. De toute façon, le plus gros du travail était fait pour aujourd’hui et il ne laissait pas Yûna en pleine galère, il ne se le serait pas permis.

Cela faisait maintenant une bonne heure qu’il était arrivé à l’aéroport de Narita, le plus grand de Tokyo. Il préférait être en avance au cas où son avion en aurait aussi. Devant la sortie des passagers, il guettait attentivement la jeune fille. Elle aurait pu se démarquer en tant qu’occidentale au milieu de la foule de japonais, mais Tokyo était victime de son succès et un flot incessant d’étrangers se déversait sous ses yeux.
Puis l’aperçut. Il se surprit à penser qu’elle était très belle, et il se sentit tout chamboulé en la voyant. Pour être sûre qu’elle le voie, ce serait dommage qu’il soit venu jusqu’ici et se prenne un vent, il se mit à agiter les bras comme un idiot et s’écria :

« Liviaaaaa ! »

Il espérait que la surprise saurait la satisfaire et lui faire plaisir.

Un mois. Voilà le temps que j'avais passé hors du Japon. Ça avait été court et long en même temps. J'avais une nouvelle fois eu la chance de participer au championnat du monde et autant le dire toute de suite, c'était clairement le but que l'équipe et moi vision chaque année, mais les places sont chères et rien ne garantit notre place à chaque saison. Nous nous sommes hissées jusqu'en finale cette fois. Malheureusement à l'instar de nos collègue masculin, c'est une équipe chinoise qui a remporté la coupe. Il y a une part de déception en moi et je sais qu'elle est partagée par toute l'équipe, mais une autre de moi est fière du chemin que nous avons parcouru. Je sais qu'à notre retour nous allons devoir débriefer de tout ça, nous avons bien sûr droit à quelques jours de repos, mais rien que la perspective de cette réunion post championnat du monde me donne envie de partir au bout du monde. Décortiquer nos matchs dans les moindres détails pour trouver ce qui nous a fait défaut est un travail long et fastidieux. Non pas que je n'ai pas envie de faire mieux, mais je suis épuisée. Alors oui, ces quelques jours de repos sont vraiment les bienvenues. Assise dans cet avions depuis des heures, je n'avais plus qu'une hâte, que nous nous posions enfin. J'avais bien l'intention de rentrer chez moi, de prendre une douche et de dormir pendant trois jours. Foutu décalage horaire qui allait encore foutre en l'air mon rythme. Enfin bon, je n'allais pas me plaindre, j'avais la chance de vivre des choses incroyables.

J'avais prévu de lancer un live dès demain, histoire de parler de tout ça avec ma communauté. Nous les filles, sommes beaucoup moins médiatisée, mais je sais qu'il y a quand même du monde qui me suit. Pourtant la première personne avec qui j'avais vraiment envie d'en discuter n'était autre que Shôji. Qui aurait cru qu'il me manquerait autant durant ce mois ? Pas moi. Non pas que je ne sois pas attachée à lui, mais nous avions eu l'habitude de cette distance pendant tellement d'années que je n'imaginais pas que ça me poserai problème cette fois. Et pourtant... Les choses étaient différentes depuis que nous nous étions rencontré en chaire et en os. Il y avait quelque chose de spéciale entre nous et oui, il m'avait manqué. D'ailleurs nous avions prévu de nous revoir rapidement dès mon retour.

Une fois de retour sur la terre ferme, je débarquais dans le hall tel un zombie qui n'a pas vu le jour depuis des semaines. Il faut dire que je n'ai pas vraiment eu le temps de faire du tourisme, j'ai passé la plupart de mon temps derrière un écran... enfin, encore plus que d'habitude. Et soudain, une voix me sort de ma torpeur. Une vois que je reconnaîtrais entre mille. C'est lui. Mais qu'est-ce qu'il fait ici ? On avait pas prévu qu'il vienne me chercher. Pas que ça me fasse pas plaisir, au contraire, en témoigne d'ailleurs le sourire qui c'est immédiatement inviter sur mon visage. Mais si j'avais su, j'aurai essayé d'avoir l'air moins au bout de ma vie. Trop tard. Je me dirige vers lui, courant à moitié et le prend dans mes bras. « Shôjiiiiiiiii !! » D'ordinaire, je ne suis pas aussi démonstrative, mais ça fait un mois. C'est long un mois, trop. Je me détache lentement de lui. « Tu m'as manqué. Tu aurais du me dire que tu viendrais. »

Le temps était un phénomène complexe qui ne s’étirait jamais comme on le souhaitait. Lorsque les moments étaient précieux, ils s’écoulaient bien trop vite à notre goût. Et quand on s’ennuyait comme un rat mort, il semblait si long qu’on aurait pu mourir d’ennui. C’était exactement ce que Shôji avait ressenti pendant le mois d’absence de Livia, et pendant cette longue heure à regarder les gens défiler les uns après les autres à la sortie du hall des bagages. Foutu temps qui ne passe pas assez vite. Le jeune homme n’était pas spécialement quelqu’un d’impatient, sauf lorsqu’il attendait quelque chose de réellement spécial. Livia était spéciale à ses yeux, une personne précieuse qu’il était heureux d’avoir dans sa vie. Alors, autant dire que lorsqu’il était parvenu à capter son attention malgré sa mine zombifiée, et qu’il vit son sourire se dessiner, toute sa mauvaise humeur liée à son attente interminable s’envola comme si elle n’avait jamais existé.

Elle se jeta sur lui, l’enlaçant avec enthousiasme. Shôji lui rendit son étreinte chaleureuse. Au Japon, les effusions en public étaient particulièrement rares, les Japonais n’aimant pas montrer leurs émotions devant les autres, gardant ça pour la sphère privée. Mais Shôji, ayant vécu presque dix ans au Canada, avait appris à s’affranchir de certains complexes inculqués par sa société, dont celui de la peur du regard des autres. Il avait compris que les relations humaines étaient bien plus précieuses que ce qu’il avait toujours pensé, et qu’il ne fallait en aucun cas les négliger. Et il avait perdu bien assez de temps dans sa vie à cause de ces préjugés sociétaux pour continuer. Il prendrait donc soin des gens qui comptaient : Livia, Yûna, et potentiellement d’autres.

« Figure-toi que toi aussi tu m’as manqué ! Pourtant c’est pas comme si on n’était pas habitués à se parler de loin ! »

Il sourit, content que sa surprise ait été efficace et bien accueillie. Pour sa part, il ne savait pas s’il aurait été content ou un éternel bourru qui aurait préféré qu’on ne le dérange pas dans ses habitudes. Non, si ça avait été Yûna ou Livia, il aurait été content dans tous les cas, même si une partie de lui aurait aimé se retrouver seul après un long voyage. Paradoxalement, lorsqu’il était rentré au Japon précipitamment, il s’était senti terriblement seul.

« Ca n’aurait pas été une surprise si je te l’avais dit, non ? »

Le sourire toujours aux lèvres, Shôji enchaîna :

« Tu as fait un bon voyage ? Tu veux rentrer directement ou te poser un peu ? »

Elle devait être épuisée après toutes ces heures de vol. Il lui semblait qu’elle était allée jusqu’en Islande et autant dire que le décalage horaire avec l’Europe était particulièrement grand.  Sans lui demander son avis, il se saisit de la poignée de sa valise, et commença à marcher en direction d’une zone plus calme. A elle de décider si elle prenait un café à l’aéroport avant de sortir, s’ils rentraient directement ou autre chose encore.

Je laissais échapper un rire. Alors il avait eu le même ressenti que moi ? Il avait raison, nous avions eu l'habitude de nous parler à distance, chacun à un bout du monde. Mais c'était avant qu'il ne débarque au Japon sans prévenir. Avant que nous ne nous rencontrions enfin. C'était  un peu comme si les choses étaient devenues réelles entre nous. Je pouvais dire sans trop prendre de risque qu'il était la personne qui me connaissait le mieux. Cette amitié virtuelle avait certainement rendu nos premiers échanges plus faciles. D'ordinaire, je n'étais pas une personne qui se confiait avec aisance, au contraire, j'avais tendance à intérioriser les choses, mais cette relation particulière via écrans interposés m'avait aidé à m'ouvrir à lui plus qu'a n'importe qui avant. Il était spécial, il l'avait toujours été. Alors était-il possible que le fait de nous côtoyer dans la vraie vie nous ait encore plus rapproché ? Peut être bien. « C'est vrai, mais c'était bizarre de ne pas te voir pendant aussi longtemps. » Si au début ça avait pu être un peu étrange ou maladroit, désormais tout était plus naturel entre nous et je n'avais pas de mal à lui dire les choses.

Alors il avait voulu me faire la surprise. C'était réussis. Est-ce que j'aimais les surprises ? Pas toujours, mais pour le coup, elle était plutôt bonne. « Oui, mais tu aurais pu me le dire quand même. Regardes-moi, j'ai l'air de rien. » Effectivement, rien de glamour ne devait ressortir de tout mon être en cet instant. Pourquoi est-ce que ça avait de l'importance ? Aucune idée. Cependant, je ne m'attardais pas trop longtemps sur cette interrogation, en effet Shôji venait de reprendre la parole.

« Aussi bon qu'il aurait pu l'être, en revanche, c'était long à mourir. » Est-ce que j'avais envie de rentrer ? Se serai lui mentir que de prétendre le contraire, mais l'idée de me poser était tentante également. « J'aurai bien besoin de trois litres de café, histoire de tenir debout. A moins que tu n'ais envie de me porter jusqu'à chez moi. » Je ris tandis qu'il attrapait ma valise sans me demander quoi que soit. « Mais... Oh non rien. » Je savais que ce n'était pas la peine de dire quoi que soit, quand Shôji avait une idée en tête, c'était difficile de lui faire changer d'avis. « Bon alors dis-moi, t'en es où dans tout tes projets ? J'ai cru comprendre que c'était plutôt chargé en ce moment. » Même si nous avions gardé contact pendant toute la durée de mon voyage, nos échanges avaient été rendu au stricte minimum. Lui étant  pas mal occupé de son côté et moi ayant évidement un tournoi à disputer.

Lorsque Shôji lui avoua qu’elle lui avait manqué, elle avait ri, d’un rire naturel et spontané qu’il appréciait de plus en plus. Les choses avaient bien évolué entre eux, depuis leur première discussion virtuelle il y a de cela quelques années. Se rencontrer en vrai aurait pu briser la magie de leur relation, et pourtant elle s’était renforcée. Leur complicité s’était accrue, et au final l’alchimie avait bien fonctionné. Un peu trop bien peut-être, ne pouvait pas s’empêcher de penser le jeune homme de temps à autre. Il avait rarement connu une telle amitié, et même les relations qu’il avait pu avoir par le passé n’avaient pas été aussi fusionnelles, naturelles et confortables. Pourtant, aujourd’hui, il n’imaginait plus son quotidien sans Livia.

« Oui c’était bizarre pour moi aussi. C’était différent de d’habitude ! »

C’était marrant que même sur cela, ils semblaient complémentaires. Ils avaient ressenti une différence d’ambiance dans ce nouvel éloignement. Mais bon, l’essentiel était qu’elle était revenue et qu’ils allaient pouvoir passer du bon temps ensemble. Le jeune homme était ravi à cette perspective, mais la jeune femme interrompit sa réjouissance intérieure en insistant sur le fait qu’il aurait dû la prévenir de sa venue pour qu’elle se montre plus présentable. Il rit de bon cœur avec une spontanéité qui le caractérisait bien. Il lui ébouriffa les cheveux énergiquement avant de répondre :

« Non, maintenant t’as l’air de rien ! Mais t’en fais pas, tu es toujours aussi cool ! »

La vérité aurait été « zombie ou pas, tu es toujours aussi jolie, même avec ton air fatigué », mais même s’il était de plus en plus naturel avec elle, il y avait encore des choses sur lesquelles il restait discret, pour éviter de franchir une limite sans retour en arrière possible. Après il y avait des amis qui se complimentaient ouvertement sans arrière-pensée, mais une partie de lui savait que ces arrière-pensées existaient quelque part dans son être. Il se contentait donc d’être le pote cool pour le moment, prenant la température et laissant les choses évoluer d’elles-mêmes. Il savait que si un jour il remarquait que Livia semblait faire un pas vers lui, il serait potentiellement incapable de dire non. Mais ce n’était pas le sujet !

Livia lui avoua que le voyage avait été bon mais terriblement long. Elle poursuivit sur son besoin vital de café, avant de plaisanter sur l’idée de la porter jusqu’à chez elle.

« Ne rigole pas trop, j’en serais capable ! Surtout que tu es un poids plume. Mais je pense que les Japonais seraient trop choqués. »

Tu parles, le regard des autres, il commençait à gentiment s’en contrecarrer. Mais comme il cherchait à lancer sa carrière musicale officiellement et à faire venir son groupe, il ne pouvait pas non plus faire n’importe quoi.
Livia tenta de rechigner quand Shôji prit sa valise, mais elle se ravisa, sachant que son côté entêté serait encore une fois vainqueur. Les deux comparses s’approchèrent du Starbucks de l’aéroport et se placèrent dans la file d’attente du comptoir.

« J’ai suivi tes précieux conseils et j’ai bien avancé dans mes entretiens avec les labels. Il y en a un qui semble particulièrement intéressé par notre profil atypique, il m’a proposé un second rendez-vous prochainement. Quant au café avec ma sœur, ça avance bien mais c’est le chantier ! Les chats sont arrivés et ils ont foutu une pagaille monstre ! »

Il marqua une pause avant de demander :

« Et toi alors ce tournoi ? L’ambiance était bonne ? J’ai suivi tes lives, ça avait l’air fun ! »

Shôji se sentit un peu déstabilisé lorsque Livia lui répondit du tac au tac qu’elle était heureuse qu’il soit là. Ses joues rosirent sans doute un petit peu, pas spécialement habitué à ce genre de confidences de manière générale, même s’ils avaient pour habitude d’être francs et honnêtes l’un envers l’autre. Ils conservaient une certaine zone de sécurité. Il lui sourit avec sincérité et lui répondit avec franchise :

« Moi aussi je suis content. »

Et il fallait s’arrêter là car ils allaient devenir niais ces deux-là. La mine boudeuse de Livia ne laissa pas Shôji indifférent, il la trouvait trop mignonne comme ça. Mais sa menace le fit davantage rire, c’était impossible qu’il la prenne au sérieux avec cette bouille attendrissante et même pas menaçant.

« Ouuh, j’ai peur ! » la nargua-t-il.

Les taquineries se poursuivirent, sur un autre thème cette fois, celui de la porter sur son dos jusqu’à chez elle. Selon elle, il ne serait pas capable de tenir jusqu’au bout du trajet. Il éclata de rire, mais peut-être qu’au fond elle avait raison. Vu comment il avait galéré à porter les cartons de la livraison de l’autre jour à la boutique, avec son corps de lâche, c’était tout à fait possible. Avant qu’il ne puisse rétorquer quelque chose de salé, elle enchaîna en imaginant la une des journaux de manière totalement exagérée et hilarante. Elle se donnait à fond aujourd’hui !

« C’est exactement. Rien que pour faire chier mon père, j’ai presque envie de le faire. Mais au cas où le directeur du label manquerait d’ouverture d’esprit, je vais rester sage. »

Clairement, les médias pourraient totalement s’emparer de ce genre de scénario à scandale. Leurs deux visages étaient connus : elle par ses lives et ses nombreux abonnés, lui par le nom qu’il portait. Un nom sali qui n’était pas vraiment le sien, mais qui lui collait à la peau malgré tout. Mais Shôji se fichait éperdument des ‘on dit’ et des racontars, il savait ce qu’il valait et ce que Livia valait à ses yeux et ça lui suffisait.

Alors qu’ils faisaient la queue dans le Starbucks, Livia lui avait demandé comment évoluaient ses projets récents. Elle lui répondit avec enthousiasme, elle qui était une fan de la première heure de leur groupe. Il lui était reconnaissant d’être aussi fidèle à leur musique et de toujours les soutenir.

« Merci. Tu sais, ça nous touche énormément que tu nous soutiennes autant. Les autres pensent pareil ! J’ai trop hâte que tu voies un vrai concert en live, pas derrière un écran. »

A son tour de lui raconter ses péripéties. Elle semblait vraiment à fond dans son truc. Il ne connaissait rien du tout au monde du streaming, lui-même n’étant qu’un joueur occasionnel. Mais tout comme Livia devait voir un concert en live, il se devait d’aller assister à une compétition en chair et en os. Shôji sourit à la jeune femme et lui répondit :

« Ca a l’air fou quand tu le racontes. Je te promets de venir assister à un tournoi un de ces jours, quand ma vie sera plus stable. Ca doit être totalement grisant. Et je suis sûr que tu décrocheras cette coupe. T’as pas le droit d’abandonner tant que tu ne l’as pas soulevée ! »

Bien sûr il plaisantait, Livia faisait bien ce qu’elle voulait de sa vie, mais il espérait de tout cœur qu’elle réalise son objectif.
C’était enfin leur tour de commander, et il commanda un café serré.

« Tu bois quoi ? Je t’invite, c’est pour fêter ton retour ! »

Bon ce n’était pas glorieux de fêter son retour avec un café Starbucks mais ils se rattraperaient plus tard.

Je notais, sans pourtant le faire remarquer, que ses joues s'étaient quelque peu rosies à ma remarque. Je ne savais pas vraiment comment l'interpréter. Et je n'avais pas spécialement envie de me lancer sur ce genre de sujet alors autant ne pas poser de questions au risque de se retrouver avec une conversation embarrassante. Mais pour autant, il me répondit que c'était réciproque et je lui retournais son sourire. Être à ses côtés avait cet effet saisissant de me faire oublier la fatigue, comme si le simple fait qu'il soit là me faisait oublier tout le reste. C'était assez particulier et plutôt agréable, j'aurai pu passer des heures en sa compagnie sans jamais avoir envie que ça se termine. Nous en avons passé des nuits à discuter tout les deux à l'époque. L'un de nous finissait toujours pas s'endormir sans s'en rendre vraiment compte.

Lorsque je l'avais menacer de me venger, Shôji avait rit, visiblement je n'étais pas crédible pour un sous. « Surveille tes arrières, je t'aurai au moment où tu ne t'y attendra pas. » La conversation dériva quelque peu et même si c'était un sujet sur lequel nous plaisantions, nous savions tout les deux que tout cela était sérieux. Et c'est sans doute pour ça que nous préférions en rire. Si j'étais parfaitement honnête, j'avais déjà reçu quelques messages d'abonnés me demandant qui il était. Pas étonnant, nous avions passé pas mal de temps ensemble depuis qu'il était au Japon. Cependant, j'avais préféré ignorer ces messages, je partageais beaucoup de chose en live, mais je refusais d'étaler ma vie privée. Je n'en avais même pas parlé avec Shôji, de toute façon, ces questions restaient assez isolée en comparaison du nombre de messages que je pouvais recevoir quotidiennement. Et de toute façon, c'était le jeu, lorsqu'on s'exposait sur internet comme je le faisais, il fallait accepter ce genre de chose. « T'as raison, autant mettre toutes les chances de ton côté. » Il était sur une bonne lancée, ce n'était pas le moment de faire n'importe quoi et de gâcher ses chances.

En tant que fan de leur groupe, il était évident que la perspective de les voir peut être faire leurs débuts au Japon me faisait plaisir. Et Shôji était reconnaissant pour mon soutien. « Ne me remercie pas, c'est normal pour moi de vous soutenir puisque j'aime votre musique. »

Quant à moi, je lui faisais part de mon expérience en Islande et de cette ambiance si particulière qu'il y avait lors des gros tournois comme celui là. Shôji me soutenait dans se que je faisais autant que c'était le cas pour moi le concernant. « Hmm pour être honnête, je ne sais pas encore si j'y participerais l'année prochaine. Tu sais, il y a plein de petites jeunes qui rêvent de prendre ma place, je commence à me faire vieille. » Je plaisantais à moitié. Mais c'était une question à laquelle j'allais devoir réfléchir. Me retirer de la scène professionnelle pourrait également me donner le temps de me consacrer à cent pourcent au streaming, mais je n'étais pas certaines que j'étais prête à renoncer à la compétition pour l'instant. De toute façon, c'était une décision que je prendrai avec l'équipe et pour l'instant, il n'était pas question de ça.

Shôji me sortit de mes réflexions en me demandant ce que je buvais. Je n'avais même pas fait attention que notre tour de commander était arriver. « Je vais prendre un grand latte. » Tandis que nous attendions nos cafés, je reportais mon attention sur lui en souriant. « Tu n'étais pas obligé de payer, le fait d'être venu me chercher aujourd'hui suffisait tu sais. »

Shôji n’arrivait décidément pas à prendre Livia au sérieux lorsqu’elle tentait de le menacer ou de lui parler de vengeance. Surveiller ses arrières ? Bah ouais, il n’attendait que ça, tiens ! Il aurait payé pour voir cette vengeance arriver.

« Je t’attends au tournant ma chère », répondit-il, narquois.

Ils avaient plaisanté un instant sur l’hypothèse d’une médiatisation de leur relation, quelle qu’elle soit. Les gens étaient toujours curieux dès que la vie privée de quelqu’un devenait publique. C’était un risque en fréquentant Livia qui exposait sa vie et son visage sur Internet, mais il savait aussi qu’elle était hyper restrictive et se contentait de partager ses expériences de jeux et parfois quelques anecdotes, sans que quoi que ce soit permette à ses abonnés d’en savoir plus sur sa vie personnelle. Shôji lui-même était prudent. Même si la majorité de la fanbase de son groupe se trouvait au Canada et qu’il était plutôt tranquille ici, il avait quelques fans japonais qui pouvaient se montrer terriblement curieux par message MP. « On t’a aperçu avec une fille l’autre jour, c’était ta petite amie ? » Tellement gênant et intrusif. C’était triste de constater que certaines personnes, pourtant respectueuses de base, perdaient toute forme de respect et de notion d’espace privé face à une personnalité publique. A partir du moment où un visage était connu, il appartenait à tout le monde. C’était le revers de la médaille.

Mais heureusement, la conversation dériva sur ses projets personnels et notamment le fait qu’un directeur de label semblait pas mal intéressé pour les signer. Ses paroles furent réconfortantes, et même s’il n’y avait rien de spécial à répondre, il hocha la tête en guise d’approbation et la gratifia d’un grand sourire ravi.
Son soutien était également précieux, et Livia insista en disant que c’était normal pour elle en sachant qu’elle aimait leur musique. Shôji était tout heureux d’entendre ce genre de compliments qui lui allaient droit au cœur.

Livia lui avait raconté son expérience en Islande et il lui avait posé quelques questions avant de lui promettre de venir la voir à un tournoi. Il ne s’attendait absolument pas à sa réponse, concernant le fait qu’il y avait une possibilité pour qu’elle n’y participe pas pour laisser la place à des plus jeunes.

« Ah bon ? Qu’est-ce que tu appelles « vieille » dans ce domaine ? »

Cette question était sincère, il n’était pas assez fin connaisseur pour avoir toutes les ficelles de son métier atypique. Il y avait des professions pour lesquelles on était « trop vieux » même si en termes d’âge, c’était loin d’être le cas.
Leur conversation fut interrompue par l’étape de la commande. Livia annonça prendre un grand latte, et Shôji transmit la commande avant de régler. Tandis qu’ils attendaient leurs boissons, elle lui dit qu’il n’était pas tenu de payer, surtout qu’il était déjà venu la chercher.

« Ca me fait plaisir alors ne t’en tracasse pas trop ! Juste, profite. »

Leurs commandes arrivèrent et ils allèrent s’installer à une table en « terrasse » afin de poursuivre leur discussion sur le streaming et la musique.

« Tu ferais quoi si tu arrêtais d’être pro ? »