Il n’y avait donc pas que dans les films à l’eau de rose que les amitiés pouvaient se transformer en amour. Bon après, pour Shôji, c’était encore un bien grand mot. Il savait juste qu’il avait récemment ressenti des émotions contrastées en présence de Livia, sans vraiment comprendre pourquoi, car rien n’avait tant changé entre eux, dans la façon de se comporter. Il était désormais conscient qu’elle l’attirait plus que ce qu’elle aurait dû. Et il l’avait vraiment réalisé lorsqu’elle l’avait embrassé furtivement. Tout ce qu’il s’était efforcé de retenir avait explosé en lui. Lui qui pensait que c’était mal, qu’il ne fallait surtout pas malmener leur amitié, c’était elle qui avait franchi la ligne. S’il avait dû parier dessus, il aurait sans doute perdu pas mal d’argent. Mais bon, c’était arrivé et maintenant il fallait composer avec.

Shôji était resté silencieux un moment avant de réussir à affronter le regard de son amie. Il avait réfléchi pendant quelques minutes. Les pensées affluaient à mille à l’heure depuis ce baiser furtif, et il ne savait absolument pas comment réagir. Il n’était pas quelqu’un de stupide mais pourtant, dans ce genre de moments, son cerveau refusait de répondre. D’aussi loin qu’il se souvienne, il n’avait jamais été amoureux, et n’avait jamais rien ressenti d’incroyable pour une femme. Les rares filles avec qui il était sorti étaient des flirts, des amourettes de lycée ou de fac, de passage. Il ne s’était jamais posé de questions. Tant que c’était confortable, il restait, si ça devenait compliqué, il fuyait. Tu parles d’un mec … Mais il avait toujours la franchise de dire honnêtement quand ça n’allait plus, il n’était pas question de ghoster, il avait horreur de ça. Mais là, avec Livia, c’était différent. Déjà, c’était elle. La fille spéciale qui partageait son quotidien depuis si longtemps que c’était devenu une évidence. Ensuite, ils étaient de très bons amis. Il ne fallait donc pas faire n’importe quoi. Mais concrètement, que fallait-il donc faire quand votre meilleure amie vous embrassait sans prévenir ? Et que vous en aviez envie aussi ?

Ce que Shôji fit, c’était son instinct qui lui avait dicté. Il avait donc soulevé cette couverture derrière laquelle Livia se réfugiait, et sans vraiment réfléchir aux conséquences de son geste, il l’avait embrassée, plus passionnément que précédemment. Comme s’il avait attendu ce moment toute sa vie, et comme si celle-ci en dépendait. Puis le contact s’était rompu, mais elle avait voulu qu’il reste près d’elle. Afin d’être confortable, il s’était placé dans le canapé de manière à la garder contre lui, sa tête reposant sur son torse. Elle devait sans doute être aux premières loges pour entendre son cœur qui battait la chamade, tout emballé et chamboulé. Il était perdu. Il réfléchissait à voix haute, demandant ce qu’ils étaient en train de fabriquer. Il s’était aussi demandé s’il n’avait pas fait une connerie. Mais plus dans le sens où Livia regretterait que lui-même. Au cas où il aurait été trop loin.

Mais Livia semblait plus lucide que lui. « Le bon moment ». Sans doute avait-elle raison. Il ne savait pas vraiment déceler ces moments auxquels elle faisait référence. Elle lui demanda après si elle pouvait être honnête avec lui, et avait enchaîné en sachant que de toute façon, il aurait acquiescé. Se voiler la face ? Il n’en savait rien. C’était compliqué … Tout était si simple jusque-là et les choses prenaient un tournant bien plus profond et complexe.

« Pour être honnête, moi aussi j’ai senti une différence. Mais je n’aurais jamais imaginé tout ça. D’un coup. Ce soir. Mais ça me paraît si fou … On se connaît depuis si longtemps … »

Il marqua une pause, pensif. C’était justement ça, non ? Ils se connaissaient par cœur, s’appréciaient pour absolument tout. Mais tout de même ça faisait si longtemps …

« Ca n’aurait pas dû arriver avant tu penses ? Ca fait des années qu’on se connaît. Tu penses que c’est parce que nos échanges virtuels ne nous paraissaient pas assez réalistes ? »

Au fond c’était peut-être ça ? Tant que c’était virtuel, il y avait comme une barrière invisible entre eux, qui avait sauté lorsqu’ils s’étaient rencontrés en vrai. Et là avaient commencé les sorties où ils s’étaient rapproché plus que deux amis n’auraient dû le faire. Oui, sans doute …

Livia ne semblait pas tout à fait d’accord avec l’hypothèse de Shôji concernant leur relation et le pourquoi du comment. Mais peut-être s’était-il mal exprimé. Ce qu’il souhaitait dire, c’était que concrètement, tant que c’était virtuel entre eux, ils ne s’imaginaient pas avoir une relation sérieuse, car ils restaient au stade des échanges amicaux. Mais peut-être que Livia voyait les choses autrement, il n’était pas dans sa tête après tout -et ce serait inquiétant. Ceci étant dit, ils étaient d’accord sur une chose : tant que leur relation aurait été virtuelle sans une véritable rencontre dans la vie réelle, rien n’aurait pu être envisageable. Et pour le coup, Shôji était totalement d’accord avec cela. Il pouvait totalement sympathiser avec des personnes derrière un écran, fantasmer un peu, flirter, mais tout cela restait au stade hypothétique, et il ne se voyait pas tomber amoureux d’une image derrière un écran. Et même si le monde d’aujourd’hui permettait un certain réalisme des relations en ligne grâce aux webcams et aux messages vocaux entre autres, Shôji ne se serait pas vu entamer une relation sérieuse dans ce contexte. Il aurait pu flirter mais sans ancrer les choses. Après, il ne se voilait pas la face, il avait été rapidement impatient d’avoir la chance de la rencontrer un jour. Déjà, il la trouvait magnifique mais ce n’était que secondaire. Il était surtout très intrigué par sa personnalité pétillante et très franche, et il voulait voir si elle était aussi ainsi en vrai ou si c’était juste une image qu’elle se donnait sur Internet. Au final il avait été très satisfait de leur première rencontre, même si elle avait été terriblement maladroite. Il ne leur avait pas fallu très longtemps avant de s’apprivoiser comme ils l’avaient fait à distance. Peut-être que le déclic s’était fait à ce moment-là, mais Shôji ne s’en était pas rendu compte pour autant, vivement son amitié fusionnelle avec Livia à fond.

Livia lui demanda alors s’il avait besoin de temps pour réfléchir, pour mettre de l’ordre dans ses idées vis-à-vis de ce qui venait de se passer. S’il était sincère, il lui dirait que oui, mais il serait bien incapable de dire combien de temps il lui faudrait pour imprimer la situation. Il haussa les épaules et se contenta de répondre :

« Et toi, il t’en faut ? »

Il sourit : elle avait relevé la tête pour voir sa réaction. Il lui avait adressé son plus beau sourire.

« En vrai, je vais mettre du temps à imprimer tout ça, mais je le ferai … Au fur et à mesure. »

Une manière un peu maladroite de dire que c’était ok pour lui et qu’il acceptait la situation. Mais qu’il ne garantissait pas d’être complètement à fond tout de suite. Il y aurait de la réserve, des hésitations, des retenues, car ils restaient amis de longue date. Et en plus, comment allait-il faire maintenant vis-à-vis de Yûna ? Lui balancer de but en blanc qu’il avait … Une petite amie ? Mince, c’était le cas ? Il ne savait même pas, ils ne s’étaient rien dit. Son côté japonais lui criait qu’il fallait poser la question fatidique du « veux-tu sortir avec moi ? », même s’il savait que les occidentaux ne fonctionnaient pas vraiment comme ça. Ils agissaient et c’étaient leurs actes qui faisaient comprendre si oui ou non, ils formaient un couple. Généralement, c’était plutôt quand la relation était purement physique ou sans engagement qu’ils le précisaient. Tant de confusion aux oreilles de Shôji, mais il s’en contenterait pour le moment.

« Tant qu’on reste aussi complices qu’avant et qu’on continue de rire et d’être honnêtes l’un envers l’autre, si j’ai en plus le privilège de pouvoir t’embrasser et passer encore plus de temps avec toi, c’est pas moi qui serai contre ! »

Oui, Shôji venait de lâcher une telle bombe tout à fait spontanément. Son cerveau avait déjà arrêté de fonctionner lorsque Livia l’avait embrassé la première fois. Alors il était reparti en roue libre, prêt à dire des conneries qui le caractérisaient tant. Parce que clairement, être sérieux trop longtemps ne lui correspondait pas plus que cela. En revanche, maintenant qu’il était parcouru de mille émotions contraires, il fallait qu’il en fasse taire certaines. Il fallait rester calme. Il était encore en train de se remettre du baiser intense qu’ils venaient d’échanger, il ne valait mieux pas mettre la charrue avant les bœufs. Et de toute façon, la soirée ne faisait que commencer. Conscient d’être un trouble-fête et aussi tue l’amour professionnel, après sa subtile déclaration, il balança de but en blanc :

« Bon c’est malin, avec tout ça, les pizzas ont refroidi et je ne sais toujours pas ce qui se passe dans ce Ghibli. Tu mériterais que j’aille le voir tout seul pour te spoiler l’histoire ! »

Il lui tira la langue et étira son bras tant bien que mal pour attraper une part de pizza tout en gardant Livia contre lui. Il la brandit au-dessus de la tête de la jeune fille pour la narguer, puis croqua dedans comme un sale gosse qu’il était.

La vie était pleine de surprises, et Shôji venait d’en vivre une particulièrement inattendue. Il n’aurait jamais imaginé que cette soirée retrouvailles se solderait par un baiser, des aveux de sentiments et un souhait d’aller plus loin entre eux sans forcément se précipiter ou brûler les étapes. C’était tout simplement leur forte amitié qui évoluait en amour. Ce n’était pas anodin, et cela leur prendrait sûrement du temps pour assimiler ce changement. C’était ce que Shôji avait exprimé lorsque Livia lui avait demandé s’il voulait du temps pour réfléchir. Il en voulait, oui, mais pas nécessairement en mettant une barrière entre eux pendant ce temps-là. Il voyait plutôt les choses évoluer entre eux doucement, pas à pas. Et en même temps, depuis ce baiser, il était traversé de tout un tas d’émotions complexes, son cœur battait si fort qu’il menaçait de rompre, et une douce chaleur enivrante s’était emparée de tout son être. En posant son regard sur elle, il eut encore envie de l’embrasser -il aurait pu faire ça toute la soirée. Mais il se retint, pour le moment en tout cas.

Lorsqu’il balança sa bêtise, Livia ne répondit rien de spécial mais éclata d’un rire franc et sincère qui le fit rire à son tour tellement c’était contagieux. Il ressentait toujours le besoin de dédramatiser lorsqu’une situation devenait trop sérieuse à son goût. Cela ne l’empêchait pas de faire passer des messages sérieux et sincères, mais il était plus à l’aise en employant un ton léger plutôt qu’en étant solennel. Il avait du mal à être trop sérieux, ça lui rappelait son horrible père toujours tiré à quatre épingles avec ses manières de mec de la haute. Ca le dégoûtait. Il était plus lui-même en étant détaché et jovial.
Il avait fini par menacer Livia de la spoiler concernant le film Ghibli qu’ils n’avaient toujours pas visionné.

« Ahaha, j’attends ta vengeance, ça risque d’être spectaculaire ! »

Puis il avait brandi sa part de pizza au-dessus de sa tête, avant de croquer dedans, satisfait de sa bêtise. Mais elle le surprit en lui attrapant la main pour rapprocher la part à moitié croquée et en prendre un bout à son tour. Ah ouais, elle jouait à ça ? Elle mangeait sa pizza ?

« Bah oui si c’est froid, tiens ! »

Puis elle le lâcha pour se saisir de la télécommande et allumer la télévision. Elle proposa de regarder le film. Shôji acquiesça, et alors qu’ils s’installaient confortablement dans le canapé pour regarder le film, il replaça correctement la couverture sur eux deux, pour les envelopper dans cette douce chaleur. L’idée de se blottir près d’elle dans cette zone invisible lui plaisait bien, lui qui pouvait être timide dans la démonstration d’affection publique et évidente. Alors que les premières images défilaient devant leurs yeux, il posa sa main sur celle de Livia, sous la couverture. Il aurait pu se contenter de rester près d’elle tout en maintenant une certaine distance, pour « prendre son temps » comme il avait dit, mais ce geste avait été spontané. Inconsciemment, il avait cherché le contact de la jeune femme. Mais il lui laissa le loisir de choisir s’ils resteraient ainsi, si elle glisserait ses doigts dans les siens ou si elle romprait tout simplement le contact.

« Ne me déconcentre pas, hein ! » dit-il sur un ton narquois, sachant très bien que s’il y en avait un qui pouvait déconcentrer l’autre, c’était bien lui.

Shôji était encore tout chamboulé par les événements, mais son don naturel pour essayer de dédramatiser et de rire de chaque chose de la vie lui avait permis de prendre du recul et de profiter de la soirée malgré tout. Cela aurait été gênant si un étrange silence teinté de malaise s’était installé entre eux après qu’ils se soient embrassés, non ? C’était entre autres pour éviter cela que le jeune homme s’était empressé de recommencer à dire des bêtises, sinon l’ambiance aurait fini par se ternir. Ils avaient bien sûr des questions à se poser et des choses à comprendre, mais il était parfaitement inutile d’accumuler toutes ces interrogations lors d’une même soirée, au risque d’en étouffer. Pour ce soir, il n’avait pas envie de pousser la réflexion plus loin. Il savait qu’il avait des sentiments pour Livia, c’était maintenant inévitable et il ne pouvait plus le nier. Il savait aussi qu’il n’était pas encore prêt à se torturer l’esprit avec des questions pour lesquelles il n’avait pas de réponse. Ce qui s’était passé ce soir était au stade de la spontanéité, et cela resterait tel quel.

Il avait voulu reprendre une pizza, sans manquer de narguer la demoiselle avec. Jouant le jeu, elle lui avait piqué une part de manière totalement fourbe. Piqué au vif, il avait fait une moue faussement fâchée mais au fond, ça l’amusait que Livia joue avec lui ainsi. Malgré ce petit égarement, la complicité était toujours intacte. C’était l’essentiel. Perdre ce naturel avec elle aurait pu lui briser le cœur plus fort que si elle l’avait amoureusement repoussé. Heureusement, ni l’un ni l’autre ne s’était produit.
Elle voulait encore se venger. Ce n’était pas comme si c’était la deuxième fois qu’elle promettait cela, même s’il savait qu’elle ne mettrait pas ses menaces à exécution. Elle avait donc tenté de revenir à l’esprit de la soirée film, proposant de le regarder avant qu’il ne cherche à la spoiler. Elle s’était aussi persuadée que sa vengeance serait aussi spectaculaire que Shôji la décrivait. Son sourire avait rire Shôji.

Maintenant, ils étaient sous la couverture, le film était lancé, et il l’avait sommée de ne pas le déconcentrer. Il fut surpris de constater qu’elle répondit positivement à sa tentative de contact, en glissant ses doigts dans les siens. Il rougit un peu, mais apprécia le geste. Puis lorsqu’elle lui répondit qu’il était le plus bavard, il gonfla les joues et rétorqua, faussement fâché :

« Bah super, pour la peine, je ne dirai plus rien !! »

Il réussit à mettre sa menace à exécution, restant silencieux un moment. Tellement silencieux que, lorsqu’il jeta un coup d’œil vers Livia, il constata avec effarement qu’elle s’était endormie. Il pouvait très bien continuer le film sans elle pour pouvoir la spoiler amèrement, mais à la place, il attrapa la télécommande qui fort heureusement était à portée de main, et éteignit la télévision. Il ne pourrait en revanche pas éteindre la lumière sans risquer de la réveiller.
Délicatement, il coinça des coussins sur le rebord du canapé et se laissa glisser jusqu’à finir en position allongée, Livia toujours appuyée contre lui. Il tenta aussi de l’allonger sans la réveiller, la laissant reposer contre son torse. Elle devait tomber de fatigue avec son long voyage, et les émotions avaient dû l’épuiser encore plus. Lui-même était assez crevé, et il ferma les yeux avant de passer un bras par-dessus elle, sous la couverture. Jamais il n’aurait imaginé qu’il passerait sa première nuit chez Livia avec elle dans ses bras. Au final, il dormirait bien sur le canapé, mais elle aussi.

Le silence c'était finalement installé entre nous tandis que les film débutait et sans que je ne m'en rende vraiment compte, la fatigue m'avait rattrapée. Mes doigts enlacés à ceux de Shôji, j'avais fini par poser la tête sur son épaule, pensant naïvement que si je ne fermais les yeux qu'un instant, ça suffirait. Visiblement je m'étais bel et bien endormie pour de bon. Plusieurs heures plus tard, j'émergeais lentement du sommeil me demandant où j'étais. Il semblait évident que je n'étais pas dans mon lit et surtout, je n'étais pas seule. J'ouvris brusquement les yeux pour apercevoir qu'il s'agissait de Shôji. Je me remémorais alors les événements de la veille. Il était venu me chercher à l'aéroport et après avoir partager un café, je l'avais invité à passer la soirée chez moi. C'était donc ça, je m'étais endormie dans le canapé à ses côtés. Je souris bêtement en repensant à notre baiser. La soirée avait été pleine de surprise. Je constatais alors que l'appartement était silencieux, il avait dut  éteindre la télé lorsqu'il s'était rendu compte que je m'étais endormie. J'imagine qu'il n'avait pas voulu me réveiller. Quand je pense que nous plaisantions sur le fait de savoir lequel de nous deux dormirait dans le canapé. Je restais un moment blottie contre lui, je n'avais pas envie de quitter ses bras et la douce chaleur qui m'enveloppait.

Après quelques minutes, j'essayais de m'extirper en douceur de ses bras et de la couverture. Il ne semblait pas encore réveiller et je voulais le laisser dormir. Je me penchais ensuite vers la table pour ramasser les boites de pizza restée là toute la nuit et allait les emmener vers la cuisine. En chemin je me pris les pieds dans le tapis, manquant à nouveau d'aller m’étaler au sol comme hier, je me rattrapais de justesse. Décidément, j'avais un problème d'équilibre en ce moment. Je jetais alors un rapide coup d’œil vers Shôji, j'espérais ne pas l'avoir réveiller. A première vue, il avait toujours les yeux fermés. Je repris donc mon avancée vers la cuisine avec l'intention de préparer un petit déjeuner. Seulement je m'arrêtais devant le frigo, je n'avais pas la moindre idée de que Shôji mangeait le matin, ni même s'il mangeait d'ailleurs. Bon le connaissant, lui et son amour pour la nourriture, le contraire m'aurait étonné, mais sait-on jamais. Bon tant pis, j'imagine que je n'avais plus qu'a le réveiller. Moi qui voulait le laisser dormir.

Je retournais alors prêt de lui, m'accroupissant à côté du canapé. Je me surpris alors à observer son visage, son air détendu et calme, comme apaisé. Ce qu'il pouvait être beau, j'aurai pu passer des heures à le regarder, ce qu'il pouvait être beau. Jamais je ne l'avais regardé de cette façon, j'avais à nouveau envie de l'embrasser. Mince, mes sentiments pour lui avaient-ils évolué à ce point sans que je ne m'en rendre compte ? Si je m'étais écoutée, je me serai simplement recouché avec lui, mais peut être avait-il des choses à faire aujourd'hui ? Je levais alors une main, la posant sur son épaule, tentant de le secouer doucement. Je n'aimais pas les réveils brusques, alors je n'allais pas en infliger un à Shôji. Restait à espérer qu'il n'était pas du genre impossible à extirper du sommeil. Je parlais alors plutôt bas, histoire de ne pas le faire sursauter :

« Shôji... Réveil toi. »

Shôji s’était endormi sans demander son reste. Le fait de sentir la respiration calme et régulière de Livia contre lui avait dû l’apaiser et faciliter son endormissement. D’habitude, il était un oiseau de nuit et pouvait veiller tard pour s’entraîner sur un morceau ou réfléchir sur les paroles d’une composition. Mais ce soir-là, aussi incroyable que cela puisse paraître, il s’était endormi en un éclair, au rythme de son amie. Son amie ou sa petite amie ? Avant de s’endormir, il n’avait pas encore décidé où positionner Livia. La logique voudrait que s’ils décidaient d’avancer ensemble, ils deviennent un couple. Mais tout était si naturel avec elle que même ce sujet-là n’avait pas été abordé. Alors sans doute que c’était sa petite amie désormais. Encore une chose à laquelle s’habituer.

La nuit avait été paisible, pas de réveil impromptu, même pas parce que le canapé était inconfortable. Le canapé de Livia était d’ailleurs relativement agréable, même si Shôji préférait évidemment le moelleux d’un lit.
Il dormait à poings fermés lorsqu’il entendit un lointain « réveille-toi ». Hein ? Etait-ce un rêve ou la réalité. Il grogna, tourna sa tête sur le côté, ferma les yeux plus forts comme pour se préparer à les ouvrir, puis s’exécuta. La lumière du jour l’aveugla à moitié et il dut se frotter les paupières pour habituer sa vue à cette dernière. Se remettant péniblement de son réveil, il remit de l’ordre dans ses pensées en regardant autour de lui : le canapé de l’appartement de Livia, la soirée pizza et film, et … Leurs baisers échangés, leur étreinte, puis le fait de s’être endormis ensemble. Il en était quasiment sûr et pourtant elle n’était pas là. Elle se trouvait d’ailleurs accroupie près de son visage, ce qui le fit sursauter car il n’était clairement pas réveillé complètement.

« Gnnh … Bonjour Livia. », se contenta-t-il de maugréer, la voix encore pâteuse.

Il se frotta le crâne pour essayer de chasser ce sentiment d’être vaseux après une nuit agitée, même s’il avait le sentiment d’avoir bien dormi.

« Ca fait longtemps que tu es réveillée ? et moi, je fais la marmotte depuis longtemps ? »

C’était terriblement impoli de faire la grasse matinée chez son invitée, surtout si c’était elle. Il aurait aimé se lever en catimini, la rejoindre dans la cuisine parce qu’elle serait en train de faire du café et qu’il aurait été réveillé par cette odeur alléchante. A la place il avait roupillé comme un loir et avait loupé son occasion. Ce serait pour la prochaine fois. Oui, Shôji réfléchissait déjà à la prochaine fois.
Il sourit à la jeune femme, et finit par prendre position assise sur le canapé, très heureux d’être encore recouvert par l’épaisse couverture. Dieu sait qu’être un homme au réveil pouvait être particulièrement gênant. Bref.

« Tu as bien dormi ? »

Oui, c’était une question à poser, après tout elle s’était endormie sur son épaule et avait atterri sur son torse sans se rendre compte de rien. Peut-être avait-elle le sommeil particulièrement lourd ? Il espérait qu’avoir dormi dans une position relativement inconfortable ne lui avait pas provoqué de maux de dos. Le sien semblait intact pour le moment.
Livia était terriblement mignonne, et s'il était habitué à cette nouvelle relation entre eux, il l'aurait sans doute embrassée avec tendresse pour lui dire bonjour, mais il était encore un peu sur la réserve avec cela. Il lui faudrait clairement un temps d'adaptation, mais vu la vitesse avec laquelle il lui avait pris la main la veille, devant le film, il savait que cela se ferait naturellement, à leur rythme.

J'observais en silence Shôji émerger du sommeil. Il semblait légèrement perdu en regardant autour de lui, comme s'il cherchait à se remémorer où il se trouvait et ce qui s'était passé la veille. Lorsqu'il sursauta en m'apercevant, je ne pu m’empêcher de laisser échapper un léger rire.

« Bonjour Shôji. »

Il semblait encore un peu dans les vapes. Est-ce que j'aurai dut le laisser dormir encore un peu ? Mais il ne me laissa pas vraiment le temps d'y penser, me demandant si j'étais réveillé depuis longtemps. Je secouais la tête en signe de négation. Je n'avais pas regardé l'heure et j'aurai eu du mal à estimer le temps qu'il m'avait fallu pour me décider à m'extirper de son étreinte et faire un aller retour express jusqu'à la cuisine.

« Pas vraiment, je voulais préparer un petit déjeuner, mais je ne savais pas ce que tu mangeais le matin. Alors je suis venue te réveiller directement. »

Pour ma part, je ne mangeais pas le matin, ou très rarement. Je me contentais d'un café la plupart du temps. Allez savoir pourquoi, mon estomac semblait ne pas accepter que je le remplisse trop tôt. On m'avait toujours dit que ce n'était pas bon de sauter ce repas, mais aussi loin que je me souvienne, je n'avais jamais été capable d'avaler quoi que se soit en me levant, comme si mon ventre restait en veiller, refusant de se réveiller le matin. Mais Shôji, lui, aurait peut être faim ?

Lorsqu'il me sourit tout en se redressant, je ne pu m’empêcher de penser que j'aurai donné cher pour voir le même spectacle tout les jours. A chaque fois qu'il souriait, je me sentais fondre de l'intérieur, est-ce qu'il se rendait compte de ce que cette simple chose avait comme pouvoir sur moi ? Sans doute pas et pour le moment, je m'abstiendrais bien de le lui faire savoir. Les choses avaient pris une tournure toute nouvelle entre nous et je ne voulais pas le brusquer avec ce genre de déclaration et puis je ne voulais pas non plus avoir l'air niaise. Je savais qu'il en profiterais encore pour me charrier. Il me demanda alors si j'avais bien dormi.

« Et bien, disons que l'oreiller n'étais pas si désagréable. »

Je faisais bien évidement référence au fait d'avoir dormi la tête posée contre son torse. Ce n'était pas aussi moelleux qu'un véritable oreiller. Mais dormir contre lui n'avait pas été désagréable, bien au contraire.

« Mais le canapé ne vaut pas le confort d'un bon lit, la prochaine fois, on ira dans la chambre. »

Attendez ? Je viens vraiment de dire ça, là, comme si de rien n'était ? Je fixais Shôji bêtement un moment, comme si mon cerveau venait de buger. Je venais réellement de lui laisser entendre que, non seulement il y aurai une prochaine fois, mais qu'en plus il était le bienvenue dans mon lit. Et c'était ça que j'appelais ne pas vouloir brusquer les choses... Bravo. Je me redressais alors subitement, quelque peu gênée. Il allait falloir que j'arrête de lui sortir ce genre de chose sans réfléchir.

« Je te laisse émerger tranquillement, je vais préparer du café, tu me rejoint ? »

Oui, je fuyais clairement face à la situation, faisant comme si je n'avais pas lâché une bombe de bon matin. Bien sûr Livia, plus c'est  gros, plus ça passe, c'est ce qu'on dit.