Livia finit par céder à leurs chamailleries, lui annonçant qu'il avait gagné. Shôji afficha un sourire satisfait. Il avait un petit côté j'aime avoir le dernier mot qui ressortait souvent ces dernières années. Puis les deux complices rirent ensemble de bon coeur. Deux grands enfants qui passaient du bon temps ensemble en fin de compte.
Ils changèrent ensuite de sujet pour évoquer la musique, ses projets et l'envie de faire venir son groupe au Japon. Livia était très enthousiaste à ce sujet, davantage que sa soeur Yûna qui se sentait un peu exclue. Il n'avait d'ailleurs ni parlé de Livia à Yûna, ni même imaginé les faire se rencontrer pour le moment. Vu sa réaction lorsqu'il avait parlé de son groupe comme sa famille de coeur, il n'osait même pas imaginer la tristesse teintée de jalousie de sa soeur si elle savait que son frère était très proche d'une fille rencontrée en ligne et pour qui il commençait à éprouver des sentiments controversés sans vraiment se l'avouer. C'était un sujet délicat, et en même temps il lui faudrait bien l'aborder un jour car Yûna pourrait être encore plus blessée de l'apprendre à la dernière minute. Mais ce n'était pas le moment de se prendre la tête sur ce sujet, il lui fallait plutôt profiter de l'instant présent avec son amie.

La conversation ayant dérivé sur le gaming et les projets de Livia, Shôji avait témoigné une curiosité sincère vis-à-vis de ce monde complexe qui le dépassait. Face à sa question, la jeune femme lui expliqua ce qu'elle entendait par "vieille" dans le domaine de l'esport. Elle le compara à un sport traditionnel. Effectivement, ça paraissait logique. Les footballeurs, baseballeurs et autres sportifs finissaient souvent leur carrière assez tôt pour préserver leur santé physique et car leur prouesses, passées un certain âge, n'étaient plus aussi efficaces. Mais le musicien n'aurait jamais pensé que cela s'appliquait aux sports en ligne. Livia avait évoqué les nouveaux talents à qui il faudrait sans doute laisser la place un de ces jours.

" Je comprends mieux maintenant. Je n'aurais jamais pensé que ce genre de règles s'appliquaient à l'esport tu vois. Je pensais qu'il n'y avait pas d'âge pour être gamer pro. Mais en tout cas, profite tant que tu en as encore envie, et tu verras bien où l'avenir te mène ! "

Il s'était voulu positif et encourageant dans ses dernières paroles, et savait que Livia ferait les bons choix. Elle avait l'air d'être quelqu'un avec la tête sur les épaules et qui n'avait pas froid aux yeux. C'était quelque chose qu'il appréciait beaucoup chez elle.
Lorsqu'elle riposta après qu'il lui a proposé de lui offrir son café, il s'était contenté de lui dire de profiter, une fois de plus. Et à cela, elle lui avait rétorqué qu'il aurait bien des occasions de lui payer des cafés quand il serait riche et célèbre. Il pouffa, et répondit spontanément :

" Mais je ne cherche pas la célébrité ma petite dame, j'aspire quand même à un peu de vie privée et de tranquillité. Mais oui, quand je vivrai de ma musique, je te paierai toujours des cafés et tu viendras même les prendre dans notre future enseigne ! "

Rien que l'idée était alléchante, et Shôji avait hâte que les travaux s'achèvent pour inaugurer le petit cocon qu'il était en train de créer avec sa soeur.
Maintenant qu'ils étaient attablés, Shôji reprit la discussion de l'esport, demandant à Livia ce qu'elle comptait faire si elle arrêtait le pro. Elle lui avoua vouloir continuer le streaming, et évoqua l'idée de rejoindre l'équipe de coaching pour aider les nouvelles recrues. Shôji sourit : vu ses capacités, elle en était tout à fait capable. Livia pouvait être très pédagogue et patiente, des vertus importantes lorsqu'on coachait ou enseignait.

" C'est une bonne idée ça, tiens ! Je suis sûr que tu ferais une super coach en plus. Si c'est ce qui t'inspire, je te souhaite de le concrétiser ! "

Il sourit amicalement et sincèrement avant de commencer à siroter son café. C'est fou ce que c'était simple de discuter de tout et rien, y compris de l'avenir plus ou moins proche, avec Livia. Mais une question vint le turlupiner : si elle arrêtait le pro, elle n'avait plus vraiment de raison de rester au Japon, si ? Car elle pouvait streamer à distance. Lui laisserait-on un visa professionnel ou devrait-elle quitter le pays ? Ce serait dommage et même triste, alors qu'il venait juste de rentrer au pays et de s'y ancrer, qu'elle reparte ... Soudain légèrement inquiet par cette alternative, le jeune homme demanda avec franchise :

" Et si tu arrêtes d'être pro, tu resteras quand même au Japon ? "

Il avait tenté d'adopter un ton neutre au possible, mais un léger changement dans son ton de voix pouvait trahir sa légère inquiétude. Il n'avait pas envie de perdre sa plus précieuse amie, sa confidente, et potentiellement la seule fille qui lui faisait tourner la tête depuis de nombreuses années, malgré son déni total.

Plaisanter allègrement avec Livia avait manqué à Shôji durant sa longue absence. C’était bon de la retrouver et de voir que les repères étaient toujours présents, que la distance n’avait pas creusé de fossé et que leur amitié était intacte, si ce n’est renforcée. Ce sentiment de manque, il ne l’avait pas ressenti depuis le tout début de son retour au Japon, lorsqu’il avait quitté ses amis et son groupe. Ce n’était pas le sentiment des plus agréables, mais il n’était pas non plus déplaisant lorsqu’on savait que c’était temporaire. Cette sensation désagréable laissait place à l’impatience de revoir la ou les personnes et on se prenait à imaginer des retrouvailles de qualité.

Livia lui expliqua des tas de choses intéressantes sur l’esport tandis qu’ils se relaxaient tranquillement à la terrasse intérieure du Starbucks de l’aéroport. Il n’y avait bien qu’eux pour rester là alors que le voyage était terminé. Autour d’eux, quasiment que des passagers en attente de leur vol se massaient ça et là. Rares étaient ceux qui faisaient des heures supp’ autour des terminaux. Et pourtant c’était là qu’ils rattrapaient le temps perdu, échangeaient leurs banalités et partageaient leurs rêves et projets. Il acquiesça lorsque Livia lui expliqua les « règles » qui n’en étaient pas vraiment, soulignant le fait que même s’il n’y avait pas d’âge limite, c’était tout naturellement que les hauts niveaux laissaient leur place aux nouveaux talents lorsque le temps était venu pour eux de raccrocher. La jeune femme semblait faire partie des rares à rester aussi longtemps sur les hauts podiums. Mais avant qu’il n’ait pu répondre quoi que ce soit, Livia lui confirma avoir l’intention de profiter longtemps, ce qui le fit sourire.

« Je comprends mieux, et je te fais confiance pour ça ! » conclut-il, convaincu par son discours.

Livia s’amusa ensuite de la célébrité à venir de Shôji, chose pour laquelle il rétorqua que ce n’était pas son objectif premier. Il préférait l’inviter dans l’ambiance intimiste et chaleureuse de son futur neko-café musical. Il rit lorsqu’elle imita sa moquerie taquine, et resta songeur quand elle lui dit qu’il risquait fortement de devenir célèbre. C’était sans doute le prix à payer quand on voulait vivre de sa musique : avoir un visage public, contenter les fans, se donner à fond et ne pas faillir. Il verrait bien au moment voulu. Elle rétorqua qu’elle espérait avoir la meilleure table.

« Bien sûr ! La meilleure table pour la meilleure fille ! »

Il aurait pu dire « pour la meilleure amie », mais il avait dit « fille ». Ah, la spontanéité du cœur parfois ! Mais il n’eut pas le temps de tergiverser sur les perches qu’il tendait inconsciemment à Livia puisque celle-ci lui demanda comment cela se passait avec sa sœur. Son sourire s’éteignit légèrement, laissant place à un regard pensif.

« Ca se passe bien, mais ça reste compliqué. L’autre jour, alors qu’on rangeait du matos, j’ai eu le malheur d’évoquer le groupe comme ma famille de cœur, et ça l’a blessée. Je me suis senti très con quand j’ai compris ma maladresse. J’essaie de faire de mon mieux mais on revient de loin. Pourtant, je suis persuadé que ça va aller ! »

Il marqua une pause avant de reprendre :

« Par contre, elle n’est pas au courant de ton existence et je ne sais pas comment amener le truc. Après cet incident, j’ai peur d’être encore maladroit et qu’elle se sente encore plus exclue en apprenant notre complicité … »

Les relations telles que la sienne avec Yûna étaient vraiment compliquées et Shôji aurait souhaité que tout soit plus simple. Mais bon. La conversation s’était à nouveau tournée sur les projets de son amie, qui semblait optimiste à l’idée de devenir coach. Cette réflexion en fit naître une autre chez le musicien qui lui avait demandé si, une fois qu’elle cesserait d’être pro, elle comptait rester au Japon. Elle choisit d’être franche, admettant que ce n’était pas uniquement de son ressort. Il fut ravi d’entendre qu’elle ne souhaitait pas quitter le Japon où elle avait toute sa vie, et le rassura en lui disant qu’elle ne comptait pas arrêter d’être pro du jour au lendemain. Et ça fonctionna. Le sourire de Shôji revint naturellement et il dit, plus détendu :

« Bon, tant mieux alors ! Comment je ferais sans toi pour m’encourager ? Je me suis habitué maintenant ! »

Une manière légère et détournée de lui avouer qu’il tenait vraiment à elle et que sa présence dans son quotidien était vraiment importante pour lui.

Shôji était toujours apaisé en la présence de Livia. En fait, tous ses soucis s’envolaient comme par miracle. Tout était si simple et fluide quand elle était là. Il n’y avait pas de non-dits, enfin il ne croyait pas, pas de malentendus, ou alors ils étaient aussitôt dissipés. Il ne savait même plus vraiment comment, de simples contacts sur les réseaux sociaux, ils en étaient venus à devenir aussi complices. Il savait juste que ça s’était fait de la façon la plus naturelle possible, et aux yeux du jeune homme, c’étaient les relations les plus belles qui naissaient de la spontanéité. Beaucoup critiquaient les relations virtuelles en les qualifiant de non authentiques, Shôji avait pourtant la preuve par A+B avec Livia que tout était envisageable. Il suffisait de le vouloir.

Son soutien le toucha lorsqu’ils évoquèrent la célébrité. Il n’en était pas encore au stade d’être reconnu dans la rue, mais il se doutait qu’elle subissait ce genre de situation de temps à autre. Il aurait sans doute beaucoup à apprendre de ses expériences, lui qui commençait à peine à se faire un nom dans son pays d’accueil. Il la gratifia de son plus beau sourire, avant de lui répondre :

« Merci, Livia. J’aurais bien besoin de tes lumières quand je serai confronté à ma première rencontre de fan dans la rue ! »

Il appréciait qu’elle soit là pour lui, tout comme la réciproque était vraie. Il était heureux de l’avoir dans son quotidien et malgré la noirceur de son tableau familial, il se disait avec le recul qu’il était extrêmement chanceux d’avoir la vie qu’il menait. Il avait une précieuse amie à ses côtés, il avait pu renouer avec sa sœur cadette malgré les embûches, il avait un groupe de musique qu’il considérait comme une famille … Il ne lui manquait peut-être plus qu’à retrouver sa famille biologique … Cela lui avait traversé l’esprit quelques fois depuis qu’il avait appris pour son adoption, mais il s’était toujours contenté de laisser cette idée au stade de réflexion. Il avait peur que cela puisse blesser Yûna et de creuser un fossé, peur aussi de ce qu’il allait trouver au bout du tunnel de ses recherches … Peut-être apprendrait-il qu’ils l’avaient cédé au père Mizushiro pour de l’argent. Peut-être qu’il était un accident de parcours. Ou peut-être étaient-ils morts … Mais pourquoi diable pensait-il à de telles choses alors qu’il passait un bon moment avec son amie ? Peut-être parce qu’ils étaient en train de discuter de Yûna et de ses difficultés à renouer avec elle, à chasser sa maladresse. Oui, c’était sans doute cela.

« Tu dois avoir raison. Du temps … J’espère que tu auras raison. »

Elle poursuivit en lui intimant de prendre son temps pour parler d’eux à sa sœur. Il ne savait pas comment s’y prendre. Il appréciait sa compréhension et son amabilité à son égard.

« Toi qui es une fille, tu la comprendras peut-être mieux que moi … Comment penses-tu que je pourrais aborder le sujet ? On se connaît depuis des années tous les deux, bien avant que je reprenne contact avec elle. Et je n’ai pas réussi à lui en parler depuis cette prise de contact, de peur de sa réaction. Comment pourrais-je amener la chose sans trop la brusquer ? »

Il avait besoin des conseils avisés de Livia, dont la rationalité s’était souvent montrée efficace. En tant que femme, elle aurait peut-être davantage de délicatesse que lui après tout. Il n’en savait trop rien mais il était sûr d’une chose : il ne voulait blesser personne. En revanche, la main apaisante que Livia posa sur la sienne ne le laissa pas indifférent. Ils n’avaient pas souvent ce genre de contact physique, et il fut troublé un instant. Pourtant, la sensation d’apaisement et de relaxation qu’il éprouva grâce à ce simple contact lui permit d’adoucir son esprit tourmenté.

La conversation avait dérivé sur les projets de la jeune femme liés au Japon. Il s’était inquiété de savoir si elle comptait rester au pays après avoir arrêté d’être pro, et elle l’avait aussitôt rassuré, comprenant ses craintes sans qu’il ait besoin de les évoquer de façon explicite. Elle était vive et perspicace, ce qu’il aimait beaucoup chez elle. Shôji rit de bon cœur lorsqu’elle pointa son doigt vers lui en lui affirmant qu’il ne se débarrasserait pas d’elle d’aussitôt. Jusqu’à ce qu’il soit un vieux papy ? Essayait-elle de lui dire qu’elle comptait bien rester dans sa vie pour toujours ? Il en fut flatté et heureux, heureux de constater que leur lien était fort à ce point et qu’ils avaient les mêmes objectifs futurs.

« J’y compte bien ! Et quand on sera de vieux papys, on se racontera nos souvenirs de jeunesses sur une rocking chair sur la terrasse d’une maison canadienne, tiens ! »

Même s’il avait lâché ça sur le ton de la plaisanterie, l’idée était alléchante. Qu’ils restent de simples amis fusionnels ou non, il était persuadé que leur avenir pouvait ressembler à quelque chose du genre. En tant qu’amis, il s’imaginait bien avoir une maison voisine de la sienne et passer la voir tous les jours. Ce serait si drôle ! Et s’il y avait plus entre eux ? Eh bien, il ne préférait pas y réfléchir pour le moment, voulant plutôt laisser l’instant présent faire son travail.

Les mots que prononça Livia concernant la célébrité eurent quelque chose de rassurant. Bizarrement, Shôji était persuadé que si c’était une personne lambda qui lui avait dit cela, l’impact n’aurait pas été le même. Elle avait un effet apaisant et protecteur sur lui qui le laissait parfois perplexe. Une sorte de vulnérabilité qui aurait pu lui paraître désagréable mais qui, en fin de compte, ne l’était pas. Au contraire. C’était confortable d’avoir quelqu’un qui comprenait vos doutes et vos inquiétudes et savait trouver les mots adéquats pour débloquer la situation.

« Tu as sans doute raison. Mais si je reste moi-même, ils vont me prendre pour un fou ! »

Shôji aimait plaisanter et prendre les choses à la légère. Il aurait sans doute cette image du mec drôle qui affichait toujours un grand sourire benêt sur les photos de live, et qui serait toujours en train de se marrer dans les interviews et les documentaires. Bon, il était peut-être encore un peu pour penser à ce genre de dérivés de sa musique, mais pourquoi pas. Le jeune homme avait bien le temps de voir les choses arriver, et pour commencer, il fallait trouver une maison de disques qui voudrait bien les signer. Si seulement il connaissait des gens dans le milieu de la musique au Japon …

La conversation s’était orientée sur son projet de café avec Yûna, et l’évolution de sa relation avec cette dernière. Shôji avait été franc : il admettait être maladroit et ne pas savoir comment s’y prendre pour ne pas faire de bourdes constamment. Il croyait fort à leur lien mais avait peur de la blesser. Il avait également avoué, non sans une petite gêne vis-à-vis de Livia, que sa sœur n’était pas encore au courant de son existence. Il fallait trouver comment aborder le sujet et ce n’était pas simple, vu la fragilité de leur relation. Il lui avait donc demandé conseil et encore une fois, les paroles avisées de Livia lui firent un bien fou, comme un chocolat chaud après une dure journée et un trajet sous la pluie.

« Merci Livia, tu trouves toujours les bons mots. Je dois paniquer pour rien. Je trouverai le bon timing. »

Il avait dit cela à voix haute davantage pour s’en convaincre que pour convaincre Livia. Il était important qu’il arrive à évoquer Livia auprès de sa sœur dans un moment où elle serait dans les meilleures conditions pour accuser l’information.

La conversation avait dérivé sur l’avenir de Livia au Japon, qui avait rapidement balayé les inquiétudes de Shôji. Après quoi ils avaient plaisanté sur leur vie de chamailleries et de taquineries. L’un comme l’autre semblait déterminé à rester dans leurs vies mutuelles, c’était une chose qui ravissait le musicien. Livia était un pilier dans sa vie, autant que Yûna en était un autre. Perdre l’une ou l’autre serait vraiment une terrible nouvelle pour lui.

Livia suggéra alors, toujours sur ce ton taquin, de quitter l’aéroport. Shôji éclata de rire face à l’humour de son amie, et répondit sur le même ton :

« Tu préfères peut-être une nuit à la belle étoile sur le Mont Takao en plein novembre ? Blague à part, allons-y. Que veux-tu faire ? Je te raccompagne chez toi ? »

Shôji avait lancé ça spontanément avant de réaliser qu’il n’avait jamais mis les pieds chez Livia. Ils s’étaient souvent vu en extérieur pour pratiquer diverses activités : karaoké, shopping, restaurants, cafés, balades et j’en passe … Mais il était vrai qu’ils n’avaient encore jamais été chez l’un ou l’autre. Shôji avait un peu du mal à l’idée de la ramener à la coloc’ -il fallait vraiment qu’il se prenne un appart en solo, et Livia ne lui avait jamais proposé non plus. Peut-être qu’elle accepterait sa proposition après tout ? Ils n’habitaient pas bien loin l’un de l’autre au final, juste pas dans la même zone de Seiseki.

Le monde à ses pieds ? L’idée n’était pas super alléchante, lui qui n’aimait pas spécialement que l’attention soit braquée sur lui. Mais heureusement, il savait pertinemment que Livia se payait sa tête, comme elle aimait bien le faire lorsqu’elle cherchait à dédramatiser une situation oppressante. Elle avait senti que Shôji n’était pas encore à l’aise avec la potentialité de sa future célébrité, et donc elle avait choisi un ton léger et des boutades pour détendre l’atmosphère. Très bonne idée, puisqu’il s’était pris au jeu.

« Même toi tu seras à mies pieds ? » plaisanta-t-il en riant de bon cœur.

Blague à part, il savait que Livia avait toujours aimé leur musique, puisqu’elle l’écoutait avant même de sympathiser avec lui par messages. Il savait qu’elle serait toujours au rendez-vous pour les soutenir, et cette idée le boostait considérablement. Il n’y avait plus qu’à mettre les choses en place : trouver le label, le faire valider par les copains, les faire venir avec un visa de travail et lancer le groupe, en parallèle du café avec Yûna.

En parlant d’elle, la conversation avait dérivé sur leur relation et Shôji avait demandé des conseils à son amie de longue date quant à la façon d’aborder les choses avec elle pour ne pas la brusquer ou la blesser. Le point de vue d’une femme l’aidait beaucoup car il n’était pas toujours simple de comprendre comment fonctionnait Yûna. Ses conseils avaient été précieux, et Livia avait conclu sur le fait qu’il savait qu’il ferait les choses correctement. Elle ajouta également qu’il fallait qu’il cesse de se torturer ainsi. Shôji aurait juré, à cet instant, entendre sa sœur. Elle lui avait justement dit une chose similaire l’autre jour, lorsqu’ils avaient parlé à cœur ouvert.

Il était grand temps de quitter l’aéroport. Livia l’avait souligné et Shôji était d’accord avec cette idée. Il avait spontanément suggéré de la raccompagner jusqu’à chez elle sans réfléchir forcément au déroulement de la soirée, mais Livia lui proposa alors de la passer chez elle, non sans répondre avant cela à sa boutade sur une soirée camping au Mont Takao. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle l’invite chez elle, alors qu’elle ne l’avait jamais fait. Shôji était partagé entre la joie de passer la soirée à refaire le monde avec son amie, et l’intimidation de pénétrer dans son espace privé pour la première fois. Mais ce n’était pas l’heure de faire le grand gêné, alors il acquiesça en hochant la tête de haut en bas :

« Tu m’étonnes, après un mois ! L’hôtel c’est pratique mais impersonnel. »

Il marqua une pause, et reprit :

« Je suis libre comme l’air ma chère ! J’accepte donc ton invitation avec plaisir ! »

Sa joie non dissimulée masquait son intimidation et il espérait qu’elle ne s’en rendrait pas compte. Pour l’heure, ils quittèrent l’aéroport, Shôji tirant toujours la valise chargée de Livia après avoir refusé qu’elle s’en encombre. Il lui avait rétorqué qu’elle avait déjà son sac à dos à gérer et qu’il pouvait bien la soulager après qu’elle se la soit trimballée sur tout le trajet jusqu’au Japon. Tout en discutant joyeusement, ils prirent le train en direction de Seiseki. Le trajet était long, environ une heure, ce qui leur permit de continuer à échanger sur divers sujets, tout en étant discrets car il était malvenu d’être bruyant dans le train.
Bientôt, ils arrivèrent à destination. Sachant seulement que Livia vivait à Sekido, le quartier où se trouvait la gare de Seiseki, Shôji annonça :

« Je m’en remets à vous ma chère guide ! »