Drôle de fin de journée tout de même. Ayame n’était même plus consciente de ce qui se passait autour d’elle. Elle avait sombré après avoir hurlé des mots pour la première fois depuis cinq ans. Ca lui avait brûlé la gorge et donné le tournis, et provoqué son malaise. Elle ne savait donc pas que Yamada Jun l’avait portée sur son dos, avait bravé la pluie battante jusqu’à l’infirmerie qui était à l’opposé total du gymnase, genre vraiment loin. Elle ne savait pas non plus qu’il lui avait replacé une mèche rebelle collée sur son front à cause de la pluie, même si elle avait senti un léger contact sur sa peau qui lui avait valu un frisson. Mais son sommeil était profond et sans rêve. Elle ne savait pas non plus que Yamada Jun s’était endormi auprès d’elle car il ne souhaitait pas partir comme un voleur, en la laissant seule et apeurée ici, incapable d’expliquer la raison de sa venue à l’infirmière.

Le temps avait passé et quand Ayame ouvrit les yeux, ils étaient trois dans une pièce blanche. Le fameux Yamada Jun avec qui elle avait passé la dernière demi-heure (c’était ce qu’elle croyait) à se faire martyriser par des filles psychopathes au gymnase, et une fille inconnue au bataillon. Les murs blancs lui faisaient mal aux yeux, si bien qu’elle les garda plissés le temps de s’habituer à la lumière. L’esprit engourdi, elle ne savait pas où elle était. Son cerveau mettait du temps à se mettre en route, mais elle put quand même balayer la pièce du regard et comprendre qu’elle se trouvait dans l’infirmerie, au bâtiment 2. Ce n’était pas la première fois qu’elle venait ici, elle avait donc reconnu les lieux. Mais pourquoi était-elle ici, avec ces deux étudiants ? Pourquoi sa tête la lançait-elle autant ? Où était son téléphone ? Incapable de se concentrer, elle tourna légèrement la tête vers la fenêtre où la pluie continuait de s’abattre, martelant les carreaux avec force et provoquant un bruit assourdissant.

La fille inconnue n’avait pas dû voir qu’Ayame était vaguement sortie de sa torpeur (vu qu’elle avait les yeux à moitié fermé), puisqu’elle s’était adressée directement à Yamada Jun qui dormait sur la chaise à côté d’elle. L’étudiante en dessin essaya de rassembler ses souvenirs. Il avait été gentil avec elle-même s’il avait dû faire des choses irréparables comme … Lui donner son premier baiser. Au souvenir de cette scène malencontreuse, Ayame écarquilla les yeux, mais à nouveau, aucun son ne sortit de sa bouche. A ce propos, un nouveau souvenir ressurgit dans son esprit : elle s’était exprimée. Et dans une longue phrase en plus ! Un exploit. Il allait falloir qu’elle le raconte à ses parents, c’était un progrès. Mieux encore qu’avec Yuzu l’année dernière. Sa deuxième année à Chûô s’approchait de la fin et elle avait vraiment progressé. L’année filait trop vite. Dans environ trois mois, ce serait la fin des examens, les vacances scolaires et les préparatifs pour la 3ème année de littérature. Et elle avait parlé ! Maintenant, il faudrait attendre que Jun se réveille pour qu’il clarifie la situation et lui explique qui était l’autre fille, parce qu’elle n’avait pas l’énergie pour parler à nouveau.

Le temps s’écoulait sans que je m’en rende compte, car le pays des doux rêves m’avait embarqué sur son bateau imaginaire. Là-bas, j’étais dans un gymnase très lumineux. Le sol était couvert de fleurs de toutes les couleurs et au centre, une personne était allongée. Je m’approchais d’elle en prenant le chemin découvert et c’est là que je remarquais que cette fille était cette étudiante. Ses yeux étaient fermés. Elle semblait dormir.

Voulant m’assurer qu’elle était bien dans un sommeil profond, je m'agenouillai près de son corps pour vérifier, au niveau de ses narines, si elle respirait. C’était bien le cas, j’étais rassuré.
Redressé, mon regard balaya l’ensemble de l’espace qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à notre gymnase.

Soudain, au loin, j’entendais une voix. Celle-ci me réveilla, car je sentais un soufle sur l’une de mes oreilles.

Les yeux s’ouvrirent doucement et ils clignotaient plusieurs fois. Je vis au coin de l'œil une silhouette et je repris mes esprits difficilement pour m’adresser à celle-ci. “ Mh. Bonjour. “ Je frottais à l’aide de mon index mon œil droit pendant que l’autre tentait de rester ouvert. Après quelques secondes passées pour me réveiller, je reconnus alors ma camarade de projet. C’était une première année et nous avions quelque chose à faire ensemble pour un projet d’art. “ Hirabayashi, c’est ça ? “ Je n’avais pas une très bonne mémoire des prénoms, surtout que je ne l’avais pas vu tant de fois. Et, je n’avais pas encore fait le lien entre elle et Kannon. Sinon, je l’aurais très bien retenu.

Entretemps, j’entendis des mouvements près du lit. L’étudiante venait elle aussi d’ouvrir les yeux. M’approchant un peu d’elle, le regard inquiet, j’inclinais mon visage pour la saluer. “ Tu vas mieux ? “ Ce qu’il s’était passé avait dû être un choc pour la jeune femme. J’espérais qu’elle n’était pas trop secouée non plus et surtout qu’elle n’allait pas m’éviter. En l’espace de quelques instants, de nombreuses choses nous sont arrivées et pas des bonnes. Je voulais m’assurer qu’elle n’avait rien de blessé.

Sentant un petit vide entre nous trois, je me levais de la chaise afin de faire convenablement les présentations. La main ouverte, la paume vers le ciel, je commençais par l’étudiante en art. “ Hirabayashi et… “ Alors que j’allais pour introduire l’autre femme, je me rendais compte que je ne connaissais pas son identité. Quelle impolitesse, mais avec tout ce bazar, nous n’avions pas eu le temps ou l’idée de le faire. “ Je suis désolée, je ne connais même pas ton nom. ” Situation étrange, l’autre étudiante ne devait sûrement pas comprendre la situation.
Avant qu’elle réponde, je me présentais avec un petit et doux sourire aux coins des lèvres. “ Je suis Yamada Jun. “ Maintenant, nous n’étions plus des étrangers l’un pour l’autre.

Légèrement trempée à cause de l’averse actuelle, la météo est particulièrement fidèle pour avoir prévenu d’apporter un parapluie. Sans blague, qui aurait cru un véritable torrent… Revenant à la situation actuelle, étant à l’infirmerie dans le but de rappeler ton camarade de classe à revenir en cours sous peine d’une sanction, mais ton regard se situe également sur la fille en question. Ce serait-il passé quelque chose ? Après tout cela ne te concernait pas, tu ne fais que la messagère, mais il était évident que certaines personnes ont été chanceuse de profiter d’une petite sieste. Le jeune homme immerge et demande par ton nom de famille ton identité et ce à quoi tu réponds. « C’est exact, Yamada-Kun. » Retenir le nom de famille de ton camarade car le professeur tenait particulièrement à ce que tu le ramènes, partenaire de projet, tu ne le connaissais peu.

L’attention de ton camarade se retourne sur la jeune fille éveillée, tu restes sagement en retrait. Sans t’y attendre à ce que ce dernier décide de se lever pour faire les présentations entre vous trois, tu pouvais dire que c’était un peu maladroit. Ne sachant réellement pas le contexte derrière et se sentant un peu de trop avec des personnes dont tu ne connais pas, ta méfiance s’enclenche directe. Cependant, tu tenais tout de même à rester sociable et précise : « Je m’appelle Hirabayashi Hanami, première année en arts.»

Ayame réalisa assez rapidement que la situation était vraiment étrange. Elle ne connaissait l’identité de Yamada que parce que leurs bourreaux les avaient interpellés pendant leur séquestration. Mais elle n’avait jamais vu ce type avant, ou alors aperçu vite fait dans le cercle des arts, mais c’était tout. Quant à l’autre fille, son visage lui disait vaguement quelque chose : peut-être avaient-elles un cercle en commun également ? Mais Ayame avait une mauvaise reconnaissance des visages, et encore moins des noms, comme ça c’était réglé.

Yamada était en train de dormir sur une chaise à côté du lit d’infirmerie, et la jeune fille qui était entrée avait décidé de le réveiller. Il sortit d’une longue torpeur sous le regard curieux d’Ayame, et salua les deux filles. Apparemment, l’inconnue s’appelait Hirayabashi. Rare comme nom, elle aurait quand même pu le retenir. Puis il réalisa la présence de la jeune fille et lui demanda si elle allait mieux. En guise de réponse, l’étudiante en littérature hocha la tête de haut en bas, encore un peu sonnée.

Yamada se leva alors de sa chaise pour faire les présentations. Il répéta à nouveau le nom de l’autre fille, et lorsqu’il se tourna vers Ayame, il réalisa qu’il ne connaissait pas son identité. Pourtant, les deux folles avaient plusieurs fois répété son nom tout à l’heure, dans le gymnase, mais peut-être qu’il avait été trop paniqué pour s’en rendre compte. Ayame jeta un regard circulaire à la pièce et vit un calepin et un stylo posés sur la table de chevet à côté du lit. L’infirmière avait dû la reconnaître, elle venait souvent à l’infirmerie pour diverses raisons, notamment quand elle faisait des crises d’angoisse, et l’infirmière était habituée à son mutisme. Elle s’empara donc du carnet et inscrivit son prénom et son nom en hiragana, car même si la lecture de « Sakurai » était très standard, et celle d’ « Ayame » aussi puisque c’était le kanji de la fleur d’iris, tout le monde n’était pas égal face aux kanji et ceux des noms étaient réputés pour être alambiqués. Elle écrivit donc syllabiquement. Et alors qu’elle ne connaissait que le nom de famille du jeune homme, elle apprit qu’il s’appelait Jun.
Quant à l’autre fille, elle confirma son identité, et se présenta à nouveau d’elle-même, comme étant Hanami, étudiante en arts. AH ouais, il y avait donc moyen qu’elles se soient croisées dans le cercle d’arts à ce moment-là.

Ayame tendit alors le calepin à Hanami pour qu’elle puisse lire son nom et prénom à son tour. Une fois cela fait, elle s’empressa d’écrire un rapide message pendant que les deux autres étaient en train d’échanger, puis elle tendit à nouveau son carnet dans le vide pour qu’ils puissent lire :

Désolée, mais j’ai un problème au niveau de ma voix, et je ne peux pas m’exprimer. Tout à l’heure, c’était exceptionnel, ça faisait longtemps que je n’avais pas pu parler. Merci pour ton aide, Yamada. Et enchantée, Hirayabashi-san.

Voilà, la glace était brisée, son handicap révélé, la suite des événements pourrait donc se dérouler sans encombre, du moins l’espérait-elle.

Quand l’étudiante se réveilla, je fus super soulagé. J'avais peur qu’elle tombe dans le coma ou qu’elle soit traumatisée. Oui, j’étais excessif, mais il fallait rester sur ses gardes et être vigilant. Je ne la connaissais pas, mais elle semblait fragile et la suite confirma mon inquiétude pour elle. Je lus le papier qu’elle nous tendait en plissant les yeux d’un air interrogé. Bon, je la voyais mal nous faire un quizz soudainement.

Même si elle ne parlait pas, j’étais content qu’elle puisse nous parler, à sa manière. Un sourire doux et presque les larmes aux yeux, je m’inclinais légèrement. “ Définitivement, enchanté Sakurai. “ L’émotion me travaillait beaucoup après tout ce qu’il se passait. Non, je n’allais pas pleurer, j’étais juste ému. “ Je suis content que tu sois réveillée. “ Tout à coup, mon regard dériva sur l’autre demoiselle à côté de moi. Elle devait m’attendre. Je voulais m’assurer qu’Ayame aille bien et en même temps, je ne pouvais pas tarder, sinon cela allait empathir sur ma note. Je pris le calepin à la brune et le stylo assez rapidement pour y inscrire aussi quelque chose. Je lui mis dans les mains les deux objets, avec de m’écarter et de lui sourire plus délicatement. “ C’est mon Line, donne-moi de tes nouvelles s’il te plaît. ” Je lui fis un petit geste d’au revoir et je regardais ma camarade des arts pour lui faire signe que j’étais prêt à partir avec elle.

Avant de quitter l’infirmerie, je me retournais une dernière fois pour regarder Ayame, incliner mon visage afin de la saluer pour de bon, amicalement.

Ainsi, je retournais en classe, un peu mouillé encore avec Hirabayashi Hanami.